Édition: 19/07/2016

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Les TRANSPORTS vers la DEPORTATION

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(Source: Témoignage de Félix Bodenan)

)Un des aspects les plus sinistres de notre vie au cours de ces années terribles fut celui des transports. Je pense qu’il est nécessaire de raconter ce que furent ces voyages sur le chemin de l’horreur, vers les camps de la mort.

         Ces transports furent, à mon avis, et aussi, à celui de mes camarades, le premier apprentissage de ce qui devait devenir notre vie quotidienne dans les sinistres camps nazis.

 

22 mars 1944 : camp de Compiègne, Royallieu

         Après le rassemblement pour l’appel et la fouille, c’est la préparation pour le départ : destination inconnue.

         Traversée de la ville : nous sommes escortés de SS, en direction de la gare où des wagons à bestiaux attendent leur chargement. Cette fois, ce ne sont pas des animaux qui feront l’objet de celui-ci, mais des Hommes : nous.

         Ces wagons servant aux transports étaient d’une longueur de 7 à 8 mètres sur une largeur de 2,60 mètres. Soit une superficie d’une vingtaine de mètres carrés.

         Aujourd’hui, le parc matériel de la SNCF possède des wagons dont la longueur dépasse les 10 mètres, parfois 15 sur une largeur de 2,50 mètres ou 2,60 mètres. La superficie est donc de 25 à 30 mètres carrés, donc un cubage bien supérieur à ceux de l’époque….

         Là, dans cet espace d’une vingtaine de mètres carrés, des êtres humains, des « Hommes » allaient vivre leur première expérience concentrationnaire : Résistants arrêtés déjà depuis de longs mois, organisés dans les prisons, certains inorganisés dont les arrestations étaient récentes, d’autres pris en otages suite aux attentats commis dans leur région. Hommes de toutes conditions, politiques, philosophiques ou religieuses.

         Expérience qui, pour certains, serait la première et la dernière sur la route du camp.

         Dans ces wagons, le sol recouvert d’une mince couche de paille, sans air, sans eau, sans lumière et ne disposant pour nos besoins que d’un simple bidon métallique placé dans un coin du wagon.

         Le train démarrant, déjà certains manquant d’air s’évanouissent… D’autres ayant réussi à passer des canifs ou couteaux, attaquent les parois du wagon avec l’espoir de réussir à faire une ouverture permettant des évasions.

         Evasions problématiques car, au premier arrêt, nos SS vont nous faire savoir que nos efforts dans ce sens  sont inutiles ; en effet, s’apercevant de la présence de trous dans les parois des wagons, ils nous assurent que ceux qui seront pris en possession de couteaux ou objets similaires seront immédiatement fusillés.

         Certains jettent donc ce qu’ils possèdent par un volet resté entrouvert et le train repart ; d’autres ayant, malgré tout, gardé leur couteau, le travail reprend aussitôt. Hélas ! A l’arrêt suivant, les SS, furieux de se rendre compte que nous avons fait des trous supplémentaires réitèrent leurs menaces, ce que voyant, les derniers jettent leur matériel dans le fond du bidon servant pour nos besoins. En fait, les SS avaient, au cours du premier arrêt, marqué les trous, ce qui leur permettait de constater les nouveaux percements.

         Nous roulons déjà depuis plusieurs heures lorsque le train s’arrête de nouveau. Que va-t-il se passer ? Nous entendons les SS donner des ordres. Les portes d’autres wagons s’ouvrent et, enfin, vient notre tour. Nous sommes dans une petite gare et, sur un poteau, j’aperçois l’inscription : « Fur Metz ». Nous sommes donc toujours en France.

         Ordre nous est donné de nous mettre entièrement nus, de jeter nos vêtements dans un wagon dont les occupants ont été mis dans un autre et de remonter aussitôt dans le nôtre. Tout ceci sous les cris, les injures et les coups de matraques de nos gardiens. Je revois encore un des responsables du convoi, possesseur d’une canne sculptée, faisant avec celle-ci des moulinets et frappant ceux d’entre nous qui ne sont pas assez rapides.

         Soudain, des coups de feu, suivis de gémissements et de cris de souffrance… Nous saurons plus tard, lors de notre arrivée au camp, ce qui s’était passé : un SS avait tiré sur deux prisonniers qui avaient omis de retirer leur maillot de corps. Ces 2 corps furent remis dans le premier wagon, au milieu des autres prisonniers car il fallait que le nombre de déportés reste égal à l’arrivée à ce qu’il était au départ. Suite à cette fusillade, la situation à l’intérieur de notre wagon devient plus tendue.

         Nous décidons de déterminer un temps de repos à tour de rôle, chaque groupe disposant d’un temps lui permettant de s’allonger un peu pour se reposer. Hélas ! Suite à la fusillade, certains, pris de panique, refusent de s’allonger face aux portes. Les autres en profitent pour s’allonger car, enfin, si les SS tirent de nouveau à travers les parois, le risque est le même à n’importe quelle place dans le wagon.

 

Il est inscrit sur les wagons : « HOMMES 40 ; CHEVAUX 8 ». Or nous sommes 120 par wagon. Ceux du wagon où ont été mis les vêtements se retrouveront à 240 jusqu’à l’arrivée au camp.

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Wagon de déportés

 

         Le voyage se poursuit, entrecoupé d’arrêts dans les gares dont nous ne saurons jamais le nom. Le désespoir tenaille certains, d’autres gardant confiance, essaient de leur redonner le moral.

         Après une nouvelle nuit, le jour venu, notre train s’arrête à nouveau dans une gare. Cette fois, nous sommes en Allemagne. La porte s’ouvre et nos SS nous jettent un paquet de pantalons. Chacun prend possession d’un de ceux-ci : grand ou petit, court ou long, peu importe car il faut rapidement descendre sur le quai où un poste de la Croix Rouge allemande est installé. Là, chacun reçoit un gobelet en carton de café (ersatz).

         Combien d’entre nous eurent la satisfaction d’avaler ce breuvage ? Imaginez-vous, des hommes nus, qui, malgré le froid extérieur, transpiraient dans leurs wagons fermés, subitement, les voici sur un quai, marchant pieds nus dans la neige, vêtus d’un seul pantalon par une température de plusieurs degrés en dessous de zéro. Les SS hurlent et frappent pour activer la distribution. Les mains, engourdies par le froid font que, soit on appuie trop fort sur le gobelet et la presque totalité de celui-ci disparaît, ou alors, il tombe et adieu les quelques gouttes de liquide, car il n’est pas question de retourner à la guérite de la Croix Rouge car nos SS font accélérer la course et, le froid aidant, chacun ne pense qu’au retour dans le train.

         Sur le quai, des voyageurs civils allemands assistent à cette distribution. En regardant ces hommes, certains ont peut-être de la pitié, d’autres de la haine envers ces gens que la propagande nazie présente comme des bandits terroristes ou juifs, ennemis du peuple allemand.

         La nuit est, de nouveau, arrivée, la troisième depuis notre départ de Compiègne. Le train roule, emmenant son chargement humain vers sa destinée.

         Enfin, un nouvel arrêt. Où sommes-nous ? Le reste de la nuit paraît encore plus long. Le jour se levant, les portes s’ouvrent. Là, sur le quai d’une gare inconnue, nos vêtements : chacun doit prendre rapidement une chemise, des chaussures ou des sabots… Il n’est pas question de rechercher ses affaires personnelles car nos SS sont maintenant plus nombreux. A ceux du convoi se sont joints d’autres venus du camp pour assurer une montée rapide vers celui-ci, escortés de chiens. 

         Enfin, au fronton de la gare, j’aperçois un nom : MAUTHAUSEN.

         Puis, rapidement, nous traversons le bourg de Mauthausen, prenons un chemin et, au bout de celui-ci, nous apercevons enfin les miradors et les murs d’enceinte du camp maudit.

Vidéo sur le camp de Mauthausen

                                            


 

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