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TEMOIGNAGE DE HORST FUSSHÖLLER
- Rheinallee 50 - D. 56154  BOPPARD
 (ancien prisonnier de guerre du camp 1102 Rennais)

Le camp 1102 de Rennes

Page 3

Horst Fusshöller PGA

Ed:04/06/12

Extraits du livre "Errinnern ohne Groll" de Horst Fusshöller "(Sans ressentiment)

( Traduction par Mme Verdys-Piel Maryvonne-  Mai 1998)

 

Comment nous fûmes faits prisonniers| La première nuit de captivité | St Pierre de Trèves | Stenay | Le camp de Rennes | Le camp"kaiser" | Le troc | Offre d'emploi | Les corvées | Détachement au magasin de ravitaillement |Les punitions | La faim | La fin de la guerre | Le camp sous administration française | Matricule 548269 | "La ration famine" | L'aide de la Croix rouge InternationalePolo | Son passage dans un commando de déminage à Hourtin  | 1946 | Socoa | Hourtin-Plage | St-Perdon|

 

Le camp sous administration française

Les journées jusqu'au vendredi 22 juin n'apportèrent pas d'évènements notables; pourtant, le samedi 23 allait apporter un ordre foudroyant pour sept personnes du commando de ravitaillement. On savait que le camp12 de Rennes allait être transmis par les Américains à l'armée française. Nous étions aussi informés que tout le commandement du ravitaillement allait être muté avec les Américains en Allemagne à Hof en Franconie. Pourtant, les sept hommes, et j'étais l'un d'eux, n'étaient pas sur la liste. On avait échangé nos noms. A notre place, il y avait les noms de l'adjudant chef de première classe Georges Haas et six autres inconnus de nous, mais vraisemblablement amis de Haas. Nous ne fûmes pas seulement bouleversés, nous avons pleuré comme des veaux, car il était clair pour nous que revoir bientôt notre pays n'était désormais plus possible. Angoissé et désespéré, je suis allé vers le Sergent Woodbine et je l'ai prié en pleurant de faire quand même corriger la liste. Lui qui, lui-même, n'avait rien à faire avec la mise en liste des noms, essaya bien de faire de son mieux, mais il dût nous dire ensuite qu'il ne pouvait plus rien y changer. D'ailleurs, Haas ne se fit plus voir à ceux qui restaient (mes essais pendant des années pour dénicher Haas furent malheureusement sans succès).

Pour la transmission du camp, des membres de l'armée française étaient déjà dans le camp et ils furent introduits dans les organisations. La dernière chose que Woodbine  pouvait faire pour nous, il la fit. Il alla avec nous vers son successeur français et indiqua à celui-ci l'exigence que nous devions continuer tous les sept à être occupés au ravitaillement (Woodbine savait très bien que rester dans le commando de ravitaillement, c'était  nous maintenir en vie, nous qui étions de jeunes gamins) Ceci lui fut confirmé, et c'est ainsi que j'ai fait face ensuite avec résignation au jour du départ des Américains le 25 juin.
Notre camp de prisonniers sous l'administration française, avait la désignation de "camp 1102" et appartenait au terrain militaire 11.

Le chargement eut lieu à l'intérieur du dépôt de ravitaillement où se trouvaient désormais les wagons qui allaient rapprocher nos autres camarades de la Liberté. Je pleurais sang et eau et il en était de même pour les six autres lorsque le train se mit lentement en mouvement. Mon ami Karl Dura de Rheinberg était parmi les heureux. Il me serra la main, me parla gentiment et le train qui partait lentement, nous sépara pour longtemps. Cela allait durer 45 ans jusqu'à ce que nous nous sommes revus à Boppard.
Ce que Hegesweiler m'a raconté beaucoup plus tard, fut qu'un groupe allemand de musiciens, avec les instruments de la cage 1, fut muté avec lui au pays. Axel von Wachtmeister, ténor de Saarbrücken, et le baryton Hermann Stam de Stuttgart devaient en avoir fait partie. Les deux artistes peintres Oertl et Kastner ainsi que l'aumônier de la Marine Bernhard Knoche étaient aussi parmi les chanceux.

Matricule 548269

La politique avait voulu qu'en Juin plus de 740.000 Prisonniers de guerre allemands furent livrés par les forces de combat des Etats Unis à la France.
Nous avons alors obtenu aussi un nouveau n° de prisonnier. Le mien était 548269. Pour nous, la vie quotidienne que nous connaissions, persistait et, à notre désespoir, après la défaite, succéda la résignation et la nouvelle adaptation à l'inévitable. Le Jeudi 28 Juin, c'était mon 20 ème  anniversaire, ce n'était pas un jour à fêter. Pour quoi donc? !  Le mois de Juillet se passa sans rien de mentionnable si on fait abstraction du  mauvais temps dans la nuit du mardi 17 Juillet. La tempête fut si forte que nous sommes tous sortis de nos tentes malgré la pluie pour empêcher que les tentes ne s'envolent, en maintenant fermement les câbles des tentes.

Mais le mois d'août allait être caractérisé par quelques évènements particuliers, surtout le lundi 6 août. Dans le camp courut la nouveauté de la chute de la première bombe atomique, mais nous ne savions pas où. Et le jour le plus pénible de notre destin se rapprocha de nous. Tous ceux d'entre nous qui étaient du camp 7 (Kaiserlager) furent rassemblés et on nous fit savoir que dorénavant, nous ne serions plus autorisés à travailler dans le service du ravitaillement.

Comme justification, on a dit que la plainte était venue du chef de camp allemand d'une autre cage que nous faisions venir au camp 7, donc à notre propre camp, plus de miches de pain qu'aux autres camps. Le fait était que, généralement, nous mettions deux miches de pain en plus de ce qui était permis dans tous les sacs de papier. Dire des sacs qu'ils allaient seulement au Kaiser-Lager 7 avec plus de miches n'était pas du tout possible, étant donné le grand nombre de sacs lorsqu'on pense qu'il s'agissait bien tout de même de 50.000 prisonniers ou plus. Après notre exclusion, le nombre de pains a certainement été plus correctement observé, donc moindre pour tous. Ce ne fut pas la première fois et la dernière non plus que c'était un camarade allemand qui nous a traîné dans la boue.   
Cela devait se répéter une troisième fois en 1948 ! Ceci n'est pas une expérience que je fis seul. Hegesweiler me raconta, de retour au pays, qu'un adjudant chef de première classe allemand a exigé de lui qu'il donne des couvertures de laine provenant des stocks de son camp. Comme il refusait, en peu de temps, il fut relevé de son poste au camp1et muté à la détection des mines à Nantes (Loire). Il vaut la peine de mentionner que la cohésion entre les frères d'armes de Roumanie internés avec nous dans le même camp était autrement admirable. Il est vrai qu'il n'y en avait pas beaucoup, pourtant les Roumains étaient inséparables. On pouvait dire : "un pour tous, tous pour un". Chacun se mettait vraiment en quatre pour l'autre.

"La ration famine"

Donc, le 11 août, je fus à nouveau mis à la ration famine. Je me souviens que du pain immangeable nous fut distribué à cette époque là. Les miches étaient pourries parce qu'elles étaient complètement moisies. Si jamais on laissait tomber un pain de ce genre là, il y avait un nuage de poussière dans des couleurs allant du noir intense à toutes les couleurs de l'arc-en- ciel. Pourtant, la faim était si grande qu'on ne pouvait pas se permettre de jeter le pain abîmé. C'est ainsi que nous eûmes l'idée d'émietter les miches et, en y ajoutant de l'eau, de les bouillir aussi longtemps qu'il fallait pour que naisse un bouillon sombre couvert d'écume

Ensuite, l'écume était puisée à la louche jusqu'à ce que le bouillon se fût épaissi sans écume. Mais celui-ci était alors encore partagé correctement. On avait bien toujours faim et cette sombre bouillie était donc aussi avalée tout de suite. Comme j'étais  moi-même encore bien en possession du vieux "laisser-passer" du camp, mon camarade de tente et ami Karl Möhl me proposa une idée salvatrice. Contre le consentement, par exemple, d'un kilo de pain et d'une livre de graisse, il se procura une paire de vieilles chaussures de nos autres camarades. Mais celles-ci devaient être désormais vendables et être ensuite proposées par moi aux gardiens français que je connaissais encore. Donc, il s'agissait d'abord de faire du neuf avec du vieux.

Cela se passa de la façon suivante: l'emballage d'outre-mer des marchandises américaines comme, par exemple pour les rations "C", était constitué de cartons plongés dans de la cire. On en enlevait ensuite tous les deux la cire en la grattant, et puis on faisait fondre celle-ci en la mélangeant avec la suie du tuyau de poêle pour obtenir une pâte noire. L'intérieur de la chaussure encroûté était d'abord raclé avec un éclat de verre jusqu'à ce qu'il ressemblait à de la peau de chamois. S'il manquait en plus un clou (les troupiers allemands portaient bien des "cloutés"), on se chargeait d'en trouver un pareil ou même le nombre des clous qui manquaient contre l'assurance d'un échange. La tâche de Karl était alors d'insérer les clous dans les trous qui étaient encore ouverts dans les semelles de la chaussure nettoyée à fond. En dernier suivait la suture du cuir du dessus, qui était souvent déchiré, avec de la pâte de cire noire.

Polie, emballée dans du papier, c'était ensuite ma mission. Je réceptionnais la marchandise et je l'échangeais grâce à mon "laisser-passer" encore valable du camp 7 dans le milieu des soldats de garde que je connaissais. C'est à dire que Je pouvais même me rendre jusque dans les autre cages. C'était là que commençait le marchandage pour le prix en faisant strictement attention à ce que, lors de l'expertise des chaussures, le soldat français ne puisse prendre la chaussure en mains ou ne jamais même la courber avant que je n'obtenais la marchandise échangée et que je ne m'étais éloigné.

Mais, grâce à quelques connaissances de la langue française, j'ai toujours réussi, dans l'échange, à obtenir tant de denrées alimentaires en plus que, non seulement notre responsabilité en face des autres camarades sous-traitants pouvait être assumée, mais Karl et moi en arrivions lentement à nous entasser une ration de secours de pain sec et c'est pourquoi on n'avait pas nécessairement besoin de la ration famine du camp.

L'aide de la Croix rouge Internationale

Notre situation fut de plus en plus améliorée par un soutien sans précédent réussi par l'I.R.K. (Internationales Rotes Kreuz) (Croix Rouge Internationale). Les 18 et 19 août,  arrivèrent à la distribution, des gâteaux Bahlsen, de la confiture, des lebkuchen, du fromage, du tabac, et des cigarettes. Ce fut pour nous tous un évènement ressemblant à Noël même si les quantités par tête étaient bien entendu modestes.

Pendant de longs mois et de longues années dans les camps de prisonniers, à côté de la faim, des "rumeurs" faisaient autorité en réapparaissant toujours, de temps en temps, chez les prisonniers pour les déprimer ou les décourager. C'est-à-dire qu'on parlait sous cape de libérations prochaines, de transfert dans un camp plus proche du pays, de visites imminentes du camp par l'IRK(113), avec l'espoir d'améliorations de vie. De plus en plus, la rumeur qui s'est faufilée à partir de la mi-août dans le camp de Rennes, de tente en tente, c'était qu'un transport de prisonniers devait avoir lieu vers le Sud de la France. On devait y être affectés dans les vignobles, les magasins de poissons, l'agriculture. Il devait y avoir quelque chose de vrai là-dedans! Cela ne pouvait pourtant pas être des mots d'ordre de chiottes, car y avait-il un meilleur indice d'assurance que d'apprendre que même des membres de la police du camp ou même "l'homme de confiance" de la cage s'étaient volontairement déclarés pour le transport vers le sud.

Il était donc inévitable que tous ceux de la tente des anciens rationnés se déclaraient également près du chef de camp (les chefs de cage étaient toujours des Allemands sans distinction!) volontaires pour le transport vers le sud de la France et qu'ils y fussent aussi rapidement acceptés. Le transport devait encore démarrer avant fin août et c'est ainsi que je me suis vite procuré au marché noir un imperméable d'occasion O.T., car depuis ma capture comme prisonnier, je ne possédais plus de manteau. Pour ne pas courir le danger qu'on m'enlève celui-là lors de la prochaine fouille, j'ai écrit au moyen d'un pochoir en carton et de dentifrice, en utilisant celui-ci pour la couleur, en grands caractères, les lettres "P.G." (Prisonnier de Guerre) sur le dos du manteau.     

Le lundi 27 août arriva, le jour où, deux ans plus tôt, j'étais devenu soldat et, le lendemain, le 28, il s'agissait pour moi et beaucoup d'autres camarades d'emballer nos nippes et d'aller de nouveau à l'intérieur du camp de Rennes pour être chargés dans un train de marchandises avec des wagons ouverts. Où allait-on nous emmener? Qu'est-ce qui pouvait bien nous attendre au sud? l'espoir que cela irait désormais mieux pour nous.

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