Pour enrichir la mémoire du passé, nous recherchons des témoignages ou des documents sur cette opération
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VII - L'ATTAQUE DE LA PRISON DE VITRÉ ( 29 avril 1944) ![]()
A la suite d'une lettre urgente d'une femme de l'un des captifs, reçue le 20 avril, je rencontrai cette personne à Rennes. Elle m'avertit que les prisonniers devaient passer dans un très proche avenir à la Cour Spéciale d'Angers. Vous savez ce que cela veut dire. Nous projetâmes l'attaque pour le samedi 29 avril, prévoyant de la remettre au dimanche en cas d'échec. Mes deux lieutenants Roger Buard et Pierre Brageul et Josette, femme de liaison, furent envoyés le 28 à Vitré pour reconnaître les lieux. Le rendez-vous avait été fixé à deux kilomètres de Vitré, sur la route de Janzé. En dehors des lieutenants, aucun des F.T.P. ne savait exactement le but du déplacement. Parti de Rennes en voiture avec Julien, emportant les échelles, le ravitaillement et les médicaments, je rejoignis au lieu prévu les groupes de La Bouëxière, de Dinan, de Rennes et de Redon. Il était environ I1 heures du soir. A 500 mètres de la prison, la voiture fut garée dans un champ. Nous étions au nombre de seize, portant les échelles, les armes, etc. L'échelle de corde ne s'accrocha pas immédiatement sur le mur, mais, avec de la patience, nous parvînmes à l'y fixer. Aussitôt après la relève des gendarmes, vers 1 heure du matin, je déclenchai l'attaque. Les enceintes franchies, les camarades encerclèrent le bâtiment central de la prison.
- Les gendarmes ne réagirent pas ? - Ils devaient dormir dans une guitoune prés de l'immeuble. Nous étions prêts à tout, et nous avions tout prévu : si nous ne pouvions parvenir à nous faire ouvrir, Boursier, vêtu de la tenue du gendarme Saquet, du Grand-Fougeray, devait donner le change. Mais tout se passa très bien : l'un des nôtres sonna de l'extérieur et à l'instant où le gardien entrouvrait la porte du bâtiment central, nous nous sommes jetés sur lui et avons pénétré dans les salles. Surpris dans leur sommeil, effrayés par notre nombre et par nos armes, les gendarmes se rendirent sans résistance. - Les détenus ne devaient pas en croire leurs yeux! - Ce fut un instant inoubliable, le plus émouvant qu'il m'ait été donné de vivre. Les camarades pleuraient de joie, nous embrassaient. Certains d'entre eux, immobilisés, Ferrand, mutilé, et Geffroy, atteint d'une phlébite, nous demandaient de ne pas nous encombrer d'eux. Mais il n'était pas question de les laisser en arrière. - N y avait-il donc que des détenus politiques dans la prison ? - Nullement. Une cinquantaine environ. Mais le gardien-chef m'avait remis la liste des détenus politiques et, malgré leurs supplications, les droits communs furent laissés dans leurs cellules. Après les hommes, nous libérâmes les femmes : Mmes Lendormy, Genouël, Brionne. Mais une besogne moins joyeuse nous attendait. Tous les prisonniers, en effet, me désignèrent Messenich comme le principal responsable de leurs arrestations. Personnellement, j'avais déjà acquis la preuve de sa trahison et de sa lâcheté au cours de l'affaire Jean Turmeau. Il était d'ailleurs au " mitard " pour 90 jours pour avoir voulu adresser à la Gestapo une lettre où il se plaignait de la bienveillance du gardien envers les prisonniers. Les détenus sont sortis dans la cour et, par groupes de dix, commandés chacun par un F.T.P., partirent vers La-Bouëxière. M. et Mme Brionne s'éloignèrent à bicyclette vers Brie. En dehors de trois femmes, les détenues refusèrent de partir, soit par excès de fatigue, soit par peur des tortures en cas de reprise. Quelques jours plus tard, elles partirent pour Angers et, de là, vers l'Allemagne. A 500 mètres de la prison, dans un champ, j'accordai sa dernière cigarette à Messenich, qu'une rafale de mitraillette abattit. Le gardien m'avait demandé de couper le fil du téléphone avant notre départ, afin qu'on ne lui reproche pas de n'avoir pas alerté. J'avais accédé à son désir, et la femme du gardien que je laissais libre m'avait promis de ne pas donner l'alarme avant 7 heures. Il en était 5 quand nous quittâmes la prison, et je pensais n'avoir rien à craindre avant que tous les prisonniers ne fussent en sûreté. Deux faits insignifiants causèrent tous nos ennuis. Premièrement, un de mes camarades oublia sa mitraillette dans le champ proche de la prison où nous nous étions arrêtés. Deuxièmement, Le Gac, qui devait avoir prévu les planques et nous attendre à La-Bouëxière, n'était pas au rendez-vous. Eugène Richomme, Boursier et moi, nous perdîmes du temps â essayer de le joindre et, ces recherches se prolongeant, commençâmes d'explorer les champs et les bois autour du village. Entre 10 et 11 heures, les gendarmes Demeuré et Lépreux nous rencontrèrent et nous demandèrent nos papiers. Au cours d'un vif combat qui s'engagea, Demeuré tira plusieurs balles sur moi sans m'atteindre et finit par s'écrouler, matraqué par un de mes lieutenants. Lepreux tenta de fuir; mais, rejoint et désarmé, fut fait prisonnier comme son collègue. Je leur laissai la vie, ne leur demandant que la promesse de ne pas alerter les Allemands. Une heure plus tard, nous retrouvions les prisonniers de Vitré caché, dans un bois et disposés déjà en postes de guetteur. Je remis à chacun des adresses de planques, des tickets d'alimentation et cinq billets de mille francs. Et tout à la joie d'être rassemblés, nous échangions des souvenirs communs lorsque, à nouveau, des gendarmes nous attaquèrent. Il s'agissait, cette fois, du brigadier Bignand et d'Esnault, prévenus par Demeuré et Lépreux, et qui venaient d'arrêter Le Gac, Le Dal, Guillard et Ponson. Le Gac, nous sachant en nombre, n'avait pas hésité à guider vers nous ses gardiens. Nos camarades libérés agirent avec Bignand et Esnault comme le matin avec Demeuré et Lépreux, leur laissant la vie et même leurs armes et ne leur demandant que de ne pas les dénoncer. Mais il était trop tard. Les dénonciations étaient faites, et les G.M.R. déjà en campagne. Les prisonniers s'étaient dispersés à l'arrivée de Bignand et je restais avec sept hommes seulement. Les G.M.R., au nombre de quatre-vingts, tentèrent un encerclement du bois. Le casque de l'un d'eux, repéré dans les hautes herbes, nous avertit du danger que nous courrions et nous prîmes la fuite à travers champs jusqu'à Saint-Sauveur-des-Landes, où nous arrivâmes à minuit. C'était, depuis Vitré, plus de soixante kilomètres franchis au pas de course, malgré clôtures, haies, ruisseaux. Et nous étions sur pied depuis la veille au matin ! Les prisonniers, surtout, étaient épouvantés à l'idée d'être repris. L'un d'eux, n'ayant plus la force de nous suivre, s'est caché dans arbre creux et y est resté deux jours immobile, sans manger ni dormir. Pour nous, accueillis par Mme Olivry, nous pûmes regagner assez de forces, après une bonne nuit, pour rejoindre Fougères le lendemain, sans autre alerte que la rencontre de trois G.M.R. au coin d'un bosquet de la station de La Rivière. " Dernière mise à jour: 06/12/2020 |