Les radars allemands de Monterfil dit le 'cerf
" chef du secteur CND (Confrérie Notre Dame) de Rennes |
Le docteur Dordain me dit :" Les Anglais ont besoin d'un plan précis des Chênes-Froids " " Né en 1918, à Paris (16ème) ma mère était morte quand j'étais jeune. J'ai été élevé à Tréffendel en Ille-et-Vilaine dans de la famille.
Faisant partie du bureau de recrutement de la Seine, je suis incorporé le 1er septembre 1938, au Génie à Strasbourg. Le 1er septembre 1939, veille de la déclaration de guerre, je revenais d'un stage de 4 mois à l'école du Génie à Satory, actuellement dans les Yvelines. Je suis parti au dépôt de Guerre du Génie à Epinal. J'y suis resté quelques semaines. Ensuite je suis parti dans le secteur de Wissembourg, dans le Bas-Rhin. Comme j'avais mon brevet de spécialiste des appareils techniques et électriques, on me donna la responsabilité d'un petit groupe de la 222ème compagnie de dépannage et de réparation sur la ligne Maginot.
Quand il y a eu la débâcle ceux qui étaient à l'intérieur des fortifications ont été faits prisonniers, mais mon groupe a pu s'enfuir en camion. Nous nous sommes retrouvés dans la région du Larzac (Aveyron). De là je suis allé à Montpellier où j'ai été affecté à la compagnie de DCA. Ce n'était pas mon truc, mais c'était comme ça. Enfin, j'ai été démobilisé à Lunel, dans l'Hérault.
Je suis revenu à Rennes travailler chez " Bernard " rue Vanneau. Deux mois après voilà les Allemands. Ils veulent me repiquer. Nous étions 40 à l'atelier, ils en voulaient 5. J'étais un des derniers arrivés et pas de famille. J'étais bon pour le voyage. Je demande mon compte en douce, je veux repasser la ligne de démarcation.
Sur la Garonne, le passeur avait été piqué la veille, c'était un jardinier, j'avais besoin de travailler, plus un rond. Je connaissais quelqu'un à Bordeaux, j'ai pu me faire embaucher et obtenir de vrais faux papiers, mais les Allemands veulent me repiquer.
Je reviens alors dans la région, mais pas en ville, je me sens plus en sécurité en campagne.
C'est en 1942, Jérôme Gesvret avait besoin de quelqu'un pour monter des gazogènes. J'en ai montés dans les fermes à plusieurs endroits pour les battages, à Monterfil notamment. J'y suis resté pendant quatre mois. Un jour Monsieur Durocher cherche quelqu'un, il était garagiste à Bréal et il avait un contrat avec la Poste pour le transport des colis. II m'a embauché, c'est lui qui m'a fait rencontrer la résistance, il était dans le Groupe du docteur Dordain de Mordelles.
J'avais dit au docteur que je n'avais plus de parents, ni frère, ni sœur, que j'étais seul. Il ne fallait pas qu'il se gêne. Au cas où j'aurais été pris, les Allemands ne pourraient pas se venger sur la famille, car des fois, c'est ce qu'ils faisaient.
Les Anglais étaient pressés
Le docteur m'avait déjà confié quelques missions. Comme ça, un jour il me dit: " Les Anglais ont besoin d'un plan précis avec photos du camp des Chênes-Froids ". Les Anglais s'étaient aperçus d'une chose : quand ils venaient pour bombarder la base sous-marine de Saint-Nazaire qui était en construction, chaque fois qu'ils franchissaient la Manche la DCA et l'aviation les attendaient. Or ils se sont aperçus que c'étaient les radars installés à Monterfil qui les détectaient. Dans un premier temps, ils avaient pensé avoir un espion dans leurs rangs. Ils ne voulaient pas que les Allemands s'installent sur l'Atlantique sinon ils auraient été les maîtres de tout l'Ouest. Ils ont dit être très pressés, car tous les jours ils avaient des gars qui se faisaient descendre.
Comme une centaine de personnes y travaillaient souvent, des gens réquisitionnés, ils pensaient qu'il fallait être précis dans l'attaque aérienne. Bien sûr ils avaient la possibilité de bombarder à 3 000 mètres mais cela pouvait être meurtrier. Avec un plan ils viendraient en rase-mottes et ils déposeraient leurs bombes où il faudrait.
Le docteur Dordain me demanda de remplir cette mission " Tu connais bien le coin et les gens ", m'avait-il dit. On se donne rendez-vous à Tréffendel et comme Jérome Gesvret connaissait bien le secteur, je lui ai demandé de venir avec nous, avec la traction du docteur. Nous sommes partis de Monterfil direction Saint-Péran pour traverser le camp comme de paisibles promeneurs. Au début on passait sans trop de difficulté. Tout en roulant, comme nous traversions le camp, le docteur me disait : " Tu vois les baraques, les radars, les antennes, les pièces de DCA et autres objectifs ? Tu prends ton vélo, tu comptes le nombre de tours de pédales, tu mesures la longueur d'un coup de pédale et tu auras la distance entre chaque objectif ". Mais Jérome nous dit : " II y a un truc mieux que cela ". Il connaissait le père Gernigon, dit le Père-la-pipe, garde-chasse à Monterfil. Je le connaissais un peu, j'avais réparé sa voiture. Mais Jérôme dit qu'on pouvait lui faire- confiance. C'était un ancien militaire, adjudant je crois. II lui donne rendez-vous un dimanche matin après la messe, comme il avait accès à la mairie, il pourra nous décalquer un plan précis du camp, avec la disposition des objectifs. Après discussion il accepte et dès qu'il sera prêt il fera signe.
" Je mets le plan dans le tube de mon vélo "
Entre temps je dois prendre des photos des radars et des antennes. Je m'y rends par le Gué-Charret et je laisse mon vélo chez André Pellerin mais comme il faut toujours avoir un prétexte en cas de problème, je prends mon sac à outils et fais celui qui va en dépannage à la ferme de Trébriand chez les époux Boucard François. Je connaissais, il y avait un moteur " Bernard " là-dedans. Je camoufle mon appareil photo dans le sac de sorte que je puis photographier sans montrer l'appareil. J'arrive le long du barbelé non loin du radar, celui qui était à l'ouest. Là personne en vue, photo vite fait, je m'approche de Trébriand pour prendre la grande antenne de 6 mètres de haut, sur son socle en béton. Elle tourne et met une minute quarante secondes à faire son tour. Mais là, une sentinelle. Je fais celui qui allait vers la ferme et il me vient une idée. Je fais celui qui a une envie pressante. J'ignore la sentinelle qui voyant cela tourne la tête, vite fait la photo, et je continue mon chemin. Les Anglais étaient, parait-il, très pressés. Dès le soir même, l'abbé Jacob vicaire à Tréffendel, développait la pellicule.
Le matin, je mets le tout dans une petite boite, je la porte chez le docteur Dordain qui n'en revenait pas que c'était déjà fait. Mais je n'avais pas le plan. Le père Gernigon devait me le remettre. Le samedi qui suivait, il m'attendait sur la route du Verger au sortir du bourg de Monterfil, à l'entrée d'une barrière " Probablement à l'entrée des lagunes maintenant ". Notre entrevue a été brève. II me remet le plan, je le mets dans le tube du vélo sous la selle, mais avant de le remettre au docteur, je le décalque pour en avoir un double à la maison et que je camoufle dans une vieille voiture. Mais un jour, des enfants du voisinage, en s'amusant, tombent sur le document. Heureusement que mon cousin les a vus et comme il était au courant, il a vite ramassé le précieux document et cette fois je l'ai mis en lieu sûr. Après la guerre, je l'avais mis dans mon sous-sol à Rennes. Mais lors des inondations de 1967, l'eau est montée jusqu'au soupirail et tout a été détruit, ce fut une grosse perte pour moi, ce plan me rappelait des souvenirs que j'ai vécus intensément.
Les documents étaient remis par le Docteur Dordain au réseau du colonel Rémy qui se chargeait de les expédier en Angleterre. Comment ? C'était secret mais ça été fait rapidement.
Je me suis longtemps demandé pourquoi les Anglais n'avaient pas mis leur plan à exécution et attendu le mois de juillet 1944. J'en ai déduit qu'ils avaient trouvé entre temps un système de brouillage des ondes avec les petites bandes d'aluminium qu'ils larguaient de leurs avions et que l'on retrouvait dans la campagne. C'est du moins l'opinion que je me suis faite.
La fin tragique du réseau du docteur Pierre Dordain
J'ai par la suite eu d'autres missions, dont une qui résidait en la remise d'un message au général Allard à Messac. J'y suis arrivé le matin en vélo, le message dans le tube. Si j'étais parti la veille au soir, comme me l'avait demandé le docteur Dordain, je serais arrivé alors que la maison était cernée. Lorsque je suis arrivé, la gouvernante qui m'a reçu était très décontenancée. Elle m'apprit que la gestapo était passée la veille et avait arrêté Madame Allard et sa belle fille ; Monsieur Allard n'étant pas là. La gouvernante était restée avec les enfants, avec l'interdiction de sortir pendant 48 heures.
J'ai eu beaucoup de chance à cette époque. Cela faisait en effet 8 jours que je venais de recevoir de nouveaux vrais-faux papiers, faits par un vrai pro... qui travaillait à la préfecture, lorsque la Gestapo a démantelé le réseau de Mordelles et qu'elle a arrêté Monsieur Durocher.
Leur PC de transmission clandestin était tout près de la gare du " petit train " de Mordelles, situé dans une baraque en bois cachée dans les jardins. Je dédie ces lignes à la mémoire de ceux qui m'ont aidé dans ma mission à Monterfil : Jérôme Gesvret mécanique agricole Tréffendel, l'Abbé Jacob Vicaire à Tréffendel et le père Gernigon garde-chasse à Monterfil.
Voici un extrait du livre du colonel Rémy(" Une affaire de trahison ". Editions Raoul Solar) :" Le jeudi 16 décembre 1943 à Mordelles, le docteur Pierre Dordain dit " le cerf " chef du secteur CND (Confrérie Notre Dame) de Rennes est arrêté par la gestapo. Ses deux fils qui faisaient partie d'un réseau " Action " avaient été arrêtés dix jours plus tôt. Son adjoint, Théodore Josse, a été arrêté un peu avant lui.
Le samedi 18 décembre à Mordelles, les collaborateurs du docteur Dordain, Jean-Louis Persais, Hervé Vandernoot, Marcel Evrard, Edouard Durocher sont arrêtés à leur tour un peu avant l'aube. Dans la nuit à la prison Jacques Cartier de Rennes, le Docteur Dordain est mort dans les conditions les plus suspectes après une séance de torture ". Fin de citation.
A la libération j'ai rejoint le camp des FFI à Rennes. Puis nous avons été regroupés au camp de Coëtquidan pour former le 1er bataillon du 41ème Régiment d'infanterie. Au mois de décembre 1944 on nous a envoyés sur la rivière d'Etel près de Lorient. Les Allemands étaient retranchés d'un côté et nous, nous les empêchions de rejoindre d'autres unités qu'ils avaient plus loin. Nous sommes restés là jusqu'à la capitulation de l'Allemagne le 8 mai 1945.
Au mois de juin j'ai été libéré à Châteauroux pour la 2ème fois. J'ai donc fait un an de rabe, mais c'était pour la bonne cause, et là j'ai repris ce qui m'a toujours passionné : la mécanique auto ".
Le Colonel REMY écrit dans son livre « Une affaire de trahison » Editions Raoul Solar (1947)
« Avant l’aube de ce même jour, à 1 h 45, d’après les Allemands, le Dr DORDAIN est mort dans sa cellule peu après avoir été ramené de son interrogatoire. Les Boches prétendent qu’il s’est suicidé en s’ouvrant l’artère fémorale avec une ampoule de médecine de 2 cm3 qui avait échappé à leurs recherches. Le gardien-chef français n’est prévenu qu’à 9 h 30. Le commissaire de police et le médecin des morts ne sont avisés qu’en fin de matinée. Ils obtiennent l’autorisation de faire transporter le corps à la morgue. La malheureuse Mme DORDAIN n’est prévenue que vers 19 h 00. Après bien des difficultés, elle peut se faire conduire à Rennes où elle est mise en présence du cadavre de son mari. Elle remarque, à l’aine gauche, une plaie assez grande, à bords nets, triangulaire, assez profonde pour qu’on puisse y faire entrer le pouce et dont il lui est dit qu’elle a entraîné la mort par une très grosse hémorragie. Il paraît à la pauvre femme bien improbable qu’avec une ampoule qui s’écrase sous les doigts à la moindre pression, son mari ait pu se faire une telle blessure. Elle questionnera plus tard des prisonniers libérés de Jacques Cartier, qui soutiennent tous que le Dr DORDAIN était mort dans une cellule contigüe à la leur. Le mystère demeure entier. Maurice et Jacques DORDAIN, eux-mêmes détenus à Jacques Cartier, n’apprendront que quatre à cinq semaines plus tard la mort de leur père. Ils seront déportés à Neuengamme où ils trouveront tous deux la mort : l’aîné, Maurice, le 21 janvier 1945, le cadet, Jacques, quelques semaines plus tard : le 5 mars. Mme DORDAIN restera seule avec ses deux plus jeunes enfants. Dans la lettre qu’elle m’a d’abord envoyée en réponse à celle où je lui demandais sa photographie avec celle de tous les siens, elle m’a dit : « Quand à mes deux autres enfants et à moi-même, vraiment, nous n’avons rien fait qui nous fasse mériter l’honneur de figurer dans votre livre ». »
Autre source de l'association ABSA: Le docteur Dordain me dit: "Les Anglais ont, besoin d'un plan précis des Chênes-Froids"
06/02/2014 |