André et Bernard LESAGE, résistants déportés
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Arrêté le 25 avril 1944 à Rennes, il est transféré de Rennes à Compiègne le 29 juin 1944, puis est déporté le 28 juillet 1944 de Compiègne vers Neuengamme. (Matricule 40071. Il décède le 28 août 1944 à Hambourg.
Le 2 février 1944, Victor Louviot et son adjoint "Henri Mabille, ainsi que quelques jours plus tard, Jean-Baptiste Pochard, sont arrêtés par la Gestapo. Bernard Lesage cesse momentanément toute activité jusqu'au jour où André le Chaton lui conseille de quitter le domicile familial, un collègue, l'inspecteur de police Monnier, se préparait à venir l'arrêter, comme réfractaire au STO. Madame Pochard, épouse de Jean-Baptiste, épicière rue Poullain Duparc à Rennes, le loge dans une chambre isolée au rez-de-chaussée de l'immeuble. Au début du mois de mars, Bernard Lesage rencontre à l'hôtel du Cheval d'Or, place de la gare, Jean Ligondais, pharmacien de la région nantaise, nouveau responsable de Libé-Nord après l'arrestation de Victor Louviot. L'hôtel, réquisitionné par les Allemands, est tenu par Mme Anne-Marie Tanguy et sa fille Paulette Redouté toutes deux agents des réseaux « Eleuthère et Bordeaux- Loupiac » et membres de l'A.S Compte tenu de sa connaissance du réseau, Jean Ligondais nomme Bernard Lesage au poste d'adjoint départemental. A ce titre, il assume plusieurs liaisons, dont la plus importante a été une mission à Quimper où il remet au responsable local, la liste d'une vingtaine d'agents du Finistère devant être arrêtés, liste qui avait été communiquée par André Le Chaton et sur laquelle figurait le nom de François Tanguy-Prigent (futur ministre sous la quatrième République). Vers la fin du mois de mars, Jean Ligondais et Bernard Lesage se rendent à Vannes pour rencontrer le commandant MORICE, nommé responsable départemental remplaçant le commandant GUILLAUDOT, arrêté et emprisonné. La personne qui les reçoit leur fait savoir que le rendez vous est annulé et leur remet un petit paquet comportant une croix rouge, mais qui en réalité, contient un revolver allemand. Le 19 avril 1944, une réunion de membres du réseau a lieu à l'hôtel du Cheval d'Or, dans le bureau personnel de Mme Tanguy pour préparer un parachutages d'armes à Drouges près de La-Guerche-de-Bretagne. Assistaient à cette réunion, outre Mme TANGUYet sa fille Paulette, Jean LIGONDAIS adjoint du général AUDIBERT, Jean MEINGAN, agent du B.O.A.(Bureau des Opérations Aériennes), Émile LE CELLIER agent P2 et Bernard LESAGE. Bernard LESAGE raconte son arrestation et sa déportation: "Donc, le 20 avril 1944, je me dirige vers la gare afin de me rendre à La-Guerche ; étant très en avance sur l'horaire de départ du train, je reviens sur mes pas en direction du Cheval d'Or – l'hôtel était situé à l'angle de la place de la Gare et du boulevard Magenta – en quête, le cas échéant, de consignes complémentaires. Un soldat de la Wehrmacht fait les cents pas sur le trottoir, je n'y prête pas trop attention, l'hôtel étant, comme je l'ai indiqué, en partie réquisitionné. Je rentre dans le bar ou deux clients » , attablés à chaque extrémité de la suite, lisent le journal. Je trouve que Louisette, la barmaid, a une attitude compassée, répondant à mon bonjour par un « Bonjour Monsieur», alors qu'elle m'appelle habituellement par mon prénom, et pour cause. . !!! car m' engageant dans le couloir qui mène, à gauche, au bureau ou nous nous réunissons, à droite, aux cuisines et au fond, à la salle de restaurant, je vois dans celle-ci Paulette REDOUTÉ qui me fait des signes désespérés, Anne-Marie TANGUY, sa mère, Jean LIGONDAIS, Émile LE CELLIER, Joseph MEINGAN et quelques agents d'autres réseaux arrêtés en ville et amenés à l'hôtel 'après avoir été matraqués, certains ayant le visage ensanglantés. Bien évidemment, je n'ai pas eu le temps de faire demi-tour, le sbire «français» Le Ruyet–- agent de la Gestapo–-, sortant de la cuisine ou il était en planque, me colle son revolver dans les reins et m 'envoie rejoindre mes infortunés camarades. C'est ainsi que prit fin mon exaltant passage dans la Résistance. Suite à mon arrestation, mon père se rend dans ma chambre rue Poullain Duparc, dans le but de faire disparaître tous documents compromettants, en fait, il les transmet à un agent qu'il connaît, je pense qu'il s'agissait d'André le Chaton, arrêté lui aussi peu de temps après. Les documents étaient très importants, ils étaient constitués des talons des fiches d'engagement des agents, qui n'étaient enregistrés que sous des noms de guerre ; des sommes versées aux agents P2, avec en plus la carte « Michelin » du département d'Ille-et-Vilaine sur laquelle étaient notés les terrains de parachutages agréés ou repérés. Incarcéré à La prison Jacques Cartier, j'apprends que le 25 avril, mon père, ma mère et ma sœur ont été, à leur tour, arrêtés par la Gestapo et qu'ils se trouvent donc sous le même toit que moi. Au cours de la première quinzaine du mois de mai, je suis amené à la Cité des étudiants, rue Jules Ferry, où siège la Gestapo. Interrogé par l'Allemand Fischer, torturé par le « Français » Le Ruyet– encore lui–, pendant une huitaine de jours, le dos noir des reins jusqu'aux cuisses, je ne pouvais dormir que sur le ventre. N'ayant aucune attache familiale à Rennes, c'est ma fiancée, Madeleine, qui avec le concours de sa mère, s'est occupée de nous quatre pendant tout le temps de notre incarcération, venant trois fois par semaine à la prison pour nous apporter un supplément de ravitaillement et changer notre linge, animée d'un grand courage devant l'adversité, prenant également en pension « Pompon », notre chien. Ce n 'est qu'en 1945 que j'ai appris que mon père avait été lui aussi torturé, ayant eu les mains écrasés sous des presses. Dans ma cellule–je n'étais pas dans celle ou était mon père– nous étions cinq détenus, dont M. Maillard, de QuestemBert (Morbihan). Le 7 juin, tôt le matin, un gardien vient le chercher en lui demandant de prendre toutes ses affaires personnelles. Avant de nous quitter, il me dit Bernard, je vais revoir Madeleine avant toi, le lendemain, il faisait parti des 32 fusillés de la caserne du Colombier. Pendant les vingt jours qui ont précédé notre départ pour l'Allemagne, tous les matins, dès que l'on entendait la clé tourner dans ta serrure, nous nous regardions en pensant : à qui le tour. Le 28 juin, en pleine nuit, nous quittons la prison et à pied gagnons le quai d'embarquement de la Courrouze où nous attend un train de marchandises. Nous montons dans les wagons à bestiaux et le convoi prend la direction de Nantes via Redon. Le même jour, vers 8 heures du matin, ma mère et ma sœur sont libérées, mais cela, je ne le saurai que le 3 juin 1945, à mon retour de déportation. De ce fait, pendant mon séjour outre Rhin, j'ai toujours pensé quelles avaient été, elles aussi, déportées. Après Nantes, il y eut de nombreuses évasions, rien que dans notre wagon, dont le fond avait été découpé, 14 détenus se sont échappés. Mon père et moi étions prêts à sauter lorsque nos gardiens, alertés par un garde-voie, mettant leurs mitrailleuses en batterie, prirent te train en enfilade. Si nous avions su ce qui nous attendait, nous aurions sauté quand même. Le convoi s'est arrêté un peu plus loin, 4 otages enchaînés et devant être fusillés si de nouvelles évasions avaient lieu. Compte tenu de cette épée de Damoclès suspendue au dessus de la tête de nos 4 camarades, il n'y eut plus d'évasions avant le but du voyage : le camp de Royallieu à Compiègne (Oise). Le 28 juillet, après avoir été rassemblées, nous sommes mis en file indienne et fouilles à corps, si bien qu'un détenu qui, avec, la complicité d'un autre, s'était fait mettre une scie à métaux le long de la cotonne vertébrale, tenue par du sparadrap, a vu son entreprise échouée. A l'issue de cette fouille en règle, en rang par cinq, et bien gardés, nous avons pris la direction de la gare de Compiègne, où nous attendait un comité d'accueil, en l'occurrence une compagnie de « Schupos » venus spécialement pour nous convoyer. Après nous avoir fait mettre en caleçon et tricot de corps, dans le but évident de nous empêcher de nous évader, et nous avoir fait distribuer une boule de pain et un saucisson, c'est sans ménagements et avec les vociférations habituelles qu'ils nous firent monter dans les wagons à bestiaux où 1652 détenus se retrouvèrent entassés. Dans notre, wagon, dès le départ du train, deux Bordelais ayant réussi à passer un couteau –de ton évidence grâce à la complicité d'un cheminot– entreprirent, malgré notre réprobation, de percer la paroi du fond; après Soissons, le train s'étant arrêté, ils masquèrent le début de leur ouvrage avec de la mie de pain, mais nos gardes-chiourmes, profitant de cet arrêt pour contrôler les wagons, constatèrent que de la mie débordait extérieurement, résultat, les portes s'ouvrent, un « Feldwebel », dans un excédent français, nous annonce que si le ou les coupables ne se dénoncent pas dans les dix minutes qui suivent, nous serons tous fusillés sur-le-champ » sans aucun doute, ils auraient mis leur menace à exécution. Les deux Bordelais restant coi, leur voisin, quoique innocent, prétend qu'il est seul responsable de cet acte ; descendu du wagon, il est abattu, sous nos yeux d'une balle dans la nuque. Le même scénario ayant eu lieu dans trois autres wagons, ce sont 1648 détenus qui arrivent, le 31 juillet, après quatre jours de route, au terme de notre voyage : le camp de concentration de Neuengamme, camp situé à environ 25 km au sud-est d'Hambourg.
Afin de nous mettre tout de suite dans l'ambiance, les portes des wagons sont ouvertes et c'est sous les coups de matraques des «kapos » et les aboiements des chiens tenus en laisse par les « SS », qui eux aussi, aboient autant si non plus que leurs molosses, que nous entrons, en colonne par cinq– rituel chez nos anges gardiens– dans notre nouvel univers. A peine arrivés, nous subissons le processus classique : douche, rasage intégral, habillage avec des vêtements dépareillés - nous ne gardions pas les nôtres - les vestes portant dans le dos, en lettres d'environ 20 cm, l'inscription « KL » et sur le devant, coté gauche, notre numéro matricule : 40071 pour mon père - 39490 pour moi, à partir de cet instant, les Lesage, père et fils, n'étaient plus que des numéros. Mis en quarantaine et n'ayant pas été affectés dans le même baraquement, pour la première fois, je me suis trouvé séparé de mon père, séparation qui, malheureusement, allait devenir définitive, car le 28 août, il décédait à l'infirmerie. Grâce à la complicité d'un médecin français –- il était formellement interdit de rentrer à l'infirmerie sans motifs–-j'ai pu voir mon père la veille de son décès. L'ayant accompagné aux toilettes, il m'adressa cette remarque prémonitoire ; tu sais, le 28 ne nous porte pas chance, 28 juin départ de Rennes, 28 juillet départ de Compiègne,... (D'après ses voisins de lit que j'ai pu voir par la suite, il s'est éteint dans la nuit du 28, pendant son sommeil. Mon père, de santé délicate ulcères à l'estomac donc régime alimentaire, aurait eu peu de chances de surmonter les épreuves que nous avons tous endurées par la suite. Pour moi, la vie continua au rythme du système concentrationnaire, suivant le calendrier suivant : Au sortir de la quarantaine, ma première affectation a été le kommando « Industrieof » situé à l'intérieur du camp : terrassements - wagonnets (4 hommes par wagonnet) pour alimenter en terre glaise la briqueterie jouxtant le camp. Notre hantise, c'était le déraillement des dits wagonnets, car lorsque cela arrivait, les kapos, prétextant qu 'il s'agissait de sabotages, nous tombaient dessus à grands coups de schlague. Le 19 octobre, je fais parti d'un kommando de 1000 détenus, dont 200 Français, envoyés à Husum-Schwesing pour creuser des fossés anti-chars, dans l'eau jusqu'aux genoux, kommando terrible dont beaucoup ne sont pas revenus. En ce qui me concerne, une huitaine de jours après être arrivé, suite à un œdème des membres inférieurs, le médecin du kommando, un Danois partant parfaitement l'allemand, m'amène devant un officier SS « humaniste », denrée rare, qui décide de me renvoyer à Neuengamme. Dès mon retour au camp, je suis admis au relier (infirmerie) où je reste une quinzaine de jours, séjour très apprécié, car pas d'astreinte au travail et meilleure nourriture. Après cet intermède, fiché en tant que « travailleur léger », je suis incorporé dans un kpmmando à l'intérieur du camp, le Flechtenkommando, en bon français, le commando des tresses, où je fais la connaissance d'Albert Aubry, député d'Ille-et-Vilaine. Mon œdème ayant récidivé, je retourne au revier, puis de là au Blockschonung, en français en salle de repos, où se termine mon séjour au camp. Début avril 1945, un convoi d'ambulances de la Croix Rouge suédoise entre dans la cour du camp. Après avoir reçu chacun un colis de la Croix Rouge américaine, colis qui avaient été « visités » et dans lesquels manquaient, en général, le chocolat, nous montâmes dans les ambulances, accompagnés d'un réserviste de la Wehrmatch, faisant abstraction de ce petit détail, je pensais que nous allions vers notre libération, mais en réalité, nous nous retrouvâmes au camp de Salzgitter-Watenstedt, autre camp de concentration. De toute évidence, les SS ont abusé de la bonne foi de la Croix Rouge suédoise. Le 8 avril, à la gare de Watenstedt, nous sommes 1300 détenus à être embarqués dans des wagons -tombereaux à minerai, à raison de 70 à 80 par wagon. Après un parcours invraisemblable dans le centre de l'Allemagne, nous avons débarqué à Ravensbrück le 14 avril, nous n'étions plus que 300. Nous venions de vivre un enfer. A ma descente du wagon, ne tenant plus debout, j'étais soutenu par deux camarades, dont Georges Heurtier, de Saint-Brieuc, frère d'André, cité ci-dessus. Avec le notre, deux autres trains sont partis de Watenstedt. Les trois convois, que l'on a appelés les « trains de ta mort » sont partis avec un effectif de 3500 détenus, 1500 ont atteint Ravensbrück, 2000 sont morts en cours de route, dont 1016 brûlés vifs dans une grange, à Gardelegen. J'ai eu beaucoup de chance du fait de ne pas avoir été dans ce train là. Après quelques jours passés à Ravensbrück, les
Russes arrivant, nous
sommes évacués vers le Nord. Ayant une forte dysenterie, comme la plupart
d'entre nous, j'ai ta chance si l'on peut dire, d'être transporté en
camion. Chance réelle, car dans l'état où j'étais, je n'aurais pas pu suivre
la colonne partie à pied, or, nous savons maintenant que les SS abattaient
tes traînards d'une balle dans ta nuque. Nous arrivons à Malchow, petit
Kommando de Ravensbrück le 2 mai 1945, les SS regroupent tes détenus, qui en
colonne, quittent, te camp ; voyant que quelques uns se glissaient sous les
baraquements construits sur des rangées de briques d'environ 50 cm de haut,
formant ainsi une succession de tunnels, je surveille le comportement du SS
et, profitant du moment ou il me tourne le dos, je me mets à plat ventre et
me glisse, moi aussi, dans ma cachette. Nous restons planqués et ne sortons
de nos tunnels que lorsque ayant entendu des cris d'allégresse, nous
constatons que les soldats russes passent devant la porte du camp. Nous étions
libres...... LIBRES, après avoir vécu neuf mois
d'horreurs..
A mon arrivée à Rennes, c'est en ambulance que je rentre au 21, place des
Lices. Dans la première salle du café, trois employés de la Banque d'Ille-et-Vilaine,
prévenus de mon retour par ma mère, m'invitent à leur table, peu de temps
après, ma sœur qui était sortie avant que je n'arrive, entre dans le café,
serre la main des clients et à moi me dit : Bonjour monsieur.... !!! Cela a
jeté une certaine gène dans l'assistance, mais personnellement, j'en avais vu
d'autres..." |
Sources: Autobiographie de la famille Lesage |