L'embuscade tragique de Vern-sur-Seiche du 14 juillet 1944

Quatre jeunes résistants
trouvèrent la mort alors qu'ils se dirigeaient vers Drouges, pour participer à un parachutage d'armes.

 

Pour enrichir la mémoire du passé, nous recherchons des témoignages ou des documents  sur ce dossier  

Le parachutage d'armes de Drouges

Les Anglo-américains étaient maîtres du ciel et effectuaient des parachutages fréquents d'armes et de matériel, pour permettre aux résistants de continuer les sabotages. Cependant à cette époque, la panique n'avait pas encore gagné les rangs de l'occupant et les Allemands étaient très vigilants tant le jour que la nuit. Récupérer les colis n'étaient pas toujours une sinécure. Ainsi à Vern-sur-Seiche, le 14 juillet 1944, des résistants du groupe des réseaux Libération-Nord des F.T.P. connurent un destin particulièrement tragique.

Madame Salmon, depuis qu'elle savait que son fils était lieutenant F.T.P. de la Résistance, pourtant n'était pas rassurée. Elle l'aidait pourtant en captant les messages radio émis de Londres.

Il est 13 heures, le 14 juillet, un message tombe sur les ondes brouillées de notre petit poste radio, toute antenne déployée, contre une meule de foin : "Les enfants font les courses au village. Cinq fois". cela signifiait qu'un parachutage devait être réceptionné, la nuit suivante, à la Guerche-de-Bretagne. ( En fait ce fut à Drouges que fut effectué le parachutage)


Derniers messages reçus et griffonnés sur un bout de papier
 par Madame Salmon pour son fils.
 

Quatre résistants avec et sous les ordres du lieutenant Salmon prennent place à bord d'une "201 Peugeot". Ce sont Rémy Lelard, Alfred Lavanant, Jacques Delente et le chauffeur Henri Guinchard le Parisien. Direction : Drouges, par Bouillant, Vern, Nouvoitou...

Habituellement, les missions étaient réalisées à bicyclette. Mais la veille, au cours d'une poursuite mouvementée, Bernard s'était accidentellement tiré une balle dans la cuisse et avait demandé à Henri de les conduire sans sa vieille "201".

Jacques Delente (rescapé:

"Nous sommes sortis en milieu d'après-midi, par la route de Chatillon, puis on a rejoint Vern par un chemin vicinal. Tout paraissait normal. Mais juste à l'entrée du bourg, on voit plein d'Allemands armés qui barrent la route. Trop tard! Vite, on prend la route de Nouvoitou, à gauche. Deuxième barrage!
Henri Guinchard, le chauffeur, demande l'autorisation, ou plutôt fait signe, qu'il se gare devant la forge, sur la route de Nouvoitou. Peut-être alors a-t-il l'intention de forcer le barrage ? Par la vitre ouverte un Allemand le tient en respect avec le canon de sa mitraillette, alors que d'autres entourent et accompagnent la voiture, munis des même armes. Les Allemands visiblement nous attendaient. Bernard dit:" De toute façon, qu'on reste ou qu'on se taille, on va se faire buter". On demande les papiers d'identité, que chacun présente. Les secondes sont longues, pendant lesquelles Bernard Salmon murmure à Guinchard: "C'est prisonnier ou fusillé."
Les Allemands interrogent: "Vous terroristes!"
Il y a des armes sur le plancher de la voiture  ont-elles été aperçues ?
Je simule un besoin. naturel et force la portière face à un Allemand perplexe dont l'attention est retenue par ailleurs. Une seconde avant, je ne savais pas ce que j'aurai fait. Je vois un tas de fers à cheval, à côté d'une forge. Je fonce. J'escalade le tas de fers, qui me fait piétiner. Si bien que Lavanant, qui voulait me suivre, s'est engouffré, lui, dans la forge?"

Madame Salmon:

"Si les Allemands n'ont pas pu tirer dessus, c'est qu'une seconde auparavant, Rémy, en sortant à gauche de la voiture, a voulu prendre sa mitraillette. Les Allemands l'ont vu et ont tiré dans le tas. Bernard, qui avait eu la présence d'esprit de laisser tomber son portefeuille dans le fossé, afin d'éviter que des documents compromettants ne tombent entre les mains des Allemands, est touché à mort, ainsi que Rémy. Henri, encore au volant, est touché aux reins et agonise là, sans que personne ne puisse lui porter secours. Il mourra deux heures plus tard, après avoir été chargé dans une camionnette allemande. Il eut la force de crier "Vive la France"."

André Lavanant:

" Mon frère, Alfred, s'était planqué dans la forge, faute de trouver une issue par derrière. Les Allemands l'ont cherché pendant un quart d'heure. Ils allaient repartir bredouille, quand Alfred a toussoté. Un officier, furieux de n'avoir pu prendre les cinq sur le coup, a pris une mitraillette. Alfred avait les mains en l'air. L'autre l'a littéralement coupé en deux. C'est un véritable crime de guerre.

Y a-t-il eu des indiscrétions ? Ce barrage était-il tout simplement un contrôle de routine? Autant de questions sans réponses. Au départ c'est une 'Traction'' qui devait être utilisée, mais son embrayage ayant rendu l'âme...

André Lavanant:

"Je suis persuadé qu'ils ont été vendus. Pourquoi des Allemands à Vern? Jamais, on n'avait vu de barrages là. Pourquoi en interceptant la voiture, ont-ils crié "Vous, terroristes?". "

A ce propos, Monsieur Lafaye, camarade de faculté de Bernard Salmon, raconte:

"Il mangeait à côté de moi, au restaurant universitaire. il n'y avait rien à craindre de ceux de notre tablée, mais derrière, il y avait un étudiant dont on m'avait dit:

"Il faut s'en méfier, il est possible qu'il travaille pour la Gestapo.".

Bernard parlait de choses et d'autres, et, tout à coup: "Demain, je pars dans la Mayenne pour un parachutage", et il commence à indiquer son itinéraire. Un coup de pied, et je lui souffle:

"Tais-toi, danger"

"Qui?" Me demande t-il. Je lui explique rapidement, a voix basse, et il me dit:

"Tu te trompes, je le connais, il n'y a rien à craindre."

Qui avait raison? Toujours est-il, que le lendemain, Bernard et ses camarades F.T.P., sont tombés dans une embuscade allemande. Celui dont je me méfiais, a disparu, je ne l'ai jamais revu".

Imprudence, dénonciation, trahison, hasard? Il est vain quarante ans après, de retrouver la vérité...

Jacques Delente:

"Après le tas de fers à cheval, j'ai tiré un coup de pistolet, puis j'ai sauté par-dessus un poulailler et je suis arrivé derrière la maison d'un notaire ou d'un médecin. Je descends un fossé et je me trouve au milieu de femmes qui tricotent. Là, j'ai perdu mon pistolet. Je me suis perdu dans le village. Tout à coup, un Allemand se trouve en faction au bout du chemin! J'ai alors déguerpi vers la voie ferrée.

J'avais bien sûr entendu la fusillade. Comme j'avais tiré un coup de feu, les Allemands ont du hésiter à me poursuivre. En pensant que j'étais resté caché, ils ont dû essayer de me contourner. Moi pendant ce temps, j'étais loin...

Dans la soirée, je suis revenu à Vern. Je me suis caché à côté de la salle des fêtes, derrière une haie de lauriers palmes. J'ai entendu dire:

"Il y a quatre résistants tués, dont une femme".

En réalité, c'était Bernard Salmon qui avait les cheveux bouclés et assez longs. les Français n'avaient pas le droit d'approcher, et avaient donc mal distingué les corps.

Je suis alors parti à pied pour la Guerche, car je pensais aux copains qui nous attendaient. Quand ils m'ont vu arriver tout seul, j'ai dû avouer à André Duchemin, le beau-frère d'Henri Guinchard, qui était aussi mon cousin, ce qui s'était passé. je n'ai pas pu lui dire qu'Henri était mort, car je ne savais pas ce que mes camarades étaient réellement devenus".

Madame Salmon:

"Suzanne C., camarade de Bernard, est venue chez moi. "Je viens voir  si Bernard n'a rien laissé traîner chez vous. Il paraît que des patriotes ont été tués à Vern. Les Allemands fouillent partout. "Ils sont fous".

Je commençais à craindre le pire. Ce ne sera que le lendemain que confirmation me sera faite de la mort de mon Bernard, mon seul fils, déjà enterré sur ordre des Allemands.

La population de Vern est allée, entre-temps, demander au maire d'intervenir auprès des Allemands pour que ces jeunes, enterrés comme des chiens, soient relevés, et  enterrés avec dignité, en présence des familles. La requête fut acceptée à la condition que seule la famille assiste aux obsèques. En réalité, une foule nombreuse s'y rassemblera et les tombes abondamment fleuries, en hommage à leur courage."

 En entrant dans l'agglomération, pas de problème, des Allemands, planqués, laissent passer la voiture, surgissant ensuite sur la route.

A Vern-sur-Seiche, un monument  situé à l'est, en bordure de la rue de Châteaubriant, devenue Voie de la Liberté honore ces martyrs.

Dans le granit sont gravés les des noms de cinq Résistants tombés sous les balles des nazis, pendant l'occupation: Bernard Salmon, Rémy Lelard. Alfred Lavanant et Henri Guinchard, le 14 juillet 1944, Albert Deshommes, fusillé le 30 décembre 1942.

Guinchard Henri est né le 7 septembre 1914 à Suresnes. Réfractaire au S.T.O., il s'était réfugié en Ille-et-Vilaine.

 

Témoignage:

Biographie

Rémy LELARD était un enfant de l'assistance publique pour ce que j'en sais. Ce fut un résistant de la première heure, dès 1940. Le parachutage attendu devait apporter au maquis en plus des armes, les uniformes pour être reconnus des Alliés bloqués dans la Manche à moins de 100km. Il paraît, et cela semble confirmé dans le récit des jours qui précèdent, par le Commandant Pétri, que ce parachutage fut fait avec des voiles bleues, blanches et rouges. Une idée curieuse pour passer inaperçu...?

Je me souviens bien de Rémy et de sa chanson fétiche "le chant du gardian". A l'appartement de Rennes, il faisait des apparitions discrètes et brève car les voisins étaient peu sûrs, surtout celui  du 2ème étage, un dénommé BELIER, qui était chef de centaine dans la milice. Il faut préciser que l'immeuble disposait de deux accès sur deux rues différentes. Celui-ci a payé ses actes d'une balle dans la nuque et à genoux parce qu'il n'a pas eu le temps de disparaître comme certains autres. C'était moins risqué chez ma grand-mère qui résidait en caravane "aux Gaudinets" sans avoir un voisinage immédiat.. Lorsque les bombardements se sont intensifiés, mon père pris la décision de nous réfugier à Marcillé-Robert à partir du mois de mai. Rémy était souvent chez nous. Lorsque la voiture de la milice klaxonnait dans le virage très dangereux de la carrière, Rémy filait comme un flèche à travers les jardins, une chaise était placée de façon à lui permettre de franchir rapidement le premier obstacle (un grillage), ma mère récupérait la chaise. Elle plaçait les armes et le chargeurs dans le faux caisson du landau, couchait par dessus mon petit frère encore bébé  et partait en course imaginaire avec nous à travers le village, jusqu'à ce que l'air devienne plus respirable.

Mes parents ne savaient pas où Rémy étaient partis, mon père trouvait peu raisonnable de prendre le risque de circuler le jour de la fête nationale à cause des contrôles allemands. Ne le voyant pas rentrer; il a commencé à s'inquiété. Évidemment il était hors de question de poser des questions. Je ne sais plus au bout de combien temps, mais apprenant qu'il avait eu des maquisards de tués à Vern, il est allé là-bas. Les gens du village avaient été courageux. Les corps avaient été photographiés avant qu'on leurs donne une sépulture plus décente. Ce qui était le plus choquant c'était que  les Allemands leur avaient ôtés et pris leur chaussures de marche.

Serge HARDY

Le parachutage d'armes de Drouges

 

Sources:
1 -Georges Courcier

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