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NOËL 1944 A SAINT-CADO

En ce soir de Noël 1944, c’est sous les couleurs du 41ème R.I. que nous tenions position sur le bras de mer d’Étel, tout près d’un village breton qui s’appelle Saint-Cado dans le Morbihan.

Ce soir là, j’étais de garde de 10 heures à minuit dans un trou d’homme, creusé sur la berge de la rivière d’Étel, en contrebas d’une prairie, au ras de l’eau. Le bras de mer nous séparait de l’ennemi. Mis à part les tirs ponctuels de l’ennemi, les incursions de patrouilles boches étaient peu probables mais non exclues, puisqu’elles s’étaient déjà produites. Il y avait donc un point de surveillance tous les 100 mètres au ras de l’eau et des postes de mitrailleuses réparties au mieux de la configuration du terrain, au niveau supérieur.

La nuit était calme et claire. Aucun tir isolé ne se faisait entendre, un peu comme le calme avant la tempête. D’habitude, en effet, les boches devinaient, savaient ou voyaient les camarades rejoindre leur poste pour la relève de la garde. Peut-être avaient-ils déjà des visées infrarouges, ou peut-être voyaient-ils tout simplement avec des jumelles, nos silhouettes se découper sur les hauteurs qu’il fallait parfois franchir pour rejoindre les postes avancés.

Alors les armes automatiques ennemies se déclenchaient annonçant par la même occasion à ceux qui venaient de passer deux heures de garde, transis au fond de leur trou, sous la pluie ou sous la neige, que la relève arrivait.

Cette fois, rien de tout cela. Seuls, les pas de mon camarade dégringolant la pente sur le sol glacé pour me remplacer troubla le bruit naturel du clapotis de l’eau sur la berge. C’est vrai qu’il avait bien 10 minutes d’avance sur l’horaire strictement militaire habituel et que les boches ne pouvaient pas le savoir. La consigne avait été donnée d’avancer l’horaire de la relève à cause de Noël.

Souhaitant un bon Noël à mon camarade au fond de son trou, je remontais prestement la pente pour rejoindre mes camarades revenant comme moi de leur tour de garde. Je pensais au bon "flip breton" qui nous attendait pour nous réchauffer. J’atteignais le petit sentier qui rejoignait à cette époque les premières maisons de pêcheur où se trouvait notre cantonnement et qui formait le première protection contre les balles perdues qui s’écrasaient contre les pignons, lorsque Noël sonna pour moi d’une façon étrangement forte sur le coup de minuit.

Toutes les bouches à feu ennemies se mirent à cracher en même temps ; les canons (obus, fusants, mortiers ) mitrailleuses, armes individuelles... Je n’eus que le temps de me plaquer contre un rocher se trouvant là bien à propos. Pendant cinq longues minutes le ciel fût embrasé, sillonné de balles traçantes, et la nuit trouée d’éclatements assourdissants. Les balles miaulaient à mes oreilles, certaines martelant le rocher derrière lequel j’étais caché, ou criblant les pignons des maisons voisines. Ce fut pour moi cinq minutes terrifiantes de bruit, d’éclairs, de balles traçantes, déluge de fer et de feu, heureusement protégé derrière mon providentiel rocher de Noël. Puis le silence revenu après tant de bruit me paraissait si impressionnant, que je suis resté prostré un moment à l’écouter religieusement avant de me relever.

Cela avait été leur façon de fêter Noël 1944, leur dernier Noël d’envahisseurs au Pays de mes ancêtres. Ils fêtaient aussi sans doute en même temps la dernière victoire de Von Rundstedt dans la percée des Ardennes.

Puis j’ai retrouvé mes camarades, aucun n’ayant été blessé, nous avons doublé la dose de flip breton pour fêter cela et nous nous sommes rendus tous ensemble dans la charmante petite église de Saint Cado, écouter la fin de la messe de minuit en breton.