
18 prisonniers d'un wagon où se trouvaient des officiers américains et 3
correspondants de guerre français sautent du train en marche. Parmi eux, Pierre Bourdan, qui avait été fait
prisonnier dans la banlieue de Rennes. Journaliste, membre de l'équipe française de la
B.B.C.,.."
Pierre Bourdan1
"La nuit tombait vers dix heures
et quart ou dix heures et demie et elle était complète à onze
heures ou onze heures et quart. La lune se levait à peu près au
même moment, mais n’éclairerait qu’un peu plus tard. Il y avait
donc une demi-heure "favorable ", dont il faudrait profiter. Le
train s’arrêta à plusieurs stations et finalement à
Saint-Martin. C’était l’avant-dernière gare avant Saumur et il
faisait encore jour. Heureusement, il y eut un contretemps.
L’arrêt se prolongea. D’une maison voisine, des jeunes filles
arrivèrent, accompagnées d’un petit garçon, pour nous apporter
des fruits. Les gardes s’opposèrent d’abord à leur passage, puis
se ravisèrent. Elles étaient jeunes et jolies. L’un de nous
s’excusa d’être aussi peu présentables. Elles répondirent "bah,
cela ne fait rien ! Ce sera bientôt fini vous reviendrez nous
voir tout frais rasés. " Nous répondîmes assez légèrement.
Peut-être plus tôt que vous ne pensez. "Puis, elles s’écartèrent
du wagon, tout en restant sur le bord de la voie.
L’ombre s’épaississait. Rabache et l’un des Américains se mirent
au travail sur leur planche, du côté opposé aux volets par
lesquels nous passions la tête car nous étions à contre-voie et
il était préférable de sauter du côté du talus. A contre-voie,
on risquait l’entorse, et si un premier garde nous ratait, il
défilerait bon nombre de wagons d’où on ne nous raterait pas.
Tandis qu’ils travaillaient, nous parlions naturellement à voix
haute et la présence des jeunes filles, qui s’étaient écartées
assez pour justifier un diapason élevé, mais pas assez pour être
hors de portée, facilitait les choses. Cette conversation à
distance, sur la pluie et le beau temps ou sur les quartiers de
Paris (les jeunes filles étaient Parisiennes), finit par agacer
les gardes, mais, en intervenant, ils nous donnèrent l’occasion
d’une querelle que nous entretînmes avec assez d’animation pour
qu’elle fût bruyante, mais non pas assez violente pour les
pousser à bout ceci en petit nègre allemand, mêlé de gestes, car
Rabache n’était plus là.
Quand le train reprit sa marche, il n’y avait plus qu’à retirer
la planche. Puis, ce fut le travail au tournevis. Il dura cinq
minutes — beaucoup moins longtemps que nous ne l’avions prévu
—cinq minutes pendant lesquelles nous continuions de parler à
voix haute, dans le wagon, ce qui, d’ailleurs, était notre
habitude jusqu’à une heure tardive. Nous n’avions guère à nous
préoccuper de couvrir le léger bruit que faisaient nos
camarades, car le train menait constamment un vacarme infernal ;
mais notre silence eût été suspect. Dix minutes pendant
lesquelles nos cœurs battaient ferme. Et tout fut prêt. Et le
calme revint, un calme absolu.
Avant de pousser la porte sur sa glissière, nous prîmes des
dispositions rapides. Quatre d’entre nous sauteraient aussi vite
que possible, l’un près de l’autre ; les trois Français et
Walter. Cinq minutes plus tard, s’il n’y avait pas d’accroc, les
quatre officiers américains feraient de même. Pour nous, si les
Allemands ne tiraient pas, rassemblement près du point de chute
du premier, attendant au bas du talus, les trois autres
remontant la voie, s’il y avait lieu, pour le rejoindre. Si nous
ne nous retrouvions pas en quelques minutes, nous filerions à un
angle de 45 degrés avec la voie. Au moment où Gosset et Rabache
faisaient les dernières recommandations d’usage sur la procédure
à suivre "au cas où... ", Walter, n’y tenant plus à la première
bouffée d’air, avait déjà fait jouer la porte et était assis,
les jambes ballant en dehors du wagon.
La nuit était un peu trop claire à notre gré, mais le terrain
était favorable talus dévalant et buissons. " Qu’il y aille ",
souffla Gosset. Je murmurai " Go ahead " et Walter ne se le fit
pas répéter. Il sauta. Le train allait à trente-cinq ou quarante
kilomètres à l’heure. Je sautai, ou plus exactement plongeai si
tôt après lui, que j’eus l’impression de le doubler en l’air.
Mon premier contact avec le sol fut malencontreux. Ma tête et
mon corps avaient bien franchi l’entablement et étaient aplatis
contre le talus en contrebas, mais mon pied droit s’était pris
dans le filin d’acier qui longe la voie. Je me débattis comme un
lapin au piège, mais le dégagement ne se fit pas sans un "tzing
" prolongé qui me parut retentir et courir le long de la voie
comme une sonnerie d’alarme. Tête la première, je me jetai, d’un
seul élan, dans un buisson de ronces et le traversai en force de
part en part. De l’autre côté, je trouvai une sorte de fossé de
mousse ; une tranchée naturelle exactement perpendiculaire à la
voie ferrée et au-dessus de laquelle les broussailles et les
arbustes faisaient une voûte parfaite. L’endroit était idéal. Je
m’y terrai, suffocant, attentif, avec une conscience purement
animale celle de la bête qui retrouve par tous ses sens son
élément d’air et de liberté, qui pense avec son nez, son ventre,
ses poumons, ses pattes. Le train roulait toujours, wagon par
wagon. Il était long, et parut interminable. Puis j'entendis les
cahots plus rocailleux, plus ballottés du wagon de queue. Il
s’éloignait. La locomotive siffla. Elle décrivait sa courbe vers
Saumur. Il n’y avait pas eu un coup de feu. C’était inespéré. Je
respirai de tous mes pores. La mousse sentait bon. C’était
frais. L’air passait, roulait sur moi comme une eau miraculeuse.
On eût dit que tout mon corps était traversé de rayons heureux,
se fondait à la terre, à l’air, au ciel, éprouvait une
allégresse inouïe en dehors du temps et de toute joie connue des
sens ou de l’esprit. Il me fallut quelques secondes pour
éprouver que mon visage et mes mains ruisselaient de sang :rien
de plus d’ailleurs que des égratignures, au nez, au menton, aux
joues, aux doigts. Il fallait retrouver mes amis. Ils étaient
saufs, puisqu’on n’avait pas tiré. J’écoutai. Il y avait des
bruissements de feuilles, de branches, de brindilles. Je sifflai
doucement, puis, jugeant qu’il n’y avait pas grand risque, un
peu plus fort, les premières mesures de "je tire ma révérence "
— probablement faux, d’ailleurs. Bientôt, Gosset apparut. Nous
nous empoignâmes aux épaules. Ses yeux brillaient et il souriait
jusqu’aux tempes. Aussitôt après, Walter émergeait d’un buisson,
la mèche en bataille, radieux, répétant "welle we’ve done it ",
dix fois de suite en me bourrant de coups de poing. Cette
sensation de liberté toute fraîche, inondée de parfums, pour la
connaître une fois dans sa vie, valait dix épreuves comme celles
que nous avions subies.
Mais Rabache ? Nous attendîmes quelques minutes. Puis Gosset
alla explorer la voie sur quelques centaines de mètres,
cependant que nous battions les buissons. Sans succès. Rabache
avait sauté et il ne s’était certainement pas blessé dans sa
chute, car, dans ce cas, Gosset l’eût retrouvé près de la voie.
Il avait dû filer à un angle de 45 degrés, comme nous l’avions
prévu au cas où nous ne nous retrouverions pas dans un délai
assez bref. Où qu’il fût allé, rien ne servait d’attendre plus
longtemps. Il fallait s’éloigner vite et le plus possible de
notre point de chute. Nous décidâmes de marcher toute la nuit
dans la direction Nord Nord-Ouest, qui faisait justement un
angle de 45 degrés avec le chemin de fer et qui nous écartait de
Saumur pour nous amener vers la pleine campagne et vers les
coins les moins habités de l’Anjou. Il faisait un clair de lune
superbe dont nous nous serions fort bien passés, mais nous
étions joyeux comme des enfants qui auraient mérité l’école
buissonnière."
|
Les
18 évadés
de Saint-Martin-de-la-Place le 6 août 1944
|
Le premier groupe |
BOURDAN Pierre. De son vrai nom Pierre Maillaud,
speaker à Radio Londres.
Né le 13 mai 1909 à Perpignan, Pierre Maillaud passe une partie
de son enfance dans la Creuse, au village du Bourg d'Hem, en
souvenir duquel il prend, en 1940, pour parler à la radio, le
pseudonyme de Pierre Bourdan. Il débute sa carrière comme
journaliste : il écrit dans "La Journée Industrielle", "Le
Soir", puis devient sous-directeur d'Havas à Londres ... Il est
à l'origine de "l'Agence française indépendante", à Londres dont
le réseau des correspondants et de distribution préfigure
l'organisation de l'Agence France-Presse. Il parle à Radio
Londres de juillet 1940 à juin 1944, participe à l'émission "Les
Français parlent aux Français" ... Il fut le 3 août 1940,
l'auteur de la célèbre affiche" La France a perdu une bataille;
mais n'a pas perdu la guerre. Correspondant de guerre, il est
arrêté par les Allemands près de Rennes le 1er août 1944. Il
traverse Rennes à pied sous bonne escorte et rejoint
le camp de prisonniers à la Courrouze, Il fait partie du dernier
convoi de déportés qui quitta Rennes quelques heures avant la
libération de la ville. Il réussit à s'échapper à
Saint-Martin-la-Place le 6 août 1944. Député UDSR à la première
assemblée constituante de la Creuse en 1945, puis de Paris en
1946, Ministre de la Jeunesse, des Arts et des Lettres, chargé
des services de l'information dans le gouvernement Ramadier du
22 janvier au 22 octobre 1947. A ce titre l'on peut considérer
qu'il est le ministre de la culture "créateur" du festival
d'Avignon et du festival de Cannes. C'est à Marly qu'il vient
se reposer et y écrit son célèbre "Carnet de retour avec la
division Leclerc. Dans le domaine des arts et des lettres, il
institue "l'aide à la première pièce", en faveur des auteurs
dramatiques. Il meurt prématurément à 39 ans au cours d'une
promenade en mer. Il est inhumé cimetière Boulhet de
Marly-le-Roi. |
GOSSET. Correspondant de guerre. |
RABACHE Servait d'interprète.
Correspondant de guerre fait prisonnier à Rennes début août 44. |
HEARNE Walter C Jeune commandant d'aviation
américain. Major (370 Groupe Air, Scottsdale, AZ) |
|
Le deuxième groupe: |
THOMPSON RJ Lt. (38e d'infanterie de Spokane
Washington). Blessé à la fesse droite, il est hospitalisé à
Rennes, rue Jean Macé. Entrée le 20 juin 1944, il ressort le 12
juillet pour être transféré au stalag 221 de
Saint-Jacques-de-la-Lande. |
SHREWSBURY Ralph D. Lt. (79e) de Caneyville, KY.
Blessé à la jambe droite, il est hospitalisé le 7 juillet 1944,
puis est transféré le 17 juillet au stalag 221 de St-Jacques. |
PICKETT W Lt. Vernon . 137th
Infantry Regiment, 35th Infantry Division. Blessé au bras droit
et à la cuisse droite. Hospitalisé le 18 juin 1944, il Il
s'évade à Saint-Martin-de-la-Place le 5 août 1944. |
|
Le
troisième groupe: |
EGAN Joseph G. Lt.. Co. K,
38e d'infanterie, 2e division d'infanterie américaine. RICHARDSON
Lieutenant. du 121e Infanterie
FISHER Donald R. (749e Bn Tank) à partir de
Gibsonia, Pennsylvanie |
CHIARINI, Henry J.,S/Lt., 47th
Infantry Regiment, 9th Infantry Division. S/Lt FOGARTY
Francis G. . Blessé aux cuisses, il est hospitalisé le 13 juin
1944. Il est ensuite transféré au stalag 221 de St-Jacques le 8
juillet 1944
HALL Charles A .Co. K, 38e d'infanterie, 2e division
d'infanterie américaine. Blessé au bras droit, poitrine et
l'épaule, il est hospitalisé le 28 juin 1944. Il est ensuite
transféré au stalag 221 de St-Jacques le 12 juillet 1944..
O'MALLEY James F. S/Lt, (357 régiment d'infanterie,
90e Division US, US Army). Entré à l'hôpital militaire de Rennes
de la rue Jean Macé, pour une blessure à l'épaule et au bras, le
9 juillet 1944, il est ensuite transféré au stalag 221 le 20
juillet. Il s'évade avec Robert KANE
ROBERTS Grover, Lt., 35th Division. Blessé à l'épaule
gauche, il est hospitalisé à Rennes le 14 juillet 1944, puis est
transféré le 25 juillet au stalag 221 de St-Jacques
POWELL Georges B. Lt., 4th Armored Division. Il
s'évade à Saint-Martin-la-Place le 5 août 1944.
. Blessé aux deux bras, il est hospitalisé à Rennes le du 21 au
25 juillet 1944. Transféré au stalag 221 de St-Jacques. ENGLAND John Kay Lieutenant. Unit :
Headquarters, 8th Parachute Battalion Service No. : 255222.
|
Yvonne Kervarec:2
"Près de Vivy, (Maine-et-Loire), le train s'arrête. Yvonne Kervarec
voit abattre un homme au pied de son wagon. Il s'enfuyait. A courte distance, une personne
agitait un mouchoir à la fenêtre (c'était sa femme, dit-on). Les soldats enterrent
sommairement le corps et, tandis que le train démarre, les femmes crient à un paysan,
travaillant dans un champ à proximité de la voie, ce qui vient de se passer." Sources: 1 Pierre Bourdan-"Carnet de retour avec la division
Leclerc" Édition Plon 1965
Né le 13 mai 1909 à Perpignan,
Pierre Maillaud passe une partie de son enfance
dans la Creuse, au village du Bourg d'Hem, en souvenir duquel il prend, en 1940, pour
parler à la radio, le pseudonyme de Pierre Bourdan.
Pierre
Maillaud débute sa carrière comme journaliste : il écrit dans "La Journée
Industrielle", "Le Soir", puis devient sous-directeur d'Havas à Londres
... Il est à l'origine de "l'Agence française indépendante", à Londres dont
le réseau des correspondants et de distribution préfigure l'organisation de l'Agence
France-Presse.
Il parle à Radio Londres de juillet 1940 à juin 1944,
participe à l'émission "Les Français parlent aux Français" ... Il fut le 3
août 1940, l'auteur de la célèbre affiche" La France a perdu une bataille; mais n'a
pas perdu la guerre."
"Les Britanniques se retrouvant seuls dans la guerre après
la signature de l'armistice, ils autorisent l'émission d'un
programme français à la B.B.C. d'une demi-heure. Les
responsables sont Darcie Gillie, Cecilia Reeves qui
encadrent les journalistes et l'équipe française. L'émission
originelle "Ici la France" débute dès le 19 juin 1940. Le 22
juin, Pierre Bourdan (de son vrai nom Pierre Maillaud)
dénonce l'attitude de Pétain ce qui entraîne des réprimandes
de la part du gouvernement britannique qui ne veut pas
brusquer le Maréchal. Michel de St Denis, sous le nom de
Jacques Duchesne, réunit une équipe parmi laquelle on compte
: Jean Marin, Pierre Bourdan, Jean Oberlé, Jacques
Borel (de son vrai nom Jacques Cotence), Maurice Van Moppès
et Pierre Lefèvre ceci dans le but d'organiser un programme
radiodiffusé sur la B.B.C. Tout ce petit monde fait ses
premiers pas le 14 juillet à 20h30. Cette émission prendra
bientôt le nom de "Les Français parlent aux Français". Au
début de chaque émission, Jacques Duchesne lançait cette
phrase "Aujourd'hui, (xeme) jour de la résistance du peuple
français à l'oppression" qui se transforma en "Aujourd'hui (xeme)
jour de la lutte du peuple français pour sa libération". Ce
même 14 juillet, l'émission "Liberté, Egalité, Fraternité",
qui deviendra "Honneur et Patrie", débute également. C'est
Maurice Schumann qui fut nommé porte-parole du général De
Gaulle et qui s'exprimait 5 mn à 20h25. En décembre 1940,
l'on attribue une nouvelle tranche horaire : à 12h00."
Source:
http://www.1939-45.org/articles/radio.htm |
Correspondant de guerre, il est arrêté par les Allemands
près de Rennes le 1er août 1944. Il traverse Rennes à
pied sous bonne escorte et rejoint le camp de prisonniers à la Courouze, Il fait partie du dernier convoi de déportés qui quitta Rennes
quelques heures avant la libération de la ville. Il réussit à s'échapper à Saint-Martin-la-Place le 6 août 1944.
Député
UDSR à la première assemblée constituante de la Creuse en 1945, puis de Paris
en 1946, Ministre de la
Jeunesse, des Arts et des Lettres, chargé des services de l'information dans le gouvernement Ramadier du 22 janvier au 22 octobre 1947. A ce
titre l'on peut considérer qu'il est le ministre de la culture
"créateur" du festival d'Avignon et du festival de Cannes., il agit pour la
liberté de la presse : projet de loi sur le statut de la presse, suppression de
"l'autorisation préalable".
C'est à Marly qu'il vient se reposer
et y écrit son célèbre
"Carnet de retour avec la division Leclerc"
"Dans le domaine des arts et des lettres, il institue
"l'aide à la première pièce", en faveur des auteurs dramatiques.
Il meurt prématurément à 39 ans au cours d'une promenade
en mer. Il est
inhumé cimetière Boulhet de Marly le Roi
Sources:
http://www.educreuse23.ac-limoges.fr/lpbourdan/qui.htm
Pierre Bourdan-"Carnet
de retour avec la division Leclerc" Édition Plon 1965
http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Bourdan
Lettre de Pierre Bourdan en 1942
Inauguration d'une plaque à la mémoire de Pierre
Bourdan
Témoignages d'officiers
américains recueillis par Jo Anna Sipley (2/10/2012)
|
|