Traduction
par Mme Verdys-Piel Maryvonne- Mai 1998)
....Début mars, il était prévisible que, pour nous aussi, la fin approchait. C'est ce
que les Américains nous annonçaient en nous bombardant d'obus et de propagande. Ces
engins, équipés de fusées à retardement, explosaient au-dessus des positions
Allemandes et faisaient pleuvoir au-dessus de nous des milliers de tracts:"Tête
de pont de Boppard, combien de temps allez-vous encore combattre? Faites signe avec le
message au prochain soldat américain et rien ne vous arrivera si vous vous rendez."
De l'autre côté de la Saar, à l'orée de la forêt au-dessus de Wallerfangen, nous
observions que les unités d'artillerie blindée prenaient position. Mais nous n'eûmes
pas à les combattre. Je fus rappelé à ma batterie, car ce bunker se rendit.
Quelques jours plus tard, nous avons probablement effectué le dernier changement de
position. On accrocha nos canons aux camions, et par le train, on a traversé la localité
Schmelz pour atteindre une nouvelle position de tir. Elle était située au-dessus de la
localité proche, appelée Gresaubach. Et c'est là que le début de la fin devait
commencer pour nous. C'était un samedi. C'était le 17 mars 1945.
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Horst Fusshöller
...als Soldat |
Horst Fusshöller
... Kriegsgefangener |
2- Comment nous fûmes faits prisonniers:
C'était un samedi, le 17 mars 1945, c'était d'ailleurs le jour où ma ville de Boppard
fut occupée par les troupes américaines. Ce jour-là, j'étais moi-même en opération
comme simple Caporal dans une unité d'artillerie lourde, à l'Ouest des localités de
Hausbach et Schmelz, à proximité de Losheim (Saar). Nous avons atteint le village de
Gresaubach près de Saint-Wendel avec des obusiers de 12,2 et des armes de récupération
comme les obusiers de Skoda de15 cm échangés chez nous, plusieurs semaines
auparavant. Nous sommes allés prendre position au-dessus du village, tirés par les
camions. Nous disposions encore de quatre obusiers. Avec nos jumelles, nous voyions déjà
monter les blindés américains de l'autre côté. Nous avons bombardé la route aussi
longtemps que nous pouvions encore tirer la plus petite charge de poudre sur nos
assaillants. Comme on ne trouvait nulle part aucun de nos officiers, mon ami, le Caporal
Willi Weisshaupt, a donné sur le champ des indications de tir, si bien qu'au dernier
commandement de tir les lourds obus n'ont pas frappé le village que la population civile
n'avait pas évacué, mais ils sont tombés à proximité. C'est à ce moment que l'heure
de vérité a sonnée. Nous avons entassé ce qui nous restait de munitions autour des
canons. Nous avions encore, tout de même, une réserve d'environ 320 obus et fusées en
plus de ce qu'on allait détruire. On enfonça des charges explosives, spécialement
préparées, dans le fût des canons, avec des mèches particulièrement longues.
Après la destruction de l'équipement radio, on donna ensuite aux chefs de pièce,
l'ordre d'allumer les charges explosives. Ce fut un feu d'artifice meurtrier et on a tous
été obligés de faire attention, dans cet enfer, à ne pas être atteints nous-mêmes
par les éclats qui nous entouraient.
La nuit, on nous a encore mis rapidement un anti-char dans la main. On a ensuite escaladé
une montagne jusqu'au village suivant. C'était Aschbach. C'est là que notre destin
nous a finalement rattrapé. On a défilé sur un pont jusqu'à l'autre rive, en passant
devant un dépôt qu'on ne voulait pas laisser intact. Notre chef de batterie, le
Capitaine Hübner, fit échouer notre ruse et c'est comme cela qu'on a continué jusqu'à
l'autre berge de la rivière, où nous nous sommes terrés au milieu de la pente.
Auparavant, je me suis déchargé de mon anti-char que j'ai plongé dans la fosse à purin
qui se trouvait devant une ferme. A ce moment-là, j'avais encore mon petit teckel. Il
était venu vers moi en novembre dernier dans un petit village appelé Kirf. Le village
avait été abandonné par ses habitants, c'est-à-dire que les pauvres gens avaient dû
laisser tout ce qu'ils avaient parce que leur localité était située à la frontière.
Le petit chien avait cherché ma protection. Il était devenu mon ami inséparable.
Pourtant ce jour là, il fallait que je trouve une idée. J'étais obligé d'abandonner
mon ombre, parce qu'il n'y avait que l'infirmier Adam qui, pour des raisons connues,
n'était pas mon ami, mais à qui je pouvais demander d'emmener mon petit
"Stropp" en sécurité, ce qu'il a fait. Nous n'étions plus entre temps des
artilleurs, mais des fantassins. Nous avons alors commencé à nous rendre compte du
sérieux de notre situation...
Dispersés, nous nous étions enterrés dans des trous de protection individuels, creusés
avec nos bêches de champ de bataille. Il était évident qu'être enterrés à flanc de
côteau&127teau, risquait d'être un piège. Je savais qu'il ne me restait plus rien
d'autre à faire que d'aménager mon trou de protection&127 aussi bien que possible,
profond, étroit, et bien camouflé. Ce jour-là, c'était dimanche18 mars 1945, ma montre
indiquait environ12 heures lorsque nous avons remarqué que, de l'autre côté, les
blindés américains prenaient position côte à côte. Pour celui qui n'était pas encore
disparu dans son trou, il était temps d'y penser. J'avais sans doute creusé un trou
particulièrement sûr, sinon, mon ancien chef de pièce n'y serait pas descendu avec moi.
Je rendis encore vite ma carabine inutilisable en la démontant et en l'enfonçant dans la
terre molle. Et comme j'avais appris, au cas où je serais fait prisonnier, à tout faire
pour ne pas mettre l'adversaire sur la voie, j'ai arraché aussi la page 5 de mon carnet
de solde et je la fis aussi disparaître dans la terre. (J'aurais pu m'éviter cela, car
je saurai bientôt qu'on avait déjà trouvé l'ensemble des documents de la batterie dans
l'avant-train et qu'un officier américain, parlant couramment l'Allemand, lira nos noms
lorsque nous serons rassemblés et que nous n'aurons plus qu'à répondre "ici"
sur le ton énergique qu'on nous avait appris.) Peu de temps après, de l'autre côté,
les blindés des Etats Unis ont commencé à tirer sur chaque trou de protection.
Aucun d'entre nous n'osait lever la tête, et, à la merci de Dieu, nous attendions
seulement d'être découverts. Entre de brefs arrêts de tirs, je regardais hors de mon
trou; j'ai vu que les Américains tiraient avec des canons blindés sur les trous de
protection, l'un après l'autre, comme dans un stand de tir. Trois de mes camarades
avaient déjà été atteints dans leur trou. D'abord, ce fut notre Hiwi (un volontaire
Russe, qu'on appelait seulement "Nicolaï"). Ensuite, un camarade fut gravement
blessé; C'était Georg Rehag de Koenigsberg. J'ai vu comment, appuyé sur deux camarades,
il a descendu la pente, et j'ai pu constater qu'un bras presque arraché pendait, retenu
seulement par un tendon ou par un muscle. Je me rends alors compte que le trou de
protection près du mien est déjà pris sous le feu américain, et je n'apprendrai
qu'après des dizaines d'années que c'était dans celui-là que mon camarade Herbert
Heuer de Bochum perdit la vie par un coup au but. Herbert repose au cimetière d'Aschach.
Dans les tombes No 3 et 123 reposent deux autre camarades, dont les noms ne furent pas
identifiés.
C'était simplement insensé de servir de cible aux blindés des E.U. C'est pourquoi nous
sommes sortis nous aussi, tous les deux, de notre trou commun en rampant. Puis, nous avons
descendu la pente les mains levées. Le feu avait cessé entre temps et notre petit groupe
intimidé bougea en direction de la rivière que les soldats des E.U. nous invitaient à
passer à gué en gesticulant. Je ne sais pas si j'ai eu le diable au corps, ne voulant
pas traverser la rivière à cet endroit pour avoir les pieds mouillés et froids. Gardant
les mains sur la tête, je me suis dirigé vers des madriers en enjambant la rivière à
20 mètres de là, et on m'a laissé faire et traverser à pied sec.
Qu'est-ce qui a bien pu être raconté aux GIs sur les troufions allemands sanguinaires?
Étions-nous vraiment si terrorisants que les soldats des E.U. nous tenaient en respect
avec un colt dans chaque main en nous dirigeant vers une étable? Mais avant que nous y
soyons tous poussés, ce fut la grande fouille. Ma montre a disparu au bras d'un soldat
qui en avait déjà quatre à ce bras là. Je possédais une sorte de porte-carte équipé
d'une carte géographique avec, en plus, un peu de nourriture, une photo de ma mère, un
peu d'argent et une boussole, avec l'espoir de pouvoir décrocher en direction de mon
pays, avec tout cela.
Tout ce qui n'était pas intéressant pour les G'is vola par terre. Plus tard, j'y ai
encore vu quelques unes de mes affaires. Tandis qu'on attendait, debout ou assis, ce qui
pourrait bien nous arriver dans cette étable, un soldat des E.U. vint vers nous de façon
inattendue et nous distribua des cigarettes, à nous qui étions des prisonniers. Elles
faisaient partie des réserves du dépôt des articles de cantine dont, quelques heures
auparavant, notre chef de batterie nous avait défendu l'accès en nous empêchant de nous
servir nous-mêmes.
Notre ami Adam s'était aussi retrouvé parmi nous. Ce furent de joyeuses
retrouvailles pour mon petit chien et moi. Cela ne dura pas longtemps parce que nous
fûmes tous obligés de partir en étant fortement gardés à vue pour aller dégager à
l'entrée de cette localité, un barrage anti-blindés. Il était constitué d'un double
dépôt de troncs d'arbres qui n'auraient pu opposer aucune résistance nommable à un
seul blindé. Lorsque cela fut réalisé, de lourds camions des E.U. arrivèrent et nous y
fûmes chargés, enfermés comme des harengs. Les abattants sur les côtés n'étaient pas
très hauts. Je fus poussé au milieu avec mon chien dans les bras. Le transport vers
n'importe quel camp allait alors commencer. Pourtant, La question de savoir vers où,
était complètement égale à chacun de nous. Il s'agissait d'abord de s'accrocher
les uns aux autres et de former un bloc pour empêcher d'être expulsés du camion à
chaque virage.
La première nuit de captivité
Le soir était déjà tombé lorsque nous arrivâmes à un village
(beaucoup plus tard seulement, j'appris son nom, c'était Brotdorf). Et c'est là que nous
fûmes déchargés. Ce n'était pas un camp. C'était une place de rassemblement. Cela
avait dû être un grand champ parce que plusieurs centaines de prisonniers y étaient
déjà. Il n'y avait pas non plus de clôture. Il n'y avait qu'un cercle très serré de
GIs autour de nous.
Il ne fallait pas du tout penser à manger et boire, ni à s'allonger sur la terre humide
et Je fus lentement et douloureusement conscient que j'avais laissé mon manteau et ma
casquette dans le trou de protection.
Sur ce champ là, des groupes serrés se formèrent pour essayer de se procurer un peu de
chaleur, en se serrant les uns contre les autres. Au cours de la nuit, il fit en effet
très froid. Moi aussi, j'étais dans une semblable formation serrée où je m'efforçais
toujours de ne pas arriver en bordure du groupe. La conséquence était que, lorsque le
cercle intérieur commençait à s'endormir pendant la nuit, qu'il poussait de n'importe
quel côté, la formation serrée tanguait de-ci de-là, selon la direction vers laquelle
les endormis menaçaient de tomber. Ce n'était alors grave que lorsque la formation
serrée s'approchait du trou dans lequel les prisonniers devaient faire leurs besoins. Au
cours de la nuit, quelques uns se sont retrouvés les pieds dedans.
Le lendemain, la faim et la soif commencèrent à nous tourmenter. Nous sommes restés
ainsi deux jours sans boire ni manger. Tout laissait présager un prochain départ des
prisonniers parce que de lourds Trucks U.S. arrivaient. Que devais-je seulement faire de
mon petit teckel?! Il me vint alors à l'esprit qu'un grand soldat noir des E.U.,
chauffeur de camion, semblait s'intéresser à mon petit chien. C'est comme cela que j'ai
décidé, le cur lourd, de me séparer de "Stropp". Je n'ai jamais oublié
comment le petit chien m'a regardé en quittant mes bras, lorsque je l'ai remis à l'homme
noir qu'il ne connaissait pas. Mais j'avais la consolation que Stropp ne souffrirait ni de
faim, ni de soif.
St Pierre de Trèves
Comme prévu, on nous entassa dans des grands camions ouverts et le convoi
s'ébranla. On comprit qu'il prenait la direction de la Ville de Trèves, où nous
arrivâmes abasourdis et fascinés par les centaines d'étoffes blanches qui pendaient aux
fenêtres des maisons des deux côtés des rues que nous traversions.
On arriva ainsi au premier grand camp de prisonniers de guerre allemands qui se trouvait
en haut de la montagne Saint Pierre de Trèves. C'est là que nous allions enfin recevoir
quelque chose à boire et à manger. C'était la dite ration "C" des troupes
combattantes américaines comprenant une petite boîte de conserves et autres concentrés
que nous devions encore partager avec plusieurs camarades.
Mais le camp des baraques de la montagne St Pierre de Trèves n'était qu'un camp de
rassemblement. Dès le lendemain, nous sommes partis en longues colonnes de marche sur
l'autre rive de la Moselle. En chemin, des compatriotes essayaient de nous passer quelque
chose de mangeable, ce que nos gardiens essayaient d'empêcher. Nous acceptions avec
reconnaissance la moindre petite nourriture.
A la grande gare de triage de Ehrang, beaucoup de wagons de chemin de fer attendaient
déjà qu'on nous y entasse pour un grand voyage vers l'Ouest.
Stenay
Après avoir traversé le Luxembourg, on arriva alors dans la petite ville
française de Stenay non loin de Montmédy, au sud de Sedan; C'était le Jeudi 22
mars. Sur le chemin qui séparait la gare du camp, plus d'un d'entre nous qui avait du mal
à marcher ou qui était déjà affaibli par la faim, avait du mal à suivre le rythme des
gardiens. Aux cris de "Let's go" et poussés par les canons des fusils, on
arriva au camp. Il nous était plus facile d'éloigner les insultes et les pierres
lancées par les civils. En tant que prisonniers, nous avons gardé de ce premier grand
camp de tentes le souvenir du "camp de pierres", certainement appelé comme
cela, parce que le terrain du camp était consolidé par une couche de grosses pierres,
mesure qui avait peut-être été prise pour empêcher trop de boue sous la pluie; mais,
pour des raisons inconnues, la plus fine couche de gravier n'était pas visible. Même
dans les tentes, on était partiellement allongé sur un autre camarade, étant donné
l'espace étroit, sinon, on reposait, si on peut dire, sur les pierres aux angles aigus.
Pourtant, ce qui était le plus remarquable dans ce camp, c'était la cérémonie de
l'épouillage. Sa description s'impose particulièrement. A l'aube, on donnait l'ordre
d'avancer en colonne de marche par quatre. Les quatre premiers camarades devaient se
mettre en avant et se pencher au commandement pour qu'un soldat des E.U. armé d'une
seringue géante en bois puisse répandre de la poudre d'épouillage derrière le col du
manteau avec la conséquence qu'une poudre blanche ressortait par les manches du
prisonnier. Le commandement suivant: ouvrir le pantalon ! Là aussi, on injectait une
décharge de poudre pour éliminer les insectes si bien que, cette fois, les nuages de
poudre ressortaient par les jambes du pantalon. On avait ainsi épouillé tout le camp et
ses milliers de prisonniers de guerre allemands avec un produit non seulement célèbre
mais qui fut même plus tard interdit dans le monde entier: la D.D.T.
Nous avions tous par ailleurs une effroyable fringale. Mais, en attendant, cette poudre
nous délivrait des poux et des puces. Il y avait aussi des troufions qui pouvaient
constater qu'ils étaient délivrés de la torture acharnée des "rats de sacs"
(morpions)
Nous connaissions bien, depuis l'époque où nous étions soldats, un produit
universellement efficace comme le Cuprex mais il fallait étendre ce liquide sur un
bourrelet d'ouate à même la peau, à la hauteur de la ceinture. Pendant combien de mois
aurions-nous encore à faire cela ? Stenay devait d'ailleurs être le premier grand camp
de prisonniers parmi les 18 installés à l'Ouest du Rhin. C'était l'avant-goût de tout
ce qui allait encore nous arriver comme prisonniers de guerre.
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