CONSEIL DE LA REPUBLIQUE
Paris, le 15 novembre 1956
MISSION de la FAMILLE,de la POPULATION
et de la SANTE PUBLIQUE
Conseil de la Famille, de la Population
Et de la Santé publique
Le Président
CERTIFICAT
Je soussigné certifie avoir connu à la Prison La Fayette à
Nantes, où il était incarcéré par l’armée d’occupation, M. Roger
Jaunasse demeurant au Dresny-en-Plesse. Son incarcération datait du
25 juillet 1944.
J’étais moi-même dans cette prison, dans une même cellule avec M.
Abel Durand, alors délégué du Secours national à Nantes, M .Nicolas,
ingénieur en chef des Ponts et Chaussées du département de la
Loire-Inférieure et M. Moinard, Secrétaire général de la Mairie de
Saint-Nazaire.
La plupart des incarcérés ont été enfournés le 4 août dans un train
qui quitte la gare-Orléans vers 19heures. Ce convoi, aux péripéties
diverses, mit onze jours pour atteindre Belfort où le 15 août nous
fûmes enfermés au Fort Hatry.
Bien qu’assez isolés dans cette ancienne caserne française, nous
pouvions juger du désordre dans lequel se débattaient les services
allemands dont les armées étaient bousculées et de l’Ouest (Armée
américaine) et du Sud (Armée française).
Des convois de chemins de fer passaient nuit et jour sur la voie
ferrée Paris Belfort-Mulhouse, située au pied même de la caserne
Hatry. Le commandant de la prison, capitaine assez âgé et peu
acerbe, ancien combattant de la première guerre mondiale, souhaitait
vivement réintégrer l’Allemagne avec son contingent de prisonniers.
Malgré ses demandes visant à ce but (nous l’apprîmes plus tard), il
lui était opposé la priorité des convois militaires. L’idée d’être
fait prisonnier par les troupes d’occupation lui était d’autant plus
importune qu’il aurait à répondre de plusieurs exécutions sommaires
qu’il aurait laissé faire au cours du trajet Nantes-Belfort.
Un sous-officier de la Wehrmacht, Alsacien d’origine, ancien
sous-officier d’artillerie française, fait prisonnier en 1940 puis
réintégré dans l’armée allemande, Charles Schlagdenhaufen, «
Charly », maintenant décédé, originaire de Geispolsheim (Bas-Rhin)
qui nous avait, pendant le séjour à Nantes et pendant le voyage,
témoigné discrètement mais très effectivement de son intérêt,
suggère au capitaine commandant la prison de se libérer d’une partie
importante de ses prisonniers dont les dossiers n’avaient pas suivi
les personnes. Ainsi allégé d’une part de son contingent, il lui
serait plus facile d’obtenir quelques wagons pour réintégrer, avec
ce qui lui resterait de prisonniers, la frontière allemande. Le
commandant de la prison accepte sous réserve d’être couvert par un
officier de la Justice militaire allemande. Charly obtint le
concours de l’un d’eux qui envisage de laisser sortir par petits
paquets 207 prisonniers, mais sans décharge et sans papiers
officiels de mise en liberté. Le fait est si vrai que M. Nicolas,
Ingénieur en chef des Ponts et chaussées, fut arrêté à nouveau par
une patrouille 20 minutes après sa sortie du Fort Hatry, par une
patrouille et qu’il ne s’en sortit que par sa parfaite connaissance
de la langue allemande.
Pendant le séjour au Fort Hatry, j’avais été chargé de la visite
médicale des chambrées d’Hatry. J’étais surveillé au cours d’elles
par un sous-officier infirmier allemand répondant au nom de Paul.
J’obtins de faire évacuer sur l’hôpital civil de Belfort un petit
nombre de prisonniers dont l‘état était plus particulièrement
précaire. J’essayais, sans résultat, de l’obtenir pour Roger
Jaunasse atteint de diarrhées profuses et qui portait sur le corps
les traces des sévices dont il avait été victime à Nantes. Il était
fébrile, très abattu, adynamique, déshydraté.
Sorti de prison le 27 ou 28 août, Roger Jaunasse tente de se
réfugier à Giromagny. Nous n’étions alors séparés, ayant été
recueilli personnellement à Morvillars dans la famille Viellard.
Mais M. Roger Jaunasse fut repris à Giromagny par des S.S. qui nous
recherchèrent tous dans la région après notre échappée de Fort Hatry.
Roger Jaunasse peut donner des précisions contrôlables sur le mode
d’internement dont il fut victime.
Demeuré caché à Morvillars en attendant les premières troupes
françaises dans lesquelles je souhaitais reprendre du service. J’ai
pendant les mois de septembre et octobre aidé un certain nombre de
camarades à passer la frontière à Delle, du fait de la connaissance
très précises que j’avais acquise des lieux. Jaunasse fut du nombre.
Il passe la frontière suisse en fin octobre 1944. je pus me rendre
compte que son état de santé était toujours déplorable.
Le même jour, j’aidais à passer la frontière à M. Joseph
Moyse,
horticulteur à Nantes, qui peut toujours en témoigner.
Inutile de préciser que ces passages étaient dangereux, la frontière
étant toujours gardée par un personnel militaire important dont il
fallait supputer les heures de tournées et les allées et venues.
Jaunasse n’aurait pas eu à encourir ces périls s’il s’était
considéré comme en liberté à Giromagny.
Ces longs détails affirmés sur l’honneur et toujours très présents à
ma mémoire semblent infirmer les conclusions du Commissaire
rapporteur qui se refuse à considérer que l’incarcération de Roger
Jaunasse à été inférieure à 90 jours.

Docteur René DUBOIS
Maire de La_Baule
Sénateur de la Loire-Inférieure
Président de la Commission de la Famille,
de la Population et de la Santé publique
au Conseil de la République
|