prev.gif (221 octets)

Témoignage DE HORST FUSSHÖLLER
- Rheinallee 50 - D. 56154  BOPPARD
Horst Fusshöller PGA (Ancien prisonnier de guerre du camp 1102 Rennais)

Le camp 1102 de Rennes (Page 1/3)

Horst Fusshöller nous a laissé un témoignage précieux sur son séjour dans le camp 1102 de Rennes. Vue l'intérêt de son témoignage, une partie de son livre a été traduite.

 

En février 2016, une association a traduit son livre en français. Pour le commander:

 

Extraits du livre "Errinnern ohne Groll" de Horst Fusshöller "(Sans ressentiments)

Dédié à la mémoire de mes camarades qui ont laissé leurs vies et de ceux qui ont vécu avec moi cette période difficile. Dédié aussi à la mémoire des citoyens (en uniforme ou non ; de nationalité américaine ou française) qui m’ont donné le sentiment, pendant les presque trois ans où j’étais prisonnier de guerre, d’être un être humain, se mettant parfois eux-mêmes en danger
 

 Préambule (Page 7)



Pendant le temps qu’a duré la guerre j’étais appelé deux fois dans des « camps d’entraînement de défense » ( formation de ski à Oberstaufen , et cours d’estafette sur moto à Rümmelingen au Luxembourg ) , je passais trois mois au service de travail pour le Reich et en août 1943 j’étais appelé au service militaire .
Par la suite, j’étais fait prisonnier de guerre du 18 mars 1945 au 28 février 1948.
Je possède de ce temps plus de 1000 pages des lettres dans lesquelles ma mère, ma sœur et beaucoup d’amis m’ont informés de ce qui se passait dans ma patrie .
J’y compte également les lettres que j’ai envoyées à ma famille .
C’est au milieu des années 90, que je commençais à traduire tout cela, pour une raison simple : mon journal de prisonnier de guerre ne pouvait être compris que par moi.
Guidé par l’interdiction qu’un prisonnier ne peut utiliser de textes écrits, j’avais créé une autre forme mieux adaptée d’un journal.
Je possédais un calendrier où les jours étaient représentés par des carrés ; dans ces divers carrés je dessinais des événements sous forme de symboles ;
Au moment où ma capacité de dessinateur montrait ses limites, il y avait toujours, dans un grand camp de prisonniers quelqu’un pour m’aider.
Je devais expliquer mes dessins pour donner un sens à toutes mes écritures.
C’est après cette phase de réécriture de mon journal de prisonnier que je prenais la décision d’utiliser ces nombreuses lettres pour rédiger mon rapport sur la période de guerre.

Pendant des dizaines d’années j’ai fait des recherches pour retrouver des personnes qui m’ont fait tant de bien aux moments les plus durs.
Je n’ai pas pu retrouver le sergent Woodbine (il était intervenu pour moi et six autres camarades ( voir chapitre 2 « Rennes » ))
Je n’ai pas trouvé non plus les deux filles qui étaient arrêtées en janvier 1946 , juste après m’avoir passé du pain au travers de la clôture ( vois chapitre 3 « Polo ») .
J’étais reconnaissant à François Roché et à ses parents à Paris, auprès de la famille Fernserde Fornbach , de Monsieur Richoux commandement de déminage ; surtout de Mlle Barrère de St Perdon qui m’a donné des aliments en passant par la clôture . Sans oublier notre commandant du camp P. Hitce , qui m’accompagnait le soir de Noël 1945 , dans la nuit , pour acheter du pain .
Je n’ai jamais perdu le contact avec les deux derniers, après ma libération de prisonnier de guerre en 1948.
Au contraire, je leur ai rendu visite à plusieurs reprises. Et Madame Ambaud ( nom de jeune fille de Mlle Barrere) a été mon invitée à Boppard .
Aujourd’hui encore, je suis en contact par lettre et téléphone avec Mme Ambaud , qui est veuve depuis pas mal d’années .
Beaucoup d’amis et connaissances m’ont encouragé à mettre sur papier mes mémoires pour éclairer certains événements entre septembre 1939 et mars 1948, excluant le risque que 50 ans après ces événements, tout soit perdu pour toujours.

Je remercie particulièrement mon camarade et compagnon de guerre W. Weisshaupt pour les faits complémentaires qui m’ont permis de rédiger le texte qui va suivre .
Je remercie également de tout cœur Monsieur Hermann Driesch, professeur en retraite, qui s’est donné beaucoup de peine pour la correction de mon texte .
Je souhaite que mes phrases soient plus qu’une simple succession de l’histoire ; j’espère que ces mots continueront à contribuer à consolider l’amitié entre nos peuples .

Horst Fusshöller



INTRODUCTION (Page 9)


En ce qui me concerne:

Je suis né en 1925, donc aujourd’hui ( l’année d’édition du livre) âgé de 73 ans .
Mes filles (entre temps adultes) se refusaient toujours à connaitre ce que j’ai vécu pendant la guerre et en tant que prisonnier .
Le fait qu’on n’a pas vécu une jeunesse dite normale à cause des contraintes imposées : rester sans bouger en rangs, le service militaire et ensuite le service au front, être prisonnier pendant trois ans de plus sans avoir jusqu’à là coupé le cordon, change presque chaque jeune personne : comme un arbre qui a dû pousser exposé au vent et qui devient résistant et dur dans le temps pour ne pas casser.
Ce n’est pas miraculeux si on évoluait comme membre de la « génération de reconstruction », après le retour à la maison à 23 ans.
Celui qui ne pouvait pas manger à sa faim et en même temps se battre pour survivre, cela pendant des années ne peut pas comprendre qu’on se donne au redémarrage beaucoup plus libéré, mieux encore avec une certaine rage .
Ce ne sont pas seulement nos enfants qui doivent savoir pourquoi nous sommes devenus comme nous sommes. Aussi la jeunesse d’aujourd’hui doit comprendre ce qui nous a formés pour comprendre notre fonctionnement .
C’est pour cela le titre : pas seulement « Erinnern « se rappeler » mais également « verstehen » comprendre et « ohne Groll » sans ressentiments .

Traduction Hubert Dekkers - mai 2012

 

(

Comment nous fûmes faits prisonniers| La première nuit de captivité | St Pierre de Trèves | Stenay | Le camp de Rennes | Le camp"kaiser" | Le troc | Offre d'emploi | Les corvées | Détachement au magasin de ravitaillement |Les punitions | La faim | La fin de la guerre | Le camp sous administration française | Matricule 548269 | "La ration famine" | L'aide de la Croix rouge Internationale |  Polo | Son passage dans un commando de déminage à Hourtin | 1946 | Socoa | Hourtin-Plage | St-Perdon|

 

 Traduction par Mme Verdys-Piel Maryvonne-  Mai 1998)


....Début mars, il était prévisible que, pour nous aussi, la fin approchait. C'est ce que les Américains nous annonçaient en nous bombardant d'obus et de propagande. Ces engins, équipés de fusées à retardement, explosaient au-dessus des positions Allemandes et faisaient pleuvoir au-dessus de nous des milliers de tracts:"Tête de pont de Boppard, combien de temps allez-vous encore combattre? Faites signe avec le message au prochain soldat américain et rien ne vous arrivera si vous vous rendez."
De l'autre côté de la Saar, à l'orée de la forêt au-dessus de Wallerfangen, nous observions que les unités d'artillerie blindée prenaient position. Mais nous n'eûmes pas à les combattre. Je fus rappelé à ma batterie, car ce bunker se rendit.
Quelques jours plus tard, nous avons probablement effectué le dernier changement de position. On accrocha nos canons aux camions, et par le train, on a traversé la localité Schmelz pour atteindre une nouvelle position de tir. Elle était située au-dessus de la localité proche, appelée Gresaubach. Et c'est là que le début de la fin devait commencer pour nous. C'était un samedi. C'était le 17 mars 1945.
 

Horst Fusshöller  ...als Soldat

Horst Fusshöller ... Kriegsgefangener



2- Comment nous fûmes faits prisonniers:

C'était un samedi, le 17 mars 1945, c'était d'ailleurs le jour où ma ville de Boppard fut occupée par les troupes américaines. Ce jour-là, j'étais moi-même en opération comme simple Caporal dans une unité d'artillerie lourde, à l'Ouest des localités de Hausbach et Schmelz, à proximité de Losheim (Saar). Nous avons atteint le village de Gresaubach près de Saint-Wendel avec des obusiers de 12,2 et des armes de récupération comme les obusiers de Skoda  de15 cm échangés chez nous, plusieurs semaines auparavant. Nous sommes allés prendre position au-dessus du village, tirés par les camions. Nous disposions encore de quatre obusiers. Avec nos jumelles, nous voyions déjà monter les blindés américains de l'autre côté. Nous avons bombardé la route aussi longtemps que nous pouvions encore tirer la plus petite charge de poudre sur nos assaillants. Comme on ne trouvait nulle part aucun de nos officiers, mon ami, le Caporal Willi Weisshaupt, a donné sur le champ des indications de tir, si bien qu'au dernier commandement de tir les lourds obus n'ont pas frappé le village que la population civile n'avait pas évacué, mais ils sont tombés à proximité. C'est à ce moment que l'heure de vérité a sonnée. Nous avons entassé ce qui nous restait de munitions autour des canons. Nous avions encore, tout de même, une réserve d'environ 320 obus et fusées en plus de ce qu'on allait détruire. On enfonça des charges explosives, spécialement préparées, dans le fût des canons, avec des mèches  particulièrement longues. Après la destruction de l'équipement radio, on donna ensuite aux chefs de pièce, l'ordre d'allumer les charges explosives. Ce fut un feu d'artifice meurtrier et on a tous été obligés de faire attention, dans cet enfer, à ne pas être atteints nous-mêmes par les éclats qui nous entouraient.

La nuit, on nous a encore mis rapidement un anti-char dans la main. On a ensuite escaladé  une montagne jusqu'au village suivant. C'était Aschbach. C'est là que notre destin nous a finalement rattrapé. On a défilé sur un pont jusqu'à l'autre rive, en passant devant un dépôt qu'on ne voulait pas laisser intact. Notre chef de batterie, le Capitaine Hübner, fit échouer notre ruse et c'est comme cela qu'on a continué jusqu'à l'autre berge de la rivière, où nous nous sommes terrés au milieu de la pente. Auparavant, je me suis déchargé de mon anti-char que j'ai plongé dans la fosse à purin qui se trouvait devant une ferme. A ce moment-là, j'avais encore mon petit teckel. Il était venu vers moi en novembre dernier dans un petit village appelé Kirf. Le village avait été abandonné par ses habitants, c'est-à-dire que les pauvres gens avaient dû laisser tout ce qu'ils avaient parce que leur localité était située à la frontière. Le petit chien avait cherché ma protection. Il était devenu mon ami inséparable. Pourtant ce jour là, il fallait que je trouve une idée. J'étais obligé d'abandonner mon ombre, parce qu'il n'y avait que l'infirmier Adam qui, pour des raisons connues, n'était pas mon ami, mais à qui je pouvais demander d'emmener mon petit "Stropp" en sécurité, ce qu'il a fait. Nous n'étions plus entre temps des artilleurs, mais des fantassins. Nous avons alors commencé à nous rendre compte du sérieux de notre situation...

Dispersés, nous nous étions enterrés dans des trous de protection individuels, creusés avec nos bêches de champ de bataille. Il était évident qu'être enterrés à flanc de côteau&127teau, risquait d'être un piège. Je savais qu'il ne me restait plus rien d'autre à faire que d'aménager mon trou de protection&127 aussi bien que possible, profond, étroit, et bien camouflé. Ce jour-là, c'était dimanche18 mars 1945, ma montre indiquait environ12 heures lorsque nous avons remarqué que, de l'autre côté, les blindés américains prenaient position côte à côte. Pour celui qui n'était pas encore disparu dans son trou, il était temps d'y penser. J'avais sans doute creusé un trou particulièrement sûr, sinon, mon ancien chef de pièce n'y serait pas descendu avec moi. Je rendis encore vite ma carabine inutilisable en la démontant et en l'enfonçant dans la terre molle. Et comme j'avais appris, au cas où je serais fait prisonnier, à tout faire pour ne pas mettre l'adversaire sur la voie, j'ai arraché aussi la page 5 de mon carnet de solde et je la fis aussi disparaître dans la terre. (J'aurais pu m'éviter cela, car je saurai bientôt qu'on avait déjà trouvé l'ensemble des documents de la batterie dans l'avant-train et qu'un officier américain, parlant couramment l'Allemand, lira nos noms lorsque nous serons rassemblés et que nous n'aurons plus qu'à répondre "ici" sur le ton énergique qu'on nous avait appris.) Peu de temps après, de l'autre côté, les blindés des Etats Unis ont commencé à tirer sur chaque trou de protection.

Aucun d'entre nous n'osait lever la tête, et, à la merci de Dieu, nous attendions seulement d'être découverts. Entre de brefs arrêts de tirs, je regardais hors de mon trou; j'ai vu que les Américains tiraient avec des canons blindés sur les trous de protection, l'un après l'autre, comme dans un stand de tir. Trois de mes camarades avaient déjà été atteints dans leur trou. D'abord, ce fut notre Hiwi (un volontaire Russe, qu'on appelait seulement "Nicolaï"). Ensuite, un camarade fut gravement blessé; C'était Georg Rehag de Koenigsberg. J'ai vu comment, appuyé sur deux camarades, il a descendu la pente, et j'ai pu constater qu'un bras presque arraché pendait, retenu seulement par un tendon ou par un muscle. Je me rends alors compte que le trou de protection près du mien est déjà pris sous le feu américain, et je n'apprendrai qu'après des dizaines d'années que c'était dans celui-là que mon camarade Herbert Heuer de Bochum perdit la vie par un coup au but. Herbert repose au cimetière d'Aschach. Dans les tombes No 3 et 123 reposent deux autre camarades, dont les noms ne furent pas identifiés.

C'était simplement insensé de servir de cible aux blindés des E.U. C'est pourquoi nous sommes sortis nous aussi, tous les deux, de notre trou commun en rampant. Puis, nous avons descendu la pente les mains levées. Le feu avait cessé entre temps et notre petit groupe intimidé bougea en direction de la rivière que les soldats des E.U. nous invitaient à passer à gué en gesticulant. Je ne sais pas si j'ai eu le diable au corps, ne voulant pas traverser la rivière à cet endroit pour avoir les pieds mouillés et froids. Gardant les mains sur la tête, je me suis dirigé vers des madriers en enjambant la rivière à 20 mètres de là, et on m'a laissé faire et traverser à pied sec.

Qu'est-ce qui a bien pu être raconté aux GIs sur les troufions allemands sanguinaires? Étions-nous vraiment si terrorisants que les soldats des E.U. nous tenaient en respect avec un colt dans chaque main en nous dirigeant vers une étable? Mais avant que nous y soyons tous poussés, ce fut la grande fouille. Ma montre a disparu au bras d'un soldat qui en avait déjà quatre à ce bras là. Je possédais une sorte de porte-carte équipé d'une carte géographique avec, en plus, un peu de nourriture, une photo de ma mère, un peu d'argent et une boussole, avec l'espoir de pouvoir décrocher en direction de mon pays, avec tout cela.
Tout ce qui n'était pas intéressant pour les G'is vola par terre. Plus tard, j'y ai encore vu quelques unes de mes affaires. Tandis qu'on attendait, debout ou assis, ce qui pourrait bien nous arriver dans cette étable, un soldat des E.U. vint vers nous de façon inattendue et nous distribua des cigarettes, à nous qui étions des prisonniers. Elles faisaient partie des réserves du dépôt des articles de cantine dont, quelques heures auparavant, notre chef de batterie nous avait défendu l'accès en nous empêchant de nous servir nous-mêmes.
 Notre ami Adam s'était aussi retrouvé parmi nous. Ce furent de joyeuses retrouvailles pour mon petit chien et moi. Cela ne dura pas longtemps parce que nous fûmes tous obligés de partir en étant fortement gardés à vue pour aller dégager à l'entrée de cette localité, un barrage anti-blindés. Il était constitué d'un double dépôt de troncs d'arbres qui n'auraient pu opposer aucune résistance nommable à un seul blindé. Lorsque cela fut réalisé, de lourds camions des E.U. arrivèrent et nous y fûmes chargés, enfermés comme des harengs. Les abattants sur les côtés n'étaient pas très hauts. Je fus poussé au milieu avec mon chien dans les bras. Le transport vers n'importe quel camp allait alors commencer. Pourtant, La question de savoir vers où,  était complètement égale à chacun de nous. Il s'agissait d'abord de s'accrocher les uns aux autres et de former un bloc pour empêcher d'être expulsés du camion à chaque virage.

La première nuit de captivité

Le soir était déjà tombé lorsque nous arrivâmes à un village (beaucoup plus tard seulement, j'appris son nom, c'était Brotdorf). Et c'est là que nous fûmes déchargés. Ce n'était pas un camp. C'était une place de rassemblement. Cela avait dû être un grand champ parce que plusieurs centaines de prisonniers y étaient déjà. Il n'y avait pas non plus de clôture. Il n'y avait qu'un cercle très serré de GIs autour de nous.

Il ne fallait pas du tout penser à manger et boire, ni à s'allonger sur la terre humide et Je fus lentement et douloureusement conscient que j'avais laissé mon manteau et ma casquette dans le trou de protection.
Sur ce champ là, des groupes serrés se formèrent pour essayer de se procurer un peu de chaleur, en se serrant les uns contre les autres. Au cours de la nuit, il fit en effet très froid. Moi aussi, j'étais dans une semblable formation serrée où je m'efforçais toujours de ne pas arriver en bordure du groupe. La conséquence était que, lorsque le cercle intérieur commençait à s'endormir pendant la nuit, qu'il poussait de n'importe quel côté, la formation serrée tanguait de-ci de-là, selon la direction vers laquelle les endormis menaçaient de tomber. Ce n'était alors grave que lorsque la formation serrée s'approchait du trou dans lequel les prisonniers devaient faire leurs besoins. Au cours de la nuit, quelques uns se sont retrouvés les pieds dedans.

Le lendemain, la faim et la soif commencèrent à nous tourmenter. Nous sommes restés ainsi deux jours sans boire ni manger. Tout laissait présager un prochain départ des prisonniers parce que de lourds Trucks U.S. arrivaient. Que devais-je seulement faire de mon petit teckel?! Il me vint alors à l'esprit qu'un grand soldat noir des E.U., chauffeur de camion, semblait s'intéresser à mon petit chien. C'est comme cela que j'ai décidé, le cœur lourd, de me séparer de "Stropp". Je n'ai jamais oublié comment le petit chien m'a regardé en quittant mes bras, lorsque je l'ai remis à l'homme noir qu'il ne connaissait pas. Mais j'avais la consolation que Stropp ne souffrirait ni de faim, ni de soif.

St Pierre de Trèves

Comme prévu, on nous entassa dans des grands camions ouverts et le convoi s'ébranla. On comprit qu'il prenait la direction de la Ville de Trèves, où nous arrivâmes abasourdis et fascinés par les centaines d'étoffes blanches qui pendaient aux fenêtres  des maisons des deux côtés des rues que nous traversions.
On arriva ainsi au premier grand camp de prisonniers de guerre allemands qui se trouvait en haut de la montagne Saint Pierre de Trèves. C'est là que nous allions enfin recevoir quelque chose à boire et à manger. C'était la dite ration "C" des troupes combattantes américaines comprenant une petite boîte de conserves et autres concentrés que nous devions encore partager avec plusieurs camarades.
Mais le camp des baraques de la montagne St Pierre de Trèves n'était qu'un camp de rassemblement. Dès le lendemain, nous sommes partis en longues colonnes de marche sur l'autre rive de la Moselle. En chemin, des compatriotes essayaient de nous passer quelque chose de mangeable, ce que nos gardiens essayaient d'empêcher. Nous acceptions avec reconnaissance la moindre petite nourriture.
A la grande gare de triage de Ehrang, beaucoup de wagons de chemin de fer attendaient déjà qu'on nous y entasse pour un grand voyage vers l'Ouest.

Stenay

Après avoir traversé le Luxembourg, on arriva alors dans la petite ville française de Stenay  non loin de Montmédy, au sud de Sedan; C'était le Jeudi 22 mars. Sur le chemin qui séparait la gare du camp, plus d'un d'entre nous qui avait du mal à marcher ou qui était déjà affaibli par la faim, avait du mal à suivre le rythme des gardiens. Aux cris de "Let's go" et poussés par les canons des fusils, on arriva au camp. Il nous était plus facile d'éloigner les insultes et les pierres lancées par les civils. En tant que prisonniers, nous avons gardé de ce premier grand camp de tentes le souvenir du "camp de pierres", certainement appelé comme cela, parce que le terrain du camp était consolidé par une couche de grosses pierres, mesure qui avait peut-être été prise pour empêcher trop de boue sous la pluie; mais, pour des raisons inconnues, la plus fine couche de gravier n'était pas visible. Même dans les tentes, on était partiellement allongé sur un autre camarade, étant donné l'espace étroit, sinon, on reposait, si on peut dire, sur les pierres aux angles aigus. Pourtant, ce qui était le plus remarquable dans ce camp, c'était la cérémonie de l'épouillage. Sa description s'impose particulièrement. A l'aube, on donnait l'ordre d'avancer en colonne de marche par quatre. Les quatre premiers camarades devaient se mettre en avant et se pencher au commandement pour qu'un soldat des E.U. armé d'une seringue géante en bois puisse répandre de la poudre d'épouillage derrière le col du manteau avec la conséquence qu'une poudre blanche ressortait par les manches du prisonnier. Le commandement suivant: ouvrir le pantalon ! Là aussi, on injectait une décharge de poudre pour éliminer les insectes si bien que, cette fois, les nuages de poudre ressortaient par les jambes du pantalon. On avait ainsi épouillé tout le camp et ses milliers de prisonniers de guerre allemands avec un produit non seulement célèbre mais qui fut même plus tard interdit dans le monde entier: la D.D.T.
Nous avions tous par ailleurs une effroyable fringale. Mais, en attendant, cette poudre nous délivrait des poux et des puces. Il y avait aussi des troufions qui pouvaient constater qu'ils étaient délivrés de la torture acharnée des "rats de sacs" (morpions)

Nous connaissions bien, depuis l'époque où nous étions soldats, un produit universellement efficace comme le Cuprex mais il fallait étendre ce liquide sur un bourrelet d'ouate à même la peau, à la hauteur de la ceinture. Pendant combien de mois aurions-nous encore à faire cela ? Stenay devait d'ailleurs être le premier grand camp de prisonniers parmi les 18 installés à l'Ouest du Rhin. C'était l'avant-goût de tout ce qui allait encore nous arriver comme prisonniers de guerre.

Suite page 2

Page d'accueil | Page Témoignages | Page 1| Page 2 | Page 3| Page 4 | Page 5Page 6 | Page 7 | Page 8 | Page 9 | Page 10

 

 

Ed:17/03/16