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4-4-Les camps de prisonniers dans les environs de BingenVon Heinz Bucher (Traduction par Mr Duros) |
![]() Ed:08/07/2003 |
Le camp de prisonniers de Dietersheim
Les lettres de la faim | Témoignage de lauteur(Heinz Bücher) | L'hôpital| Les Français prennent en charge le camp | Les secours s'organisent | L'arrivée des Norvégiens | La fermeture du camp
Fin avril 1945, le génie américain aplanit une surface énorme à laide de bulldozers. Une double clôture en barbelés et des miradors furent installés et le terrain divisé en 25 sections. Les champs furent retournés sans ménagement et des routes aménagées pour le camp. Les limites du camp sétendaient à lest de Dietersheim puis le long du remblai de lancienne voie de chemin de fer Münster-Sarmsheim-Pont de Hindenburg jusquà la grande route de Dromersheim. A cet endroit jusquà côté de la gare de Büdesheim-Dromersheim. Avant Sponsheim, les limites du camp sétendaient vers louest le long de la départementale 114 jusquau chemin daccès au moulin de Sponsheim juste avant Grolsheim et jusquà la Nahe(affluent du Rhin) à côté de Dietersheim. La superficie en était d'environ de 500 hectares. Ainsi le territoire communal de Dietersheim et de Sponsheim ne pouvait plus être exploité pour lagriculture. La récolte en cours était anéantie en grande partie et ceci en un temps de disette. pour la population civile.
Quelques jours immédiatement après linstallation du camp, les premiers transports de prisonniers arrivèrent. Au milieu de mai le camp était occupé par environ 75000 à 85000 prisonniers. Ce chiffre monta temporairement jusquà plus de 100000.
Dans le camp étaient rassemblés les personnes les plus variées : soldats, hongrois et roumains, femmes, enfants, mutilés de guerre et des hommes de plus de 70 ans.
Comme il a déjà été dit le ravitaillement des prisonniers était dans les premières semaines catastrophique. Ils allaient chercher dans les camps les fruits pas mûrs, les feuilles des arbres ainsi que de lherbe. Ils faisaient avec de leau fortement chlorée puisée par un tuyau dans la Nahe, une soupe à peine buvable. Les hommes affectés de diarrhée devaient effectuer leurs besoins sur des poutres installées au-dessus de trous.
Les indications données sur le camp de Dietersheim pour la conférence au Rotary du 19 juillet 1985 mettent en évidence la détresse des hommes.
Un extrait du professeur Carl Schneider sur son expérience vécue. "Il faisait nuit. A côté de moi, Jakobi est allongé. Il a plu depuis deux jours. On n'a pas de tente, de couverture. Une bâche et un vieux manteau nous protègent sommairement. Aujourdhui, pour la première fois, je ne pouvais pas me lever. Comment ira-t-on aller chercher de leau demain ? Il y avait bien aujourdhui une poignée de petits pois, mais pas de bois. Autour de nous des milliers dans notre cas. Mourrons-nous de faim, de soif ou fusillé ? Cest maintenant du pareil au même".
Seulement à partir de mi-mai, quelques vivres furent distribuées, à savoir des cuillerées de petits pois, des haricots, du riz, du lait en poudre, de la poudre d'oeufs et par personne environ 50 grammes de viande en conserve. Les prisonniers devaient préparer eux-mêmes leur repas. Des échalas de vigne et des arbres servaient de combustible.Dans leur détresse, certains essayèrent de fuir à travers les barbelés. Les sentinelles leur tirèrent dessus. Quelques uns furent tués
Les lettres de la faim
Du temps du camp datent aussi les "Lettres de la faim", dont l'abbé Otto curé de Dietersheim a gardé une collection. Les prisonniers adressaient à la population des appels à laide.
" Je vis ici dans le camp comme prisonnier de guerre. Alors que j'étais guéri d'une blessure, une maladie de cur, une thrombose et la nourriture insuffisante pour mon corps malade m'ont complètement anéanti. je me contenterais de déchets de cuisine ou de fruits. Ma requête vient dune détresse extrême et je ne demande rien dautre que des déchets que mes camarades me cuiraient "
"A cause dune précédente maladie grave ajoutée à quatre mois de captivité, je suis très diminuée physiquement et suis à cause de sous-alimentation, dans le quartier des malades. Comme mes parents habitent Berlin, ils ne peuvent malheureusement mapporter aucune aide. Je vous demande de donner mon adresse à une personne charitable qui fasse un petit geste pour moi."
"Soyez assez aimable pour menvoyer quelques vieilles pommes de terre, des grains de blé ou dorge ou quelque chose dautre. Je vous en serais si reconnaissant Avec tous mes remerciements de laffamé R.B., camp n°3"
"Pourriez-vous imaginer quel calvaire cest dêtre loin des personnes que lon aime depuis seize mois, sans un colis delles tout ce temps, six mois sans courrier, trois mois de dure captivité, aucun bon jour, seulement la faim, trimballé dun camp à lautre " Témoignage de lauteur(Heinz Bücher)
Lauteur était depuis début juin jusquau 17-7-45 dans le camp de Dietersheim. Son rapport est consigné par écrit, comme suit :
17-3-45: En captivité chez les Américains à Flammersfeld/Westerwald. Le reste de notre troupe fut transféré dans le camp de masse de Remagen et Sinzig sur le Rhin. Quelques jours plus tard, jarrivais dans un grand camp à Namur en Belgique. Là on apprit à se débrouiller avec le minimum de nourriture. Les premiers jours, on reçut des betteraves séchées, bouillies jusquà en être dégoûté.
Je fus affecté dans léquipe "Borse" (Pendant la guerre, "Kommandantur" locale). Nous devions tous les jours pendant environ neuf heures racler le parquet, en glissant sur les genoux, jusquà ce que lon ait des ampoules partout sur les doigts. Les gardes étaient des civils armés. Si on voulait se relever une fois à cause de douleurs dans le dos, on recevait un coup de crosse dans les reins. La marche quotidienne au lieu de travail était un enfer. On était poussé dans la ville, frappés à coups de matraque sous une pluie de pierres. Nos gardes nous regardaient en ricanant. A cette époque, je fus emmené pour une courte période dans un camp destiné aux interrogatoires de lIntelligence Service à Revin dans le nord de la France. Comme javais été un moment détaché dans des états-majors, on voulait apprendre ceci ou cela sur les armes secrètes allemandes. Après quelques jours, ils constatèrent quils en savaient plus que moi sur le sujet. Ils me renvoyèrent à Namur avec lobservation que je devais être libéré.
Début juin, je fus rappelé pour ma libération. Lofficier américain (un juif)me dit que dans les papiers reçus de Revin, il était indiqué que jexploitais un champ de 30 acres et que par conséquent ma libération était recommandée. " . Il ria et dit :" Je me demande où se trouve une si grosse ferme à Bingen, mais ils te veulent du bien, fiche le camp ". Le jour daprès, je fus transféré à Dietersheim pour être libéré.
Début juin jusquà mi-juillet
Les premiers jours, il ny avait aucun approvisionnement. Bien que je naie pas été gâté par le dernier camp (Namur), je commençais à avoir des crampes destomac provoquées par la faim. Le temps était changeant. Après la chaleur, survenaient de violents orages avec des rafales et des averses torrentielles. Comme les bâches avaient été confisquées lors de notre capture, nous navions aucune protection contre les humeurs du temps. A mains nues, nous creusions des trous pour être dans une certaine mesure, abrité une fois dedans. Les jours de chaleur, nous cherchions de lombre dans ces trous. Quand le vent se levait, il y avait sur le camp un énorme nuage de poussière. Leau rare et trouble étanchait à peine la soif.
Au bout de quelques temps, de la nourriture fut distribuée. Pour chacun, une cuillerée de lait en poudre, de la poudre duf, des haricots et du café. Le tout, cuit dans un récipient de cinq litres rempli deau brunâtre, donnait un "menu minceur" au goût merveilleux. Certains avaient la chance de ne pas avoir été dévalisés lors de leur capture. Ils avaient encore leur montre et leur alliance. Ces objets étaient pour les Américains une monnaie déchange bienvenue. Quelques cigarettes contre une montre ou une alliance. Fumer réprimait un moment la faim. La nourriture nétait pas échangée. Tous les jours, on entendait des coups de feu aux abords du camp. Le bruit courait que lon aurait fait feu sur des prisonniers qui fuyaient. Nous apprîmes de prisonniers dautres camps, quil était fait feu même sur des civils qui voulaient tendre de la nourriture à travers la clôture. Jentendais aussi souvent des coups de feu, mais je ne pouvais savoir pourquoi on tirait car je ne me trouvais pas à proximité de la clôture du camp.
Les morts étaient amenés de nuit en catimini jusquà la porte de camp et transportés en camion. On ne sut pas où on les enterrait. Le bruit courait quon les avait enterrés à Daxweller.
Les Américains avaient pour une meilleure compréhension et pour le maintien dun certain ordre, placé des prisonniers allemands, la plupart de haut grade, à la direction du camp.Parmi ceux qui avaient compris quil fallait tourner rapidement tourner sa veste. Au lieu dapporter leur soutien à ceux qui avaient faim, ils se rendirent impopulaires, en exécutant les ordres des Américains.
Début juillet, les Français prirent le camp en main. Les pauvres bougres avaient apparemment à peine de quoi se mettre sous la dent, car au début, il ne resta rien pour nous.
Le camp sous administration française
Le chef du camp était un Français du nom de Schuster, il parlait couramment lallemand. Il sefforçait visiblement daméliorer la situation dans le camp. Il permit aux habitants des communes avoisinantes de réunir des vivres pour les prisonniers et de les donner à la clôture du camp. Mais ceci nétait pas aussi sans danger, comme il en ressort de lenregistrement suivant dans le livre paroissial de léglise de Bingen-Büdesheim ainsi que du faire-part de décès reproduit ici :
Madame Maria Agnès Spira, née Werner, veuve, née le 10-09-1897. Mort violente. (Abattue à Dietersheim) le 31-07-45. Enterrée le 03-08-45.
En souvenir à mes chers parents
Monsieur Franz Spira
Madame Agnès Spira
Née WernerLors de lanniversaire de mes 14 ans, le 15 juin 1934, mon père mourut brutalement après une courte hospitalisation à lâge de 37 ans. Le 31 juillet 1945, lors dune action damitié envers les prisonniers, ma mère fut enlevée à la vie de façon soudaine et inattendue à lâge de 48 ans.
Que Dieu soit pour eux, un juge clément au royaume de sa gloire
Profonds regrets
Leur fils FranzPeu à peu on réduisit le camp. Manifestement on libérait les malades et les gens fragiles ou on les transférait à Bretzemheim. Les Français cherchaient de la main-duvre pour leurs mines et beaucoup, dont moi, furent prévus dêtre transportés en France.
Jusquà ce jour, quelques camps en direction de Dromesheim nétaient pas occupés. Là, le blé avait mûri dans les champs épargnés par le nivellement des bulldozers. Il fut permis aux paysans de moissonner les céréales et de les engranger.
Jétais en train de transférer lhôpital du camp et marchais dans une des allées. Derrière moi arriva une charrette avec des céréales. Le conducteur de la charrette vint à moi et dit"Heinz, tu es ici dans le camp ? Viens, fourre-toi dans le blé, je te fais sortir avec moi !" Cétait mon camarade de classe Philippe Walter, qui mavait reconnu. Je refusai sa proposition, car je voyais pour lui et pour moi, un danger à fuir. Je lui donnai un mot pour ma mère, dans lequel je lui disais que jétais dans le camp. Elle doit poser une demande de libération au maire de Büdesheim, comme quoi je suis employé dans lagriculture et que je manque à mon père.
Quelques jours plus tard, je fus appelé à lentrée du camp. Une visite mattendait. Cétait ma mère. Elle mapportait une énorme marmite de carottes que jengloutissais avidement. Elle me dit quelle avait déposé une demande de libération auprès du maire.
Elle vint tous les jours à lentrée mapporter de la nourriture. Je nen profitais pourtant pas. Quand je revenais dans le camp, jétais littéralement assailli et dépouillé par mes compagnons dinfortune. Il me restait tout au plus un croûton de pain.
Ma libération
Le 17 juillet 45, jétais à nouveau à lentrée et discutais avec ma mère. Une auto entra alors dans le camp. Il en descendit un civil qui alla vers le directeur du camp Schuster qui se tenait dans le voisinage. Il lui dit quil avait une requête dune dame Bücher, dont le fils était dans le camp. Jentendis la conversation et alla vivement vers les deux hommes et leur dit :"Cest moi Bücher". Je fis part à Schuster de ce que javais été envoyé là par les Américains pour être libéré, les papiers pour la libération devaient être là. Il fouilla dans les dossiers et dit"un de mes assistants allemand sest lui-même libéré avec vos papiers". Il allait sen occuper. Ma mère confirma mon identité et Schuster me donna un papier indiquant que je pouvais aller chez moi. Je neus naturellement rien de plus pressé, que de disparaître tout de suite par la porte du camp. Arrivé à la maison je trouvais ma chambre occupée par deux soldats français (des gardiens du camp). Lorsquils virent cette "demi-portion" en haillons, ils quittèrent leur logement à la hâte, avec un regard mauvais et une grimace de colère. On ne les revit plus. Je pouvais de nouveau pénétrer dans ma chambre, heureux que malgré mes 49 kilos, y compris mes haillons, je puisse m'échapper de l'enfer sain et sauf.
Une année après la peur me revint. Le 24-11-46, je reçus un avis écrit de me présenter immédiatement au camp de Bretzemheim. Oh, pensais-je, ils vont encore te pincer. D'autres compagnons d'infortune dans le camp étaient complètement laissés dans le vague, quant à l'objet de notre séjour à Bretzemheim. Les rumeurs les plus folles couraient, comme par exemple" une équipe de travail en France". Celles-ci ne se confirmèrent pas. Le 4-12-45, je reçus un papier de libération provisoire et fus renvoyé chez moi. Je me mis en route et atteignais mon but en un temps record.
L'entraide des habitants du pays et les premières évasions-Témoignages
Les femmes de Dietersheim et des communes avoisinantes essayaient toujours d'apporter des vivres au camp. Ce qui était strictement interdit par les Américains. Celles-ci étaient souvent repoussées par des coups de feu tirés en l'air
A cet effet deux avis publiés par l'administration de district de Bingen
"28 mai 1945" :Concerne la nourriture donnée aux prisonniers par la population civile
Notification n° 9 Aux maires du district
Sur ordre de l'administration militaire avec effet immédiat, il est formellement interdit de donner quelque nourriture que ce soit aux prisonniers. La nourriture donnée aux prisonniers servira à alimenter les travailleurs forcés étrangers. Les prisonniers allemands sont nourris par les Américains et n'ont pas besoin de nourriture venant des civils.
Dr Frhr.v;Frentz
Un courrier postérieur de l'administration du district du "29-mai 1945" concerne le camp de prisonniers
Aux maires du district Il est signalé à la population qu'il est interdit de séjourner dans les parages du camp de prisonniers. Les cas se multiplient, où des civils essayent de donner des objets usuels aux prisonniers, ce qui peut avoir des conséquences fâcheuses pour les prisonniers et la population. Des objets usuels peuvent être acheminés par la Croix Rouge ou la mairie correspondante et être distribués aux soldats allemands. Je demande de rendre public ces avis dans les lieux habituels
Dr Frhr.v;Frentz
La population ne se laissa pas intimider par ces ordres. Malgré le risque, il fut toujours essayé, souvent avec succès, de passer clandestinement des vivres dans le camp. Ci-dessous des déclarations de témoins de l'époque:
Témoignage de Madame Walter et Madame Hammer
Madame Elisabeth Walter, née Kaltwasser.
Madame Frya Hammer, née Kalterwasser.Toutes les deux domiciliées en 1945 à Bingen, Burggraben
Elles font état d'événements vécus en rapport avec le camp de Dietersheim. Après avoir eu connaissance de la misère régnant dans le camp de Dietersheim, elles apportèrent de la nourriture comme de nombreuses femmes. Elles essayèrent de la donner aux prisonniers à travers les barbelés. Ce faisant elles durent plusieurs fois essuyer des coups de feu de la part des sentinelles. Une fois les balles sifflèrent tout près de leur tête. Madame Walter et Madame Hammer se souvinrent, que grâce à l'entremise d'un officier allemand du camp, elles purent imprimer des certificats de libération sur un duplicateur. Le texte était tapé à la machine sur un stencil et polycopié avec le duplicateur.
Beaucoup de prisonniers furent libérés dans la soirée. Ils voulaient traverser le Rhin sur un pont de bateaux construit et gardé par les Américains, pour arriver dans la zone américaine sur le côté où se trouve Rüdesheim".
Comme les prisonniers arrivaient la plupart du temps vers le soir à Bingen, ils tombaient à l'heure de la fermeture des débits de boissons ordonnée par les Français. Les Français capturaient ces libérés de fraîche date et les ramenaient au camp. Beaucoup furent préservés de ce sort par les deux femmes susnommées. Elles allaient chercher les hommes dans la rue pour les héberger la nuit chez elles. Le lendemain, après l'heure d'ouverture des débits de boissons, ils pouvaient traverser le pont sans danger.
Sur le pont, il y avait aussi des difficultés. Les sentinelles américaines ne laissaient passer personne de l'autre côté du Rhin s'il manquait un tampon. Madame Hammer et Madame Walter le savaient. Elles prirent un tampon quelconque et l'apposèrent sur le certificat de libération. Les sentinelles sur le pont le contrôlaient, voyaient l'épais tampon et laissaient passer sans commentaires. Les mots et abréviations étaient incompréhensibles pour eux.
Témoignage de Madame Schiffer interrogé au téléphone le 19-2-91 par Monsieur Herm Gerst
Madame Schiffer, à l'époque âgée de 31 ans(en 1945) allait tous les jours en vélo avec sa petite fille de 3 ½ ans à Grolsheim pour travailler chez un fermier, car là il y avait à manger. Le chemin passait le long du camp, où se trouvait aussi le pharmacien Georg Fuhry. Elle jetait, à lui et à ses autres compagnons d'infortune, du pain qu'elle avait gagné chez le fermier. Elle devait s'approcher de la clôture en rampant. Ce n'était pas sans danger. Dans le camp était aussi incarcéré un ami, Monsieur Immele du grand magasin Sinn à Bingen, auquel elle apportait parfois du courrier. Ensemble avec d'autres bénévoles elle s'approchait du camp avec une charrette de vivres, ce qu'elle décrit aujourd'hui encore comme horrible, car les prisonniers se bagarraient immédiatement pour la nourriture. Les sentinelles marocaines(ou algériennes) déclarèrent alors (d'après la direction américaine du camp) qu'il fallait soit apporter plus de nourriture ou pas du tout, car cela pourrait autrement causer la mort de prisonniers.
A l'époque de la surveillance américaine les prisonniers avaient, parfois chacun une cuillerée haricots blancs ou d'autres légumes secs, qui devaient être cuits. On devait allumer de petits feux à l'aide de ceps de vigne et d'échalas, pour rendre ces aliments comestibles.
Les sentinelles françaises ne supportaient pas de voir notre détresse et ouvraient parois les portes la nuit aux prisonniers, pour qu'ils puissent déterrer à mains nues des pommes de terre dans les champs d'à côté. Ils devaient cependant promettre de ne pas s'enfuir.
Dans deux marmites(d'une contenance chacune de 3 à 4 litres) Madame Schiffer apportait de la soupe, préparée par sa mère au camp. Les femmes avaient mis dedans du papier à lettre bien entortillé de façon à ce qu'il soit étanche, pour permettre aux prisonniers de donner des nouvelles à leurs proches. Ces correspondances étaient passées en douce dans les marmites vides.
Avec toute cette bonne volonté d'aider les prisonniers, on ne doit oublier qu'à l'époque allemande, la population allemande elle-même souffrait de la faim. Malgré cela les villages avoisinants donnèrent beaucoup.
Témoignage de Monsieur Schitthoff, Dietersheim né en 1928 (Conversation téléphonique avec l'auteur)
Il se souvient d'avoir été avec une charrette de céréales à travers le camp, dans la partie non occupée par les prisonniers. Ils nous apercevaient et certains s'approchaient et jetaient sur la charrette des morceaux de savon, enveloppés dans du papier. Dessus il y avait les adresses de chez eux, avec la demande de prévenir leurs proches Témoignage de Monsieur Grundell, né en 1927, originaire de Gau-Algesheim dans les Sudètes.
Il était au camp de Dietersheim en août 1945. Il se souvient encore exactement de ces jours de famine. Pour pouvoir râper les pommes de terre distribuées, ils devaient faire des trous aux couvercles de boîtes de conserve à l'aide des barbelés Lettre de Monsieur Egon Link, né en le 28-11-27 habitant 18 rue Hans Thoma 7700 Singen
Singen le 1 er juin 1991 Cher chroniqueur
"Terrés dans des trous dans la terre comme des bêtes" et des" témoins de l'époque ne se sont jusqu'à aujourd'hui pas manifesté"
J'en eus des battements de cur et jeter un regard en arrière
Juin 1945, la faim (âgé de 17 ans taille 187 cm, "légèreté" 49 kg)
A trois nous risquèrent une évasion du camp que vous avez décrit. Cela devait être près d'un mirador dans la partie nord du camp. Bravant la mort, nous contournèrent le mirador et ensuite en équilibre sur des planches nous passèrent les barbelés. Aujourd'hui encore je revis notre angoisse. Il y avait un champ de pomme de terre, un champ de ronces et enfin une rue. Elle menait à Dietersheim nous nous cachâmes dans la troisième maison à droite au 8, Johannisstrasse, chez la famille Adam Hoos (Aujourd'hui: Willi et Anneliese Krämet). Monsieur Hoos déconseilla de rentrer chez soi sans certificat de libération. Il a à cette époque aidé sûrement beaucoup de prisonniers. Après ma libération faite de façon régulière, Madame Hoos me rempluma, comme si j'étais son propre fils. Je restais son Egon et je lui en suis jusqu'à aujourd'hui reconnaissant.
Egon Link
Frau Krämer m'a envoyé un article du journal "der Bingen Heimatzeitung"
Une autre lettre d'Egon Link à l'auteur:
"Le 15 avril je fus en captivité chez les Américains à Erbengrün (A l'est de l'autoroute Nurenberg-Berlin). Le pire m'est resté en mémoire. Un tas de fumier servait de lieu de rassemblement. Puis on fut parqué des jours dans des champs clôturés. Celui qui était fatigué, s'allongeait dans la boue. Certains devinrent fous et se jetèrent sur la clôture ce qui provoquait les tirs des sentinelles.
Fin avril, on fut transféré par un énorme convoi de camions. L'embarquement (50 hommes par camion) fut ponctué de coups de crosse de la part des gardes. Sans une pose, on fut transféré dans un camp entre Mayence et Bingen. La nourriture consistait en des rations U.S. qui ne furent distribuées ouvertes, que quelques jours après. Habituellement il manquait les cigarettes. Il est à remarquer qu'il existait un trafic à la porte du camp entre prisonniers et gardes: tabac contre argent , montre et même alliances! Il était cruel de voir comme les Américains arrosaient d'essence et brûlaient des restes abondants de nourriture, à proximité de l'entrée du camp. Je me rappelle encore un peu, du jour de la fête des mères en 1945, où j'étais dans la "tente de la dysenterie". Je vois encore le pasteur qui essayait de nous remonter le moral. Les convalescents avaient d'ailleurs une assiette de soupe au lait en plus. Le dernier transfert eut lieu dans le camp de Büdesheim (L'auteur : probablement Dietersheim). Le "logement" était scandaleux : pas de tentes, pas de couvertures. Le bien le plus précieux qui m'a sauvé était un long et large manteau de l'armée, qui servait d'abri aussi à mes compagnons de captivité. Quand il pleuvait, on couchait carrément dans la boue, par grand soleil on était exposé à la fournaise. Aucun arbre pour donner de l'ombre. Les conditions hygiéniques étaient indignes. Lors de ma capture, je n'avais que mon paquetage. Après diverses "fauches" il me restait un quart et une cuillère. L'uniforme que je portais dans la "tente de la dysenterie" la chemise crasseuse, le pantalon crado m'ont servi jusqu'à ma libération le 22-7-45!
Début mai les certificats de libération furent délivrés par les Américains et tout de suite saisis. Nous étions encore sans toit sur la tête. Je trouvai refuge dans un trou dans la terre, à côté de Eugen et Emil de Ettenheim bei Lahr. Le trou s'avéra lors d'un orage comme un piège mortel.
La saisie des certificats de libération s'expliqua lorsque nous fûmes remis aux Français. Les premiers jours après ce changement furent des jours de famine dans un chaos total. Notre première pensée fut que nous étions gardés par une armée sans moyens. Nous étions livrés sans défense aux gens qui nous gardaient. Je vois encore devant moi un sergent qui déambulait dans le camp avec une escorte armée et qui au hasard prenait aux prisonniers le peu qu'il leur restait. La faim me poussa hors du camp. Une tentative de fuite réussit. Un vigneron de Büdesheim (Adam Hoos, Büdesheim, Johannistrasse) m'accueillit, mais me fit sentir l'impossibilité de rentrer chez moi. Je préférai donc retourner au camp. La police allemande du camp m'arrêta, alors 14 jours de cachot furent la condamnation. On appelait cachot un carré d'environ 40 m2 . Liées à cette détention étaient la demi-ration et l'absence de tout confort. (Le manteau devait être remis le matin au geôlier ). Dès le matin, on se tenait debout devant la porte du cachot, entouré de barbelés et on devait travailler. Aussi je bêchai le jardinet de la direction du camp qui était allemande. Un jeune me donna en cachette les restes d'un repas de midi. Knödel et choucroute. Quel contraste avec nos pauvres soupes.
Je fis preuve de courage. Dans la de l'administration, je me fis remettre un certificat américain de libération, alla voir le commandant français du camp et lui demandai ma libération. Le soir même je fus relâché. Le capitaine Baer signa comme commandant provisoire.
Rendu à la maison, lorsque mon père me mit sur la balance, je pesai juste 49 kg (pour une taille de 187cm)
Singen, 21 juillet 1991
Egon Link
Un hôpital sous direction allemande fut aménagé pour le suivi médical des prisonniers. Les cas graves étaient traités dans un hôpital américain en dehors du camp. Celui-ci se composait de 50 grandes tentes. Il pouvait accueillir jusqu'à 1000 patients. Étant donné les gros besoins du camp, ces installations n'étaient pas suffisantes En juin 1945 les camps de prisonniers des environs furent dissous et leurs occupants répartis dans les camps de Kreuznach et Dietersheim. Des silhouettes squelettiques se mirent en route à pied en longues colonnes vers Dietersheim, parmi , il y avait des blessés au cerveau en tenue d'hôpital. Comme le docteur Schreiber le rapporte, il y avait parmi les nouveaux arrivants le médecin chef allemand Dr Kurth.
A cette époque, on avait enfermé celui qui était jusqu'à présent le médecin chef allemand dans ce qui était appelé "la cage"( d'après le docteur Schreiber). Raison invoquée: avoir fouetté des prisonniers et détournement d'argent. On confia la haute direction des hôpitaux au Dr Kurth, un médecin qualifié de la Charité à Berlin. Il ne trouva que la misère et la détresse. Le Dr Schreiber rapporte" un nombre toujours croissant de "prisoners", une mer de détresse et de pénurie: parmi les 25 sections du camp, une section spéciale pour la S.S. au nombre de 1000 hommes. Ceux-ci qu'ils soient coupables ou non coupables , volontaires ou forcés subirent particulièrement la dureté de la famine et des privations (remarque de l'auteur: le Dr Schreiber ne fait pas la distinction entre S.S. et Waffen-SS. Dans la Waffen-SS beaucoup de jeunes étaient incorporés de force).
Parmi eux s'en trouvaient environ 120, qui étaient appelés "automatic arrested men" c'est à dire ceux qui , de part leur profession, éveillaient des soupçons: juristes, professeurs, hauts fonctionnaires ayant un grade universitaire, journalistes etc Parmi les occupants de ce camp, que l'on vient d'énumérer, le nouveau "chief-doctor" découvrit d'irréprochables et bien d'autres véritables Allemands du Banat ( Territoire se trouvant actuellement en Roumanie) , qui avaient été déplacés, après que l'on eut marqué au fer leur groupe sanguin sous leur bras. Il y avait, par ailleurs, une section du camp pour 3000 jeunes entre 14 et 18 ans et d'autres pour d'autres civils jusqu'à plus de 70 ans.
Ce médecin fit en sorte que les prisonniers reçoivent leur ration alimentaire et que la qualité de l'eau s'améliore. Ainsi pouvait-il de toute évidence éviter les risques d'épidémie.
Parmi les prisonniers il y avait aussi des religieux de toutes les confessions. Ils exerçaient leur aide spirituelle dans leurs camps respectifs. Sous bonne garde, ils devaient aller au presbytère de Dietersheim pour prendre les objets de culte.Fin juillet les Américains commencèrent à libérer les prisonniers parmi lesquels surtout des malades, des mutilés, des femmes et des enfants.
Les Français prennent en charge le camp
Début juillet on sut que le camp devait être transféré aux Français. Cela s'effectua le 10 juillet. Environ 60000 prisonniers restèrent au camp après le retrait des Américains. Le commandant français, le lieutenant Schuster, s'avéra contre toute attente comme un homme de cur. Confronté à la misère régnante, il voulait créer de meilleures conditions de vie. Ce ne lui était par contre pas possible, car on avait ordonné aux soldats français de réquisitionner la nourriture à la population. Les Français ne pouvaient pas compter comme les Américains sur du ravitaillement venant de chez eux, car la France elle-même souffrait de grandes pénuries dues aux destructions de la guerre.
Les soins médicaux se détériorèrent considérablement malgré les efforts remarquables des Français car les Américains avaient emporté avec eux leurs installations sanitaires , qui étaient très bien aménagées. Les Français par contre étaient équipés de façon rudimentaire.
A la suite de quoi la situation des prisonniers empira. On entendait dans tous les environs des cris exprimant la détresse et la rancur des occupants du camp. Tous les religieux du camp furent relâchés. Le commandant du camp Schuster ordonna que le curé Otto de la localité, prenne en charge l'aide spirituelle. Il y travailla avec le pasteur évangéliste Wilke.
Au bout de peu de temps, le lieutenant Schuster fut rappelé. Son successeur le capitaine B. ne resta en fonction que 2 à 3 semaines. Il fut considéré comme un" sauvage". La famine atteignit alors son maximum.
Le capitaine Julien, succéda au capitaine B. Celui-ci fut bouleversé par l'immense misère qu'il trouva.
Voilà ce qu'il décrit dans la 6ème édition du livre de James Bacque(page 204) chapitre" Camp de la mort lente "
"Il avait combattu les Allemands avec son régiment, le troisième régiment de Tirailleurs Algériens, parce qu'ils avaient dévasté la France mais il n'avait pas pu s'imaginer une telle vengeance. Ce n'étaient que des squelettes vivants qui peuplaient ce terrain boueux, certains mourraient devant lui, d'autres étaient accroupis sous des cartons, qu'ils maintenaient avec l'énergie du désespoir, bien que ce fût une journée torride de juillet. Des femmes dans leurs trous creusés dans la terre le regardaient l'il hagard. Leur ventre était gonflé par des dèmes dus à la sous-nutrition faisaient penser à une épouvantable caricature de grossesse , des hommes âgés aux longs cheveux gris essayaient faiblement de le suivre du regard, des enfants de sept ou six ans le regardaient avec des yeux mornes cernés par la malnutrition. Julien ne savait pas par quoi il devait commencer. Dans ce camp de 32000 hommes il ne pouvait pas trouver la moindre quantité de nourriture. Les deux médecins allemands Kurth et Geck essayaient d'alimenter les mourants qui allongés sur des couvertures crasseuses, étaient exposés au soleil torride de juillet entre les traces de la tente que les Américains avaient emportée avec eux."
Trois camps dans les environs de Dietersheim, en tout 103500 hommes furent transférés des Américains aux Français. Julien constata que plus de 32000( hommes âgés, femmes, enfants entre 8 et 14 ans ) étaient des malades au stade final ou des estropiés. Il les relâcha aussitôt.
Les secours s'organisent
Il n'avait pas de vivres à sa disposition. Julien organisa en coopération avec le maire de Dietersheim une action de secours.
De juillet à début août le nombre des morts atteignit son maximum. Du 10/7 (prise de contrôle par les Français jusqu'au 10/8, 108 prisonniers moururent.
Du 11/8 au 31/8 vingt deux décès furent encore à signaler.
Étant donné la misère extrême, Julien mit en route une action pour se procurer de la nourriture. La conférence réunie par lui, s'occupa du problème de l'alimentation. Parmi d'autres en faisaient partie: le chanoine Schalbach, l'aumônier Werner Schade , le supérieur du couvent de Jakobsberg et le curé Como.
Il se déploya une activité exemplaire. Grâce à la participation des plus vastes couches de la population, sans distinction de confession, on put éviter la mort de milliers de personnes; tout le monde donnait généreusement . On envoya des vivres de tous les environs: Dietersheim, Sponsheim, Büdersheim, Bingen, Gensingen, Planig, Horrweiler, Dromersheim, Aspisheim, Isppesheim, Biebelsheim et par delà la Hesse jusqu'au Palatinat.
La population fit preuve d'un haut degré d'humanité, ce qui vaut la peine d'être mentionné dans cette historiographie. On pratiqua la charité chrétienne. Les proches de prisonniers et de libérés furent conseillés, les prisonniers en fuite furent logés, nourris et malgré l'interdiction, habillés en civil. On doit mettre en évidence et apprécier à leur juste valeur l'action et le travail de charité de l'abbé Como, de ses deux surs et de son frère, et ceci de jour et de nuit. Ils se vouèrent aux nécessiteux avec un engagement infatigable.
On doit aussi savoir gré au commandement français d'avoir libéré sans grande formalités et sans visite médicale 10000 prisonniers incapables de travailler.
La famine n'était encore pas conjurée. Des vivres, qui maintenant arrivaient de toute la Hesse rhénane et de plus loin, pouvaient entrer dans le camp. Il arrivait des camions chargés de pommes de terre, du pain en grande quantité et même des ufs.
Un grand geste d'humanité fut fait avec l'aide du sous-préfet Schick. Dans les environs de Bingen était dissimulé une année de production d'un grand laboratoire pharmaceutique, laissée sur place par les Américains. La cachette fut vidée et l'approvisionnement de l'hôpital du camp assuré. La quantité de médicaments trouvés était si grande que les hôpitaux civils avoisinants et les pharmaciens purent être approvisionnés avec. Les charrettes de paysans venaient avec de la nourriture, dans le camp et repartaient chargées de médicaments.
L'arrivée des Norvégiens
A partir du 5 août affluèrent de nouveaux transports de prisonniers, venant de Norvège, si bien que le camp était avec environ 100000 hommes, surpeuplé. Ils firent connaissance avec la misère et la faim au cours des périodes de chaleur et de boue qui suivirent. Ils essayèrent de s'en tirer par eux-mêmes en prenant des pommes de terre, que la population avait déposées devant la clôture à côté de la gare de Büdesheim-Dromersheim.
Ce groupe de "Norvégiens", la plupart des ouvriers qualifiés en civils, fut transportés en France pour la reconstruction. Grosse déception pour eux, car en Norvège on leur avait promis la libération.
Des professeurs prisonniers instituèrent une "École supérieure du camp", pour lutter contre l'ennui et le vide de l'esprit qui s'ensuivait. Les bibliothèques des environs fournirent de la lecture.
La fermeture du camp
Le 1 er septembre, le camp fut dissous. Environ 10000 Hongrois furent transférés dans le camp de Heitchsheim à côté de Mayence. Des milliers d'ouvriers spécialisés aptes au travail furent envoyés en France pour la reconstruction . Les prisonniers restant furent déplacés dans le camp de Bretzenheim.
Une équipe servant à déménager le camp travailla jusqu'au 24/4/45 pour régler différentes choses , sous le commandement d'un officier allemand.
Lorsque les habitants des communes de Dietersheim et de Sponsheim marchèrent à nouveau dans leurs champs, ils furent saisis d'un sentiment d'épouvante à la vue de l'horrible dévastation. "C'était désormais un sol consacré, imbibé de larmes , sanctifié par les gémissements, les sacrifices et la mort de nombreux soldats allemands".
C'est ainsi parlait avec pertinence le si méritant abbé Como.
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