13/02/2021
LES PRISONNIERS de GUERRE ALLEMANDS AU SERVICE de L’ECONOMIE FRANCAISE |
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Les réparations sont une des obligations pesant sur les pays vaincus à l’issue d’un conflit. Ainsi, à l’issue de la première guerre, l’Allemagne s’est vue imposer de lourdes réparations amputant une partie de son territoire et grevant son économie. Au plan local, des officiers allemands ont été incarcérés dans l’enceinte du château de Fougères. Les clichés portés désormais à la connaissance du public révèlent en fait des conditions de vie confortables.
La seconde guerre voit un grand nombre de prisonniers français capturés en mai et juin 1940 et envoyés dans des stalags. Les communes du pays de Fougères paient un lourd tribut car beaucoup de prisonniers ne reviendront au pays natal qu’au terme des 5 ans. A l’inverse, après la victoire des Alliés le 8 mai 1945, des prisonniers allemands sont mis à la disposition de l’économie française par les Alliés. Il fallait entreprendre des travaux pour favoriser la reprise de l’économie générale : travaux de reconstruction dans les collectivités locales, aide à l’agriculture en grande difficulté avec des rendements de blé en chute catastrophique par rapport à l’année 1939 et extraction du charbon, source d’énergie principale, en net déclin. Dès la fin de l’année 1945, un million de prisonniers sont employés dans l’économie nationale. Les effectifs vont ensuite diminuer. A la fin de l’année 1946, la France détient près de 650 000 prisonniers de guerre de l’Axe. Une statistique de la Direction de la Main d’œuvre, établie au mois de décembre 1946 et publiée dans la Chronique Républicaine, donne les chiffres suivants : 577 754 PG allemands répartis ainsi : 208 839 dans l’agriculture, 55 186 dans les mines, 36 873 dans la reconstruction, 28 858 aux travaux communaux, 17 609 dans les forêts, 14 177 dans les travaux publics. L’agriculture arrive en tête, la reconstruction et les travaux communaux sont importants. Une des raisons avancées pour expliquer la diminution, c’est l’inquiétude des syndicats soulevée avec la concurrence des prisonniers par rapport à la population civile française.
Les modalités d’emploi sont définies par une circulaire du 5 septembre 1945, du Ministre de l’Intérieur et du Ministre du Travail et de la sécurité Sociale. La garde des prisonniers relève de l’autorité militaire ou, à défaut, si elle ne peut l’assurer, de l’employeur pouvant embaucher des gardiens civils et étant responsable devant l’autorité militaire. La Convention de Genève, en vigueur, interdit tout acte de violence à leur égard et prévoit d’en rendre compte devant l’autorité militaire. La discipline est ferme, sans vexation ni brutalités. Mais tout refus de travail doit être sanctionné. Un refus d’obéissance peut conduire, au pire, devant le tribunal de justice militaire. Les actes d’indiscipline sont punis dans les faits par une diminution de vivres, une suspension d’envoi de lettres et colis, un travail supplémentaire destiné à rattraper un travail non exécuté. Les prisonniers de guerre ne doivent pas sortir du commando sans être gardés ni rendre visite à des particuliers. Un contrat de travail est toujours conclu entre l’employeur et le prisonnier. Les chiffres disponibles ne sont pas exhaustifs. Cependant, ils donnent un ordre de grandeur. Au 9 avril 1946, en Bretagne, on dénombre 46 638 PG répartis ainsi : - Agriculture 6757 - Forestage 519 - Mines et carrières 22 - Barrages et génie rural 6294 - Travaux publics et reconstruction 2909 - Déminage 5274 - Divers 142 Pour le département d’Ille-et-Vilaine, à la date du 1er septembre 1946, 137 communes emploient des PG en nombre variable. D’après les registres de délibération des communes du pays de Fougères, 17 communes répertoriées ont un nombre de PGA en fonction de leur importance. Ainsi Bazouges-du-Désert 16, Bazouges-la-Pérouse 41, Chauvigné 20, Combourtillé 15, La Chapelle-Janson 28, Noyal-sous-Bazouges 29, Rimou 17, Romagné 50, Saint-Brice-en-Coglès 23 Saint-Etienne-en-Coglès 28, Saint-Georges-de-Chesné 12, Sant-Jean-sur-Couesnon 8, Saint-Marc-le-Blanc 21, Saint-Ouen-des-Alleux 13, Saint-Ouen-la-Rouerie 30, Tremblay 41, Vendel 11. D’après l’échantillon retenu, le premier commando installé date du 30 juin 1945 à Bazouges-la-Pérouse. Le dernier à être implanté est celui de Saint-Jean-sur-Couesnon, le 26 juillet 1946. L’agriculture emploie le plus de PGA dans le département et le pays de Fougères. Le Dépôt 1102 ou camp de prisonniers est situé à Rennes, route de Redon. Les PGA sont disponibles et les communes sont invitées à venir les prendre au dépôt. Ainsi le maire de Romagné reçoit un courrier, en date du 16 février 1946, du Chef d’Escadron, le Mintier de Lehélec. Ceux-ci réaliseront la construction du chemin vicinal 11, dénommé aujourd’hui « la Route du Chesnais ».
La vie quotidienne Les prisonniers sont logés dans un local communal, soit les locaux de l’école publique, comme à Romagné, soit les bâtiments déjà réquisitionnés auparavant pour les soldats allemands lors de l’Occupation. . Ils peuvent être hébergés chez l’employeur, après accord de l’autorité militaire et du maire de la commune, à condition que le couchage, le matériel de cuisine soient assurés. Les prisonniers doivent être dociles, bien notés et l’employeur présenter des garanties suffisantes, en termes d’hygiène. La nourriture est règlementée par les circulaires et rationnée. Elle peut être fournie par l’intendance et complétée par l’employeur. Le PG dispose d’un minimum de 2500 calories par jour, apportées par kilos de denrées, soit la viande, le pain, le sucre, le café, les pâtes, le fromage. Les contingents s’expliquent d’abord parce que les rationnements et restrictions perdurent après la guerre et les approvisionnements ne sont pas faciles à assurer. Le Dépôt peut, en cas de difficultés, fournir de la farine de soja pour remplacer les légumes frais ou du poisson salé à la place de la viande, le tout contre remboursement. L’économie locale est mise à contribution, car le maire s’adresse aux fermiers afin d’avoir des légumes, du beurre, des œufs, mais aussi de la paille, du bois de chauffage, des fagots. Les commerçants sont sollicités en tant que fournisseurs de la commune : boulangers, bouchers, poissonniers, épiciers, bureaux de tabac, car les PG peuvent se fournir en paquets de tabac et paquets de feuilles à rouler. La collectivité locale a tout à gagner avec les commandos qui peuvent constituer un lot important de travailleurs et donc de bouches à nourrir et d’hommes à entretenir.
Documents sur le camp de prisonniers allemands de Coëtquidan en 1946-1947
Les horaires de travail ne diffèrent pas de ceux des ouvriers français, pour le même métier. Le repos hebdomadaire est de 24 heures, le dimanche. Et le salaire est de 10 francs par jour, quel que soit l’employeur, commune ou particulier. La rémunération peut être portée à 13 francs pour « bon rendement ». La répartition des 10 francs se fait ainsi : 5 francs alimentent un compte « Pécule du Prisonnier », le reste est versé directement en liquide au PGA. La somme due est toujours payable mensuellement. La garde relève de la responsabilité de l’employeur. Le maire recrute les gardiens, agréés par le Préfet et le Directeur Régional des PG. En principe deux gardiens sont prévus pour 25 prisonniers. Ils sont équipés de fusils de guerre et de cartouches à balles, mais dans le strict respect des dispositions de la convention de Genève. Le respect dû aux prisonniers est demandé et contrôlé. Ainsi, la santé des travailleurs est garantie par une police d’assurance aux frais de l’employeur. En cas de maladie ou d’accident du travail, le prisonnier est renvoyé au Dépôt, voire à l’hôpital le plus proche. L’hospitalisation se fait le plus souvent à l’hôpital de la Prévalaye de Rennes. A Romagné, le docteur Beauverger de Fougères assure une visite hebdomadaire, à partir du 8 mars 1946.
Evasions, vols, coups et blessures
A Tremblay, deux commandos existent, l’un à la Rougeolais, l’autre à Mezaubin. En juillet 1946, le curé se plaint auprès de la municipalité que l’on empêche les PGA d’aller à la messe le dimanche et accuse le gardien de refuser de les conduire en groupe. Le gardien est lavé de tout soupçon car les PGA de la Rougeolais cessèrent d’aller à la messe, croyant se rendre à Saint-Brice-en-Coglès. La perspective des 6 kms pour aller à Tremblay et l’impossibilité pour le gardien d’accompagner les uns à la messe et de garder les autres au commando obligèrent le groupe à rester au commando. Les PGA de Mezaubin refusèrent de retourner à Tremblay car le curé les avait chassés du banc où ils étaient pour les mettre debout, dans un coin. Les prisonniers ont leur dignité. [1] Et le curé un comportement peu évangélique. Les évasions sont mentionnées dans la Chronique Républicaine. Ainsi le samedi 19 octobre 1946, deux prisonniers évadés du commando de Vieux-Viel, en Ille-et-Vilaine, sont interceptés par la gendarmerie de Saint-Brice. La Chronique Républicaine, dans son édition des 12-19 juillet 1947, relate l’évasion de trois prisonniers du commando de Louvigné-du-Désert. Un jeune prisonnier allemand de 17 ans, évadé du commando de Saint-Ouen-des-Alleux, employé à la construction d’une route près du moulin d’Hion, tenta d’abuser d’une jeune fille en vacances à la Gâterie en Mézières-sur-Couesnon. Il fut écroué à la prison de Fougères. La Chronique du 22 mars 1947 relate un fait survenu le 11 janvier. Un jeune prisonnier allemand, Jean Winckel, du commando de Noyal-sous-Bazouges, vola une chemise et des mouchoirs à une veuve du village de Montigné. Repéré, il vint avec le gardien rapporter les objets du vol. Après avoir reçu une gifle de la part du gardien, le prisonnier se rebiffa et le fils de la famille, voulant s’interposer, reçut deux coups de couteau, sans gravité, au ventre et à la poitrine. Le jeune allemand fut condamné à 45 jours de prison. Selon l’édition du 13 septembre 1947, un employeur de Billé, à la Joulière, se fait voler sa bicyclette par son prisonnier allemand afin de prendre la fuite. Un travailleur libre, de La Chapelle-Saint-Aubert, quitta à l’improviste la commune après avoir dérobé à quatre camarades travailleurs libres la somme de 8000 francs ainsi qu’une bague en or, selon l’édition du 21 août 1948.
Le retour des prisonniers
A partir de novembre 1947, beaucoup de prisonniers peuvent rentrer chez eux après avoir rempli les formalités nécessaires à leur libération. A la fin de l’année 1948, tous les prisonniers de guerre doivent avoir rejoint leur foyer. Cependant, nous venons de le voir, certains demandèrent à être transformés en travailleurs libres, un statut possible pour les volontaires. A Romagné, selon l’étude précise de Gilles Le Pays du Teilleul, 17 anciens prisonniers sont encore sur place en 1948. Les conditions de vie des PG, dans les commandos, ne sont pas idylliques, sinon pourquoi y aurait-il autant d’évasions ? Konrad Egert, ouvrier chez le mécanicien Jean Chevrel, était logé chez M. Geray, à la ferme des Louvières et nourri chez Chevrel. Libéré en 1948, il repart en Bavière et revient parfois à Romagné pour saluer M. Alphonse Gardan, alors apprenti chez son employeur. Cet exemple montre la qualité des relations, concrétisées souvent par des coups de main apportés aux foins et aux récoltes de la ferme.
Daniel Heudré
SOURCES :
[1] ADIV, 30 W 25-26, Incidents à Tremblay. La Chronique Républicaine, édition des 12-19 juillet 1947. |
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