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  La Résistance en Ille-et-Vilaine

Le réseau Maurel  (Page 13)

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           Pour enrichir la mémoire du passé, nous recherchons des témoignages ou des documents  sur cette période   write5.gif (312 octets)

Sommaire | Introduction | En 1940 | Comment entre-t-on "en Résistance"  | Le Groupe se structure | Mamadou et les autres |  La manifestation interdite  | Un "pieux mensonge". | La Propagande  | Des postes émetteurs au parachutage. | Le commencement de la fin.. | Etienne est arrêté | L'incarcération de Renée Maurel.| Ravensbrück | Vers la liberté | Le bilan.| Témoignage d'Ellen Maurel | Témoignage d'Ety Maurel

 

Avril 1943 -avril 1945: Ravensbrück

« Il y a longtemps déjà, Andrée m'a fait l'offrande de son témoignage écrit sur Ravensbrück. Je n'ai rien à y ajouter, parce que nous avons partagé notre vie, nos souffrances et nos espoirs. Elle écrit ce que j'aurais voulu écrire... »



 

Témoignage du matricule 19 400 –Andrée Sudre

« 40 ans après, l'âge usant la mémoire, j'hésite à évoquer quelques événements intemporels qui ont marqué mon "moi" de cicatrices ineffaçables.

« Comme nous avons parcouru ensemble le même douloureux chemin, il se trouve que vous êtes impliquée dans ces "faits divers" qui n'apportent rien à l'histoire.

« Ils sont "mon Ravensbrück" que ne peux partager qu'avec vous mais que je reconnais rarement dans les palabres sur les camps.

« Le pire a commencé lorsque nous quittâmes le fort de Romainville pour la gare de l'Est. Je n'ai pas oublié que c'était fin avril, car l'on vendait des bouquets de muguet dans les rues de Paris. Quelle ironie du sort !... fini pour nous le bonheur ou même l'espoir.

« Après une nuit passée dans les sordides baraques de Compiègne (où nous succédions aux gitanes chassées du vieux port de Marseille), ce fut l'entassement dans les wagons plombés. Certaines imaginaient à haute voix notre prochaine vie de travailleuses en Allemagne, cela n'avait rien d'effrayant... Elles trouvaient, comme Mme Tedescau, que nous vivions une formidable aventure fort enrichissante. D'autres criaient, pleuraient "choses également vaines" comme l'a dit Vigny.

« Jacqueline, sœur de Rémy, m'ayant "confiée" à vous, je ne cherchais qu'à mieux vous connaître, car nous n'avions jusque là rien en commun si ce n'est l'amour de la Bretagne.
« Premier déchirement : le passage de la frontière, les coups de feu (la poursuite des courageux qui risquaient leur vie pour ne pas quitter leur patrie) et l'on repart. De la gare de R........ je n'ai que le souvenir des chiens qui nous
attendaient.

« Notre "colonne" de femmes fatiguées, fripées, portant de grotesques bagages, s'ébranla vers le camp en rassemblant sa dignité...

« La porte du camp franchie, nous étions devenues des "déportées". Dépouillées de tout ce qui nous rattachait à notre vie passée, pour beaucoup tondues, nous avons fini de perdre notre personnalité en devenant des numéros. C'est alors que j'ai pensé à Mermoz dans le livre de Saint-Exupéry. Comme lui, je me suis dites : "Si ceux que j'aime savent ce que je vis, ils pensent que je ferai tout pour revenir, je ne dois pas les décevoir".

« Le choc du changement d'univers avait brisé, chez beaucoup d'entre nous, toutes possibilités d'analyse; seul, demeurait l'instinct de conservation animal. Ma vie se résumait à manger, dormir, lutter contre le froid, les poux; éviter les corvées, les sélections. Ces dernières, surtout fin 44, lorsque les "cartes rosés" et les jeunes insuffisamment valides étaient endormies au "jugenlager" ou envoyées à la chambre à gaz.

«L'angoisse des "défilés", lorsque l'on avait les pieds enflés, des furoncles et des plaques purulentes dues à l'avitaminose, me prend encore à la gorge aujourd'hui. Vous étiez formidable pour donner la force de se redresser, votre dignité me remplissait d'admiration.

« Ce fut ainsi pendant des mois et des mois, corvées au travail dans des ateliers, blocks surpeuplés, de plus en plus sales. Alors 40 ans après comment ponctuer avec des dates un événement ou un autre.
« Pourtant, nous revivons chaque 25 décembre les Noël 1943 et 1944 passés à "pauser" dans la neige et le froid de la plaine du Merklembourg. Pas de trêve alors que le monde se réjouit ! De quoi faire douter de tout. Et cependant il a fallu une aide divine pour nous faire sortir de l'enfer.

« Ai-je eu plus froid que faim ou plus faim que froid ? Aujourd'hui je ne sais plus, mais j'ai succombé à l'échange de recettes pendant les interminables appels, moi qui n'avais encore jamais eu à faire la cuisine.

« Le drame des "lapins", la mort de camarades, même celle de Bernadette, ne m'ont pas accablée de douleur, j'ose le dire... nous n'avions plus de cœur car nous étions nous aussi des mortes en survie. Est-il croyable que l'on puisse arriver à détruire ainsi des êtres normaux ?...

« Dans celte grisaille, cette monotonie, cette peur qui nous tenaillait, un peu de chaleur ne venait que de l'amitié.
- la votre, toujours présente, solide et efficace.
- celle de Suzanne, de Poulette souvent bourrue mais si profonde et à toute épreuve.
- celle qui était éprouvée pour nous en France alors que nous ne savions plus rien des êtres chers. Jamais Manin ne saura à quel point ses colis (que nous cachions dans la paillasse) nous ont aidés à survivre autant moralement que physiquement. Qu'elle en soit encore remerciée et vous aussi qui saviez partager.
-
« Nous avions su par les femmes des colonnes de sable que le débarquement avait eu lieu, on croyait hélas la fin proche !!! Poulette, à cette même date, avait vu en rêve une carte de France entourée de guirlandes lumineuses tricolores. Le lendemain matin, elle entrait au bloc des punitions (Strafblock) pour avoir lutté contre une "bande rouge" qui frappait une prisonnière tombée en portant la soupe. Notre vie n'était faite que de "douches" comme celles-ci.

« Cependant nous vivions accrochées à ce camp sinistre, cadre d'un semblant de société, support d'une vie de misère car là étaient nos camarades. Le mot "transport" nous traumatisait. Nous ne pouvions plus supporter l'idée d'une nouvelle rupture.

« Je me vois, comme si c'était aujourd'hui, devant les cuisines, attendant la décision finale du SS préparant un "convoi" avec une liste comportant votre nom. Par bonheur pour moi, votre gale artificielle a bien joué son rôle et vous fûtes rejetée de la colonne. Et pourtant votre sort eût sûrement été meilleur dans un commando. Lorsque d'anciennes déportées parlent de leurs commandos je ne me sens pas impliquée, il y a un abîme entre leur vie et celle de l'horrible cour des miracles qu'était devenu Ravensbrück.

« L'automne 44 nous sépara cependant, votre départ pour le camp Siemens, d'abord journalier, puis définitif, me fit reprendre la colonne "Verfugbar" pour essayer de vous rejoindre. Je fus admise aux essais et engagée après avoir tordu un fil de fer selon un croquis, alors que je tenais une pince pour la 1ère fois.

« Quelle joie de vous retrouver ! déjà cependant amaigrie, l’œil moins vif, mais si courageuse
« Là, des blocs plus petits, bien que surpeuplés, étaient moins inhumains. J'y retrouvais Laurette et plus tard j'ai su qu'Anna y était aussi... Quelle pétaudière /// Mais il y avait cette fosse pour WC... (je la rends responsable du délabrement de nos intestins), et le soir l'horrible fumée qui sortait de la cheminée de ce "kremalorum" tout proche de nos ateliers... Vision dantesque.

« Nos forces déclinaient et nous n'arrivions pas à trouver l'espoir dans le fait que les techniciens civils des ateliers, comme les SS âgés (ne pouvant partir en Russie) semblaient avoir senti la défaite.
« Noël 44 finit de nous user physiquement et moralement. Notre organisme devenait incapable de lutter contre les épidémies. Vous fûtes la 1ère de notre groupe, à tomber, à l'appel du matin, un jour de fin janvier 45.

« Je ne fus pas longue à vous rejoindre au bloc des malades du camp, mais nous étions ni l'une ni l'autre conscientes de notre état, le typhus exanthématique qui fit des milliers de mortes, provoque une température dépassant 40° et ne cédant qu'au bout de 10 à 12 jours. Vous vous êtes offerte le luxe de dépasser ce délai, aussi étiez-vous considérée comme perdue.

« Ayant "respectée" les délais, je fis surface avant vous. Dans votre délire il y avait beaucoup de chats enragés. Vous pensiez vous noyer alors que Poulette et moi arrivions à sortir du lac où nous étions tombées. Vos filles étaient "feu" ou "démon". Et Madeleine Hamon, malgré le typhus et les interdictions, tenait jusqu'à nous. Peut-on croire cela dans notre monde devenu indiffèrent ? Puis un jour, on décida de nous descendre au grand camp. On nous jeta à 5 ou 6 dans une charrette, sans doute tirée par des prisonnières. Je me souviendrai jusqu'à mon dernier souffle de mon angoisse car vous ne réagissiez ni au froid intense ni à mes appels

« Le sol devait être terriblement gelé, notre sinistre cortège dû s'arrêter et cela juste devant le "krematorum" que jouxtait la chambre à gaz... heureusement vous n'avez rien vu.

« Nouvelle séparation ; vous fûtes admise au Revier où pendant des semaines vous êtes restée inconsciente, hantée par le bruit de dents qui s'entrechoquaient alors qu'il s'agissaient du choc des ustensiles entre eux, dans la cuisine voisine. C'est Marie-Claude Vaillant-Couturier qui m'a dit cela. Je fus mise dans une annexe du revier, c'est-à-dire un bloc divisé en deux parties, les folles d'un côté et les malades de l'autre.

« Nous étions encore plusieurs par châlit, un matin je me suis réveillée près d'une allemande décédée dans la nuit, sans gémissement. Pas de nourriture, un peu de bouillon, mais on avait dépassé le stade de la faim impérieuse.

« Vers la mi-mars, lorsque l'on m'a renvoyé au travail, je n'avais plus que la peau et les os, sans doute 34 kg (comme l'indiquait la pesée en Suisse).

« Enfin, vous arriviez, vous aussi, chez Siemens, mais hagarde, méconnaissable. Si la libération n'était pas venue quelques jours plus tard, il est certain que vous n'auriez pas revu la France. Les nombreux mois que vous avez dû passer au Val de Grâce, au retour, montrent à quel point votre état général avait été atteint.

« Je viens de passer l'après-midi à extérioriser, au fil de la plume, ces souvenirs, mais chaque ligne nous permettrait de parler des heures sur l'idée évoquée.
« Je sais bien que pour vivre dans une sérénité totale vous avez besoin, comme moi, de savoir qu'il n'y a plus de guerre, plus de camp à travers le monde, mais que faire ? D'autres doivent prendre la relève.

Matricule 19400.
P. S. « Excusez-moi de ne pas recopier ce brouillon. C 'est une chose que je ne peux pas faire sans de nombreuses modifications. Ce serait donc encore un brouillon. »


Témoignage du matricule 19 400 –Andrée Sudre

« 40 ans après, l'âge usant la mémoire, j'hésite à évoquer quelques événements intemporels qui ont marqué mon "moi" de cicatrices ineffaçables.

« Comme nous avons parcouru ensemble le même douloureux chemin, il se trouve que vous êtes impliquée dans ces "faits divers" qui n'apportent rien à l'histoire.

« Ils sont "mon Ravensbrück" que ne peux partager qu'avec vous mais que je reconnais rarement dans les palabres sur les camps.

« Le pire a commencé lorsque nous quittâmes le fort de Romainville pour la gare de l'Est. Je n'ai pas oublié que c'était fin avril, car l'on vendait des bouquets de muguet dans les rues de Paris. Quelle ironie du sort !... fini pour nous le bonheur ou même l'espoir.

« Après une nuit passée dans les sordides baraques de Compiègne (où nous succédions aux gitanes chassées du vieux port de Marseille), ce fut l'entassement dans les wagons plombés. Certaines imaginaient à haute voix notre prochaine vie de travailleuses en Allemagne, cela n'avait rien d'effrayant... Elles trouvaient, comme Mme Tedescau, que nous vivions une formidable aventure fort enrichissante. D'autres criaient, pleuraient "choses également vaines" comme l'a dit Vigny.

« Jacqueline, sœur de Rémy, m'ayant "confiée" à vous, je ne cherchais qu'à mieux vous connaître, car nous n'avions jusque là rien en commun si ce n'est l'amour de la Bretagne.
« Premier déchirement : le passage de la frontière, les coups de feu (la poursuite des courageux qui risquaient leur vie pour ne pas quitter leur patrie) et l'on repart. De la gare de R........ je n'ai que le souvenir des chiens qui nous
attendaient.

« Notre "colonne" de femmes fatiguées, fripées, portant de grotesques bagages, s'ébranla vers le camp en rassemblant sa dignité...

« La porte du camp franchie, nous étions devenues des "déportées". Dépouillées de tout ce qui nous rattachait à notre vie passée, pour beaucoup tondues, nous avons fini de perdre notre personnalité en devenant des numéros. C'est alors que j'ai pensé à Mermoz dans le livre de Saint-Exupéry. Comme lui, je me suis dites : "Si ceux que j'aime savent ce que je vis, ils pensent que je ferai tout pour revenir, je ne dois pas les décevoir".

« Le choc du changement d'univers avait brisé, chez beaucoup d'entre nous, toutes possibilités d'analyse; seul, demeurait l'instinct de conservation animal. Ma vie se résumait à manger, dormir, lutter contre le froid, les poux; éviter les corvées, les sélections. Ces dernières, surtout fin 44, lorsque les "cartes rosés" et les jeunes insuffisamment valides étaient endormies au "jugenlager" ou envoyées à la chambre à gaz.

«L'angoisse des "défilés", lorsque l'on avait les pieds enflés, des furoncles et des plaques purulentes dues à l'avitaminose, me prend encore à la gorge aujourd'hui. Vous étiez formidable pour donner la force de se redresser, votre dignité me remplissait d'admiration.

« Ce fut ainsi pendant des mois et des mois, corvées au travail dans des ateliers, blocks surpeuplés, de plus en plus sales. Alors 40 ans après comment ponctuer avec des dates un événement ou un autre.
« Pourtant, nous revivons chaque 25 décembre les Noël 1943 et 1944 passés à "pauser" dans la neige et le froid de la plaine du Merklembourg. Pas de trêve alors que le monde se réjouit ! De quoi faire douter de tout. Et cependant il a fallu une aide divine pour nous faire sortir de l'enfer.

« Ai-je eu plus froid que faim ou plus faim que froid ? Aujourd'hui je ne sais plus, mais j'ai succombé à l'échange de recettes pendant les interminables appels, moi qui n'avais encore jamais eu à faire la cuisine.

« Le drame des "lapins", la mort de camarades, même celle de Bernadette, ne m'ont pas accablée de douleur, j'ose le dire... nous n'avions plus de cœur car nous étions nous aussi des mortes en survie. Est-il croyable que l'on puisse arriver à détruire ainsi des êtres normaux ?...

« Dans celte grisaille, cette monotonie, cette peur qui nous tenaillait, un peu de chaleur ne venait que de l'amitié.
- la votre, toujours présente, solide et efficace.
- celle de Suzanne, de Poulette souvent bourrue mais si profonde et à toute épreuve.
- celle qui était éprouvée pour nous en France alors que nous ne savions plus rien des êtres chers. Jamais Manin ne saura à quel point ses colis (que nous cachions dans la paillasse) nous ont aidés à survivre autant moralement que physiquement. Qu'elle en soit encore remerciée et vous aussi qui saviez partager.
-
« Nous avions su par les femmes des colonnes de sable que le débarquement avait eu lieu, on croyait hélas la fin proche !!! Poulette, à cette même date, avait vu en rêve une carte de France entourée de guirlandes lumineuses tricolores. Le lendemain matin, elle entrait au bloc des punitions (Strafblock) pour avoir lutté contre une "bande rouge" qui frappait une prisonnière tombée en portant la soupe. Notre vie n'était faite que de "douches" comme celles-ci.

« Cependant nous vivions accrochées à ce camp sinistre, cadre d'un semblant de société, support d'une vie de misère car là étaient nos camarades. Le mot "transport" nous traumatisait. Nous ne pouvions plus supporter l'idée d'une nouvelle rupture.

« Je me vois, comme si c'était aujourd'hui, devant les cuisines, attendant la décision finale du SS préparant un "convoi" avec une liste comportant votre nom. Par bonheur pour moi, votre gale artificielle a bien joué son rôle et vous fûtes rejetée de la colonne. Et pourtant votre sort eût sûrement été meilleur dans un commando. Lorsque d'anciennes déportées parlent de leurs commandos je ne me sens pas impliquée, il y a un abîme entre leur vie et celle de l'horrible cour des miracles qu'était devenu Ravensbrück.

« L'automne 44 nous sépara cependant, votre départ pour le camp Siemens, d'abord journalier, puis définitif, me fit reprendre la colonne "Verfugbar" pour essayer de vous rejoindre. Je fus admise aux essais et engagée après avoir tordu un fil de fer selon un croquis, alors que je tenais une pince pour la 1ère fois.

« Quelle joie de vous retrouver ! déjà cependant amaigrie, l’œil moins vif, mais si courageuse
« Là, des blocs plus petits, bien que surpeuplés, étaient moins inhumains. J'y retrouvais Laurette et plus tard j'ai su qu'Anna y était aussi... Quelle pétaudière /// Mais il y avait cette fosse pour WC... (je la rends responsable du délabrement de nos intestins), et le soir l'horrible fumée qui sortait de la cheminée de ce "kremalorum" tout proche de nos ateliers... Vision dantesque.

« Nos forces déclinaient et nous n'arrivions pas à trouver l'espoir dans le fait que les techniciens civils des ateliers, comme les SS âgés (ne pouvant partir en Russie) semblaient avoir senti la défaite.
« Noël 44 finit de nous user physiquement et moralement. Notre organisme devenait incapable de lutter contre les épidémies. Vous fûtes la 1ère de notre groupe, à tomber, à l'appel du matin, un jour de fin janvier 45.

« Je ne fus pas longue à vous rejoindre au bloc des malades du camp, mais nous étions ni l'une ni l'autre conscientes de notre état, le typhus exanthématique qui fit des milliers de mortes, provoque une température dépassant 40° et ne cédant qu'au bout de 10 à 12 jours. Vous vous êtes offerte le luxe de dépasser ce délai, aussi étiez-vous considérée comme perdue.

« Ayant "respectée" les délais, je fis surface avant vous. Dans votre délire il y avait beaucoup de chats enragés. Vous pensiez vous noyer alors que Poulette et moi arrivions à sortir du lac où nous étions tombées. Vos filles étaient "feu" ou "démon". Et Madeleine Hamon, malgré le typhus et les interdictions, tenait jusqu'à nous. Peut-on croire cela dans notre monde devenu indiffèrent ? Puis un jour, on décida de nous descendre au grand camp. On nous jeta à 5 ou 6 dans une charrette, sans doute tirée par des prisonnières. Je me souviendrai jusqu'à mon dernier souffle de mon angoisse car vous ne réagissiez ni au froid intense ni à mes appels

« Le sol devait être terriblement gelé, notre sinistre cortège dû s'arrêter et cela juste devant le "krematorum" que jouxtait la chambre à gaz... heureusement vous n'avez rien vu.

« Nouvelle séparation ; vous fûtes admise au Revier où pendant des semaines vous êtes restée inconsciente, hantée par le bruit de dents qui s'entrechoquaient alors qu'il s'agissaient du choc des ustensiles entre eux, dans la cuisine voisine. C'est Marie-Claude Vaillant-Couturier qui m'a dit cela. Je fus mise dans une annexe du revier, c'est-à-dire un bloc divisé en deux parties, les folles d'un côté et les malades de l'autre.

« Nous étions encore plusieurs par châlit, un matin je me suis réveillée près d'une allemande décédée dans la nuit, sans gémissement. Pas de nourriture, un peu de bouillon, mais on avait dépassé le stade de la faim impérieuse.

« Vers la mi-mars, lorsque l'on m'a renvoyé au travail, je n'avais plus que la peau et les os, sans doute 34 kg (comme l'indiquait la pesée en Suisse).

« Enfin, vous arriviez, vous aussi, chez Siemens, mais hagarde, méconnaissable. Si la libération n'était pas venue quelques jours plus tard, il est certain que vous n'auriez pas revu la France. Les nombreux mois que vous avez dû passer au Val de Grâce, au retour, montrent à quel point votre état général avait été atteint.

« Je viens de passer l'après-midi à extérioriser, au fil de la plume, ces souvenirs, mais chaque ligne nous permettrait de parler des heures sur l'idée évoquée.
« Je sais bien que pour vivre dans une sérénité totale vous avez besoin, comme moi, de savoir qu'il n'y a plus de guerre, plus de camp à travers le monde, mais que faire ? D'autres doivent prendre la relève.

Matricule 19400.
P. S. « Excusez-moi de ne pas recopier ce brouillon. C 'est une chose que je ne peux pas faire sans de nombreuses modifications. Ce serait donc encore un brouillon. »

 

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 Dernière mise à jour: 14/01/2016