Les camps de Prisonniers de guerre allemands en Bretagne
(1944 à 1946)

I campi de P.G.A in Bretagna tra   (1944 e il 1946) drap-it-20.jpg (735 octets)
(Liste non exhaustive)

Ed: 23/02/2015

Tableau réalisé à partir de rapports du CCIR (Archives CCIR de Genève)

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Carte en grand format

Avant propos

L'étude  ci-dessous de Jean Hurault décrit une situation des camps, pendant la période la plus difficile de la captivité des prisonniers allemands.

  • De nombreux prisonniers viennent des camps américains dans un état sanitaire déplorable.

  • La prise en charge  de centaines de milliers de prisonniers par une administration nouvellement créée (Service des Prisonniers de Guerre) est difficile, dans un pays affaibli par la guerre et quatre ans d'occupation.

  • En 1945, l'opinion publique est généralement hostile aux prisonniers allemands.

  • La question du ravitaillement de la population civile est loin d'être résolue en 1947.

 Dès le début 1946, le redémarrage de l'économie  du pays, la baisse des effectifs dans les dépôts, les enjeux diplomatiques et les libérations demandées par les Etats-Unis ont contribué à améliorer considérablement la condition de vie des prisonniers. (Voir les documents photographiques du camp de Coetquidan). Les prisonniers détachés dans les fermes (un prisonnier sur deux) mangent à la table du patron et sont traités souvent comme un membre de la famille.

Jean Paul Louvet

 

Étude réalisée par Jean Hurault (Juin 2004)


L'auteur adresse ses remerciements à MM. Martin Morger et Fabricio Benzi, archivistes du Comité International de la Croix Rouge (CICR), qui ont bien voulu lui communiquer les documents constituant la base de la présente étude.

I-BASE DE L'Etude

Les fonds d'archives utilisés seront décrits, tant les archives militaires françaises que les archives CICR. On examinera ensuite comment se sont formés les principaux camps de prisonniers allemands de l'Ouest de la France.
Enfin on décrira la situation dans ces camps, à partir des visites des enquêteurs du CICR.

 

 

II- LES ARCHIVES MILITAIRES FRANÇAISES

Les archives de la Direction des prisonniers de l'Axe

La Direction des prisonniers de l'Axe (Général Buisson) ne publiait ni rapports annuels, ni aucun document accessible au public. C'est seulement à la dissolution de son service à la fin de 1948 que le Général Buisson a diffusé une très courte brochure donnant le total de 24 000 décédés pour la période de 1944 - 1948.

Les archives de cette direction ont été en partie conservées au Centre des Archives Contemporaines à Fontainebleau. Elles comportent deux séries d'intérêt historique :

  • La série 19830368, art. 1-64, contient la correspondance au départ du général Buisson, intacte et complète, puis les bordereaux d'envoi très volumineux, complètement inutiles. Mais il ne semble pas, réserve faite des derniers cartons, qu'elle contienne des fragments de la correspondance à l'arrivée, nécessairement beaucoup plus volumineuse ; celle-ci contenait notamment les rapports de gestion par quinzaine auxquels il est fait allusion à maintes reprises. Ces rapports, à partir desquels on pouvait savoir ce qui se passait réellement dans les camps, semblent avoir été systématiquement détruits.

    La correspondance du général Buisson permet de suivre les mouvements de PG et la formation des camps. A cet égard, rien ne lui échappait et rien n'était laissé à des initiatives locales.

    La très grande majorité des notes se rapportent à des questions administratives mineures. Au 20 juin 1945 on arrive au n° 6500 et il est probable que fin 1948 on doit arriver à 20 000.

    Nulle part il n'est question de ce qui se passait dans les camps, dont nous savons qu'ils étaient souvent en proie à la famine, et les correspondances se rapportent aux prisonniers dans les mêmes termes que les commerçants en bétail à l'égard des troupeaux.

  • La série 19830372 contient surtout des listes mensuelles périodiques établies à partir du 1" janvier 1947; la mortalité à cette époque étant devenue presque nulle, les listes se rapportent à des libérations et des évasions. Ces documents sont en vrac et tout chiffonnés.

    Elle contient aussi, c'est beaucoup plus intéressant, une récapitulation par dépôt des décédés en 1945 et 1946. Que l'on ait ordonné cela début 1947, prouve qu'on n'avait pas de récapitulation des décès. Ces documents ont vraisemblablement été utilisés pour la statistique numérique que le général Buisson a donnée dans sa brochure fin 1948. Mais ils sont difficilement utilisables par nous :
    · ils sont chiffonnés et mêlés aux statistiques mensuelles de 1947 - 1948,
    · les décédés sont classés par ordre alphabétique. Ces listes peuvent donc avoir été manipulées,
    · les dépôts ne sont identifiables que par des cachets souvent illisibles. Aucune de ces listes récapitulatives n'est signée'.

Les autres séries se rapportent à l'état civil et sont vraisemblablement très fragmentaires.
(J'ai trouvé toutefois, dans une enveloppe, soigneusement rédigés, les documents de Toulon : 850 morts pour cette seule ville !)Les archives des dépôts et des camps
Chaque région militaire avait créé plusieurs dépôts, pour certains, jusqu'à une dizaine, dont les numéros étaient dérivés de ceux des régions correspondantes. Elle en assurait l'administration et la gestion. Chaque dépôt pouvait créer plusieurs camps.

Chacune de ces unités a nécessairement tenu les documents imposés à tout détachement militaire isolé, soit :

· le registre de gestion (arrivées, départs, décès par mois ou par quinzaines,
· le registre des décès,
· la correspondance entre le chef de détachement et ses supérieurs hiérarchiques, ici principalement l'état major de la 11ame région,
· le fichier individuel, particulièrement important car les présents ont pu dépasser 20 000 et les mouvements mensuels 10 000,
· les rapports des médecins, l'approvisionnement en médicaments,
· la correspondance avec l'intendance et les fournisseurs en alimentation.

Les archives correspondantes, accumulées pendant cinq ans (1944 à 1948) ont dû constituer une masse très considérable à l'intérieur de chaque dépôt de PG. Notons toutefois qu'on attachait assez peu d'importance à l'enregistrement des décès. Il est possible qu'ils aient été notés sur des feuilles volantes.

Or ces archives ont totalement disparu. Les démarches effectuées auprès des deux régions militaires de la France de l'Ouest, la 11ème (Angers) et la 4ème (Le-Mans) ont été négatives. Partout on entend affirmer que les archives anciennes ont été envoyées au Service des Archives de l'Armée de Terre (SHAT) au fort de Vincennes. Ce centre possède des archives complètes sur les prisonniers allemands de la guerre 1914 - 1918, mais sur ceux de la guerre 1939 - 1945, il n'y a que très peu de documents : des correspondances, des précisions sur les troupes qui gardaient les camps, mais rien qui provienne de l'intérieur de ceux-ci.

 

III FORMATION DES CAMPS DE PRISONNIERS DE LA FRANCE DE L' OUEST (4ème et 11ème Région)

Les principaux camps de ces deux régions se sont formés simultanément à partir d'un même processus. Il a paru préférable de les présenter ensemble.

Le document de base est la note n° 6296 DIPG/3 du 8 juin 1945 signée du Général Buisson. A la date du 15 mai 1945, les effectifs étaient encore faibles. Pour l'ensemble de la France, 86 329 PG étaient au travail et 50 859 dans les dépôts, " en partie déjà attribués à des employeurs qui n'en avaient pas encore pris livraison ".

Les effectifs arrivés depuis le 15 mai ou dont l'arrivée était prévue étaient :

.

Effectif au travail
le 15 mai

Disponible   et
en cours d'arrivée 

Observations

4ème Région

349

4109

En outre 12 000 provenant de la " poche "de St Nazaire.

11ème Région

65

863

Reçus depuis le 15 mai : 1.750 PG venant d'Allemagne
9.000 pris à la " poche "


La note 6115 DIPG/ 1 du 6 juin précisait la livraison des prisonniers restés aux mains des Américains :

"J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'à la suite de négociations en cours avec les autorités alliées en vue de la cession aux autorités françaises d'un important effectif de prisonniers de Guerre, il a été convenu que les Américains nous passeraient :

  • · 168 000 prisonniers de Guerre internés dans 3 camps américains autour du Mans : Camp 15 à Mulsanne - Camp 21 à Champagné' _ Camp 22 à Thorée, qui deviennent respectivement dépôts de prisonniers de Guerre 403, 401 et 402.

  • · 55 000 prisonniers de Guerre internés dans 2 camps américains autour de Chartres : Camp 14 à le Coudray - Camp 25 à Voves, qui deviennent respectivement dépôts de prisonniers de Guerre 501 et 502.

  • · 61 000 prisonniers de Guerre internés dans' 2 camps américains autour de Rennes : Camp 11 à Rennes - Camp 12 à Rennes qui deviennent respectivement dépôts de prisonniers de Guerre 1.101 et 1.102 ".

    " Les prisonniers de Guerre nous seront livrés avec la plus grande partie des installations qu'ils utilisent actuellement et un approvisionnement de vivres (en principe 15 jours) ".


On voit apparaître ici les références 1.101 et 1.102 attribuées aux camps US de Rennes.

Cette cession a été confirmée par une cérémonie organisée par les autorités américaines le 5 juillet 1945 au camp du Coudrais près de Chartres. Le général Buisson, après y avoir assisté, en a aussitôt rendu compte par note 7688 DIPG du 5 juillet.

Sa note 7793/DIPG du 7 juillet précisait comme suit les cessions consenties par les autorités militaires américaines. Tous les prisonniers transférés provenaient des combats de 1944.

Tableau 1- Cession par les autorités militaires US- Juillet 1945

Camps du Mans (4ème Région)

Mulsanne

34.000

108.000 P.G.

Champagné

42.000

Thorée

32.000

Camps de Chartres (5ème Région

Le-Coudray

38.000

59.000 P.G.

Voves

21.000

Camps de Rennes

Rennes

15.000

61.000 P.G.

Rennes

46.000

.

Total

228.000 P.G.

Camps de Cherbourg (3ème Région)

20.000

.

50.000 PG

Camp d'Epinal (20ème Région)

15.000

.

Camp de Sarralbe (21ème Région)

15.000

.

Total général 

278.000 P.G.

Notons que les Américains n'ont pas remis aux Français la totalité des prisonniers allemands qu ils avaient en mains. Il a subsisté jusqu'en 1948 des camps US qui ont gardé jalousement leur indépendance, et auxquels la correspondance du Général Buisson ne fait pas allusion. Ils ne nous sont connus qu'en partie par les comptes rendus, presque tous élogieux, des visites de camps par le CICR.

A partir de juin 1945, les prisonniers restés aux mains des Américains ont été beaucoup mieux traités que ceux des camps français. On ne les faisait travailler qu'à l'intérieur des camps et à proximité ; ils étaient tous convenablement nourris et vêtus.

Transferts et dissémination des prisonniers


A la date du compte rendu récapitulatif du Général Buisson, des transferts étaient déjà en cours, notamment à partir des 4ème et 11ème régions militaires (tableau II).


Tableau II-Premiers transferts à partir des 4ème et 11ème Région (Juillet 1945)

Origine

Destination

Effectifs
à transférer

Observations

Groupe du Mans

(4ème région)

4ème Région

6.000

"Les contingents ci-contre peuvent-être, sur demande des régions destinataires, aux régions expéditrices, divisés en plusieurs lots, les départs étant simultanés, soit successifs à destination des dépôts de P.G. récepteurs"

13ème Région

5.000

14ème Région

8.000

15ème Région

8.000

16ème Région

4.000

17ème Région

4.000

18ème Région

5.000

Groupe de Rennes Mans

(11ème région)

9ème Région

5.000

"-id-tableau ci-dessus.

11ème Région

20.000

12ème Région

5.000

Région de Paris

5.000


Prévision pour la gestion des dépôts à grande capacité


Le gouvernement français avait prévu des cessions considérables de prisonniers par les Alliés. Le général Buisson, par sa note 7850/DIPG/ 1 du 7 juillet 1945, fait écho à ces prévisions :

1- Le nombre des P.G. de l'Axe actuellement détenus dans le territoire métropolitain est donné par le tableau joint en annexe, arrêté à la date du 15 juin 1945.
2- Le nombre des P.G. susceptibles de se trouver ultérieurement en mains françaises sera :

à la date du 31 août 1945: de 659.000,
à la date du 1er janvier 1946: de 1.279.000,
à la date du 1er juillet 1946 de : 1.904.000.


Ces prévisions ne devaient pas se réaliser. Le tableau (non reproduit), de la localisation des P.G. au 5 juillet 1945 montre une certaine tendance à une répartition uniforme entre les régions militaires, ce qui est surprenant, car les besoins de celles-ci étaient fort différents.

La note n° 8292/DIPG du 20 juillet 1945 précise que les dépôts à grande capacité destinés à accueillir de nouveaux contingents et à les répartir, devaient garder un minimum de cadres permanents, y compris P.G., nécessaires à leur fonctionnement :

" Ces dépôts à grande capacité sont, en effet, destinés à devenir des dépôts de réception et de transit pour les 830 000 prisonniers qui, en avril 1946, seront cédés par les Américains ; en provenance des camps en France (330.000) et de la zone d'occupation U.S. en Allemagne (500.000)".

" Ces chiffres donnent comme ordre de grandeur moyen de la rotation, 10.000 P.G. par dépôt et par mois ".

Nota : dans l'Ouest de la France, ces dépôts à grande capacité étaient représentés par Rennes et par Thorée.

Gestion des dépôts ordinaires

Des instructions sont données par la note 8417/DIPG/ 1-3 du 23 juillet 1945.

" .... Les dépôts seront approvisionnés au plein de leur contenance. Ce plein sera refait dans chaque dépôt dès qu'un cinquième2 de l'effectif aura quitté le dépôt pour les chantiers extérieurs ".
" A cet effet, chaque commandant de dépôt informera en temps voulu son commandant régional de l'effectif à lui envoyer ; chaque commandant régional transmettra de la même façon les demandes des dépôts à la Direction Générale à Paris
".

" ...Jusqu'ici, les employeurs n'ont pas toujours pris immédiatement pour le travail, les prisonniers qu'ils avaient demandés et qui leur avaient été affectés ".

" Parfois certains contingents ont dû attendre plusieurs mois dans les dépôts, avant d'être enlevés, alors que d'autres demandes de main d'oeuvre n'étaient pas satisfaites et l'auraient été sans ces hypothèques ? De telles erreurs ne sauraient plus être admises ".

" .... Les employeurs devront procéder à cette opération dans les 15 jours à partir de la date de notification par les commandants de dépôts. Passé ce délai, et si d'autres demandes du même degré de priorité doivent être satisfaites, les contingents non enlevés deviendront disponibles pour les satisfaire ".

2 -Ces instructions ne sont pas claires. A plusieurs reprises il avait été stipulé que les prisonniers valides devaient tous travailler dans les commandos, et qu'il ne fallait conserver dans les camps que les malingres.

                      
Problème d'intendance : les vêtements des prisonniers

Dans ses notes 8451 et 8452/DIPG/4 du 24 juillet 1945 le Général Buisson constatait :

1- " La situation vestimentaire des P.G. est lamentable ; elle risque s'il n'y est porté remède, et surtout dans la période d'hiver, d'empêcher leur mise au travail, seule raison d'être de leur présence sur le sol français"
2- " Les ressources existant naturellement en France sont nulles,
3- (Les recherches faites dans la zone française d'occupation en Allemagne ont donné peu de résultats. Les dépôts de la Wehrmacht ont été pillés).

Des démarches ont été entreprises auprès des autorités alliées.

" ...Pour qu'une opération analogue soit effectuée dans les zones d'occupation des armées alliées au profit des P.G. détenus ou à détenir par la France. Pour ne pas indisposer une opinion publique assez émotive, et qui, à juste titre, verrait d'un mauvais œil nos ateliers travailler au profit des Allemands, alors que nos nationaux éprouvent les plus grandes difficultés à se vêtir, il serait avantageux que l'essentiel de nos besoins puissent être satisfaits par ce moyen ".
" Il est toutefois évidemment nécessaire de préparer des fabrications en France pour parer à l'insuffisance de ces ressources. L'ordre d'urgence serait le suivant :

a) linge (principalement chemises),
b) chaussures (ou éventuellement sabots),
c) vestes et pantalons de toile (treillis) "
(Viendraient ensuite les effets de draps et les couvertures).

En fait, il ne parait pas qu'à l'exception des sabots, on entreprit en France aucune fabrication. Une partie des prisonniers durent travailler torse nu pendant plusieurs mois, et même certains démineurs dans les Landes durent accomplir leur dangereux travail nus sous une simple capote (archives de la Préfecture du Mont-de-Marsan - J. Hurault, mai 1997).

La situation ne s'améliora qu'au milieu de l'année 1946, par suite d'achats à l'intendance américaine, et d'envois de la Croix-Rouge allemande, reconstituée sur une base provinciale.

 

L'alimentation des prisonniers

Dans sa note 8453/PLPG/4 du 24 juillet 1945, le Général Buisson constatait que la ration fondée sur les seules denrées contingentées était un régime de famine :
" Or il existe dans les dépôts :
des prisonniers de guerre au travail aux abords des dépôts et qui y prennent leurs repas, des P.G. qui attendent leur affectation pour le travail,
enfin d'autres P.G. qui ont besoin d'une amélioration de leur état avant d'être envoyés chez les employeurs.


" Donner à ces P.G. cette ration de famine, c'est condamner les bien-portants à devenir inaptes, et les malingres à ne jamais être remis en condition pour travailler.

" C'est donc surcharger inutilement les dépôts ou les vider au profit des hôpitaux où ces P.G. recevront la ration n° 1 ...

" ... En conséquence, le régime alimentaire de rigueur proposé ne peut pas être appliqué à des prisonniers au travail ou en instance de travail ; ce régime ne peut être envisagé que pour les P.G. ne travaillant pas : réfractaires au travail, qui pourraient être affectés à des dépôts spéciaux, ou aux P.G. dont la mauvaise conduite ne permet pas de les mettre au travail, etc. ".


Cette note analyse judicieusement la situation, mais elle ne propose pas de régime amélioré. Quel serait-il et avec quels moyens le réaliserait-on ? En fait, comme pour les vêtements des prisonniers, les bonnes intentions se réduisirent à de simples velléités. On mit tout le monde au régime de famine, y compris les malades hospitalisés, qui en fait de régime n° 1, reçurent en supplément quelques cuillérées de purée de pommes de terre. On note que le général Buisson envisageait pour les réfractaires un régime aggravé, et des " camps spéciaux ". C'eut été une violation flagrante de la Convention de Genève. Le CICR protesta énergiquement. On s'en tint aux camps de la faim.

 


IV L'INTERVENTION DU CICR

Principe de l'action du CICR (Comité International de la Croix-Rouge)

Henry Dunant, présent au siège de Sébastopol, y avait ressenti l'insuffisance de l'assistance aux blessés. Il parvint à réunir, le 17 février 1863, à Genève, un Comité international de secours aux blessés. Le 26 octobre 1863, les représentants de seize Etats se réunirent à Genève, et adoptèrent le 29 octobre dix résolutions qui sont la charte de fondation de la Croix Rouge. Le Comité de Genève devint le CICR ; il intervint désormais dans tous les conflits armés.

Sa mission permanente est de protéger les civils et les prisonniers de guerre, et de permettre à ceux-ci de communiquer avec leurs familles. Cette mission a été précisée par la Convention de Genève (1929). Celle-ci prescrit d'entretenir décemment les prisonniers et de les nourrir sur la base des troupes de dépôt (ce qui correspond à 1500-2000 calories).

Le CICR n'est pas une dépendance du Conseil Fédéral Suisse. Dans une large mesure, c'est une organisation indépendante, possédant les pouvoirs d'un État. Il traite directement avec les gouvernements en guerre, et cela sans se laisser influencer par aucune considération étrangère à la mission à accomplir. En 1945 M. Max HUBER, président du CICR, écrivait directement au gouvernement des Etats Unis et lui adressait des reproches en des termes énergiques. Le Conseil Fédéral Suisse n'était pas destinataire de copies de ces lettres. Il avait lui-même des programmes d'assistance au niveau des Etats, mais n'intervenait pas comme le CICR, au niveau des opérations militaires et des personnes.

Les archives du CICR

Nous résumerons ici un article de M. J. F. Pitteloud dans la Revue Internationale de la Croix-Rouge, n° 821, septembre-octobre 1996, pp. 595-605.

Ces archives ont été ouvertes au public à partir de 1996 pour les archives dites générales, avec un délai de protection de 50 ans. Les archives de l'Agence Centrale de Recherche, qui se rapporte aux dossiers individuels, ne sont accessibles qu'aux familles de victimes.

" En ouvrant ses archives, le CICR met à disposition de la recherche historique un fonds d'archives générales de près de 500 mètres, qui couvre l'histoire du CICR entre 1863 et 1946, certaines séries se poursuivant jusqu'à l'année 1950 ".

Les principales séries se rapportent à la seconde guerre mondiale.

" .... L'intense activité de protection des prisonniers de guerre, les actions de secours, les tentatives et les échecs de la protection des personnes civiles en constituent l'essentiel ".

Les archives relatives à ce grand conflit et à ses développement occupent au total 381 mètres linéaires. La seule série des visites de camps de prisonniers occupe 48 mètres linéaires.

Attitude du gouvernement français à l'égard du CICR

Le problème central était le respect de la Convention de Genève (1929). Le gouvernement français se conforma en partie seulement, à cette Convention. Il admit les visites des camps par le CICR, ainsi que l'institution des hommes de confiance, délégués des prisonniers dans chaque camp. Mais l'administration militaire s'avéra incapable de remplir ses engagements quant à l'alimentation et à l'entretien. Pendant toute l'année 1945, et jusque vers mai 1946, les rations réelles ne dépassèrent guère 1000 à 1200 calories, ce qui entraîna une misère physiologique évoluant vers la cachexie puis, dans de nombreux cas, vers la mort. Les prisonniers, après quelques mois de travaux pénibles, étaient en haillons. Beaucoup n'avaient plus ni sous-vêtements, ni chaussures.

 

La situation dans les camps

En 1940, la Croix Rouge Française avait pu intervenir immédiatement dans les camps gérés par la Wehrmacht ; elle avait reçu, sous couvert du CICR, la liste des prisonniers français et compléta, par des colis individuels la ration fournie par l'administration allemande (environ 1500 calories). De 1940 à 1945, elle leur adressa 94 millions de colis personnels.

Ces colis étaient adressés à chaque prisonnier nominativement. Si l'un d'eux demandait des chaussures de telle pointure, il devait les recevoir. C'est une grande différence avec l'aide non personnalisée dont bénéficièrent les camps de prisonniers allemands en France à partir de mai ou juin 1946.

En 1945, les Alliés interdisent toute activité à la Croix-Rouge-allemande, qui, si on l'avait laissée intervenir, aurait pu apporter aux prisonniers un minimum de secours.

A l'exception des britanniques, qui interviennent rapidement et efficacement, on ne fit aucun effort pour rétablir une correspondance entre les captifs et leurs familles: elle ne s'établit dans les camps français qu'en novembre 1945. A partir de cette époque, la Croix-Rouge allemande reconstituée sur une base provinciale, put acheminer des vivres et des vêtements. mais on avait refusé de lui donner des listes nominatives; ainsi elle ne pouvait faire que des envois globaux: tel dépôt, tel camp. Les prisonniers détachés dans les commandos ne recevaient que peu de choses.

Le CCIR était intervenu dès avril 1945, pour secourir les camps où régnait la pire famine, mais il n'avait pas prévu l'ampleur de la situation. Il ne disposait pas des moyens nécessaires. Les wagons du Service de Secours stationnaient interminablement sur les voies, certains étant pillés en cours de route ou même disparaissaient.

Un des aspects les plus dégradants de la condition faite aux prisonniers était le manque de gamelles et de tout ustensiles. Les Américains leur avaient pris tout leur paquetage. Ils ne pouvaient que lamper, assis par terre, dans une boîte de conserve US la soupe qui leur était distribuée: le seul aliment solide était le pain, chichement réparti. Les vieilles boîtes toutes cabossées ne pouvaient être nettoyées, ce qui était un facteur d'insalubrité.

Le général Buisson, qui n'aimaient pas  les Allemands, était favorable aux prisonniers italiens et s'efforçaient de les conserver au-delà de la durée prévue par les traités, en leur assurant une bonne installation et une excellente alimentation (voir ci-dessous, l'exemple des deux commandos de la forêt de La-Guerche-de-Bretagne.

 

Les visites des camps  l'année 1945

Le CCIR n'avaient en 1944-1945 qu'une délégation en France, celle de Paris, qui ne disposait qu'une dizaine de représentants aptes à faire des visites de camps. Dans les derniers mois 1945 deux autres délégations furent créées à Lyon et à Marseille.

Le nombre de dépôts était de l'ordre de cent pour toute la France et chacun d'eux avaient créé un nombre variable de commandos( (plusieurs dizaines , parfois plus de cent). La pénurie de véhicules et d'essence  empêchaient les chefs de dépôts de contrôler efficacement ces petites unités dans lesquelles les conditions des prisonniers était très variables.

Les visites de camp par le CCIR ne pouvait donc avoir que le caractère d'un sondage. Au début de leurs travaux, les représentants du CCIR étaient semble-t-il, assez inexpérimentés. Ils semblent avoir noté assez facilement  ce que leur disaient les chefs de camps et aussi les hommes de confiance, qui pouvaient craindre  de perdre leurs places privilégiés. quoiqu'il en soit, nous résumerons, en mettant en valeur   pour chaque unité visitée, les données les plus importantes, nourriture, vêtements, hygiène, quand elles ont été nettement précisées. On fera usage des signes conventionnels suivants:

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rd-r.gif (222 octets)

Satisfaisant

Moyen

Mauvais

 

Visites des camps de l'année 1945. Enquêteur: M. Bonnet

Ille-et -Vilaine

Unité-Dépôts-

Nombre
de P.G.
1945

Alimentation Vêtements Hygiène Date
Dépôt n° 1102 Rennes 15.194 rd-r.gif (222 octets) rd-v.gif (358 octets) rd-b.gif (376 octets)Vermine 10/9
Dépôt n° 1101 Rennes 4.008 rd-v.gif (358 octets) rd-b.gif (376 octets) rd-b.gif (376 octets) 11/9
Hôpital de La Prévalaye Rennes 640(malades) rd-r.gif (222 octets) . rd-r.gif (222 octets) 17/8
Commando caserne du Colombier-Rennes 37 rd-v.gif (358 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-b.gif (376 octets) 6/4
Dépôt annexe de la Motte au Chancelier-Rennes( waffen SS) 491 rd-v.gif (358 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-b.gif (376 octets) 09
Dépôt n°117- La Lande-d'Ouée 1922 rd-b.gif (376 octets) rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets) 12/9
Camp de la Guerche-de-Bretagne 69  rd-r.gif (222 octets) . . 10/4
Autre camp de la forêt de la Guerche-de-Bretagne 25(Italiens) rd-v.gif (358 octets) . . 10/4
Commando de Saint-Lunaire (déminage) 25 rd-v.gif (358 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-r.gif (222 octets) 12/9
Dépôt n°115- Saint-Servan 2244 rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets) . 12/9
Commando de Paramé -St-Malo (déminage) 20 rd-b.gif (376 octets) rd-b.gif (376 octets) rd-b.gif (376 octets) 7/4

Côtes d'Armor

Dépôt n° 111-Lamballe 4784 rd-b.gif (376 octets) rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets)Vermine 13/9
Commando de Pléneuf (déminage) 20 rd-v.gif (358 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-b.gif (376 octets) 7/4
Dépôt n° 119-Erquy 683(officiers) rd-b.gif (376 octets) rd-v.gif (358 octets) rd-b.gif (376 octets) 13/9
Commando de Guingamp 25 rd-v.gif (358 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-r.gif (222 octets) 8/4
Commando de Lannion (déminage) 25 rd-b.gif (376 octets) rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets) 9/4
Commando de Plérin (déminage) 7 rd-r.gif (222 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-r.gif (222 octets) 8/4
Commando d'Yffiniac 7 rd-r.gif (222 octets)

rd-b.gif (376 octets)

rd-b.gif (376 octets)

8/4
Commando de Pinot-Duclos 23 rd-r.gif (222 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-b.gif (376 octets) 8/4
Morbihan
Dépôt n°112- Comper en Concoret 4.053 rd-b.gif (376 octets) rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets)Vermine 20/9
Dépôt n°118-Annexe de Kervegant en Ploemeur 285 rd-v.gif (358 octets) rd-v.gif (358 octets) rd-v.gif (358 octets) 19/9
Dépôt n° 118-Annexe de Kermoello 1263 rd-r.gif (222 octets) rd-b.gif (376 octets) rd-v.gif (358 octets)Vermine 19/9
Camp annexe du Pargo( annexe du 118) 1514 rd-r.gif (222 octets) rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets)Vermine 19/9
Camp annexe de Kerihuer en Ploemeur 1455 . . rd-r.gif (222 octets)Vermine .
Camp annexe Billiers/Muzillac-(déminage) 705 rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-r.gif (222 octets)Vermine 18/9
Camp annexe de Kerval-Auray 1924 rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-r.gif (222 octets)Vermine 18/9
Commando de Meucon 34 rd-v.gif (358 octets) rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets) 9/4

Finistère

Dépôt n° 116- Pleyber-Christ 2070 rd-r.gif (222 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-b.gif (376 octets)Vermine 14/9
Dépôt n° 113 Châteaulin 2573 rd-r.gif (222 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-r.gif (222 octets)Vermine 15/9
Dépôt n° 113 Brest-Annexe 739 rd-b.gif (376 octets) rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets)Vermine 14/9
Dépôt de Quimper-Lanniron 3853 rd-v.gif (358 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-r.gif (222 octets)Vermine 15/9
Hôpital militaire de Brest 260(malades) rd-r.gif (222 octets) . rd-r.gif (222 octets) 19/9
 
Unités visitées
Dépôts et annexes 18
Commandos 13
Hôpitaux 2
Total 33

D'une façon générale, la situation dans les dépôts était pire que dans les commandos. Encore l'enquêteur (Bonnet) n'en a t-il pas saisi toute la gravité. C'est ainsi que pour les dépôts 1101 et 1102 de Rennes, il note une nourriture satisfaisante, alors que d'après les témoins survivants, les prisonniers étaient parfois réduits à manger de l'herbe. Etant passé pendant la belle saison, il n'a pas noté la détresse due à l'absence générale de chauffage. Dépourvu de connaissances spécialisées, il n'a pas cherché à préciser la situation sanitaire, ni la mortalité.

La situation dans les commandos était très variable en fonction du commandement, mais aussi des ressources locales et de l'attitude de la population. Les commandos affectés au déminage étaient, dans cette région, mieux nourris que les autres, et parfois occupaient des villas délaissées par leurs propriétaires.

Dans la forêt de La-Guerche-de-Bretagne, il y avait deux commandos: celui des Allemands était misérable, tandis que le groupe des Italiens était très bien nourri.

 

Visites des camps de l'année 1946

Au cours de cette année, le CCIR confia les visites des camps de la XIème région à deux enquêteurs, M. Courvoisier et le Dr de Morsier. Ils mirent en évidence dans les premiers mois une situation désastreuse qui avait régné sans nul doute au cours de l'année 1945 et avait échappé à leur prédécesseur. A Rennes, ils sont passés trois fois, en mars, mai et juin. la situation s'améliora nettement à partir du mois de mai.

Je n'ai pu analyser la totalité des comptes-rendus de visites: le tableau ci-dessous porte sur environ 4/5 de ceux-ci.

 

rd-v.gif (358 octets) rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets)
Satisfaisant Moyen Mauvais

Visites de camps   de l'année 1946.

Ille-et -Vilaine

Unité-Dépôts-

Nombre
de P.G.
1945

Alimentation Vêtements Hygiène Date
Dépôt n° 1102 Rennes 10250 rd-r.gif (222 octets) rd-b.gif (376 octets) rd-b.gif (376 octets) 23/3 Courvoisier
Idem (2ème visite) . rd-r.gif (222 octets) Visite des rapatriables 5/5 Courvoisier
Dr de Morsier
Dépôt n° 1101 Rennes 5600 rd-r.gif (222 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-b.gif (376 octets) 23/3 Courvoisier
Idem (2ème visite)

Camp de transit de prisonniers rapatriables

3/5 Courvoisier
Dr de Morsier
dem (3ème visite) 3000 rd-b.gif (376 octets) rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets) 12/6 Courvoisier
Dr de Morsier
Hôpital de La Prévalaye Rennes 250
malades
Visite exclusivement médicale 4/5 Dr de Morsier
Dépôt annexe de la Motte au Chancelier-Rennes( waffen SS) 330 rd-r.gif (222 octets) rd-b.gif (376 octets) rd-b.gif (376 octets) 24/3 Courvoisier
Idem (2ème visite) 280 rd-r.gif (222 octets) . rd-b.gif (376 octets) 7/6 Courvoisier
Dépôt n°115- Saint-Servan 3613 rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-b.gif (376 octets) 3/5 Courvoisier
Dr de Morsier

Côtes d'Armor

Dépôt n° 111-Lamballe 4750 rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-r.gif (222 octets)
Vermine
13/3 Courvoisier
Idem (2ème visite) 5592 rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-r.gif (222 octets)
Vermine
21/8 Courvoisier
Commando de déminage de Plévenon 109 rd-b.gif (376 octets)  rd-r.gif (222 octets) . . Courvoisier
Dépôt n° 119-Erquy 72 rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-b.gif (376 octets) 24/7 Courvoisier

Morbihan

Dépôt n°114- Lorient (remplace le 118 supprimé) 9260 rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets) 15/3 Courvoisier
Idem (2ème visite) 8000 rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets) . 24/8 Courvoisier
Détachement de l'école des cadres de Meucon 388 rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-r.gif (222 octets) 23/8 Courvoisier
Détachement de déminage de Vannes 1200 rd-b.gif (376 octets) rd-b.gif (376 octets) . 8/6 Courvoisier
Centre de déminage de Vannes .  rd-r.gif (222 octets) rd-b.gif (376 octets) rd-b.gif (376 octets) 24/8 Courvoisier
Détachement de Coëquidan (Lire)

 3stars.gif (159 octets) (Documents photographiques)

2199 rd-r.gif (222 octets) rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets) 28/7

Courvoisier
Dr de Morsier

Finistère

Commando du Conquet 45 rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets) . 16/8 Courvoisier
Détachement de déminage de Fouesnant 95 rd-b.gif (376 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-b.gif (376 octets) 9/6 Courvoisier
Dépôt n° 113 Brest-Annexe 7709 rd-b.gif (376 octets) rd-b.gif (376 octets) rd-b.gif (376 octets) 14/3 Courvoisier
Idem (2ème visite) 7746 rd-b.gif (376 octets) rd-b.gif (376 octets) . 22/8 Courvoisier
St-Jean-du-Doigt 32 rd-r.gif (222 octets) rd-r.gif (222 octets) rd-r.gif (222 octets) 13/8 Courvoisier

 

Les enquêteurs  ont relevé des manquements flagrants à la convention de Genève et dans presque tous les camps, la condition misérable des prisonniers.

A Lamballe (13 mars 1946)

"L'homme de confiance demande que les rapports adressés au CCIR ne soient pas modifiés prélablement par le Commandant du camp."la nourriture".

Au détachement de déminage n° 39 de Plévenon

"Durant plus d'une année, la nourriture fut nettement insufisante, à tel point que selon les dires de l'homme de confiance et des gardes français, les prisonniers s'évanouissaient sur les chantiers de travail"

Observations sur les détachements de déminage dépendant du dépôt n° 111

D'une façon générale les prisonniers de tous ces détachements ont souffert de la faim. Par exemple ceux qui sont arrivés à Cabourg3 étaient dans un état de grande faiblesse si bien que le médecin allemand, d'accord avec le médecin français, a dû envoyer 35 % d'entre eux à l'infirmerie du dépôt 34".

3 On regroupait à Cabourg les démineurs qui avaient terminé le secteur qui leur avait été attribué.


Au détachement de déminage de Fouesnant


" Nourriture suffisante mais les prisonniers ne reçoivent rien à midi car le chantier est à 6-8 km du camp. Journée de travail de 7 h à 18 h, y compris 14 km de marche. Pas d'infirmerie. Sept malades le jour de la visite dont un complètement sous-alimenté ".

A Lorient (dépôt n° 114)


Rapatriement des malades : " sur 348 prisonniers proposés par le médecin français pour le rapatriement à Rennes, seuls 56 ont été acceptés ".

Au sujet du travail dans les commandos


" Les hommes de confiance attirent notre attention sur le fait que les employeurs civils abusent des prisonniers. Ils ne font pas attention aux agriculteurs mais par contre aux employeurs des exploitations forestières, de la reconstruction, etc. Les prisonniers des commandos sont en effet souvent astreints à travailler fort tard et n'ont même pas le temps de procéder à leur toilette. Dès leur retour au commando ils mangent, puis sont enfermés dans leurs cantonnements ".

Un cas particulièrement grave est celui du détachement de Saint-Jean-du-Doigt, visité par J. Courvoisier le 13 août : 32 prisonniers affectés à des travaux agricoles au profit du maire, M. Tanguy-Prigent.

" Durant 14 mois, les prisonniers logèrent dans une cave dans laquelle la lumière du jour ne pouvait pas pénétrer ".
(La ration alimentaire est juste suffisante et ne comporte que 17 g de matière grasse. Ils ne reçoivent ni farine ni pâtes).

" Ils n'ont jamais reçu de viande, seulement des abats de mauvaise qualité ".

" Un prisonnier est mort après être resté sans soins pendant 7 à 8 semaines ".


(Le commandant du dépôt avait été mis au courant de cette situation par un rapport d'un de ses sous-officiers interprètes daté du 21 juin, mais pendant 12 mois il l'avait ignorée. En conclusion de sa visite du 13 août, J. Courvoisier demande la dissolution de ce détachement.

Au camp de la Motte, dépendant du dépôt 1101

On y avait interné des Waffen SS. En 1945, d'après l'enquêteur CICR, ils étaient mieux nourris que les autres (sans doute parce qu'on espérait des engagements dans la Légion étrangère). En mars 1946, d'après J. Courvoisier, ils n'étaient plus que 330, gardés comme témoins dans des actions judiciaires. Ils étaient astreints à un régime de famine, 1200 calories en partie évaluées d'après la farine de soja moisie qui leur était attribuée, à raison de 200 g par jour plus 50 % dans le pain.

" Sur 330 présents on comptait 130 cas d'oedème de famine et 6 cas de cachexie4 ".

L'enquête du CICR a relevé presque partout que le personnel de garde pillait les prisonniers sous prétexte de fouilles, notamment à l'occasion de déplacements, leur enlevant le peu de linge qu'ils avaient pu garder en réserve.

4 Note de J. Hurault. Dans le processus qui conduit à la mort par dénutrition, l'oedème de famine est en général la première phase et la cachexie la phase ultime.

                   
Au détachement de Coetquidan, l'enquêteur a appris
:

Les prisonniers sont gardés par des Algériens qui parfois les obligeaient à des relations homosexuelles en les menaçant de coups ou même de leur fusil.(Lire)

Visite des camps 1101 et 1102 en mars 1946


Ces documents sont les plus précis de ceux qu'a établi le CICR pendant la période de détresse aiguë qui ne devait se terminer que deux mois plus tard.

J'ai résumé autant qu'il était praticable, en centrant l'analyse sur l'alimentation des prisonniers et leur état de santé. Le texte du compte rendu de visite a été conservé. Les passages résumés ont été placés entre parenthèses.

Dépôt 1101, Rennes

Visité le 21 mars 1946 par M. J. Courvoisier

Commandant du camp : Commandant Cadieu

Effectif :    5 600 prisonniers dont : 5 200 au camp
400 au camp SS de la Motte au Chancelier

Logement
" Ce dépôt est un ancien camp américain en mains françaises depuis le 25 juin 1945 ".

" Il sert actuellement de camp de transit où sont regroupés les prisonniers de guerre en mauvaise santé, provenant de tous les camps de la région militaire. D'autre part, les prisonniers arrivant des Etats-Unis sont acheminés sur Rennes après avoir passé par le camp de Bolbec ".

Ce camp est divisé en 3 " cages " :
" cage "    1    : rapatriables dans les 3 zones
" cage "    2    : rapatriables dans la zone russe seulement
" cage "    3    : prisonniers provenant des Etats-Unis
" En outre, ce camp comprend une infirmerie centrale, située un peu à l'écart des autres baraques du camp.
Les conditions de logement sont médiocres. Chaque prisonnier dispose d'une couchette, mais il manque encore des paillasses5 ".

5  Note de J. Hurault. Les prisonniers couchaient sur de la paille remplacée à de trop rares intervalles, ce qui facilitait l'invasion de la vermine.


Nourriture
" La nourriture est nettement insuffisante. Il semble que le Commandant de dépôt se contente d'un certain minimum de calories ".

" Les prisonniers reçoivent bien 1 800 calories, mais ce total comprend la ration quotidienne de 200 g de farine de soja ; le pain contient également 50 % de cette farine. En outre, les matières grasses, vendues sous le nom d'Oileca Simon ne comprennent en réalité que 40 % de graisse ".

" En général, les prisonniers se plaignent de ce que la farine de soja occasionne chez eux de nombreux troubles, entre autres, des gastro-entérites ".

Habillement
" A cet égard une sérieuse amélioration s'est produite (des vêtements ont été envoyés d'Allemagne) ".

Hygiène
" La vermine est peu abondante parce que le camp possède une étuve. La poudre DDT, extrêmement rare, est réservée à l'infirmerie ".
" Les douches fonctionnent dans les " cages " 1 et 3 ; alors qu'une panne s'est produite à la " cage 2 ".
(L'attribution de savon est normale).
" Les latrines sont suffisantes ; elles se déversent dans l'égout ".

Soins médicaux
" L'infirmerie centrale se compose de 4 baraques pouvant contenir 130 malades ; en outre, une baraque a été montée pour servir de dispensaire et de salle de pansement.
(Le personnel protégé comprend : 10 médecins, 2 dentistes, 1 pharmacien et 36 infirmiers). " Tous les prisonniers disposent de 3 couvertures ".
" Les malades touchent les mêmes rations que les autres prisonniers. A ce sujet, notre délégué a demandé au Commandant de dépôt s'il ne serait pas indiqué qu'il intervienne auprès du Service de Santé pour que l'on accorde une ration supplémentaire pour un minimum de 100 prisonniers ; cela permettrait ainsi de faire suivre quelques régimes aux malades ".

Nombre de malades :   

à l'infirmerie centrale 

130

à l'infirmerie du bloc 1

150

à l'infirmerie du bloc 2

130

à l'infirmerie du bloc 3

30

Total   

440

Maladies dominantes : faiblesse générale, cachexie, œdème de la faim, tuberculose.

à l'infirmerie centrale 

  30 cas de tuberculose ouverte

à l'infirmerie du bloc 1

  32 cas de tuberculose fermée

à l'infirmerie du bloc 2

   90 cas de tuberculose  

à l'infirmerie du bloc 3

/

Total 

152

" Ces malades ne reçoivent pas non plus de suppléments et c'est pourquoi les médecins allemands redoutent que des décès se produisent prochainement ".

" Les médicaments qui manquent le plus sont les sulfamides, le glucose en poudre, les vitamines C et le plasma ainsi que du matériel de pansement. Le médecin allemand serait également heureux de recevoir de la poudre insecticide et de l'urotropine ".

Décès : du 5 au 20 mars, 60 décès sont survenus, dont 55 étaient dus à la sous-alimentation ".

Entretien avec l'homme de confiance

L'homme de confiance a formulé les plaintes suivantes :

  1. les rations alimentaires sont nettement insuffisantes

  2. les prisonniers considérés comme rapatriables sont encore au dépôt depuis novembre et leur état de dépérissement est très inquiétant.

  3. la cantine n'est pas organisée.

  4. l'argent de camp manque.

  5. les douches ne fonctionnent pas au bloc 2.

  6. les membres du personnel protégé ne sont pas considérés comme tels.

  7. les vêtements provenant de Baden-Baden ont été distribués par les autorités françaises.

  8. au cours de fouilles, on a confisqué du matériel chirurgical qu'un médecin provenant de Lamballe avait apporté avec lui.


L'homme de confiance de la " cage " 3 se plaint de ce qu'au cours du transport de Bolbec à Reims le 14 mars 1946, les prisonniers furent fouillés par des hommes de garde qui leur ont enlevé montres, bracelets, bagues, tabac, savon, etc. En outre, il leur a été enlevé du tabac et du savon à leur arrivée au camp, sans que l'homme de confiance puisse contrôler les objets enlevés aux prisonniers.

(Suit une annexe rédigée par le Dr Julliard, délégué CICR, demandant le rapatriement, sans autre délai, des prisonniers jugés rapatriables, qui attendent depuis de longs mois).

(Copie traduite de la déclaration faite par le médecin allemand concernant les attributions de farine de soja et leur effet sur les prisonniers de guerre).

Rennes, dépôt 1101


" Dans ce camp de rapatriement, 90 % des prisonniers de guerre se trouvent dans un état de sous-alimentation. Une grande partie du ravitaillement est composée de farine de soja' de sorte que, non seulement, tous les potages sont cuits avec cette farine, mais le pain en est composé dans une proportion de 25 %.

" Cette nourriture provoque des cas de diarrhée toujours plus nombreux : depuis ces derniers 15 jours, on signale un cas de décès par jour sur les 2 500 prisonniers du camp.

" L'infirmerie du camp compte 600 lits qui sont continuellement occupés par de grands malades.

" La nourriture est la même que pour les autres prisonniers. Cette nourriture provoque de graves maladies intestinales impossibles à soigner avec des médicaments dont on dispose, s'il n'y a pas la possibilité d'organiser une nourriture de régime, et si en général il ne se produit pas de changement dans la situation alimentaire actuelle.

" Les 60 prisonniers qui sont morts depuis deux mois ont tous été victimes de la mauvaise alimentation ".

Dépôt 1102 Rennes
(Visité le 23 mars 1946 par M. Courvoisier)

Commandant du camp : chef de bataillon Baulny

Effectif : 10 250 prisonniers soit :

442 

  à l'hôpital

146 

  à l'infirmerie 2 948 au camp

6 714 

  en commandos

    

Généralités
Ce camp est un ancien camp américain remis en mains françaises le 26 juin 1945.

" Les prisonniers sont répartis en deux catégories : une catégorie loge dans des baraques et l'autre sous tentes. Le camp est subdivisé en 3 blocs, plus 1 bloc autonome, l'infirmerie ".

" La lumière électrique ne fonctionne pas dans les blocs 1 et 3. Par contre, elle fonctionne dans le bloc 2 et dans celui de l'infirmerie ".

" Les prisonniers qui logent sous tentes ont chacun une couverture et un sac de couchage. Le sol des tentes est de terre battue ".

Nourriture
" Les rations alimentaires diffèrent suivant les catégories de prisonniers. Une cuisine prépare les aliments destinés aux prisonniers travailleurs et une autre, ceux destinés aux prisonniers stationnés à l'intérieur du camp. Les travailleurs reçoivent environ 2 000 calories par jour, alors que les non travailleurs en ont 1 850. Il faut indure dans ces chiffres une très forte attribution de farine de soja. En effet, les prisonniers reçoivent 200 g de farine de soja par jour et le pain contient 50 à 60 % de soja également. Les médecins ont attiré l'attention de notre délégué sur ce fait, qu'étant donné l'état de déficience physique déjà alarmant de nombreux prisonniers, des conséquences très graves risquent de survenir à la longue ; de très nombreux cas de gastro-entérite et de dysenterie se présentent tous les jours et sont presque tous causés par la grosse proportion de farine de soja comprise dans les rations ".

Note de J. Hurault : il s'agissait d'une farine moisie ne pouvant convenir qu'à la nourriture des animaux. Les plaintes sur l'emploi forcé de cette farine avariée se rencontrent dans les comptes rendus des visites CICR effectués dans plusieurs autres régions militaires.

" Il n'est pas possible de consommer la graisse remise par l'intendance sans l'avoir fondue au préalable. En outre, cette graisse ne contient en réalité que 40 % de matières grasses, le reste est formé de matières azotées, de sel, etc. ".

" La cuisine est bien installée et possède un matériel suffisant, mais les prisonniers ne disposent pas de réfectoire ".

Habillement
" L'état des vêtements s'est sensiblement amélioré au cours de ces derniers mois. Les prisonniers moins favorisés à cet égard sont certainement les Autrichiens qui ne peuvent pas bénéficier des envois provenant d'Allemagne ".

Soins médicaux

(Le personnel sanitaire comprend : 14 médecins, 1 dentiste, 1 pharmacien, 23 infirmiers).

" L'infirmerie centrale est bien installée. Les prisonniers couchent sous la tente. Le combustible manque ".

" Les rations alimentaires sont les mêmes pour les malades que pour le reste des prisonniers. Le jour de la visite de notre délégué, l'effectif des malades se répartissait de la façon suivante :

au bloc de l'infirmerie:

120

au bloc 1 

27

au bloc 2  

16

au bloc 3   

16

Total

179


" Les cas les plus fréquents sont des cas de : gastro-entérite, cachexie, furonculose8, sous-alimentation. Les cas de sous-alimentation sont nombreux :

8 Note de J. Hurault. La furonculose est fréquemment citée dans les comptes rendus CICR, associée à la cachexie, ainsi qu'une dysenterie qui ne se communiquait pas à la troupe française ni aux civils. Il ne fait aucun doute qu'elle était liée à la sous-alimentation.

 

80

au bloc 1 (10,7 %)

130

au bloc 2 (10 %)

100

au bloc 3 (30 %)


Des décès surviennent presque chaque jour. Au cour des derniers trente jours, 25 prisonniers sont décédés, dont 80 % par la sous-alimentation ".

Observations sur la mortalité (aux camps 1101 et 1102)

Pour le camp 1101, M. J. Courvoisier qui a dû avoir communication du registre des mortalités, écrit :

" Du 5 au 20 mars, 60 décès sont survenus dont 55 étaient dus à la sous-alimentation ".

Pour le camp 1102 : au cours des trente derniers jours 25 prisonniers sont décédés (visite du 23 mars). Nous sommes fondés à décaler ce chiffre de 7 jours et à admettre 25 décès en mars, soit pour les deux camps, 85 décès en mars. Or, au cours de ce mois, il n'y a eu que 54 inhumations de prisonniers au cimetière de l'Est.

(Janvier 95 ; février 25 ; mars 54 ; avril 30 ; mai 12).

La différence est importante et laisse penser que ces camps avaient recours à des inhumations collectives.

Mais surtout ces chiffres permettent d'affirmer que les inhumations des morts de l'hôpital régional des prisonniers de guerre de La Prévalaye, se faisaient ailleurs qu'au cimetière de l'Est de Rennes. Il ne suffisait pas, nous l'avons vu, pour les décès survenus aux camps 1101 et 1102. Il n'y avait pas d'autre cimetière affecté aux décès de prisonniers. A La Prévalaye, d'après un témoin, on comptait une moyenne de 150 décès par mois en 1945 et au début de 1946 Ces corps ont été nécessairement inhumés dans des fosses communes.

Un témoin, M. Sicot, qui en 1945 était chargé du ravitaillement de la Prévalaye, a vu dans une partie du camp interdite aux visiteurs, un abri à l'intérieur duquel étaient entassés des cadavres recouverts de chaux, en l'attente d'évacuation.
                       
(Document sur la mortalité)

 

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