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Le procès de Schwaller

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Ouest-France du 6 juillet 1946 a écrit l’article suivant concernant l’assassin d’André Leclerc :

A LA COUR DE JUSTICE
TRAITRE, VOLEUR ET ASSASSIN
EMILE SCHWALLER, CHEF DE CENTAINE A LA MILICE VA REPONDRE DE SES CRIMES

Les jurés de la Seine et ceux de la Côte d’Or sont depuis plusieurs jours occupés à l’examen des sinistres exploits des policiers et des tueurs de la SPAC. Durant de longues audiences, de nombreux témoins ont défilé, rescapés pour la plupart des camps de la mort lente, et ont évoqué les tortures et les sévices dont ils ont été l’objet de la part des bourreaux sur le sort desquels va se prononcer la justice des hommes.
Rennes aura également au cours de la semaine qui vient, son " grand procès " Après les audiences à l’issue desquelles furent condamnées à mort la plupart des agents du groupe d’action du PPF, après le procès de Zeller et de ses accolytes, nous pensions qu’il nous serait difficile de retrouver sur le banc des accusés de la cour de Justice des traîtres aussi monstrueusement compromis, tant par leur attitude toute dévouée à la solde de leurs maîtres hitlériens que par les exactions et les crimes dont ils se sont rendus coupables.
Nous nous trompions : les deux inculpés qui vont comparaître lundi au début de l’après-midi, devant la cour de justice de Rennes que présidera l’excellent président M. Bouriel, sont eux aussi " des clients " de marque et les crimes qui leur sont reprochés sont si nombreux et d’une telle gravité que l’on se pose la question de savoir comment des hommes, des Français, ont pu tomber si bas.

Inculpés tous deux d’intelligence avec l’ennemi et de port d’arme contre la France, Emile Schwaller et du Perron du Mautin ont été également des voleurs, des bourreaux et des assassins. Complices, ils étaient amis… Co-inculpés, ils se haïssent aujourd’hui et, pour essayer de sauver leur tête, ils tentent de se rejeter, l’un sur l’autre, la responsabilité du drame épouvantable dont ils ont été les acteurs et dont furent victimes des Français et des Patriotes. Et c’est bien que leur dossier ait été étudié séparément et qu’ils aient chacun leur responsabilité propre dans des affaires qui leur sont particulières, parce qu’ils ont travaillé ensemble pour les mêmes maîtres, qu’ils comparaîtront côte à côte, devant la cour de Justice. Une rude bataille en perspective car les deux traîtres ne se ménageront pas.

LA CARRIERE DE SCHWALLER :

Pour aujourd’hui, ouvrons rapidement le dossier de Schwaller :

Emile Schwaller est né le 8 octobre 1911 à Portrieux dans l’Est. Il est donc âgé de 35 ans. Ex-secrétaire départemental de la L.V.F. et ex-chef de centaine de la Milice à Rennes. Il commence à se mettre au service du " Grand Reich allemand " dès 1941, époque à laquelle il signa un contrat de trois mois comme travailleur volontaire en Allemagne.

A l’expiration de ce contrat, Schwaller s’engage dans la L.V.F. Son livret militaire porte le numéro 76. C’est dire assez qu’il fut dans les premiers de ceux qui, croyant dans la victoire hitlérienne, voulurent être parmi les artisans de cette victoire et la réaliser, pour en profiter. Sergent à son départ pour le front de l’Est, Emile Schwaller se bat pendant deux ans contre les Russes et conquiert les étoiles d’adjudant, puis d’adjudant-chef. Réformé le 8 avril 1943, il vient s’installer à Rennes ou ses maîtres lui confient le secretariat départemental de la Ligue des Volontaires Français contre le Bolchevisme. C’est en cette qualité qu’il dirige la propagande et le recrutement des volontaires – heureusement peu nombreux – qui se laissent prendre au mirage dangereux de la croisade prêchée par Vichy. Ayant adhéré au PPF Schwaller est nommé en avril 1944 instructeur de la Milice et à l’arrivée des sinistres sbires de Darnant, il prendra le commandement d’un groupe en qualité de chef de centaine.

UN MONSTRE

C’est alors qu’il manifesta l’activité qui lui vaut de comparaître devant la cour de Justice. Emile Schwaller pour les Rennais et pour toutes les populations d’Ille et Vilaine, va devenir le bourreau n° 1. Et l’on a peine à croire qu’un homme puisse faire preuve de plus de cynisme et de plus de cruauté. Les Allemands qui cependant le paient et l’emploient diront de lui qu’il leur apparut comme un monstre déchaîné, n’ayant plus d’autre but que de satisfaire ses bas instincts de soudard. Il multiplie en trois mois les arrestations, les pillages, les tortures et les meurtres.

LE PILLARD

Connaîtra t-on jamais tous les crimes dont Schwaller est responsable ? C’est peu probable. Mais la liste de ceux qui ont été établis est suffisamment éloquente pour permettre à la Justice de lui demander des comptes. Faut-il en énumérer quelques uns ? Citons rapidement les pillages réalisés à l’hôtel de M. Lechaux, avenue Barthou à Rennes ; chez M. Bourdais à Saint-Meen-le-Grand ; chez M. Bohuon, boucher à Romillé ; aux établissements Thiercelin à Rennes, où avec ses hommes, il s’empara notamment - les traîtres avaient grand soif – de 1.769 bouteilles d’Armagnac ; chez M. Poirier au restaurant d’Armenonville. Partout le bandit, pour masquer ses vols, exige de ses victimes sous la menace, qu’elles signent des attestations affirmant qu’elles font don à la Milice de tous les objets qui leur ont été volés.

LE BOURREAU

Et c’est la longue série des arrestations, des tortures et des vols dont sont victimes : MM Pierre Larre et Marchand à Vern-sur-Seiche ; Désiré Faludi et Marcel Glasmau à Bourg-des-Comptes, qui sont tous deux brûlés avec des cigares et des cigarettes allumées ; Auffret, marchand de grains à Rennes ; Joseph Maret et Pierre Louis, Marcel Lodiais à Rennes, qui réussit heureusement à s’évader ; André Leclerc qui fut assassiné route de Saint-Brieuc ; Henri Gloux et Clément Villoury de Talensac ; jean Trémintin restaurateur route de Lorient à Rennes ; Armand Baziller qui fut abattu à coup de révolver ; Auguste Thouin jardinier à Rennes ; André Roullier ; Charles Jaffrenou et Lucien Lagoutte qui connurent le supplice de la tête plongée dans une bassine d’eau ; Marie Rousseau et Roger Pignel de Pacé qui furent abattus sans motif sur la route et dont les enfants de Schwaller se partagèrent les dépouilles ; Henri Berthelot inspecteur aux renseignements généraux ; Fernand Brionne dont le cadavre atrocement mutilé ne fut retrouvé que plusieurs semaines après la libération ; Huchet-Chouan épicier à Rennes qui fut torturé malgré ses 64 ans et qui dut être hospitalisé ; les frères Hyppolyte et Roger Bruchet, commerçants 50 rue d’Antrain à Rennes, dont le second Roger devait mourir des suites des tortures qu’il subit ; les frères Georges et Armand Guihard et Toussaint Langlament de Chartres-de-Bretagne etc…

Ce douloureux et tragique palmarès n’est qu’incomplet. Schwaller en effet, a d’autres crimes sur la conscience, crimes qu’il réalisa cette fois contre des membres de la Résistance. C’est lui en effet, qui est accusé d’avoir fait arrêter et déporter Mme Louis Nuss et Mme Toullec rue Gütemberg à Rennes, qui servaient courageusement dans un réseau de la Résistance, le réseau " Blavet " arrestation qui fut suivie à Paris de celle d’un héros de la Résistance, Yvon Jézéquel et de sa sœur, morts tous deux en Allemagne. C’est lui encore qui opéra à Saint-Pierre-de-Plesguen chez M. Dufeil ; à Larchamp en Luitré contre le Maquis que dirigeait le chef de groupe Bouvier, qui blessé fut achevé à coup de révolver ; à Broualan contre un autre maquis, opération au cours de laquelle trois Patriotes furent tués et dix sept arrêtés, dont huit furent exécutés sur place ; à la Roche-aux-merles en Vieux-Vy-sur-Couesnon ou fut exécuté Yvonnick Laurent, cependant que furent arrêtés Jean Salvet et Roger Elie.

Tels sont rapidement résumés, les faits principaux retenus à la charge de Schwaller. M. Bouriel, président de Chambre dirigera les débats avec sa coutumière autorité. M. l’Avocat Général Guihaire occupera le siège du Commissaire du Gouvernement. Et désigné d’office par le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats Me Yves Lecomte, obéissant aux traditions de la Justice Française qui veut que tout accusé soit assisté d’un avocat, se tiendra au banc de la Défense.

C’est du reste dans les mêmes conditions que Me Poret a été désigné pour défendre du Perron de Maurin, dont nous examinerons l’activité dans notre prochain numéro.

Jehan Tholomé

(Schwaller a été fusillé)