Cette porte ne devait maintenant s'ouvrir pour nous, que 8 mois plus tard
et encore pas pour la liberté . Quelques formalités de greffe, remise de
notre argent ( je possédais 25 francs ) à un affable adjudant. Nos sbires disparurent définitivement, décidément très énervés. Leurs cris résonnèrent
encore dans le grand hall sonore. Nous terminions nos remises d'identité,
quand apparut une petite femme d'environ cinquante ans, maigre, les cheveux
rares et courts, avec d'extraordinaires yeux clairs, des yeux
d'illuminée ou de sainte. Elle poussa quelques" schnell " retentissants destinés à nous
intimider ou bien à impressionner les soldats. Le soulagement d'en avoir terminé avec les mitraillettes et autres engins
meurtriers, nous fit trouver suave ce langage barbare .
Avant de nous séparer ,Mère et moi ,elle demanda " Mère " ,et avant d'entendre la réponse elle nous poussa violemment dans les bras l'une de l'autre. Nous fûmes séparées aussi vite ,et elle nous enferma chacune dans une cellule à grands
renfort de claquement de porte et de bruits indicible de clefs. Elle revint, à grand fracas quelques instants plus tard pour fouiller ma valise. Pendant cette opération ,j'eus le temps et le
soulagement de réaliser que la cellule possédait déjà deux occupantes et
que ces deux filles paraissaient sympathiques .
Pas du tout le genre, apparemment du gibier de potence que l'on trouve
habituellement dans les prisons. Elles étaient jeunes : l'une petite et
grosse avec de beaux cheveux noirs frisés ,et l'autre mince et blonde, le
teint blafard .
Kiki ,(c'était le surnom de la gardienne ) fit le vide barométrique dans la valise , répandant tout sur le lit ,ou
plutôt le grabat. J'observai à loisir mes futures compagnes et la cellule
?; celle-ci était en plein nord, donc horriblement froide ; elle faisait à peu
près 3m sur 2. Destinée à l'origine à un seul prévenu ,elle possédait un
sommier métallique que l'on pouvait rabattre, un autre lit en fer dit lit de
soldat, une chaise solide en bois rivée au mur par une grosse chaîne et une
table également rabattable ,ou étaient posées des gamelles et une boule de
pain. Enfin dans un petit renfoncement ,à côté de la porte une " tinette ",qui répandait dans la cellule une odeur très particulière ,à laquelle on ne
pouvait jamais s'habituer. Pourtant si le confort le plus élémentaire
manquait, la cellule n' était pas sale. Tous les samedis, grande
réjouissance, on nous apportait un balai et un seau d'eau et à grands renforts de coups de balai-brosse et d'eau versée
sur le plancher ,nous arrivions à obtenir une propreté relative. Les autres jours un minuscule balai dit ramasse poussière ,nous servait à
rassembler les mies de pain et autres saletés. Mous nous disputions ce travail ; cela nous
réchauffait ,et surtout nous occupait.
Au fond de la cellule une fenêtre en demi-lune, à deux mètres du sol
,nous amenait un jour gris et anémique de décembre. Les murs étaient
couverts d'inscriptions ,que j'eus le temps de déchiffrer à loisir par la
suite ;
Je vis tout cela en un coup d'œil ,mais mon attention était beaucoup
plus attirée par Kiki qui pour finir me laissa à peu près tout ce que
j'avais emmené à l'exception d'un crayon . Dès qu'elle fut repartit ,je demandai tout de suite à mes compagnes
depuis combien de temps elles étaient là
- " Cinq mois " me répondit la grande blonde qui s'appelait Léa
- "Un mois " me dit l'autre, Claire.
Je me dis en moi-même " Heureusement que les Alliés vont bientôt débarquer, je ne resterai jamais cinq mois ici ".
Ces cinq mois de cellule expliquait la pâleur de Léa ; ils expliquaient aussi
son hypersensibilité car pour un rien, elle 'avait la larme à l'œil. Il faut dire que son père était déjà parti en Allemagne et que sa mère était à la prison dans une autre cellule.
- Savez vous pourquoi ils vous ont arrêtées ?
Me méfiant à juste raison de ces deux inconnues je répondis, d'un air
innocent que je n'en savait rien, d'ailleurs que c'était la manière
actuelle de la Gestapo d'arrêter ainsi des innocents, mais que bientôt convaincue de notre innocence, elle ne tarderait pas à nous délivrer.
Léa dont le père était gendarme à Dol de Bretagne, avait été arrêtée
parce que les Allemands avaient trou vé dans leur jardin un revolver.
Personne de la famille de Léa ne savait qui avait bien pu le mettre là ?.
Quand à Claire elle se rendait chez des amis, à Brest où ses parents
possédaient une quincaillerie). Les Allemands ,qui avaient placé une
souricière dans cet immeuble, s'emparaient de tous ceux qui franchissaient
la porte. La pauvre Claire n'en était pas encore revenue ...