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Les hommes du maquis

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Pour enrichir la mémoire du passé, nous recherchons des témoignages ou des documents  sur cette période   write5.gif (312 octets)

XI -PARACHUTAGES

PARACHUTAGE DU 15 JUILLET 1944 À DROUGES

 

Après le 6 juin 1944, les Alliés multiplient considérablement les parachutages d’armes et de munitions au profit des Forces françaises de l’intérieur engagées dans les combats de la libération. Parmi les nombreuses missions aéroportées en Bretagne, l’opération « Scientist 117 »  de la Royal Air Force va se dérouler en juillet 1944 à Drouges, petite commune située à quelques kilomètres au sud de La Guerche-de-Bretagne.

 Le 19 avril 1944, des membres influents du réseau de résistance « Libé-Nord » se réunissent à l’hôtel du Cheval d’Or à Rennes, propriété de Mme Anne-Marie Tanguy et de sa fille Paulette Redouté, toutes les deux engagées dans la clandestinité. Au cours de cette entrevue secrète, est évoqué un terrain de parachutage situé à Drouges. 

Parmi ces hommes de l’ombre, Bernard Lesage, 23 ans, réfractaire au service du travail obligatoire (STO), adjoint départemental du réseau, est chargé de prendre contact avec l’adjudant André Pinot, commandant la brigade de gendarmerie de La Guerche-de-Bretagne, membre de « Libé-Nord ». Tous les deux doivent organiser le comité de réception des armes et des munitions à Drouges. Bernard Lesage n’accomplira jamais cette mission ; il est arrêté le lendemain par la Gestapo, dans ce même hôtel, avec tous ses camarades dont Mme Tanguy et sa fille. 

Ces événements précipitent le départ de Georges Courcier, jeune résistant, hébergé dans un grenier annexe au domicile des Lesage. Il rejoint La Guerche-de-Bretagne d’où il est originaire avant de trouver refuge dans la famille Bulourde au lieu-dit la Prée à Drouges. 

Cet important coup de filet de la police allemande ne va pas pour autant enrayer l’action des autres membres du réseau ; « Ami, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place »… Avant son arrestation, Bernard Lesage était en contact étroit avec Louis Pétri, responsable des Francs-tireurs et partisans français (FTPF) en Haute-Bretagne et en Mayenne. Sous l’impulsion de leur chef, Louis Pétri, surnommé Loulou ou commandant Tanguy,  les maquis FTPF sont très actifs dans ces régions. 

Plusieurs semaines se sont écoulées ; la bataille de Normandie fait rage. Les Forces françaises de l’intérieur (FFI) poursuivent leurs actions, avec leurs faibles moyens, pour retarder les renforts allemands vers le front normand. Pour faire face à cette situation, les Alliés intensifient les parachutages d’armes aux maquis dont les effectifs sont en nette progression depuis le débarquement des Alliés. .                                                                                                                                  

Louis Pétri est en liaison permanente avec Claude de Baissac, un des meilleurs agents du Special Operations Executive (SOE) en France, chef du réseau « Denis Scientist » implanté dans le nord de la Mayenne, en limite de la Normandie, depuis février 1944. Cet officier britannique, né à l’île Maurice, parlant parfaitement le français, est assisté, entre autres, de sa sœur Lise de Baissac, alias « Marguerite » et de son opératrice radio, Phyllis Latour  alias « Geneviève ».  Claude de Baissac, alias « Denis », communiquera donc à la centrale du SOE à Londres les besoins en matériels militaires et les coordonnées des terrains prêts à les recevoir. 

Parmi ces zones de parachutage homologuées par la Royal Air Force (RAF), celle retenue sur la commune de Drouges par « Libé-Nord » depuis plusieurs mois, est toujours d’actualité malgré le coup porté au réseau. Cette dropping zone (DZ) correspond précisément à une longue prairie située sur la ferme d’Emmanuel Valais, au lieu-dit Launay, derrière la ferme de la Prée exploitée par Jules Bulourde, résistant de la première heure.  

Les résistants concernés seront prévenus de la date de ce parachutage par un message personnel diffusé par la BBC, la radio anglaise, dans son émission quotidienne « Les Français parlent aux Français ». Pour l’opération de Drouges, le message concocté par les organisateurs « Les enfants font les courses au village», est donc très attendu. Ce texte sibyllin doit être annoncé à 13 h 15, parfois deux ou trois jours avant la date prévue, afin que les destinataires puissent se préparer à la réception de la cargaison.  

Effectivement, le 14 juillet, le lieutenant Bernard Salmon, responsable FTPF d’un secteur de Rennes capte le fameux message à 13 h 15. Louis Pétri lui a ordonné d’assurer la réception du parachutage. Sans tarder, il réunit ses camarades de l’ombre : Rémy Lelard, Alfred Lavanant, Jacques Delente et Henri Guinchard, un Parisien. Ils embarquent à bord d’une Peugeot 201 conduite par Henri Guinchard et prennent la direction de Vern-sur-Seiche en empruntant la route de Châtillon.  Mais à l’entrée de cette bourgade, des soldats allemands barrent la route. La Peugeot 201 bifurque vers Nouvoitou, mais un second barrage leur en interdit l’accès. Les cinq occupants doivent se plier au contrôle mais la situation va rapidement dégénérer. Jacques Delente use d’un stratagème pour sortir du véhicule ce qui lui sauvera la vie. Les Allemands ont-ils remarqué les armes à même le plancher de la voiture ? Rémy Lelard tente de prendre sa mitraillette. La réaction immédiate des soldats déclenche une fusillade meurtrière. Bernard Salmon, Henri Guinchard et Rémy Lelard sont mortellement blessés. Alfred Lavanant, débusqué de sa cachette dans une forge toute proche, est abattu sur place sans sommations.  

Jacques Delente échappe finalement à ses poursuivants et rejoint La Guerche-de-Bretagne puis Drouges par ses propres moyens. Il apprend la terrible nouvelle à ses camarades qui, malgré cela, doivent assurer la réception du parachutage. Ils devront attendre trois longues journées car le message diffusé le 14 juillet, après les informations de 13 heures, n’était qu’une première annonce.  

Le 17 juillet 1944, à 13 h 15, après le prélude « Veuillez écouter tout d'abord quelques messages personnels », le speaker français de Radio Londres divulgue la longue liste de ces étranges expressions parmi lesquelles « Les enfants font les courses au village cinq fois ». L’additif « cinq fois », inséré dans le texte par le SOE, signifie que cinq avions interviendront sur la zone. Le même jour, à 17 h 15, la BBC réitère la même citation puis la confirme à 21 h 15 ; cette troisième émission certifie que le parachutage aura bien lieu au cours de la nuit suivante. Le comité de réception, en attente à la ferme de la Prée, enthousiasmé par cette bonne nouvelle, se regroupe, le plus discrètement possible, autour du périmètre de largage.  

Louis Pétri ordonne à Pierre Le Gloarec dit Pierrot ou « capitaine Pineau »,  son nom de guerre, d’assurer les transmissions avec les avions britanniques. Depuis le début de l’année 1944, la Résistance utilise des balises émettrices Eureka permettant aux avions équipés d’un récepteur Rebecca, de se guider précisément sur la DZ. A cela, vient s’ajouter le système S-Phone qui permet au comité d’accueil de communiquer directement en radiophonie avec l’équipage des avions. Ces moyens modernes, pour l’époque, facilitent les opérations de largage et favorisent leur succès. 

Le capitaine Pineau, hébergé par la famille Davy à La Selle-en-Coglès, a aussi intercepté le message de la BBC. Il demande au jeune Jean Davy, 18 ans, enrôlé dans la Résistance depuis 1942, de l’accompagner jusqu’à Drouges avec un gars de Montours. Le dimanche 16 juillet, dans l’après-midi, le trio embarque dans une traction Citroën avec ses armes et tout le matériel de transmission. Jean Davy se souvient : « Nous avons eu du mal à trouver la ferme car des panneaux de direction avaient été tournés dans l’autre sens, sans doute par des gars du coin ». Après la tombée de la nuit de ce 17 juillet 1944, une quarantaine de résistants ont pris position dans la grande prairie. Parmi eux, il y a bien sûr le capitaine Pineau, Jean Davy, Jules Bulourde, Emmanuel Valais, l’abbé Bougeard vicaire à Drouges, Georges Courcier, François Boueste, les frères Guinoiseau, Francis Dupont, Bernard Baudrier, Jules Picquet, Jacques Delente et bien d’autres patriotes courageux. Sont également intégrés dans ce groupe : trois soldats d’origine russe ou ukrainienne, déserteurs de l’armée allemande, récupérés par des résistants locaux puis hébergés secrètement chez Emmanuel Vallais, dans un grenier de la ferme de Launay.

Sur le terrain, le capitaine Pineau prépare son S-Phone et son camarade Jean Davy fixe l’antenne de la balise Eureka. A côté d’eux, Georges Courcier muni d’une lampe blanche est chargé d’émettre la lettre conventionnelle en morse en direction des aéronefs. Trois autres personnes munies de lampes de couleur rouge, largement espacées, sont alignées dans le sens opposé au vent. Un balisage lumineux est mis en place pour délimiter le terrain. Plusieurs charrettes hippomobiles ont été prévues pour transporter les containers et les colis jusqu’au lieu-dit l’Escart, une discrète maison inoccupée, à plus d’un kilomètre de la DZ. 

La longue attente commence. Le ciel est dégagé et les conditions météorologiques sont favorables.

Au même moment, à plusieurs centaines de kilomètres de là, sur l’aérodrome de Tempsford, au nord de Londres, cinq bombardiers Halifax des escadrilles spéciales 138 et 161 de la RAF se préparent à décoller. Chaque appareil est chargé de quinze containers et de sept colis remplis d’armes, de munitions et de matériels militaires divers. Le premier quadrimoteur décolle à 22 h 14. Pour les pilotes, aguerris à ce type de mission, l’opération codée « Scientist 117 » par le SOE, a commencé. Après avoir survolé Pléneuf-Val-André, ils se dirigent vers le point de localisation indiqué sur leur plan de vol : l’étang de Carcraon au nord de La Guerche-de-Bretagne. Le premier Halifax du 138th squadron, piloté par le Flight/Lieutenant R. Witham, survole la DZ à 0 h 38 après avoir perçu correctement le signal d’Eureka et le code morse émis par Georges Courcier. Les quatre Halifax suivants arrivent sur zone à plusieurs minutes d’intervalle. Mais les cinq appareils s’éloignent dans des directions différentes à la grande surprise de certains maquisards dont c’est la première mission. Après dix minutes d’attente, le vrombissement des moteurs de l’Halifax « O » du F/Lt Witham brise progressivement le silence nocturne. Le pilote s’aligne sur les lampes rouges à une altitude règlementaire de 400 pieds (122 mètres). La liaison radiophonique par S-Phone est parfaite. Jean Davy a un souvenir intact de ces premiers instants : « Je me souviens très bien de la lumière de la trappe ouverte sous le fuselage de l’avion. La trappe était ouverte bien avant le survol du terrain car les parachutes étaient largués un peu avant pour qu’ils atterrissent dans la prairie. La clarté de la trappe était nettement visible jusqu’à notre hauteur ». Georges Courcier est tout aussi fasciné : « Je me souviens toujours du bruit métallique de l’ouverture des trappes avant le largage des containers. Le bruit était impressionnant ». 

Le premier parachute termine sa course sur l’antenne de la balise Eureka atténuant son émission. Une anecdote que Jean Davy n’oubliera jamais : « Pierrot a félicité le pilote pour la précision du largage. Comme j’avais aussi des écouteurs sur les oreilles, je me rappelle toujours du rire du pilote, content qu’il soit félicité ». Les autres bombardiers enchaînent leurs largages à vingt minutes d’intervalle sans rencontrer de difficultés particulières. Le dernier Halifax piloté par le Flight/Lieutenant Levy ne largue pas toute sa cargaison lors de son passage et doit renouveler sa manœuvre pour lâcher ses deux derniers colis à 1 h 39. Lors de leur retour vers l’Angleterre, les cinq appareils dispersent dans la nature des milliers de tracts « Courrier de l’air » sur les secteurs de Rennes, Guichen et Ploërmel, dans le seul but d’informer la population de l’avancée des Alliés et de la situation en Europe.

À Drouges, sur la grande prairie de Launay, les résistants s’activent. Les lourds containers cylindriques qu’il faut hisser dans les charrettes, pèsent 160 kg chacun. Ils contiennent principalement des FM, mitraillettes Sten, fusils, armes de poing, grenades, explosifs, diverses munitions, etc. Soixante-quinze containers et trente-cinq colis ont été parachutés en cinquante minutes, ce qui représente un poids total d’environ quinze tonnes à manipuler par les résistants sur le terrain. Tout ce matériel et les parachutes doivent disparaître avant le lever du jour. Les forces allemandes installées à Rannée et à La Guerche-de-Bretagne peuvent surgir à tout moment. 

Comme convenu, le précieux butin est transporté à la maison de l’Escart. Les containers sont ouverts et leur contenu est en partie distribué aux maquisards présents. Leur mission étant accomplie, le capitaine Pineau et ses deux comparses regagnent La Selle-en-Coglès. 

A l’aube naissante, le terrain n’est pas entièrement déblayé ; les quelques parachutes accrochés dans les arbres sont rapidement dissimulés dans les fossés et les derniers containers sont enlevés à la hâte dans la matinée. 

Au cours de cette même nuit de juillet 1944, dans le cadre de l’opération « Scientist 116 », trois autres Halifax du Squadron 161 de la RAF ont parachuté armement et munitions dans le secteur de Pléchâtel au profit du maquis FTPF local de Léon Gendrot, subordonné à Louis Pétri. 

Les jours suivants, le stock d’armes et de munitions va être dispatché vers les maquis du secteur dont ceux du Pertre, de Brains-sur-les-Marches et de La Roë en Mayenne. Des chariots tirés par des chevaux vont sillonner la campagne au risque d’un contrôle inopiné de l’occupant. Les dangers encourus ne sont pas ignorés par ceux qui se sont engagés dans la lutte clandestine. Mais le 20 juillet 1944, vers 22 heures, à Rannée, trois bétaillères chargées d’armes sont interceptées sur une petite route par une patrouille allemande. C’est le début d’une autre histoire qui mériterait d’être racontée.

 

Daniel Jolys

Février 2015 

Sources : Les hommes du maquis, in Le Patriote de l'Ouest, Rennes, 1945.

Nombreux témoignages et divers documents historiques détenus par l’auteur.

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  Dernière mise à jour: 13/01/2017  

 

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