
Les 2 et 3 août 1944, alors
que la ville de Rennes va être libérée le 4, deux trains de
prisonniers quittent la Courrouze et La Prévalaye. Ils prennent la
direction de Redon. Tout au long du parcours qui va durer 14 jours
sous une chaleur torride, des prisonniers sont ajoutés.
Résistants, otages, politiques, soldats
américains, canadiens, britanniques, coloniaux, allemands, russes,
hommes, femmes, ils seront plus de 1.500 entassés parfois jusqu’à 60
dans des wagons à bestiaux. Il est et restera impossible d’établir
de manière exhaustive et sûre leur nombre exact que certains
témoignages évaluent à plus de 2.000.
Quelques-uns parviendront à
s’évader. D’autres seront tués par les gardes allemands lors de
tentatives d’évasion ou encore à Langeais par des avions alliés lors
du mitraillage du convoi dont les deux rames ont été raccordées au
Lion d’Angers.
Plusieurs de ces prisonniers qui auront eu
la chance d’échapper à la déportation ou d’en revenir évoqueront un
certain " Charly "qui a contribué à la libération d’un nombre
important d’entre eux.
Du 24 au 29 août 241
prisonniers dont 70 femmes seront en effet relâchés grâce à l’action
de " Charly ".
Il a été très difficile de retrouver la
famille de Charles SCHLAGDENHAUFEN alias " Charly ". Les
fastidieuses recherches que j’ai menées sur deux années n’ayant pas
donné de résultats significatifs je m’étais résolu à abandonner,
persuadé d’avoir épuisé toute possibilité. Mais, surprise, le 13
juillet 2014, un message laissé sur le répondeur téléphonique me
conduisait à rappeler son auteur, Henri GERE, qui m’indiquait être
le filleul et neveu de Charles SCHLAGDENHAUFEN. Il m’apprenait que
celui-ci a eu trois enfants.
Grâce à cette information,
je parvenais à entrer en contact avec Danielle, la fille aînée de
"
Charly
".
Charles
SCHLAGDENHAUFEN est né le 8 juillet 1916 à Kehl. Il réside ensuite à
Gespolsheim et Haguenau dans le Bas-Rhin.
Le 15 octobre 1937, il est
incorporé au 185ème Régiment d’artillerie lourde à
Valence. Il est promu Brigadier le le 31 décembre 1938. Maintenu
sous les drapeaux le 2 septembre 1939, le 31 décembre il est nommé
Maréchal des Logis.
Le 17 juin 1940 les troupes
allemandes entrent en Normandie. Le 24 Charles SCHLAGDENHAUFEN est
fait prisonnier avec toute sa Batterie près d’Ecouché dans l’Eure.
Reconnu Alsacien, les Allemands le libèrent le 31 juillet. Il
regagne l’Alsace, s’y marie le 12 février 1943. En 1943 naît
Danielle, première de ses 3 enfants. Les deux autres, un garçon et
une fille, suivront en en 1947 et 1950.
Un incident à propos du prénom de sa fille
Danielle déclarée sous celui de Monica, contrainte de l’Alsace
annexée, lui vaut son incorporation de force dans la Wehrmacht le 20
avril 1943. Il est immédiatement affecté dans une Unité antichars à
Francfort-sur-Oder. Son bilinguisme lui permet d’obtenir rapidement
une affectation à la compagnie des interprètes à Berlin.
Le 24 décembre 1943, il
arrive à la prison de Nantes en tant qu’interprète et adjoint au
surveillant-chef allemand. Immédiatement il s’engage dans l’action
anti allemande et la Résistance. Il collabore avec le
surveillant-chef français Théo Gillet et le commis-greffier Corno.
Théo Guillet est impliqué dans le Mouvement Libération depuis 1942.
L’action de "
Charly
"
commence par la
transmission, la circulation du courrier et des colis, puis les
liaisons entre les chefs et compagnons de la Résistance,
l’organisation, la nuit, de réunions entre les chefs internés et
aussi avec ceux à l’extérieur, la liaison avec les familles.
Le 4 août 1944 des
prisonniers de la Maison d’arrêt de Nantes sont incorporés au convoi
et Charles SCHLADENHAUFEN est affecté en qualité de chef de groupe à
la surveillance d’un wagon. Ces prisonniers-là déclareront combien
la mansuétude dont ils auront bénéficié aura atténué leurs
conditions de transport. Au cours du trajet, il favorise même
l’évasion de trois prisonniers à l’approche de Dijon.
Dès l’arrivée du convoi à
Belfort le 15 août dans la matinée et l’enfermement des prisonniers
au Fort Hatry, Charles SCHLAGDENHAUFEN, s’emploie à faire libérer
des captifs. Les voies ferrées entre l’Est et l’Allemagne étant
saturées par les transports prioritaires de matériel et de renforts
militaires, "
Charly
". argue auprès de
son chef allemand de l’avantage que celui-ci pourrait retirer de la
réduction du nombre d’incarcérés pour leur acheminement vers les
camps en Allemagne et son propre salut face à l’avancée des troupes
alliées et françaises. Il met en avant l’absence de dossiers. Il en
trafique d’autres, détruit un certain nombre. C’est ainsi que 241
prisonniers dont 70 femmes vont être relâchés du 24 au 29 août. La
plupart s’éloigneront jusqu’à Giromagny avec la recommandation de
disparaître du secteur dans les plus brefs délais afin d’échapper
aux recherches. Parmi eux, Marguerite Duthuit, la fille du peintre
Henri Matisse ou encore le Dr
Dubois chirurgien et futur Maire de La Baule. Par lettres
personnelles ou signées collectivement, nombre de bénéficiaires de
cette initiative éminemment risquée menée par " Charly " lui
manifesteront leur gratitude Cependant aucune reconnaissance
officielle ne lui sera octroyée pour ces actes de bravoure qui ont
sauvé la vie à plus de 245 personnes et peut-être même davantage.
L’eût-t-il d’ailleurs accepté.
Conscient des risques qu’il
encourt, "
Charly
" déserte la
Wehrmacht le 23 novembre 1944. Il continuera son œuvre humanitaire
puisque à partir du 1er mars 1945, il exerce la
responsabilité de chef du service financier et comptabilité au
centre de rapatriement de Strasbourg, guettant les visages connus.
Dans une lettre datée du 11
juin 1945, il écrit : " …Ce
n’est que maintenant que je trouve une heure de libre pour répondre
à votre gentille lettre. J’espère que vous ne m’en voulez pas trop.
Je suis depuis 3 mois très occupé par le rapatriement des déportés
et ceci du matin au soir. Même le dimanche. Vous pouvez certainement
vous faire une idée que ce travail m’intéresse beaucoup car j’ai
toujours espoir de revoir des anciens camarades de Nantes. J’en ai
vu partir beaucoup le cœur et les dents serrés j’assiste à présent à
leur joyeux retour. Malheureusement on ne les reverra pas tous et
beaucoup sont dans un triste état. Ici la vie normale reprend
maintenant que cette maudite guerre n’est plus qu’un cauchemar, mais
que nous réserve l’avenir ? (…) Il n’est surtout pas question
de reconnaissance car ce que j’ai fait était tout simplement le
devoir d’un bon Français. Si j’avais mis cet uniforme qui me faisait
tant horreur, je l’ai fait dans l’intention de leur nuire le plus
que possible et croyez-moi j’ai assez bien réussi. J’espère
que nos malheureux camarades déportés reviennent bientôt à leur
tour (…) "
Autre lettre, à M.
Jaunasse prisonnier
dont il a contribué à la libération mais qui sera repris
ultérieurement : " …moi-même comme vous l’avez appris j’ai eu une
sacrée chance de pouvoir m’en tirer aussi facilement. Souvent en
consultant la liste des malheureux condamnés que j’ai eu soin de
garder je vous revoyais tous l’un après l’autre, la joie de ceux qui
ont eu la chance de s’en tirer à Belfort, les autres tristes et
déçus. Vous pouvez certainement vous faire une idée combien j’étais
malheureux lorsque les SS ont pris possession d’eux deux jours après
votre départ. Quel triste sort les attendait et cela si près de la
libération. Vous me demandez de leurs nouvelles. Certainement que
vous en avez reçu entre temps. Malheureusement elles ne sont pas
bonnes et ceux qui sont revenus doivent garder un triste souvenir de
leur séjour dans ce maudit pays. Pourrait-on jamais venger tous ces
bons Français assassinés par ces barbares. (…) ".
Le 26 août 278 hommes
étaient envoyés au camp de concentration du Struthof à Natzweiler.
Les jours suivants d’autres partaient pour Neuengamme et Buchenwald.
Le 1er septembre les femmes étaient transférées à
Ravensbrück.
Le 23 mai 1952 Charles SCHLAGDENHAUFEN
meurt d’une crise cardiaque. Il était âgé de 35 ans.
Généreux geste de
reconnaissance dû à l’initiative d’un prisonnier du convoi, une rue
de Nantes porte le nom de " Charly ". Ce nom a été donné par M.
Joseph MOYSE, résistant au
sein du réseau Stuart, prisonnier du Train de Langeais et libéré
grâce à " Charly ". Les trois rues de ce lotissement, face à la CAF
route de Vannes, créé en 1954 sur des terres appartenant à M. MOYSE
portent pour noms : rue Charly, rue Joseph Moyse et rue Stuart (nom
du réseau auquel appartenait M.MOYSE).

Serait-il déraisonnable
qu’un jour un acte officiel de reconnaissance soit enfin décerné à
la mémoire de Charles SCHLAGDENHAUFEN.

Attestation de Charles Schlagdenhaufen pour madame Meury (Source:
AVCC Caen)
Jean-Claude BOURGEON en collaboration avec la famille
Schlagdenhaufen |