Témoignages

14 juillet 1944: L'embuscade tragique de Vern-sur-Seiche

Pour enrichir la mémoire du passé, nous recherchons des témoignages ou des documents  sur ce dossier  

 

15 juillet 1944: Le parachutage de Drouges

A Drouges, non loin de La Guerche-de-Bretagne, un petit maquis s'est formé au printemps 1944, avant le débarquement allié en Normandie, le 6 juin 1944. Quelques hommes seulement, sans armes, ou si peu, réfractaires au S.T.O. (Service Travail Obligatoire en Allemagne) ou rescapés des arrestations d'un important réseau de Résistants de Rennes (Hôtel du Cheval d'Or, place de la Gare}.

Il y a là aussi trois Russes, faits prisonniers sur le front de l'Est par les Allemands déserteurs de la Wehrmacht où ils avaient été incorporés.

Pour vivre, ces gens travaillent dans les fermes du secteur dans ta discrétion. Certains sont recherchés, non seulement par les Allemands mais aussi par la police de Vïchy. Par la police... française (?).

Drouges est une petite bourgade en bordure de la forêt à l'écart des grands axes routiers.


 

C'est ici à la ferme de "La Prée" exploitée par M. et Mme Jules Bulourde, que sera effectué, par l'aviation anglaise un parachutage d'armes pour la Résistance, après le débarquement allié, si attendu.

Après le débarquement seulement, car, pour l'instant, il est plus urgent de ravitailler en armes les maquis plus étoffés, plus entraînés, plus encadrés dans des régions comme le Vercors, Saint-Marcel dans le Morbihan, l'Ardèche, la Savoie, etc., qui sont entrés depuis longtemps dans la Résistance armée.

Le terrain choisi pour le parachutage est situé juste derrière les bâtiments de la ferme de "La Prée". C'est la plus vaste prairie du secteur. Choisi par qui, ce terrain ? Par des hauts responsables de la Résistance, bien sûr, venus plusieurs fois de Rennes en reconnaissance dans le secteur et qui préparent bien d'autres actions dans le département, voire la région, en liaison avec la Résistance à Londres.

6 juin 1944: débarquement allié en Normandie. Si le front allemand cède rapidement il ne sera pas nécessaire d'armer la Résistance française du coin.

Mais l'armée allemande résiste, âprement. La bataille fait rage. Des divisions de la Wehrmacht remontent du sud en renfort. Le rôle de la Résistance est de retarder au maximum la marche de ces troupes. Certains régiments mettent trois semaines pour accomplir 600 km.

La radio de Londres, avec son émission "Les Français parlent aux Français", est écoutée attentivement.

Il est 13 heures, le 14 juillet, un message tombe sur les ondes brouillées de notre petit poste radio, toute antenne déployée, contre une meule de foin : "Les enfants font les courses au village. Cinq fois"

Ce message, nous sommes peu nombreux à en connaître la signification, jusqu'à cet instant, prudence oblige. C'est l'annonce du parachutage d'armes pour la nuit suivante.

En fin d'après-midi des Résistants convergent vers Drouges pour rejoindre "La Prée". Jacques Delente a réussi à les rejoindre, apprenant à ses camarades la triste nouvelle de la mort de ses camarades à Vern-sur-Seiche. C'est la consternation. La traction avant Citroën transportant le poste émetteur-récepteur est mise à l'abri des regards indiscrets dans la grange de la ferme. Louis Pétri, commandant F.T.P., est là.

Les préparatifs pour le parachutage continuent. A la nuit tombée le poste radio émetteur est mis en position, au milieu du terrain. Vers minuit un ronronnement de moteurs d'avions se fait entendre au loin. Ce sont "EUX". Le terrain est balisé aux quatre angles ainsi qu'au centre, près de réémetteur.

Contact radio pris. Cinq avions (des "Lancaster" paraît-il) se présentent dans l'axe de la prairie avec une précision stupéfiante. Ils repasseront ensuite, un par un, pour bien centrer leur largage, à basse altitude.

Que de matériel ! Du revolver à la mitraillette Sten, du fusil mitrailleur aux mines, grenades, etc. On parle de 16 tonnes.  C'est l'allégresse. Superbes ces parachutes aux différentes couleurs, claquant au-dessus de nos têtes au déverrouillage des soutes des appareils.

A quarante hommes nous n'arrivons pas à déblayer le terrain avant le jour. Quelques parachutes sont accrochés dans les arbres. Tout est caché dans les fossés de la prairie. La nuit suivante il faudra se remettre à l'ouvrage pour transporter ce qui reste à la baraque de l'Essart, où les Résistants ont établi leur petit cantonnement.

Entre-temps, malheureusement, des transports d'armes ont été interceptés et deux convoyeurs, des cultivateurs, arrêtés. L'un d'eux, M. Boueste, de Drouges mourra pendant sa déportation. L'autre, Émile Desbois se suicidera (c'est du moins la thèse "officielle") à la prison Jacques Cartier de Rennes.

 

 

Jacques Delente:

"Le lendemain du parachutage du 15 juillet, il fallait cacher le matériel. Émile Desbois et un fermier conduisait une vachère pleine d'armes. Ils se sont arrêtés prendre un verre à Rannée. Le fermier par imprudence a lâché au patron (qui le connaissait):

"Si tu savais ce que j'ai dans ma vachère, tu ne me ferais pas payer les deux verres"

Mais ce jour là, il y avait un client que personne ne connaissait. Une demi-heure plus tard, il pleuvait et la nuit était tombée, en traversant la forêt de la Guerche, les attendaient. Un des leurs, a voulu prendre la bride du cheval.. Les Allemands ont alors tiré dans la vachère pleine d'armes et d'explosifs. Émile et le fermier ont sauté à terre, se sont enfuis à pied, pendant que la jument s'est mise à galoper. Quand ils sont arrivés à la ferme, la vachère et la jument y étaient déjà: l'animal avait retrouvé le chemin de la maison.

Tout le parachutage a été ensuite planqué. Il ne restait apparemment plus rien dans la ferme. Les Allemands ont tout de même retrouvé leur piste et sont arrivés à la ferme. Ils ont trouvé un parachute, planqué dans un vieux four, et des paquets de cigarettes anglaises pas tout à fait consumés dans la cheminée. Ils ont arrêté le fermier et sa femme. Il a été torturé à Rennes et le lendemain, paraît-il, on l'a retrouvé pendu dans sa cellule".(1)

Le 27juillet les Allemands attaquent Ils ne trouveront là que quatre maquisards (et des caisses vides de matériel). L'un d'eux sera blessé puis achevé. C'est un de nos trois Russes, Paul Koreff. Il est aujourd'hui inhumé dans le petit cimetière de Drouges. Nous sommes à huit jours de la Libération.

Ce 27 juillet les "frisés" regretteront de nous avoir honorés de leur visite.

Sur le chemin de leur retour, vers Moussé, quelqu'un, que je connais bien, les attend au premier virage. Les pare-brises de leurs véhicules voleront en éclats. Pour quatre ou cinq Allemands la campagne de France est bien terminée. A jamais !

Vient la percée d'Avranches, le début de la retraite pour les Allemands. Nous harcelons les groupes isolés, les traînards. Quarante prisonniers environ seront gardés dans les anciennes écuries de la gendarmerie à La-Guerche, en attendant l'arrivée des Américains avec qui. nous nettoyons le secteur.

A l'actif de la Résistance: le bombardement par la RAF du dépôt d'essence de (200.000 à 300.000 litres) de la forêt et de nombreux véhicules venus trouver le couvert un petit matin, sur renseignement transmis de Londres. Le 4 août un commando anglais de 15 hommes est largué sur Drouges avec mission d'encadrer la Résistance; mais la région est libérée. Ils repartiront pour l'Angleterre.

Vingt sept jeunes gens de la région guerchaise rejoindront la Division Leclerc en Normandie, à bord d'un camion pris à l'ennemi. 


 

Paul Héger-"Arrestation de Patriotes" Les Presses Bretonnes 1947 - St-Brieuc

"...dans le courant de la nuit, l’un des hommes, âgé d’une quarantaine d’années et de petite taille, se pendit à une ferme de la charpente, en face de ma paillasse, avec sa ceinture de flanelle. (6 )C’était une bande de tissu que les paysans de l’époque portaient enroulée autour de la taille pour se protéger les reins et qui mesurait environ deux mètres de long sur une vingtaine de centimètres de large. Aux lueurs du jour, nous tambourinâmes longtemps aux portes avant que plusieurs soldats ne viennent voir la cause de tout ce vacarme et, dans le courant de la matinée, d’autres soldats vinrent avec d’autres détenus de service chercher le mort. Les deux frères, arrêtés en même temps que lui et paysans également, restèrent avec nous."

Il s'agit probablement de M. Guinoiseau de Drouges

 

Sources:
1 -
M. Georges Courcier, décoré de la Croix du Combattant volontaire et de la Présidential citation, ancien de Libération-Nord, a bien voulu remettre à Guy Faisant un texte daté du 3-10-1987. Nous le remercions vivement. Ce texte a été établi avec le témoignage de J. Delente, rescapé de la fusillade de 1944 et donc témoin oculaire.

    accueil-mdg1.gif (1380 octets)