Ed:02/01/2024
Ceux d'Éverre Source: "Entre Éverre et Minette" n°8 Maquis d'Éverre |
Pour enrichir
la mémoire du passé, je recherche tout témoignage sur les prisonniers de guerre
et sur des faits de Résistance en Bretagne avec documents
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Au soir du 27 juillet 1944, une colonne d'Allemands accompagnée de miliciens traversent les villages de la Giollais et du Rocher pour cerner le moulin d'Éverre. Il sert de cache à un groupe de résistants. Les patriotes tentent de s'échapper, mais quatre sont abattus et deux sont faits prisonniers. Soixante ans plus tard, deux rescapés, Yvonne Morin et Jacques Jouet témoignent. 1. À Dinard, un groupe actif essaime jusqu'à Éverre Loulou Pétri de Louvigné-du-désert est chef interdépartemental FTP et supervise plusieurs réseaux de résistants ; il a plusieurs planques dont une à Dinard. Dans le pays de Fougères, c'est un habitant de Saint-Sauveur-des-Landes, André Olivri dit Raoul, qui dirige le maquis d'Éverre. C'est par son intermédiaire que le groupe de Dinard s'est installé au moulin. La mission du groupe est de se tenir prêt à attaquer et neutraliser les miliciens en caserne à Fougères. Ils stockent également des armes puis les redistribuent en fonction des demandes ou des missions. Parfois ils font main basse sur des timbres, pièces d'identité, tampons et autres ausweis (laissez-passer) dans des mairies, mais aussi dans des entrepôts de collaborateurs ou des bureaux de tabac. Henri Saint-Eloi s'est spécialisé dans la falsification des signatures et la création de faux papiers évitant ainsi le Service du Travail Obligatoire à quantité de jeunes. Éverre, c'est depuis mai 1944, la cache de résistants regroupés autour d'André Jouet. On ne compte pas plus de 13 membres :
. Le maquis est ravitaillé par le voisinage comme la famille Trémion. Ils dorment sur place au moulin ou dans le foin, à l'exception de André Olivri, André Jouet et Verdun Humbert. Fils du boucher de Saint-Brice-en-Coglès et ancien enfant de troupe, puis militaire de carrière, Humbert rentre à Saint-Brice-en-Coglès, chez ses parents. Humbert et Olivri connaissent donc bien le pays. Les résistants FTP1 (Francs Tireurs Partisans) issus de la mouvance communiste sont payés 250 francs par mois, mais Jacques Jouet n'a pas souvenir d'avoir reçu quelque somme que ce soit. Cet attrait financier ne représente rien au regard des sommes qui peuvent être proposées aux miliciens… C'est l'idéal patriotique qui en est le moteur.
2. Jacques JOUET dit "Henri COCHET" Né en 1924, Jacques a 15 ans quand la guerre éclate. Il est apprenti en mécanique automobile. Mais avec toutes les restrictions imposées par l'Occupation, l'ouvrage en mécanique se fait rare : plus d'essence, plus de voitures sur les routes, donc plus de travail. Il devient alors disponible pour d'autres aventures. Bien sûr, il y a bien le champ d'aviation de Dinard ou l'embauche allemande aux chantiers de l'organisation TODT, mais Jacques ne mange pas de ce pain là. Sa mère fait des ménages, son père est chauffeur mécanicien. Militant communiste, il entre dès les premières heures dans la Résistance. Toute la famille épouse l'idéal patriotique et est convaincue de l'importance de la lutte. Les Jouet forment un réseau qui peut devenir très vite opérationnel. Ils ont des contacts dans toutes les administrations de Dinard comme les brigadiers de police, les cheminots ou les postiers. Partageant l'espoir de la Libération, Jacques suit les traces de ses parents, de son jeune frère André et de Gérard Le Pottier. C'est avec ces derniers et quelques autres que le groupe de résistants a été constitué. Ce sont, pour beaucoup, des copains d'école recrutés dans le cercle d'amis ou les enfants de parents résistants dans la région de Dinard. Mais rester à Dinard présente un risque. Trop connus, ils doivent s'éloigner en utilisant le réseau. C'est ainsi qu'ils se retrouvent à Éverre. 3. L'attaque du 27 juillet 1944
L'assaut est donné vers 21 heures 30. Et va suivre toute une nuit de
pluie et d'horreur.
Sitôt entendu le signal "les Allemands !" il faut fuir très vite.
Certains s'échappent, d'autres
tombent sous les balles et deux autres sont capturés puis torturés. Il y passe la nuit. Il voit passer à deux pas de lui tous les soldats ennemis. Il est témoin des tortures et des interrogatoires subis par ses amis Alouette et Leprince tombés entres les mains des occupants et des miliciens. Ces derniers sont souvent plus violents que les Allemands eux-mêmes. Il se souvient même avoir entendu "langsam"2 à plusieurs reprises, ordre donné aux miliciens pour calmer leur ardeur à torturer des concitoyens. Les questions sont toujours les mêmes : "Combien êtes-vous ? Y a-t-il une femme avec vous ? Comment sont-ils ? Décrivez les … " Craignant d'être découvert, il fait son choix et décide de son sort : "Je pars en courant, donc à découvert, je serai alors abattu, mais je n'aurai pas à subir la torture." Mais personne ne le trouvera.
Les résistants continuent d'être torturés et le feu est mis au moulin.
Vers une heure du matin,
dans l'incendie, les munitions cachées provoquent de violentes
explosions. Jacques, très
proche, croit que sa dernière heure est venue. Devant la maison Thébault, il fait la macabre découverte des corps de trois des siens étendus à la porte 4. Il poursuit son chemin vers une ferme. Malheureusement, il reconnaît, aux bérets, quelques miliciens allongés au bord du chemin. Il ne peut faire demi-tour. Très vite, une idée jaillit dans sa tête : c'est l'heure d'aller chercher les vaches pour la traite, et comme s'il était de la ferme, il fait semblant, appelle son chien "Taïaut, Taïaut ! Tes vaches, tes vaches". Sitôt passé le groupe de miliciens, il se précipite dans la première maison et tombe sur le fermier. A bout de force et d'émotions, il donne le choix à son hôte : "Vous êtes Français ou pas, si oui, donnez-moi des vêtements secs, sinon, vendez-moi". La chance est de son côté, le fermier est français, et "bon français". Réconforté, il regagne la maison Carlhant, à Saint Brice-en-Coglès.Au lendemain du massacre, c'est André Jouet, frère de Jacques et responsable du groupe qui ira reconnaître les corps en compagnie de Pierre Tropée, maire de Saint-Marc-sur-Couesnon et de Jean Bouvier, son gendre. Les corps sont disposés sur une charrette mise à l'abri dans la grange Leroux à Launay, avant d'être rapatriés à Dinard.
4. Yvonne Morin dite "Chantal" Comment devient-on résistante lorsqu'on a 20 ans ? Née en 1921, Yvonne a connu une enfance difficile : son père, ouvrier agricole, rapportait le minimum vital à la maison où la maman était alitée. Dès six ans, Yvonne se retrouve à garder les vaches, mais elle est volontaire et prête à relever tous les défis. Elle devient institutrice et travaille également à l'hôtel-restaurant du 12 boulevard Féart à Dinard. Ses patrons, les Morel, résistants, reçoivent des gens de passage qui se reconnaissent grâce à des noms de code. C'est par la famille Morel qu'Yvonne fait connaissance de la famille Jouet. Pour lancer des actions anti-allemandes, il faut recruter et avoir des femmes dans un réseau est intéressant ; moins suspectes, elles échappent plus facilement aux contrôles que les hommes et savent faire passer les documents secrets. C'est donc tout naturellement qu'Yvonne accepte de rentrer dans la Résistance et devient agent de liaison sous le nom de Chantal. A Éverre, elle est chargée de prévenir les agriculteurs qui transportent, avec leurs tombereaux, les armes parachutées. C'est ainsi qu'elle roule sur son vieux vélo "kaput" que les Allemands ne veulent même pas réquisitionner. 5. Comment "Chantal" est passée au travers du piège d'Éverre
Yvonne retrouve finalement Raoul à la boulangerie de Saint-Jean-sur-Couesnon. Avant même de connaître l'identité précise des victimes, le nom des auteurs de la "vendition" circule déjà. A la sortie de la boulangerie et pour éviter tout soupçon, Yvonne et Raoul se séparent. 6. Après Éverre Après la tragédie d'Éverre, les rescapés du groupe se retrouvent chez Viviane Carlhant, les gardiens d'un dépôt de la gare de Saint-Brice-en-Coglès. Yvonne, quant à elle, loge chez une infirmière les premières nuits. Sous la conduite de Humbert, une compagnie est formée à Saint-Brice-en-Coglès et continue les opérations de harcèlement des occupants dont le fameux épisode de la Bélinaye.
En cette période, la frontière entre Occupation et Libération n'est pas encore bien nette. Les Américains ont réussi la percée d'Avranches tandis que les Allemands, démoralisés, mal équipés, en déroute, fuient la Normandie. Le drapeau français flotte à nouveau dans de nombreux endroits et pourtant il reste des Allemands dans les campagnes à l'écart des grands axes libérés. Les résistants, connaissant bien la région, se chargent de pourchasser les derniers Allemands qu'ils doivent remettre aux Américains. Mais cette coopération entre résistants et Américains ne se passe pas toujours bien. Les résistants acceptent mal d'être désarmés. Certains considèrent que le traitement réservé aux prisonniers allemands est quelquefois expéditif.
Les rescapés d'Éverre sont intégrés à Saint-Brice-en-Coglès dans une compagnie de trente-six hommes dirigée par Verdun Humbert. La Compagnie est logée près de la gare et accueillie par Yves Carlhant8, concierge de l'entreprise qui occupait autrefois l'espace de la gare. 7. Epilogue
Jacques reconnaît avoir eu beaucoup de chance d'être sorti vivant de
cette période agitée.
Cette chance, il la doit aussi à de bons voisins témoins de beaucoup de
choses qui ont su le
couvrir ou être de la plus grande discrétion. Jacques n'a même pas besoin de suivre les conseils de son chef, car des ennuis de santé le clouent en France, d'hôpital en hôpital.
Yvonne démarre également une carrière au service social de l'armée. Elle
doit rapidement y
mettre un terme pour élever ses quatre enfants et s'occuper de son mari
malade. Carrière
sociale, infirmière, institutrice, Chantal-Yvonne aura exercé bien des
métiers et risqué sa vie
pour un idéal quand ses parents la croyaient au travail à Saint-Malo… Jacques suit toujours l'actualité de la France et du monde, mais garde une certaine amertume. Il regrette le peu de reconnaissance accordée aux personnes qui ont mis leur vie dans la balance même s'il avoue une grande dose d'inconscience imputable à la jeunesse. Il regrette "qu'il vaut mieux vendre son pays que le défendre". Aujourd'hui encore, la justice accorde la libération de personnes ayant collaboré de loin ou de près comme M. Papon.
Témoignages recueillis à Caulnes en septembre 2004 par G. Léonard (Histoire et Patrimoine de St-Marc-sur-Couesnon) et B. Chevallier (Cercle d'Histoire de Saint Hilaire-des-Landes) auprès de Jacques Jouet et Yvonne Morin devenus mari et femme. 8. Marcel Trémion
Bernadette9 , la fille de Marcel, se souvient. Lorsqu'elle est témoin de la remise de ravitaillement aux résistants, son père lui fait promettre de ne pas en parler à sa mère. Elle a toujours tenu cette promesse …"Papa travaillait à Saint Marc sur la ligne du Tramway. Maman, tenait une petite ferme." Bernadette était enfant mais se souvient de ces moments gravés à jamais dans sa mémoire : "J’avais 5 ans, j’étais assise sur le pas de la porte quand les Allemands sont arrivés. Ils revenaient du moulin, ils m’ont demandé - vos parents sont là ? j’ai dit -maman arrive. Elle revenait avec les vaches. Elle a rentré les bêtes dans l’étable puis a voulu les attacher mais ils lui ont fait non de la main, -fermez la porte et tout le monde dans la maison. Ils nous ont enfermées dans la maison : maman, mes sœurs et moi.Pendant ce temps la milice est descendue le long du ruisseau à la recherche des résistants échappés. Les Allemands sont allés dans le cellier. Ils ont défoncé les tonnes à cidre, le cidre courrait dans la cour. Voyant cela, maman nous a couchées, toutes habillées. Au bout d’un moment, ils sont rentrés dans la maison. Les Allemands ont demandé à maman - où sont cachées les armes ? Sinon on brûle tout, la ferme et vous avec, puis, ils ont mis la maison à sac, ils balançaient les vêtements des armoires dans la figure de maman. Un allemand l’a mise en joue, mais, ne trouvant rien, ils sont sortis en nous laissant enfermées dans la maison.Maman a ouvert la fenêtre, elle m’a passée par la fenêtre et je suis descendue, mais un allemand m’a vue, il m’a reposée sur la fenêtre et a fait signe de la main " non". Quand maman a vu cela, elle est passée et a sauté par la fenêtre et elle m’a dit -passe moi tes sœurs" –elles avaient 3 ans et 10 mois-. Ils nous ont laissées partir. Mes sœurs et moi étions pieds nus. On est arrivé à la maison Thébault. En passant devant la porte du cellier, maman m'a dit -ne regarde pas, mais j'ai quand même eu le temps d'apercevoir trois cadavres …À travers champ, nous allons jusque chez Férard, au moulin du Pont. Derrière nous, ça pétaradait encore. Mme Férard nous a donné des chaussures. Elles étaient trop grandes mais c’était mieux que pieds nus et on est allé chez une sœur de maman à Saint-Jean-sur-Couesnon.
Marcel Trémion, Marie-Louise Tual, Lucien Bigot, Henri Lebreton et son commis Jean Coquelin, sont arrêtés au soir du 27 juillet et internés à la prison Jacques Cartier de Rennes, sans doute torturés pour certains. Ces cinq otages partent dans le dernier convoi de Rennes vers l'Allemagne. Témoignage de Marie Louise TUAL
Après son incarcération à Jacques Cartier, Marcel est déporté en Allemagne le 6 août 1944, avec le matricule 62332. Il ne reviendra jamais de cette déportation. Il décède le 26 janvier 1945 au camp de Neuengamme, suite à une pneumonie, laissant femme et enfants. Le père Lebreton et son commis ont plus de chance, ils seront libérés. A titre posthume, Marcel Trémion recevra la carte de Combattant.
Parcours du dernier convoi de déportés parti de Rennes le 3 août 1944. C'est du coté de Langeais que Joseph Martin11 de Saint-Hilaire-des-Landes a pu s'échapper, profitant d'une panique, suite à un mitraillage des Alliés. Pour Marie-Louise Tual, la déportation s'arrêtera à Belfort.Son père parti, Bernadette Trémion nous raconte la suite : "On n'aurait jamais dû revenir à Éverre. Choquée, paralysée, maman ne voulait pas revenir dans la ferme. A l'époque, il n'y avait pas de psychologue pour aider les gens. La famille de maman a insisté pour qu'elle regagne la maison. On n'est revenu que quinze jours après, mortes de peur. Tout était resté ouvert, armoires vidées, sens dessus dessous, quel désastre et quel calvaire ! Heureusement, Marie Guillois, Marie-Joseph Hurault et Marie-Joseph Guillemot les voisines avaient pris soin des animaux restés enfermés dans l'étable. J’ai fait des cauchemars pendant plusieurs années avant de m'en sortir, mais sans jamais oublier. Pour moi, jamais les résistants n'auraient dû être découverts par les Allemands s'ils n'avaient pas été dénoncés !" 8. Henri Lebreton, otage.
Avec les chemins creux, Placet et Éverre sont coupés du monde, ce qui a contribué à la planque du groupe de résistants. Mr et Mme Lebreton habitent Placet avec leurs cinq filles : Mélanie 13 ans, Odette 10 ans, Bernadette 9 ans, Marie 7 ans et Alice 4 ans.
. Malgré ses 7 ans, Marie12 n'a jamais oublié ce 27 juillet 1944. "Je me rappelle du mitraillage à Éverre. En soirée, Joseph Galle, le frère de maman, est venu à la maison et nous a emmenées un peu plus loin chez Mme Guillemot, à la ferme des Champs-Hauts pour nous mettre à l'abri.Nous connaissons bien Mme Guillemot, elle fait la lessive chez mes parents. Ma sœur aînée Mélanie marchait mal. Elle a été mise sur une échelle en guise de civière pour traverser le ruisseau d'Éverre et arriver aux Champs Hauts. J'avais l'habitude de passer à Éverre pour aller voir ma tante, Marie-Louise Bordais à la Coutardais. En passant près du moulin, je voyais des personnes qui étaient là. Petite, on ne se pose pas de question. Une dizaine d'Allemands est passée à la maison. Ils ont fouillé partout, jusque dans les soues à cochon. Finalement ils emmènent papa et Jean Coquelin, le commis. Après les évènements, nous ne sommes pas rentrées tout de suite à Placet. On est allé à Launay chez Jean Galle, un autre frère de maman. Papa parti, maman a repris la ferme en se faisant aider par Angèle Tondeux, cuisinière à l'école privée de Saint-Hilaire-des-Landes." A son retour de captivité, Henri Lebreton a offert un petit foulard à chacune de ses filles et repris le travail. Henri Lebreton était "quelqu'un de bien". A travers sa personne, c'est à la fois le voisin d'Éverre et le conseiller municipal qui sont visés.
Henri Lebreton, conseiller municipal. Il serre la main de Monseigneur Roques, évêque de Rennes lors de la mission de 1950 et l'inauguration du monument du Sacré-Cœur.
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Il existe d'autres groupes comme l'AS (Armée Secrète) plutôt
marquée politiquement à droite ou les FFI
(Forces Françaises Intérieures).Entre H Lebreton et Mgr Roques : Constant Simon et Constant Guillois.
Bibliographie |
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