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La reddition allemande du 8 mai 1945

 

On sentait la fin approcher. Un jour, le 7 mai 1945, je crois, l’ordre fut donné de descendre en catastrophe tous les blessés civils et militaires et moi-même, dans les bunkers. L’infirmière Simone Joyet m’expliqua que le bruit circulait que "mille" avions alliés viendraient pilonner Lorient comme ils avaient pilonner Royan peu avant, si les boches ne se rendaient pas.

"Mille avions" ça me paraissait beaucoup, mais en temps de guerre les bruits les plus fantaisistes circulaient. Ce qui est sûr, c’est que le personnel de l’hôpital avait appris par le chef Hartz que les alliés avaient demandé aux Allemands de proposer une zone de protection pour y regrouper la population civile afin de la protéger des bombardements massifs prévus.

Bref, me voilà arrivé dans le bunker. Ca sentait l’humidité. Les lits superposés par trois étaient accrochés par des chaînes à des anneaux ancrés dans le béton du plafond. L’infirmière Simone Joyet jugea bon de me placer en haut. Elle fit bien car la panique prit vite le dessus dans mon coin et un blessé renversa son vase sur le lit du dessous... D’autres vases restaient à terre entre les lits et se trouvaient bousculés, ça sentait mauvais. Pour ma part, ma toux me reprend de plus belle. On entendait des gens prier tout haut ou raconter leurs dernières volontés aux infirmières. La peur était contagieuse et collective.

Comment ne pas penser à la mort dans des moments pareils :! A ce propos, un livre avait été déposé la veille sur mon lit alors que j’étais assoupi. Je l’avais seulement regardé, incapable que j’étais de m’appesantir sur la lecture. Je n’en ai vraiment pris connaissance. que plus tard Mais je pense qu’il convient de le rappeler ici, puisqu’il était resté sur ma couverture quand on m’a descendu dans le bunker.. Il s’agit de " l’Évangile offert aux captifs par les catholiques de France "

Heureusement, les infirmières conservaient leur sang-froid, allant de l’un à l’autre, distribuant sourire et réconfort... Et le 8 mai 1945, (jour de la fête de Jeanne d’Arc) la capitulation allemande sans condition, conclue la veille à ETEL est signée. Les avions alliés ne viendraient donc pas nous anéantir. Nous fûmes tous ramenés dans nos chambres très rapidement. Pour la première fois les obus cessent de siffler et d’éclater. Il y a longtemps que je n’avais pas aussi bien dormi.

Tandis qu'à Berlin, le 9 mai 45, le général de Lattre de Tassigny adressait "l'ordre du jour n° 9" à ses troupes, à l'hôpital maritime de Lorient, dans la matinée du même jour, deux FFI blessés arrivent dans une chambre voisine. Les deux avaient reçu une balle à hauteur du cœur. L'un a reçu une balle en plein cœur, l’autre était sauvé, la balle étant passée au-dessus du cœur. Des Allemands avaient voulu faire un dernier carton après la reddition et avant de jeter leurs armes à terre

Le 10 mai 1945, j’étais encore virtuellement prisonnier, sous la responsabilité médicale du chef Hartz. Mais, c’est sa dernière tournée ou plutôt sa tournée d’adieu ce matin. Il s’approche de chaque lit, s’inquiète de l’état de santé de chacun. L’infirmière Simone Joyet traduit.

Arrivé à ma hauteur, il me regarde bien droit dans les yeux de son regard bleu pénétrant me fait traduire la situation et m’annonce que je vais être remis aux autorités médicales militaires françaises le jour même. Il ajoute combien il regrette de n’avoir plus depuis longtemps les moyens de sauver les vies humaines

Il me dit que mon bras (qui suppure, est tout bleu, les doigts enflés ne bougeant plus) sera sans doute soigné à temps, que j’aurais peut-être une réduction de fracture dans un hôpital, mais qu’il resterait difforme et diminué, que pour le reste, c’était des blessures superficielles sans conséquences.

Alors seulement, il me tend la main en me disant au revoir. J’hésite en pensant à mes deux camarades morts ici, mais je sens le regard inquiet de l’infirmière et finalement je lui tend la main gauche en lui disant "Danke" Après tout, je n’ai pas été maltraité, à quelques détails près, et puis, c’est vrai qu’ils n’avaient plus de médicaments pour eux-mêmes, puisque j’ai vu un amputé soigné uniquement à l’eau de Dakin.

Je suis donc officiellement libéré ce 10 mai 1945, alors qu’on me soutiendra mordicus plus tard officiellement et officieusement que la guerre était finie et que tout le monde était libéré à Lorient le 8 mai 1945 comme si je n’avais pas vu aussi ces camarades blessés par l’ennemi ce jour-la.

Bref, on me change alors de chambre aussitôt après le dernier passage du chef Hartz. On m’installe dans la belle chambre à quatre lits avec les deux FFI blessés arrivés hier. J’arrive juste pour assister à la mort de celui qui avait reçu la balle en plein cœur je n'avais pas besoin de cela.

Le survivant me raconta qu'après l'ordre du cessez-le-feu, et qu’ils étaient en train de récupérer les armes ennemies, un boche avait voulu faire un dernier carton sur eux, avant de rendre leurs armes. Deux infirmières militaires françaises rentrent sans frapper nous coupant la conversation. Mais nous sommes heureux de les voir. Elles enquêtent sur la situation de chacun l’état des soins et font l’inventaire de tout. Elles me proposent après examen médical, trois mois de rééducation et six mois de convalescence en établissement militaire spécialisé.

J’ai tout refusé en bloc ce qui n’est pas obligatoire. Je demande à rejoindre mon unité dès que possible. Je tiens aussi à aller en occupation pour rendre aux boches la monnaie de leur pièce. J’interviens aussi en faveur des infirmières françaises et particulièrement de Simone Joyet qui s’est dévouée pour moi, mais mon intervention est mal perçue. Tous ceux qui ont contribué au moral de l’ennemi doivent payer me dit-on. C’est la guerre et elles seront internées au camp d’internement de Sarzeau. J’irais faire une intervention en leur faveur à la Préfecture de Vannes.

J’ai bien compris plus tard que j’aurais dû accepter l’offre de la nouvelle infirmière militaire , car des camarades qui sont passés par là, ont été informés et aidés pour leur mise en pension militaire d’ invalidité dirigé dans une école de rééducation, puis reclassé dans un emploi réservé. Alors que j’allais me retrouver seul et démuni devant tous ces problèmes après ma réforme, pour avoir fait ma mauvaise tête.

Mais, nous sommes le 11 mai 1945 au matin, on entend dire que les troupes françaises arrivent et défilent dans Lorient mais mes ex-infirmières désormais internées ne sont plus là pour me transporter jusque là et je ne manquerais pas de reprocher à ma nouvelle infirmière militaire française de m’avoir privé de cette joie.

En début d’après-midi, une ambulance vient me chercher pour m’emmener à Kerpape. Je fais donc mes adieux à mon nouveau camarade intransportable pour le moment. Le cauchemar est terminé, ou presque.

Lorient, l’enfer, les boches

Spi da Viken, Espère à vie

La victoire est dans la poche

Notre Capitaine l’avait dit

Après cinq ans de guerre, c’est au tour des Allemands de connaître les longs chemins vers les barbelés...Sauf ceux qui pénètrent en prisonniers dans la citadelle de Port-Louis après y avoir tenu cinq ans le rôle de geôliers et de tortionnaires. (Découverte d’un charnier de résistants à la citadelle) .Le général allemand Fahrmbacher estime ses propres pertes à 1.000 morts, des centaines de malades, 68 suicidés et fusillés, dans la poche.

Les volontaires allemands participeront au déminage des côtes et du port. De l’hôpital de Kerpape, on entend les mines sauter. Le bruit d’une mine antipersonnel qui saute, c’est un Allemand blessé ou tué. Le bruit d’un ensemble de mines qui saute, c’est un carré déminé réussi.

Les habitants évacués regagneront petit à petit la ville et s’installeront pour longtemps dans des baraques. Il faudra de très nombreuses années pour que Lorient soit relevée de ses ruines.

Quand à moi, me voilà installé dans un grand dortoir à Kerpape. La première visite médicale est pour me dire que ma blessure au bras n’est pas belle et infectée et qu’on écarte pas l’éventualité d’une amputation le lendemain. Puis un nouveau médecin le Dr Azoulay m’annonce un traitement américain à la pénicilline et mon bras va s’améliorant. J’ai encore une douleur au genou droit qui me gêne pour marcher mais c’est cicatrisé.

Je commence à écrire de la main gauche à ma grand-mère et je lui confie notamment les adresses de mes infirmières de Lorient, car nous étions convenus de rester en contact après la guerre pour nous raconter mutuellement la fin de ce cauchemar. J’apprendrais même à taper à la machine de la main gauche en attendant de pouvoir me servir tout de même un peu de la droite.

Le 10 juin 1945, le médecin-chef Azoulay résume sur un certificat médical les soins en cours, pour l’hôpital militaire installé à l’ EPS rue Jean Macé à Rennes plus proche de mon domicile.

Ce voyage de retour se fera par Pluvigner pour voir défiler la 12° compagnie qui doit rejoindre Niherne près de Châteauroux avant son départ pour l’occupation en Allemagne. Après une nouvelle hospitalisation à l’ EPS de Rennes du 7 juillet au au 24 septembre, je suis à nouveau en convalescence du 25 septembre au 23 octobre où j’obtiens grâce à l’aide du Dr Seignard voisin d’enfance, ma réaffectation le 25 octobre, à l’ex-12° Cie de la 19° D.I. à Niherne en vue de l’occupation en Allemagne.

C’est là au contact de mes camarades retrouvés que j’apprends ce qui s’est passé pendant mon absence. Le Capitaine raconte plus loin cette période charnière entre la reddition et l'occupation.

La reddition allemande à ETEL

La signature officielle de le reddition allemande a eu lieu le 7 mai 1945 à 20 heures au Café Breton à ETEL après différents contacts entre belligérants. Les trois signataires étaient :

  • le colonel allemand BORST, représentant le général allemand FAHRMBACHER ;
  • le colonel KEATING, représentant le général américain CRAMER
  • le colonel JOPPÉ, représentant le général BORGNIS-DESBORDES, commandant la 19ème  D.I

 

ORDRE DU JOUR N° 11 DU GÉNÉRAL BORGNIS DESBORDES
en date du 8 MAI 1945



Hier, 7 Mai, à 20 heures, à ETEL, en présence du colonel KEATING, clef d’État-Major du général commandant la 66ème D.I.U.S et du colonel JOPPÉ, commandant L’I.D 19, représentant le général commandant la 19ème D.I, le colonel allemand BORST a signé la capitulation sans condition des forces allemandes occupant la POCHE DE LORIENT, la presqu'île de QUIBERON et les îles de GROIX et de BELLE ILE .

Aujourd'hui, 8 mai, jour de fête de Jeanne d'Arc, coïncidence magnifique, les hostilités ont cessé sur le front de LORIENT à 0 heure I minute.
C’est la marque tangible de votre part dans la Victoire de la France, dans la grande Victoire de tous les Alliés.
Après vos luttes terribles du maquis qui ont permis de chasser l'ennemi de la presque totalité de la Bretagne;

Après la dure période de l'automne et de l'hiver où, par un climat rigoureux, avec un habillement insuffisant, un armement disparate et mal approvisionnés en munitions, vous avez
fait face avec vigueur aux moyens supérieurs de l'ennemi ;

Après la période meilleure où, mieux équipés et mieux armés, vous avez pris l'ascendant sur l'ennemi, le dominant par vos patrouilles incessantes dans le no man's land, avançant par endroits vos positions, lui faisant presque chaque jour des prisonniers de plus en plus nombreux , vous avez aujourd'hui la considération de toutes vos peines et de tous vos efforts



VOUS ETES VAINQUEURS

Vous adresserez une pensée à ceux de vos camarades qui sont morts en combattant à vos côtés
Et puis vous vous tournerez vers l'avenir.
Vous serez dignes de votre Victoire.
Vous serez assez fiers pour écarter de vous toutes vengeances mesquines. Vous resterez
disciplinés et vous ferez honneur à la France.


Le général Borgnis-Desbordes
commandant les F.F.M.B. et la 19ème D.I

 

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