Témoignage DE HORST FUSSHÖLLER
- Rheinallee 50 - D. 56154  BOPPARD
 (ancien prisonnier de guerre du camp 1102 Rennais)

Le camp 1102 de Rennes (Page 2)

Horst Fusshöller PGA



Ed:04/06/12

Extraits du livre "Errinnern ohne Groll" de Horst Fusshöller "(Sans ressentiment)

( Traduction par Mme Verdys-Piel Maryvonne-  Mai 1998)

Comment nous fûmes faits prisonniers| La première nuit de captivité | St Pierre de Trèves | Stenay | Le camp de Rennes | Le camp"kaiser" | Le troc | Offre d'emploi | Les corvées | Détachement au magasin de ravitaillement |Les punitions | La faim | La fin de la guerre | Le camp sous administration française | Matricule 548269 | "La ration famine" | L'aide de la Croix rouge Internationale | Polo | Son passage dans un commando de déminage à Hourtin  | 1946 | Socoa | Hourtin-Plage | St-Perdon|

 

Le camp de Rennes.

Mais, comme le camp de Stenay n'était qu'un camp de transit, le samedi 24 mars , un train de marchandises fut formé pour la suite du transport des prisonniers. Les wagons étaient non protégés, c'est à dire  ouverts en haut. Dans ce genre de voyage inconfortable, on traversa la France jusqu'à ce que nous ayons atterri le lundi 26 mars dans un énorme camp.

Le train traversa les portes grandes ouvertes d'un terrain et nous sûmes bientôt qu'il s'agissait du camp de prisonniers de guerre allemands (géré par les Américains): CCPWE Rennes 12. C'est là que je fus donc enregistré comme prisonnier de guerre  sous le N° 316-630818 (106). A ma grande surprise, j'ai rencontré un Boppardien au camp de l'entrée. C'était Herbert Hegesweiler. Il faisait partie de la Police du camp à la"cage N°1"qui, d'après le chef du camp américain, s'appelait aussi"camp Sommerfeld"(nom d'un Juif allemand émigré qui avait dû posséder des magasins de chaussures à Francfort sur le  Main, avant la persécution des Juifs).
Ne pas confondre avec le chef américain Sonnenfeld de la cage13 qui était craint à cause de sa dureté envers les prisonniers.
A la cage N°1 se faisait donc l'enregistrement des prisonniers qui venaient d'arriver et c'est au cours de cette activité, qu'il a rencontré un autre Boppardien Joseph Volk qui avait survécu aux plaines rhénanes mal famées de Remagen et qui était si faible qu'au début, il devait être alimenté par ses camarades. Moi-même, j'y ai rencontré "Jupp" une fois et j'étais bouleversé par son apparence. Cela me rappelait les images de gens décharnés des camps de concentration, comme on a du encore nous les montrer plus tard dans un film, au camp de prisonniers "Polo" dans le sud de la France près de Bayonne.

Tout le camp de Rennes en Bretagne (géré d'abord par les Américains avant de devenir  camp 1102 français) était constitué de 16 "cages" et, toutes ensemble, elles avaient une capacité totale de 50.000 hommes (selon les dires de Hegesweiler, la capacité maximale du camp doit même avoir atteint 68.000 hommes). Mais ce nombre contenait aussi 12.000 troufions d'Autriche, d'ailleurs strictement séparés de nous "les Allemands". Mais nos anciens camarades du pays voisin, situé au sud du nôtre, ne voulaient rien avoir à faire avec nous. Ils avaient enlevé les cocardes noires, blanches, rouges de leurs casquettes et les avaient remplacées par des petits rubans blancs, rouges, blancs.

Le camp"kaiser"

J'atterris dans une cage qui portait l'appellation de "camp Kaiser". Il avait sûrement reçu ce nom d'après son chef de camp américain tout comme il y avait le camp "Sommerfeld" ou "Sonnenfeld". L'appellation officielle du camp "Kaiser" était d'ailleurs "cage 7". Les prisonniers étaient allongés dans des baraques ou aussi sous des tentes. C'était si étroit que, là aussi, on était obligé de s'étendre à nouveau partiellement sur un voisin. La nourriture qu'on attendait si ardemment et qui était aussi indispensable, manquait. La faim devenait de plus en plus pénible. Lors des appels pour nous compter tous les matins, il n'était pas rare que, d'une part, les nombres n'étaient pas exacts  parce que, dans la nuit, des camarades étaient à nouveau morts de faim., tout comme il arrivait aussi qu'un camarade s'effondrait, à bout de force.

 Le comptage était effectué par un soldat américain. Je me souviens que les Américains portaient une application en tissu cousue sur la partie supérieure de la manche gauche de la veste de leur uniforme. Cette application représentait une "épée flamboyante". Seuls les membres des commandements supérieurs alliés portaient ce genre d'insigne, en abrégé: SHAEFF.

La nourriture plus que frugale se composait en règle générale d'une soupe d'eau dans laquelle flottaient quelques feuilles de choux ou, pour changer, quelques carottes. Pour cela, une vingtaine de prisonniers faisaient une longue queue pour obtenir dans une sorte de lessiveuse une louche pleine. Mais, il y avait aussi un problème. Beaucoup, parmi nous, n'avaient pas de casserole ou un autre récipient pour y faire verser la soupe. Dans leur détresse, les troufions se faisaient alors mettre la soupe dans leur casquette retournée. On l'aspirait  et on en pressait pour finir les dernières gouttes dans la bouche. Je n'avais naturellement pas de vaisselle non plus, et je devais aussi inventer une solution.

Le camp de Rennes, aménagé dans un terrain sablonneux, était entrecoupé de nombreux chemins et on avait consolidé ces chemins en les pavant de boîtes de conserves vides ,comme des pavés, les uns près des autres, dans le sol sablonneux. Il ne s'agissait plus que de trouver une boîte vide qui n'était pas trouée, au moins à la base. On avait troué le fonds des boîtes de conserves pour qu'elles ne flottent pas par temps de pluie. Mais la détresse nous rend bon inventeur, et c'est ainsi que j'eus l'idée de chercher sous les poutres, dans les latrines.
 
On atteignait celles-ci en franchissant quelques marches d'escalier jusqu'à un échafaudage surélevé et couvert par un toit. Sous la poutre qui servait de siège, il y avait une douzaine de cuvettes ménagères à m.... sur le sol de sable pavé de boîtes de conserves. Et c'est là que j'ai eu la chance de trouver sous une cuvette une boîte qui n'était pas trouée. Avec le sable qui s'y trouvait en surabondance, j'ai nettoyé alors la boîte de fer blanc flambant neuf et je l'ai lavée avec de l'eau. J'ai remplacé la cuillère qui me manquait encore par un couvercle de boîte courbé convenablement en un tour de main. Il ne me manquait plus qu'un couteau et je me suis donc mis à sa recherche.

Entre notre cage 7 et la cage 8, il y avait un vieux rail de chemin de fer et j'y ai trouvé aussi un morceau de fer lourd rouillé. Il ne me fallut pas beaucoup de temps pour trouver un long clou que j'ai martelé sur le rail avec le morceau de fer en guise de marteau, aussi longtemps que nécessaire, pour créer un ustensile coupant. C'était d'ailleurs  plutôt un mini-sabre et c'est ainsi que, devenu plus expérimenté à force de pratique et d'erreurs, j'ai commencé mon orfèvrerie. A mon deuxième essai, je réussis à mieux fabriquer un couteau. Pourtant, après l'avoir remartelé à froid, un outil ressemblant à un couteau a été créé auquel j'ai pu ajouter un vrai manche. Finalement, j'ai donc possédé mes couverts, même s'il n'y avait pas vraiment d'occasion de les mettre en service. En effet, le ravitaillement était limité comme suit. le matin: du café fort. le midi: une soupe extrêmement diluée. Et le soir, occasionnellement, un peu de pain. La faim dans tout le camp devenait si insupportable que le dernier brin d'herbe, et même de mauvaise herbe, avait été arrachée et dévorée.

Beaucoup de troufions d'ailleurs, à partir de mars, arrivèrent à Rennes, venant de notre pays en plein effondrement, démoralisés, couverts de boue, et vêtus seulement de lambeaux. Ils ne trouvèrent près des prisonniers de la première heure, ni compréhension, ni indulgence lorsque les insignes de leur grandeur avaient déjà été arrachés de leur uniforme. Il y en avait bien encore quelques uns qui n'avaient pas encore abandonné la grande richesse allemande en pensée. Nos camarades prisonniers de1944 ne savaient pas comment c'était à la maison entre temps.

Le troc

Pour survivre, un commerce d'échanges se développa : Une alliance en or rapportait 3 cigarettes. Avec des cigarettes, on pouvait échanger des pommes de terre, ou une tranche de pain avec quelques uns des policiers du camp et particulièrement les cuisiniers du camp. Celui qui n'avait rien à échanger était mal en point. On s'assombrissait, on s'étendait devant les baraques et les tentes pointues et on essayait d'épargner ses forces en bougeant le moins possible. Lors des appels matinaux pour nous compter, des camarades manquaient chaque jour. Ils étaient morts de faim depuis le dernier appel, avec des œdèmes visibles provoqués par la faim. Mais on ne doit pas taire non plus que des camarades s'étaient approchés si près de la clôture de barbelés, volontairement ou involontairement, par désespoir et aussi à cause d'une faim insupportable, ou même qu'ils essayaient de grimper par dessus le grillage de telle sorte qu'ils furent visés et abattus par la tour de contrôle la plus proche.

Nous parlions alors du "delirium du barbelé". Il n'était pas étonnant que des camarades craquent lorsque la soupe quotidienne d'épluchures de pommes de terre les poussait à des actes de désespoir à cause des douleurs nocturnes d'estomac et de la constipation douloureuse; La façon dont quelques officiers de santé nous apaisaient en nous disant que les meilleures substances nourrissantes se trouvaient sous l'épluchure, ne pouvait pas être une consolation.

A propos du camp lui-même: Il était verrouillé et séparé du monde extérieur par une  clôture de 4 m de haut. Entre les parois de barbelé, un espace large de 5 mètres était  rempli de rouleaux de barbelés, entassés de façon très serrée les uns sur les autres. Sur les côtés, à l'extérieur, des tours de guet en bois s'élevaient, occupées par des soldats français tandis que les grandes portes du camp étaient gardées par des soldats des Etats Unis.

D'ailleurs, il n'était pas rare que les gardes français se faisaient des balles en chemin avec leurs mitraillettes et mitrailleuses sur la clôture, en allant et revenant des tours de contrôle. Cela fut particulièrement grave le 8 mai et les dimanches soirs lorsque beaucoup de prisonniers allaient au service religieux. (C'étaient des pasteurs évangélistes qui, dans ce camp de Rennes, avaient commencé déjà très tôt à célébrer leur service religieux sous une tente aménagée par eux-mêmes. Les évangiles venaient d'être distribués en petits imprimés simples). On ne pouvait naturellement pas se protéger des ricochets. Les tentes pointues ou les baraques tentes (avec de la toile tendue sur des cadres de bois), ne présentaient aucune protection contre les balles. De façon répétée, on entendait un cri qui indiquait que quelqu'un avait été atteint. Même en s'allongeant sur les bottes de bois qui servaient toujours encore mieux au repos nocturne que le sol nu, cela ne signifiait pas qu'on était mieux protégé.
Une tente était d'ailleurs aménagée en salle d'eau mais, à cause de l'organisation du camp, seulement utilisable de 7 à 8 heures le matin pour un peu de toilette corporelle. D'ailleurs, tous ces aménagements furent déjà érigés par des prisonniers arrivés ici après l'effondrement du mur de l'Atlantique.

Offre d'emploi!

C"était le vendredi saint 30 mars, j'étais encore hébergé dans une baraque lorsqu'un volontaire fut recherché pour un travail facile. Je me présentai et l'Allemand le plus âgé des baraques dit que je devais balayer les chemins pavés de boîtes de fer blanc. Aussitôt, j'acquiesçai pour sortir une fois de la somnolence. En revenant à ma baraque vers 16 heures après le travail fait, le plus âgé m'indiqua de me présenter au chef de camp. Certes un peu récalcitrant, mais devenu curieux de ce que cela pouvait signifier, je m'y rendis immédiatement.

En entrant, on me posa rapidement la : "Aimez-vous travailler? !"  Ce à quoi j'ai répondu aussi rapidement : "oui "Le chef de camp me regarda un peu hésitant et en m'examinant beaucoup, il me toisa de regards critiques de la tête aux pieds. Ne même pas pouvoir sentir un mini-biceps sur moi, le fit me sonder encore plus pensivement. En quelque sorte, le petit soldat malingre a du lui faire pitié et il m'ordonna de commencer par prendre place sur un banc dans la salle.

D'autres camarades arrivèrent, questionnés comme moi, soit pour repartir parce que refusés, l'air content, ou bien ils se rangeaient sur un autre banc. Après qu'aucun sauf moi ne fut plus disponible, Le chef de camp revint vers moi avec un sergent américain et m'expliqua évidemment que j'étais sans doute trop faible pour du vrai travail. Mais heureusement, il fut encore intéressé par la question de savoir si je pouvais parler anglais. Lorsque je déclarai que j'avais appris l'anglais au lycée pendant six ans, il en prit connaissance avec satisfaction: "Allons bon, alors  vous êtes donc employé à partir de dimanche 1er avril (c'était le dimanche de Pâques ) pour le commando du ravitaillement". La mission devait être de faire l'interprète, si nécessaire, dans ce commando.

Les corvées

Ce que cela représentait pour moi, valait autant que d'avoir tiré le gros lot, et désormais, j'avais l'espoir justifié de ne plus avoir à souffrir de la faim dans quelques jours. En plus de cela, il est sans doute important de mentionner que, dans le camp de Rennes avec ses cages de 1 à 16,  des gens mourraient de faim quotidiennement. D'après les dires de Hegesweiler qui était, comme on l'a dit, occupé à l'enregistrement de la cage 1, le nombre maximal de morts par jour a été de 57. Heureusement, je n'avais vécu cette époque effroyable que peu de jours et je me souviens encore d'avoir fait une fois partie d'un détachement des chiottes pour un peu de nourriture. Même si, par manque de quantité, les baquets ne devaient pas être vidés chaque jour, cela se passait comme suit : A chaque fois, 2 hommes traînaient une tinette jusqu'à un endroit qui avait pu être une mare avec de l'eau stagnante, mais peut- être aussi un étang. Renversée là, une masse puante phosphorescente de toutes les couleurs s'était étalée comme de la bouillie. Comme je l'ai déjà dit, cela semblait être un étang où de grosses mouches se sentaient bien, mais sinon aucune autre bestiole.

Avant d'occuper ma nouvelle position, je fus encore déménagé de la baraque pour une tente pointue dans laquelle des camarades du détachement du ravitaillement étaient hébergés. Chacun de nous obtint une sorte de laisser-passer (Voir"Papiers du camp" en annexe 2), avec le tampon:"Ltn. Kaiser 1-6, 8- 16". Muni d'une telle autorisation, j'occupai ensuite mon nouveau poste de travail pour la première fois le dimanche de Pâques en passant devant deux sentinelles américaines armées, sur une superficie, une grande halle d'entrepôt, un abri en terre pour entreposer des pommes de terre, etc... et des hangars.

Détachement au magasin de ravitaillement

Notre journée de travail s'aménageait de la façon suivante: Les directeurs allemands de chaque cage du camp transmettaient à la distribution centrale du ravitaillement le montant des effectifs. Valentin Woodbine, sergent de l'armée des Etats Unis, possédait en Amérique un magasin de denrées alimentaires (skippies Delikatessen). Sa tâche était de compter dans son bureau les marchandises à distribuer. Notre détachement au ravitaillement se composait de 15 personnes et nous lui étions subordonnés comme travailleurs....

Georg Haas de Hof en Franconie faisait fonction de  supérieur hiérarchique allemand et intermédiaire pour le supérieur hiérarchique des Etats Unis. Je devrais encore indiquer quel cochon était ce type. D'après les fiches des différentes cages, Les marchandises étaient rassemblées, selon les numéros du camp, dans les hangars. Tout ce qui concernait les conserves ou ce qu'il était important de garder sous clé, y était entreposé dans de grands cantonnements, entassé dans des centaines de caisses. La viande fraîche était entreposée séparément dans la halle. Dès le premier jour, nous avions déjà découvert quels étaient les produits alimentaires les plus importants pour nous les "approprier".

En premier lieu, il y avait le dépôt des ravitaillements de campagne des Etats Unis, les soi-disant rations C-et K-. Le vol des aliments se déroula donc de la façon suivante : A un moment favorable où nous n'étions pas observés, 3 ou 4 personnes construisaient une pyramide et l'un d'entre nous grimpait alors sur les épaules et les têtes jusqu'aux piles de caisses de quelques  mètres de hauteur. Puis, les caisses qui se trouvaient à l'intérieur, étaient entassées à l'extérieur, tout autour, jusqu'à ce qu'on était si enfoncé à l'intérieur qu'on ne pouvait pas être vu de l'extérieur.

En toute tranquillité, on ouvrait ensuite une caisse et, l'un après l'autre, nous mangions ensuite le contenu des "boîtes rations" jusqu'à ce qu'on était rassasié. Le contenu des boîtes était constitué d'aliments énergétiques, en partie aussi desséchés, et il y avait aussi parfois des boîtes de conserves avec 3 cigarettes dedans, des céréales pressées avec du glucose, et c'était la même chose avec de la viande hachée qui ressemblait à un boulette déshydratée. Il y avait de la poudre de café et de lait, et occasionnellement aussi des rouleaux de bonbons acidulés.
 A la sortie des wagons de marchandises, le réseau de ravitaillement avait un raccordement particulier de voie ferrée; du pain blanc frais était compté dans de grands sacs en papier et on traînait des sacs de pommes de terre et diverses caisses de légumes. Au bout d'un certain temps, nous avions remarqué les habitudes de contrôle des gardiens et ceux-là même nous connaissaient aussi comme faisant partie des rationnants. Nous avons bien même aussi osé apporter quelque chose de mangeable et aussi de non mangeable à notre cage 7. Ceci allait de la pomme de terre crue, du rouleau de bonbons acidulés, du café pur non torréfié, jusqu'à une poche de pantalon pleine de parisiens (préservatifs). En quelque sorte, nous étions tombés dans le hall du camp sur tout un carton de ces marchandises qui était entreposées là exclusivement pour nos surveillants des Etats Unis. Nous les remplissions d'eau, nous faisions un nœud pour les fermer et nous les faisions éclater sur la tête d'un camarade assis devant la tente en lançant l'eau par dessus cette tente. C'était souvent un  rafraîchissement bienvenu dans la Bretagne estivale et accepté sans grande protestation, et même avec des rires.                                              
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Quand au café pur, voilà ce qu'il en était : Une fois, alors que nous devions décharger plusieurs wagons, il y en eût un qui était chargé de café non torréfié à la hauteur d'un pied. Dans notre tente pointue, nous avions construit au milieu un mini four avec des boîtes de conserves et de la brique. Sur ce four, nous n'avons pas seulement grillé du café, mais il servait aussi à la tombée de la nuit, à préparer "l'accompagnant" et, pour cela, on devait cuire à l'eau, non seulement les pommes de terre, mais avant tout les marchandises séchées.

Cette heureuse circonstance pour un petit groupe infiniment petit de prisonniers avait aussi pour plus d'un autre dans le camp, l'avantage que nous pouvions partager un peu de notre frugale nourriture du camp. Je me souviens encore que je pouvais à peu près approvisionner 6 camarades. C'était Duven, le dernier maire de la guerre à Boppard, Schwan(commerce de charbon, rue Säuerling), Hannes de Brodenbach (Coca-Cola-Hannes), Stenzhorn (ferrailleur à Niedersburg), Heinrich-Kirch (construction Simmerner Strasse à Boppard), et mon camarade Willi Weisshaupt du Hunsrück avec lequel je n'ai pas seulement été en apprentissage-ROB, mais aussi à la batterie de combat.

Nous étions sûrement la tente la plus enviée de toutes les 16 cages en dehors des mastodontes de la cuisine et des policiers. Ces deux derniers groupes là n'avaient principalement pas à souffrir de la faim, au contraire! Je me souviens d'un qui échangeait régulièrement des anneaux d'or contre du pain et des cigarettes. Si celui-là a jamais pu quitter le camp et rentrer à la maison avec cela, alors il a du apporter une fortune qu'il s'est procurée de la façon la plus dégueulasse qui soit. Ou bien, est-ce que l'or est aujourd'hui encore enfoui n'importe où dans le sol de l'ancien camp (de la Marne)?


Les punitions

Souvent, c'était diablement dégueulasse pour le simple prisonnier qui avait réussi à piquer quelque chose de la cuisine du camp et, lorsqu'il  était pris sur le fait, Il y avait des sanctions draconiennes. Celui qui avait volé un petit morceau de chocolat(et chacun se demandait où il avait bien pu le voler), devait être enfermé dans une cage ouverte construite par lui-même, avec une grande caisse remplie de cette sucrerie précieuse, inaccessible, pourtant autrement délicieuse. En plus de cela, il n'avait rien d'autre que de l'eau. La constipation qui s'en suivait plongeait l'homme dans de telles souffrances qu'il essayait avec le doigt de sortir la déjection de son anus. Le vol d'une seule tranche de pain d'un camarade aurait même signifié une condamnation à mort pour être immédiatement lynché.
Un autre cas sanctionné par le chef de camp des Etats Unis concernait le barbotage injustifié de bois de chauffage. la sanction consistait à ce que l'homme, avec manteau, casquette et gants, donc très emmitouflé, devait tenir le bois chipé devant lui sous le soleil éclatant pendant toute la journée au garde à vous, donc immobile jusqu'à tomber en arrière, jusqu'à la tombée de la nuit; cela naturellement aussi sans obtenir de manger et sans faire ses besoins.

La faim

La famine dans l'ensemble du camp était grave. Même les restes du manger des soldats des Etats Unis ne pouvaient pas être partagés, mais devaient être brûlés par les soldats. Des cercles se formaient et composaient des livres de recettes, discutaient là-dessus, et s'intéressaient passionnément pour  savoir quel plat ils prépareraient comme repas de fête le premier jour de leur Liberté. Ceci me fait penser par exemple à un camarade prisonnier appelé Janssen de Kleve (Imprimeur ou libraire). Il avait produit un livre de recettes de ce genre là.
 C'est ainsi qu'Avril 1945 passa sans évènements notables. le mois de mai, par contre, indique dans mon journal intime sept enregistrements particuliers. Que le 1er mai mentionne la mort d'Hitler n'a d'ailleurs pu être écrit par moi que retrospectivement; les informations dans notre camp n'étaient pas aussi bonnes, à moins de connaître un camarade qui avait la chance de travailler près d'un officier américain et qui alors occasionnellement, apportait le "stars and stripes" ou le journal américain des soldats. Mentionner le 7 mai à propos de la division de l'Allemagne ne peut aussi avoir été enregistré qu'après coup.  

La fin de la guerre

Ce fut le 8 mai que nous fûmes frappés par les cloches qui sonnaient dans les clochers de tous les villages et de la ville de Rennes à proximité. La France fêtait la fin de la guerre. Ce que j'ai inscrit le 9 mai avec le bâton brisé (symbole pour un Jugement rendu), annonçant le "repos des armes", n'a aussi été dessiné par moi, certainement que plus tard.
Le Dimanche de la Pentecôte était le 20 mai. Il n'y a pas eu qu'une forte pluie, le soleil a aussi percé.
Le plus intéressant enregistrement écrit à dû être effectué le 22 Mai. Dans le camp, on avait déjà fait circuler un questionnaire pour savoir qui venait de la campagne ou de l'industrie minière. Ce fut alors le jour où les premiers prisonniers qui s'étaient désignés pour ces professions furent libérés pour rentrer au Pays. Parmi eux, il y avait  mon camarade et ami Willi du Hunsrück et aussi Hannes de Brodenbach et Klotten de Boppard.

J'avais découpé deux morceaux de carton, grands comme des cartes postales, et je n'y avais indiqué que mon adresse. Monsieur Hannes en fit vraiment passer une à travers les contrôles, (Voir "cartes" dans l'appendice 2) et c'est ainsi que ma mère apprit dès Mai 1945 que j'étais encore en vie. Comme je l'ai mentionné, le 2ème Boppardien qui fit passer mon adresse en fraude à la maison fut Klotten de Boppard (malheureusement, il était déjà mort avant mon retour à la maison).

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