Horst Fusshöller PGATEMOIGNAGE DE HORST FUSSHÖLLER
- Rheinallee 50 - D. 56154  BOPPARD
 (ancien prisonnier de guerre du camp 1102 Rennais)

HOURTIN PLAGE (Page 127 à 139)

(Le déminage du littoral)

Page 5



Ed:27/04/14

Extraits du livre "Errinnern ohne Groll" de Horst Fusshöller"(Sans ressentiment)

( Traduction de Mr Alain Duros)

Le camp | Les mines | La nourriture | "Le temps des loisirs" | Le commando | Les évasions | L'invasion de criquets | La désinfection | L'accident de Rolf Klausing | La vie du camp | Nouveaux accidents | La vie continue |

 

Le camp d'Hourtin


Il faisait partie du dépôt 184, secteur de SOULAC-SUR-MER qui a été désigné sous l’appellation de « Kommando 4/5 » et aussi occasionnellement sous l’appellation « 3/307 ». C’était un camp de baraquements avec, en tout, 350 prisonniers. Les bâtiments étaient oblongs et hébergeaient toujours un groupe de travail complet. Notre groupe avait la désignation n° 5. Le camp était environ à 200 mètres de la plage ; tout autour il y avait des pins, car ils poussaient particulièrement bien sur le sol sablonneux des « Landes »

Nous avions une pompe à bras avec laquelle nous devions pomper l’eau nécessaire pour la boisson et pour nous laver. Elle se tenait au milieu des baraquements, plantée dans le sol sablonneux. Par la proximité de la mer, l’eau était toujours un peu salée, mais cependant buvable.

Un des baraquements était occupé par des officiers, qui étaient dispensés de travaux physiques pénibles . Puis il y avait les baraquements pour la cuisine et pour tous les appareils et outils nécessaires au déminage. En dehors du terrain entouré de barbelés, il y avait un bâtiment ressemblant à une villa pour le commandant du camp, qui n’était cependant pas un militaire. Il y avait encore un baraquement spécial, réservé à l’équipe des surveillants et des soldats.

Dans les baraquements il y avait pour nous, les prisonniers, des lits superposés faits de planches et de madriers cloués ensemble. Mais avant la prise de possession des couchettes, eut lieu le tirage au sort. Après, il fut déterminé, qui dormait en haut et qui dormait en bas. Il n’y avait pas de placard ou quoi que ce soit de ressemblant. Le peu, que nous avions avec nous, était suspendu au châlit du lit, à des clous ou n’importe où dans le baraquement.

Deux jours après avoir pris nos cantonnements, le samedi, nous apprîmes déjà que cela pouvait devenir grave pour nous. Ce jour là, trois de nos camarades bûcherons, grièvement blessés par une mine bondissante, moururent. Les équipes de bûcherons étaient ici nécessaires, car dans les forêts à déminer, il fallait non seulement enlever les abatis, mais aussi pourvoir aux besoins en bois pour la cuisine.

Les mines

Les abattis étaient de dangereuses caches de mines, particulièrement de mines bâtons. Les mines bâtons se présentaient sous la forme d’une quille de béton de 30 cm de haut avec au milieu un trou de 3 cm de diamètre. Dans ce trou, était introduit un bâton de dynamite muni le plus souvent au-dessus d’un allumeur à traction ; en dessous un solide bâton en bois était enfoncé dans le sol et servait en même temps de support à l’explosif. Il suffisait alors de tendre un fil, si possible invisible, entre un arbre ou un buisson à la hauteur du genou et un piège diabolique était prêt. Si on arrivait sur le fil de façon à ce qu’il se tende, la goupille était extraite de l’allumeur et le percuteur était libéré. Ce dernier faisait exploser la dynamite à l’intérieur de la quille de béton et des morceaux de béton projetés tout autour tuaient ou blessaient grièvement tous ceux qui se tenaient à proximité.

Comme les barrages de mines étaient installés depuis quelques années pour protéger Bordeaux et que depuis, les broussailles s’étaient fortement développées, les fils reliés aux allumeurs étaient particulièrement tendus par la croissance des branches. Il arrivait que par un léger mouvement dû au vent, les broussailles déclenchaient d’elles-mêmes les détonations.

On nous alors demandé de rendre accessible le terrain de cette forêt luxuriante parsemé de centaines de milliers de mines posées le plus souvent à l’aveuglette, sans plans. Comme notre groupe n° 5 ne commença effectivement le déminage que le 5 juin, il doit auparavant vous être données quelques informations sur la nouvelle vie du camp.

La nourriture

L’alimentation se composait tous les jours d’une tranche de pain et toujours du même dîner, ¾ de litre de soupe brun-lilas à base de grain de vesce. Cette légumineuse ressemble à des lentilles, mais au lieu d’être plate elle est ronde. De toute façon les vesces s’avérèrent excellentes pour caler l’estomac, alors que nous étions habitués jusqu’alors à la soupe aux choux ou de carottes (d’après l’encyclopédie de Meyer, 7° édition, de 1930 - page 699 – définition du mot vesce : vesce fourragère ou viscia « les graines en sont mangées avec voracité par tout bétail »

La nourriture n’était naturellement pas encore suffisante. Aussi, réfléchissions-nous au moyen d’augmenter les quantités, ce qui nous semblait primordial. Les vieilles balances à pain devaient évidemment ici aussi rendre service, il était en effet important qu’aucune méfiance ne s’éveille entre camarades.

"Le temps des loisirs"

Le temps des loisirs prenait des formes diverses. Aussi fut-il proposé des cours de langues étrangères, d’allemand et de mathématiques. Se distingua alors de nouveau notre camarade Docteur Walter Steger, qui organisa tout, d’une façon parfaite à la manière d’une école. Un professeur de Usingen, Wilhelm Bornemann, avec qui je pris même quelques cours de Russe, prît part aussi à l’enseignement.

Le commando

Notre groupe comprenait vingt hommes. Tout le camp comprenait, comme déjà mentionné 350 prisonniers, non compris les officiers. Nous avions aussi ici un chef de camp allemand, un , ainsi nommé ; « homme de confiance » (en français dans le texte) qui assurait la liaison entre les prisonniers et le côté français. Les Français étaient représentés en la personne d’un homme plus très jeune; je pense que c’était un Suisse-français. Tous les matins il faisait l’appel et passait les groupes en revue d’un pas raide à la manière d’un robot. Pourquoi nous l’appelions Kollo, je n’en sais plus rien.

Le jeudi 30 mai (1946) approchait. C’était l’Ascension. Dans mon calendrier il y a comme un bloc de pierres brisées avec l’inscription « doute » qui faisait allusion à la déception qui nous démoralisait. Le bruit qui courait dans le camp : « on va libérer des gens » s’avéra vite être un bobard. Rien ne s’ensuivit. Ces moments d’espoir et de déception devenaient de plus en plus pesants. Il était clair que l’on commençait à douter de la justice divine. Que l’on soit jeune ou vieux, dans notre communauté forcée, les âges s’étalaient de 26 à 45 ans, on commençait à ne plus comprendre le monde.

Le mercredi 5 juin approchait et nous allâmes pour la première fois sur le terrain réceptionner le matériel nécessaire. A savoir : un détecteur, une scie à guichet, des haches et en cas de besoin une longue sonde pointue en métal ; par ailleurs aussi quelques bâtons en bois d’un mètre et des mètres de ruban embobinés pour délimiter les zones interdites.

Les groupes étaient répartis sur des secteurs précis du secteur forestier. On nous avait attribué le secteur « N » à déminer. On était accompagné, ou plus exactement surveillé par un marocain qui ne portait pas d' uniforme mais un costume civil. Il était armé d’un vieux fusil, d’origine indéterminée, constamment porté négligemment en bandoulière. Nous avions peu de contacts avec les surveillants, car nous ne maîtrisions pas le français. Quant à moi, depuis le camp « Golf » je possédais un petit dictionnaire français. Je saisissais chaque occasion pour le feuilleter et apprendre des mots par cœur. De temps à autre, j’essayais de mettre en pratique ce que j’avais appris en parlant avec le surveillant.

Le déminage dans un terrain impraticable s’effectuait de la façon suivante : en partant d’une trouée ou d’un chemin forestier, on effectuait un pas en avant prudemment après un examen du terrain au détecteur. On marquait alors avec des jalons la largeur du terrain à ratisser. Nous avancions alors à tâtons dans le terrain en agitant le détecteur de gauche à droite près du sol.  On ne cherchait pas à une profondeur supérieure à 50 cm par couloir, on faisait environ cent couloirs en allant et venant. Après avoir ratissé un couloir, les côtés et la profondeur du terrain déminé étaient délimités avec un ruban pour indiquer aux camarades suivants, où ils pouvaient se déplacer sans danger. Leur mission était alors d’enlever les buissons et les arbustes des terrains déminés et de les mettre en tas. Les camarades qui n’étaient pas occupés à débroussailler ou à déminer étaient soit assis à ne rien faire, soit en train de transporter les mines déterrées vers l’arrière, où elles étaient déposées en sûreté dans une trouée ou au bord d’un chemin. Ainsi, nous nous épuisions toute la journée à agiter le détecteur de droite à gauche et de gauche à droite.

Le secteur « N » était très difficile. Il ne comprenait pas seulement deux abattis avec naturellement des mines cachées dedans, mais aussi une vaste surface où le détecteur donnait un signal presque continu. Nous étions arrivés dans un endroit, où auparavant, il y avait une voie de chemin de fer pour un petit train. Le sol était jonché de vis, boulons, écrous et autres morceaux de ferraille. Ici, le détecteur devait être laissé de côté. Il s’agissait alors de sonder en piquant. Tous les 5 cm le sol devait être systématiquement piqué en carré, naturellement pas trop fort. On devait aussi ne pas oublier que les mines anti-char pouvaient être éventuellement protégées par des mines bâton ou des mines bondissantes. Ici, nous ne trouvâmes pas de mines anti-char, mais il fut désamorcé une quantité de mines bâton. Toutes les mines trouvées dans une journée étaient transportées le soir, du dépôt intermédiaire, dans un dépôt principal. Nous avons été occupés sur ce terrain jusqu’au samedi 13 juillet. En juin, je reçus encore deux lettres et un paquet de chez moi.

Le 9 juin, était mon deuxième dimanche de Pentecôte en captivité et le vendredi 28, j’avais 21 ans. Il était évident que nous ne travaillions pas le 14 juillet, fête nationale en France. C’était enfin un jour férié pour notre garde, ce dont nous profitions.

Deux jours plus tard, le jeudi 16, arriva un accident. Un camarade fut blessé par une mine bâton, qui explosa. Cet accident survint dans un autre groupe que le nôtre.

Je reçus en juillet quatre lettres de chez moi, dont deux de ma sœur Josi

Carte lettre de prisonnier
Carte lettre de prisonnier

Le jeudi 18, notre groupe commença le secteur « X ».

Il n’y avait aucun jour où des douzaines de mines n’étaient pas détectées, déterrées et désamorcées. Elles étaient alors transportées par une équipe spéciale du dépôt principal à la plage et là, on les faisait exploser. Cela de préférence à marée basse. La raison en était que nous avions découvert, que à marée haute, un poisson pouvait arriver dans le trou de dynamitage rempli d’eau et que alors pêché à marée basse, il finissait dans nos assiettes. Ce n’était cependant pas la seule chose que nous faisions pour améliorer l’ordinaire. Dans les terrains déminés par nous, il y avait beaucoup de mûres et de champignons. Le plus important pour nous était qu’il y avait toujours des terriers à lapin et à l’entrée de ceux-ci, nous disposions des collets. Beaucoup de lapins contribuèrent à l’amélioration de notre nourriture. Ils atterrissaient le soir dans les marmites de nos baraquements. Il n’y avait pas que la chair du lapin que nous appréciions. Kollo, le patron du camp, avait un petit chien noir, une fois il disparut. Que je sache, le pauvre vieux a été victime d’un camarade affamé.

On doit examiner le cas suivant pour voir combien la faim tourmentait fortement plus d’un d’entre nous. Franz Kressierer, qui était à nouveau parmi nous et appartenait à notre baraquement, ramassait toujours des mûres et des champignons. Nous fûmes étonnés, lorsque nous vîmes un soir le repas spécial que Franz s’était préparé avec l‘habituelle soupe de vesces. Ce repas se composait d’un mélange de hareng salé, d’une tranche de pain, de champignons, de mûres, le tout dans un seau d’une contenance de cinq litres. En une heure Franz avait ingurgité son plat. Il était satisfait, car pour une fois enfin, il était complètement rassasié.

En août, je reçus une quantité de courrier. Il y eut huit lettres et cinq colis qui naturellement contenaient de la bouffe.

Les évasions

Le 5 août, cela faisait la deuxième année que j’étais parti de la maison. Le plus important est cependant que se déclencha en août une vague d’évasions, qui devaient durer six semaines. Lors de ces onze évasions, 42 camarades prirent le large. A part 4 qui furent repris et revinrent chez nous, on n’eût aucune nouvelle des autres. Celui qui était pris pendant ou après l’évasion allait tout d’abord au trou, un bâtiment séparé sans fenêtre. Mais les mesures de dissuasion étaient arrivées au point que, lorsque quelqu’un s’était échappé d’un groupe, tout le groupe était tondu à ras.

Le nombre d’accidents par explosion de mines augmenta aussi. Le jeudi 15 août, jour de l’Assomption, on eut deux blessés par l’explosion d’une mine bâton et le vendredi 23 encore deux blessés par le même type de mine. Par ailleurs des statistiques de notre camp ont révélé que du 24-9-45 au 23-8-46 exactement 33.333 mines ont été extraites dans le secteur de Hourtin-Plage.

L'invasion de criquets

Une nouvelle expérience, arrivée au mois d’août est en outre à signaler. Le lundi 12 août, il y eut une invasion de criquets. Il s’agissait de milliards de ces insectes voraces venant d’Afrique du Nord. Ces bestioles, qui n’étaient pas originaires d’Europe, envahirent la région et ravagèrent en l’espace de quelques heures toute la végétation.

Une équipe, à laquelle j’appartenais, fut rassemblée en toute hâte. Le 13 au matin le soleil ne s’étant pas encore levé et les insectes ne devant pas encore être réchauffés, nous fûmes emmenés dans des camions. Dans la fraîcheur de la soirée, il avait été creusé des tranchées, avec des charrues devant les insectes couchés sur le sable. Nous attendions alors que les insectes, que la fraîcheur de la nuit avait rendus incapables de voler, rampent et tombent dans les tranchées. Notre tâche était de jeter du sable avec des pelles sur les insectes ne pouvant s’envoler. J’eus encore l’occasion après, d’être employé comme « chasseur de criquet » (en français dans le texte)

En septembre, je reçus quatre lettres et un colis de ravitaillement.

Le jeudi 12 une mine bâton explose spontanément dans notre secteur. J’ai déjà expliqué comme cela pouvait se produire. Dieu soit loué, il ne nous arriva rien.

Une commission venant de Paris fut annoncée pour le mercredi 18. Elle devait enquêter sur les causes des nombreuses évasions. Certes, on n'augmenta pas les rations, mais sur un point cependant, on exauça nos demandes. Enfin, on ferait quelque chose contre la contamination par les punaises de nos baraquements.

Le 15 cela faisait un an que l’équipe de déminage de Hourtin-Plage existait. Dans le secteur nommé « Drackenfeld »(le champ du dragon) furent déterrées et désamorcées, dans cet espace de temps, 35.280 mines.

La désinfection

Le lundi 30, eut lieu enfin le gazage tant espéré des punaises. Les punaises des lits sont des insectes qui sucent le sang et qui, lorsqu’on les trouve et les écrase, puent terriblement. Tous les baraquements étaient envahis par ce fléau. Au début, on écrasait entre les doigts les insectes qui tombaient du plafond en bois. Pourtant on renonça bientôt à le faire à cause de l’odeur nauséabonde secrétée par leur glande. On les attrapait, les claquait violemment sur le plancher et les écrasait. Il n’était pas étonnant alors que le plancher et les lits fussent parsemés de taches de sang. Si on ne les avait pas attrapées à temps, elles mordaient la peau du dormeur. Le résultat était, que le lendemain matin, on arrivait à l’appel en se grattant, le visage tout boursouflé.
Elles ne se contentaient pas seulement de tomber du plafond, mais elles faisaient aussi leurs nids dans les lits en bois. Nous essayions de nous protéger la nuit, en dormant tout habillés sur les couchettes. Mais après une année de captivité, nos fringues de la Wehrmacht étaient soit tombées en lambeaux, soit pour les ménager, remplacées par des parties d’uniforme provenant des surplus américains. Il y avait aussi, avec des couvertures de laine et des sacs de couchage provenant des mêmes surplus. Je me fourrais toujours le soir dans mon sac de couchage, je m’enduisais le visage avec un savon américain désinfectant rouge pâle. Je m'entortillais une serviette autour du cou, je me tirais une capuche sur la tête et était ainsi emmitouflé comme une momie pour affronter le monde extérieur. Cela ne réussissait cependant pas toujours ! Les bestioles arrivaient à se faufiler dans le sac. C’était une plaie, dont nous ne pouvions venir à bout, même après avoir de temps en temps vidé les lits dehors et passé les jointures à la flamme. L’effet annexe était aussi que l’on se salissait au contact du bois carbonisé.

Le lundi 30, comme je l’ai déjà dit, cela devint sérieux. Tout ce qui ne devait pas être exposé au gazage fut sorti dehors. Les jointures, les fenêtres, les portes furent calfeutrées et les baraquements furent, avec le gaz, libérés de la vermine. Pour cela, nous dormirent une nuit à la belle étoile.

L'accident de Rolf Klausing

Seulement deux jours plus tard, le 2 octobre 1946, notre groupe subit un grave accident. Mes camarades étaient toujours sur le secteur « X », tandis que j’étais occupé à déblayer des branches coupées sur le chemin menant à la petite clairière. Nous entendîmes une détonation ; elle venait du champ de mines et nous présageâmes le pire. Nous courûmes jusqu’à notre groupe et trouvèrent notre camarade Rolf Klausing, un Thuringien, allongé sur le sol, mort. Une mine bâton en explosant l’avait blessé si grièvement qu’il était mort sur le coup. Plusieurs morceaux de béton, certains gros comme le pouce, l’avaient atteint de très près et avaient profondément pénétré la poitrine et le torse. Pour nous, c’était une énigme. Comment cet accident avait-il pu arriver ? Rolf s’était-il écarté du ruban de délimitation ? Alors pourquoi ? S’était-il laissé séduire par un buisson de mûres ? On n’a pas pu donner une explication.

Nous apportâmes au camp le corps de notre camarade, où il fut exposé dans un baraquement, qui servait à un prêtre catholique ou à un pasteur évangélique à dire la messe en fin de semaine. Ce baraquement servait aussi de temps en temps à des manifestations culturelles.

Avec mes camarades de chambrée, je montai une garde d’honneur auprès de son cercueil jusqu’à l’arrivée de l’obscurité. Notre camarade Rolf ne fut enterré qu’un jour après au cimetière du proche village de Hourtin, un enterrement auquel tout le camp prit part.

En 1992, venant du sud de la France, je séjournais à Hourtin et cherchais en vain la tombe de Rolf. Même un vieux jardinier du cimetière ne put rien me dire au sujet de la tombe de Klausing. Mes démarches auprès de la municipalité à ce sujet furent aussi infructueuses. Les personnes contactées à la mairie me semblèrent malheureusement complètement indifférentes. Hourtin-Plage était du reste complètement méconnaissable. Là où il y avait avant les baraquements, c’était maintenant la forêt et les broussailles, que je connaissais en un peu moins denses. Sur le chemin de la plage, il n’y avait que des snacks-bars, des magasins, des boutiques de souvenirs et des maisons. Personne ne savait que, il y avait quelques dizaines d’années, une centaine de prisonniers de guerre (allemands) examinaient le terrain systématiquement mètre par mètre.

La vie du camp

Dimanche 13 octobre. Il y eut un peu de changement dans la vie du camp. Il fut annoncé de la « Variété ». Naturellement, ces distractions étaient toujours de l’initiative des prisonniers.

A part trois lettres, je reçus en octobre encore deux colis, dont un de Paris. Ce dernier contenait du ravitaillement. Il m’avait été envoyé par un soldat français en occupation (en Allemagne) Il était du même âge que moi et s’appelait François Roché. Il voulait se montrer reconnaissant envers ma mère qui le traitait comme son fils. Je devais faire connaissance avec cette charmante famille en 1952, lors de mon voyage de noces à Paris.

La nourriture s’améliora sensiblement à partir du milieu octobre 1946. Tous les jours nous avions 20 gr. de matières grasses, 375 gr. de pain, 800 gr. de pommes de terre, 50 gr. de viande, 17 gr. de sucre et par là-dessus encore la soupe de vesce, de toute façon une ration quotidienne de plus de 2.100 calories. ! Il y avait aussi par mois 120 gr. de tabac. A la cantine, il n’y avait rien à acheter depuis des mois.

Le tabac m’était toujours échangé contre des francs. Parfois je vendais ma ration de tabac à notre garde marocain, parfois il se trouvait de mes camarades qui m’achetaient ce tabac contre des francs. Depuis octobre, chaque mois, pouvaient être envoyés de chez nous jusqu’à 2 colis de 5 Kg., il était cependant évident que tous les colis n’arrivaient pas et que parfois ils arrivaient incomplets, ayant été fouillés auparavant.

En novembre, je reçus 11 lettres et un paquet de chez moi.

Nouveaux accidents

Ce fut un mois, où de nouveau, trois camarades furent grièvement blessés par une explosion de mine. Cela arriva le 7 novembre, lorsqu’une mine bondissante fut déclenchée dans le groupe 7. Ces mines sont particulièrement dangereuses. Elles se composent d’une charge propulsive et d’une charge de dynamite et de billes d’acier. On n’a pas pu savoir si la mine avait été déclenchée par la pression ou la traction par un fil. En principe, les mines bondissantes 35 étaient munies d’un allumeur à pression, qui réagissait à partir de 3 Kg. Au déclenchement une petite charge catapultait la mine proprement dite à un mètre de haut.  A cette hauteur avait lieu la deuxième explosion. Cela avait pour effet que, quiconque n’ayant pu se jeter à terre, avait tout le milieu du corps atteint de billes d’acier. Si celui qui avait déclenché la mine, se jetait au sol immédiatement, il pouvait être sauvé, car la pluie de billes passait au-dessus de lui. Étant donné que, dans l’accident il y eut trois blessés, il y a dû y avoir au moins deux camarades, touchés par les billes, qui n’étaient pour rien dans le déclenchement de la mine. Le groupe 7 était dirigé par un ancien officier, le lieutenant Kurtz et ce fut lui qui, le 7 novembre succomba à ses blessures et fut enterré à Hourtin le même jour.

Le 24 novembre, dimanche des morts, fut très triste et nous donna à réfléchir, nous avions, en peu de temps, à déplorer la mort de deux camarades. (La tombe du lieutenant Kurtz fut introuvable, lorsque je la cherchai à Hourtin en 1992)

Quand je réfléchis sur le fait que nous avons perdu coup sur coup deux camarades, que parmi mes camarades de classe Odin et Franz Kahl étaient déjà tombés, que après mon retour, j’ai vu d’autres camarades de classe grièvement blessés ou disparus, je ne peux alors pas m’empêcher de prendre particulièrement leur défense.

Au début 1997, avec l’aide de Monsieur Reemstma a été lancée en Allemagne une exposition sous le titre « Crimes de la Verhmacht » Est-ce que mes camarades blessés ou morts étaient des criminels ? Étions-nous membres d’une soldatesque criminelle ? Nous qu’on avait tiré des bancs de l’école pour nous jeter dans la guerre.

Pourquoi ce titre réducteur, Monsieur Reemstma ? Pourquoi avoir seulement montré ce côté des recherches ? Vous qui avez vécu tout cela de façon terrible, avez-vous perdu la sensibilité, dont vous devriez faire preuve ici ? Si l’exposition en employant la notion de « Werhmacht » avait ouvertement mis l’accent sur la responsabilité du haut commandement, des millions d’officiers et hommes de troupe auraient pu apporter alors leur approbation à celle-ci

La vie continue

Il y eut de nouveau le 30 novembre une soirée variétés ; naturellement toute organisée par nous et comme sur scène, il devait y avoir des dames, elles furent représentées par des camarades arrangés en conséquence. Cela n’était pas toujours difficile ; il y avait aussi des camarades qui étaient enclins à céder aux promesses et attraits de l’un ou l’autre des gardes marocains et qui étaient volontiers disponibles pour de tels rôles de « Dames ». On doit aussi dire, que lorsque la nourriture fut meilleure, on assista à la formation de couples homosexuels.

On doit prendre en considération qu’une vie de camp, durant des mois et des années est riche en trouvailles. On trouvait chez les prisonniers non seulement de la résignation mais aussi de l’obstination. Il y en avait qui se laissaient aller et devenaient de vrais clochards. D’autres luttaient contre la faim en ramassant et mangeant des graines de pomme de pain. Celui qui après son travail ne voulait pas devenir une loque, se trouvait une activité, qui pouvait être éventuellement monnayée contre de la nourriture. J’ai connu des camarades dans notre camp qui construisaient de très beaux jeux d’échecs en bois, qui se construisaient des instruments de musique, par exemple des guitares, qui confectionnaient des écrins et bijoux avec des boîtes de conserves, ceci de façon si parfaites, que le chef de camp se laissa aller à dire qu’il suffisait de donner quelques boîtes de conserve aux prisonniers pour qu’ils en sortent une mitrailleuse.

Moi-même, je m’étais mis à apprendre la langue française, dont je n’avais eu que quelques notions élémentaires au bahut. Je bossais si fort les mots, que, comme je l’ai déjà dit, je pus en tirer des avantages à partir de 1947.

Le mois de décembre m’apporta trois lettres et un colis.

Que nous ayons failli être emportés avec notre baraquement par une tempête, le mardi 3 décembre, est accessoire. Le jour suivant fut plus réjouissant. Dans un des trous de dynamitage, sur la plage, nous avions trouvé à marée basse une grosse baliste. J’échangeai ma part contre du tabac. Le tabac était la monnaie du camp. Il y eut pourtant pour moi une petite bouchée, au goût d’huile de poisson, qui donna cependant l’impression d’avoir mangé un steak

Le samedi 14, nous avions terminé le secteur « X ».

Le lundi 16, nous relevions le groupe 8 sur le secteur « H 2 ».

Le mardi 24, nous avions une petite fête de Noël, mais elle n’a pu être autant adaptée à chacun, que la fête un an auparavant dans le camp « Golf »   Là bas, il y avait trente hommes, ici par contre trois cent cinquante !

Noël était passé, quand le samedi 28 décembre il arriva de nouveau un accident. Dans la zone du premier groupe une mine bâton explosa. Heureusement, il n’y eut que deux blessés légers.

La Saint-Sylvestre nous fut rendue un peu plus agréable par l’habituel spectacle de variétés.

1947

Janvier : 12 lettres et 4 colis, parmi lesquels un colis de la famille Roché de Paris. Même en 1947, ce n’était pas tous les jours qu’un prisonnier allemand reçoive un colis d’une famille française.

En janvier, il n’y eut rien de notable, à part qu’un photographe vint dans le camp prendre des photos de tous les groupes. Sur cette photo, je suis pris avec quinze camarades du groupe. Lors de cette photo, il vaut la peine d’être mentionné, que Wilhem Bornemenn de Usingen déclara qu’il ne se mettrait pas en « uniforme » Il voulait apparaître sur la photo dans la tenue où il allait au travail en habit U.S. et en sabots de bois. On voit aussi que sur la photo, il manque les épaulettes sur toutes les vestes excepté une, mis à part le fait que les décorations et signes honorifiques ont changé de propriétaire lors de notre capture. Janvier se termina avec une première chute de neige le 30 et avec le tonnerre et des éclairs le jour suivant.

  (Note du groupe de travail PGA/UTL :

Les corps des prisonniers de guerre allemands morts dans le département de la Gironde ont tous été conduits dans le cimetière allemand de Berneuil en Charente-maritime dans les années 60.

 


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Ed:4/5/2003