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Souvenirs d’un déporté Pontivyen

dans les camps d’extermination

 Ce document communiqué par Mariannick Valy est extrait d'articles publiés par Emile Gilles dans  la "République Sociale" parue en août 1945 à Rennes et retrouvés par Gilles Blayo. Ce témoignage de Pierre Valy n'est pas complet, car les articles du 20, 21 et 23 août n'ont pas été retrouvés.

L'arrestation.

Ce fut le lundi 30 août 1943, nous dit M. Pierre Valy, tenancier du "Grand Café, rue nationale à Pontivy, établissement bien connu de tous les sportifs. La veille, le dimanche, des gens me paraissant quelque peu suspects vinrent s’établir dans la salle.

- Ne seraient-ce pas des "types " de la Gestapo ? Fis-je à des amis.

Mais la journée se passa sans incident. Le lundi matin, par contre, alors qu’une superbe journée d’été s’annonçait, surpris vers 6h30 par des appels réitérés, je dus descendre et ouvrir.

Ma femme redoutant quelque surprise, par suite de dénonciation, sachant, en partie tout au moins, ce que j’avais fait pour les parachutistes - tout simplement mon devoir de Français - me suivit. En voyant la Gestapo m’encadrer et se préparer à m’emmener, la voilà avec mes deux fillettes d’éclater en sanglots et en lamentations. Je voulus m’approcher d’elles et les consoler, mais les brutes qui m’entouraient de s’écrier, en me repoussant violemment : Herous ! (Arrière).

Et ils me conduisirent à la Feldgendarmerie, installée au Tribunal, dans le bureau du juge d’instruction, c’est-à-dire à cent mètres de chez moi. J’y passai toute la matinée, debout devant un mur. Mais peu à peu il m’arriva des compagnons, les uns arrêtés également en ville. MM. Loche, commissaire de police ; Frapper, armurier, Velly père et fils, du faubourg de Tréleau ; d’autres venant de la campagne, où l’on avait été les cueillir au lit, aux premières lueurs du jour, habitude toujours chère à certains agents de Vichy, non point pour exécuter l’ordre eux-mêmes, mais pour le faire exécuter par des subordonnés, comme il fut fait ces temps derniers à Pontivy pour nos bouchers. Je vis donc arriver le Docteur Oliviero, de Noyal-Pontivy, MM. Le Mouel, horloger et Le Strat, cultivateur de Noyal et M. Jouan, chauffeur à Rostrenen. Dès l’après-midi, on nous "embarqua " tous les neuf directement pour Rennes où M. Valy séjourna sept mois en cellule. Il y subit de multiples interrogatoires, tant au sujet de l’aide qu’il porta aux parachutistes qu’au sujet de l’abri qu’il n’hésita pas à leur procurer chez lui. De plus on voulait qu’il donnât le nom de ses complices. Comme ils se refusaient tous en général à livrer les camarades, trouvant qu’il n’y avait déjà que trop d’arrestations, on les allongeait sur une table, dans la chambre de torture et les bourreaux nazis leur infligeaient la schlague avec un nerf de bœuf jusqu’à ce que le sang giclât.

De sa cellule, on entendait parfois les cris affreux que poussaient les martyrs. Comme il se trouvait sur le passage de la chambre de torture, certaines victimes, y revenant, se trouvaient dans un état si lamentable, qu’elles s’arrêtaient un instant dans la cellule qu’il partageait avec des camarades.

Un jour ils virent entrer le docteur-médecin Hansen, de Saint-Brieuc, et M. Simon, employé de chemin de fer, à Rennes, venant de l’interrogatoire, le corps tout maculé de sang, exténués, n’en pouvant plus. Le docteur était même si abattu qu’il perdit connaissance et s’abattit à leurs pieds.

Le 13 mars 1944, il fut séparé de ses autres compagnons de Pontivy, Noyal et Rostrenen, pour prendre la direction de Compiègne, tandis qu’eux avaient été depuis quelque temps déjà, dirigés sur Angoulême.

"Rien à dire du séjour à Compiègne. On y fut humainement traité, nous déclara notre concitoyen. On ne s’y serait point cru dans un camp de déportés, mais plutôt dans un camp de prisonniers de guerre. Il retrouva à Compiègne les huit pays de la première heure. Mais on ne les laissa point s’attarder dans cette localité "

Le transport vers l'Allemagne

Le 6 avril 1944, Valy - seul des Pontivyens - fut dirigé sur la gare avec un convoi de 1.800 hommes, triés spécialement. Ils firent la route en sifflant et en chantant des refrains patriotiques. Les cœurs étaient meurtris, certes, mais le moral se trouvait excellent. Les boches ne leur firent aucune observation, ils étaient encore en France ! Et nos compatriotes étaient loin de s’attendre à la revanche qu’ils méditaient de prendre après avoir franchi la frontière. On les embarqua dans des wagons à bestiaux, cent par voiture. Ils manquaient de tout dans le train. Toutefois en passant à Reims, des civils français, se trouvant sur les quais de la gare, leurs passèrent des brocs d’eau fraîche qui furent reçus comme des présents des dieux, car ils étouffaient littéralement ; de plus la soif leur étreignait la gorge et ils étaient si serrés qu’ils ne pouvaient faire un seul mouvement. Mais voici Metz.

On sait que Hitler, aussitôt la France occupée, avait réintégré l’Alsace et la Lorraine, "les deux pauvres sœurs ", dans l’Empire allemand. Il allait un peu vite... Aussi en arrivant à Metz, nos compatriotes avaient donc franchi la frontière. On eut vite fait de le leur faire savoir.

Tout d’abord, ils furent déshabillés complètement et mis à nu. Toute leur vêture, linge de corps compris, ayant été emportée, on les fit remonter de 120 à 130 cette fois par wagon, sans autre accoutrement que celui du père Adam, qui était plus que sommaire.

Ils vont, toujours dans les wagons à bestiaux, traverser ainsi l’Allemagne, jusqu’à vingt kilomètres de Linz, sur le Danube, en amont de Vienne.

Le voyage fut atroce, la chaleur était torride, et tassés comme ils étaient dans les wagons, ils durent faire la route du 6 au 9 avril sans provisions de bouche aucune. Mais c’est l’eau surtout qui leur fit défaut, et à un tel point, que certains d’entre eux léchaient la buée qui se dégageait de leur respiration pour se condenser sur les ferrailles de leur wagon. "Je la léchai moi-même ", ajouta M. Valy.

A la gare destination, on les munit de vieux vêtements pour les conduire au camp de Mathausen qui provoqua, chez tous ceux qui y ont échappé, un souvenir d’épouvante. Ce camp est perdu à 5 km du village, au fond des Alpes Styriennes, dans un site sauvage d’où l’on voit se profiler les monts de Bohême, mais à proximité de carrières qu’ils vont être chargés d’exploiter.

Le Camp

En arrivant au camp, on commença par leur enlever tout ce qu’ils avaient pu conserver montres, alliances, chevalières, etc. Puis on leur remit une chemise, un caleçon et une paire de claquettes (sabots de bagnards).

Mis en quarantaine du 9 avril au 23, on les rasa et on les passa aux douches. Vous parlez s’ils en avaient besoin, après avoir accompli le voyage dans l’état où ils l’avaient fait. Et quel soulagement corporel pour tous !

Le climat était terrible, on y passait en moins de deux heures, d’une chaleur ardente à un froid qui vous glaçait le corps. Aussi, cette région était-elle qualifiée de "Sibérie autrichienne ", titre dont elle était bien digne.

Le camp était entouré de murs de six mètres de hauteur, et surmonté d’une garniture de fils électriques. Et, en plus, des sentinelles années veillaient dans des sortes de guérites appelées "miradors ". il était inutile de rêver d’évasion. Néanmoins, plusieurs tentèrent la frite. Repris, c’était la mort inévitablement.

Il y eut des camarades qui voulurent faire la forte tête, notamment au travail, qui était des plus pénibles, comme on le verra. On les expédiait aussitôt au kommando disciplinaire où l’on ne devait, réglementairement vivre que tant de mois : pas un de plus.

La vie à la carrière

La mise en quarantaine achevée, il fallut aussitôt prendre le travail à la carrière de Mauthausen, (Gusen)  située à deux kilomètres du camp. Ah ! Cette carrière.. .Rien que d’y penser que d’épouvante ! Pour y descendre, on comptait 196 marches..
-190, dit une plaquette d’un déporté espagnol au même camp.
-196, nous affirme Pierre Valy ; je les comptais chaque fois que je devais les prendre, pour m’occuper l’esprit et ne point me laisser déprimer le moral, car le moral perdu, on était un homme mort.

 

     

Les escaliers de la carrière

Autre vue des escaliers après la guerre

 

La carrière était exploitée par les S.S, au profit des nazis. Les SS se faisaient les gardes chiourmes des captifs, qu’ils traitaient pire que des bagnards, avec une barbarie et une cruauté sanguinaires et impitoyables, dont on ne peut se faire une idée. Les SS se faisaient assister par des chefs d’équipe, des condamnés de droit commun mis à leur disposition et qui suivaient l’exemple des patrons, se montraient même la plus part du temps d’une férocité plus grande qu’eux, si l’on peut dire. Ils s’acharnaient sur les détenus à coups de manche d’outils, de crosses, de matraques et de barres de fer, en un mot, de ce qui leur tombait sous la main. On emmenait chaque jour au four crématoire des charretées de cadavres.

C’était la mort par exténuation, par la famine, les coups, les supplices divers, les épidémies provoquées par le manque de toute hygiène, etc.

Nous avons parlé d’un déporté espagnol.

Ils étaient en effet assez nombreux. On sait que lors de l’invasion de la France en 1940, il y avait chez nous des camps d’hébergement pour les réfugiés espagnols qui avaient voulu faire un pays libre de l’Espagne et qui, après la défaite, avaient dû fuir la barbarie de Franco. Tout un campement de ces réfugiés, se trouvait entre autre dans la Charente, fut ainsi un jour cerné par la Gestapo et tous emmenés en Allemagne, du bébé de quelques jours, jusqu’aux vieillards.

Notre travail, nous rapporte Valy, consistait à extraire des pierres au fond de la carrière et à les monter sur notre dos en gravissant les 196 marches un travail de forçat ! Mais nous nous trouvions encore heureux en voyant nos malheureux camarades du Kommando disciplinaire, dont on voulait se débarrasser, être obligés de monter les mêmes marches chargés d’un bloc de 50 à 60 kilos environ, pour le seul plaisir des 55. Nous en avons vu, sous nos yeux, ne pouvant se redresser une fois le bloc sur le dos.. .D’autres, à peine avaient-ils pu franchir quelques marches qu’ils s’affalaient sous le faix, criant grâce et suppliant qu’on les laissât mourir en paix, étant à bout de toute résistance physique et morale.
-Faire grâce ! Des S.S. sadiques...

Les pauvres camarades ne s’attendaient probablement pas à ce qu’ils leur réservaient pour les achever. Il eût mieux valu implorer des hyènes que des S.S. de garde : elles eussent peut-être fait preuve de plus de sentiment humain que ces archi-brutes...

En effet, aussitôt les martyrs tombés sous leur fardeau, loin de les laisser mourir en paix, comme ils le demandaient, les S.S. ordonnaient à leurs camarades d’en hisser chacun un sur leur dos et de les porter à la surface de la carrière. On les rangeait debout en bordure de l’ouverture béante, et le spectacle commençait, se déroulait pour satisfaire ces vampires, toujours avec lenteur, de façon à infliger aux victimes une mort élevée au maximum d’un raffinement de sadisme, parce que la voyant venir et sans savoir de quelle nouvelle torture on allait l’accompagner. Parfois, ils obligeaient le fils à précipiter son père dans le vide pour aller s’abîmer au fond de la carrière, où certains finissaient d’expirer sous les crocs de chiens-loups. D’autres fois, c’était le père qui précipitait le fils...ou encore c’étaient les SS eux-mêmes qui s’offraient ce plaisir à tour de rôle. Il arrivait même qu’ils les fusillaient parfois, de façon que les corps s’abattissent dans le vide.

C’était un plaisir pour les S.S. et les "kapos" (ainsi nommait-on les condamnés de droit commun qu’on avait adjoint aux premiers comme aides) de varier ainsi le genre de mort à infliger aux détenus et c’est à qui trouverait les raffinements les plus cruels.

Nous avons vu des spectacles de ce genre, ajoutait Valy, qui nous faisaient frémir. Un jour. des captifs furent chargés chacun d’un bloc de pierre, de 80 kilos cette fois, et on les obligea à marcher sur la rivière glacée jusqu’à ce que la glace s’étant rompue les hommes fussent engloutis.

Nous avons vu précipiter du sommet des carrières des Juifs par paquets de dix.

Ajoutons que les bourreaux avaient une prime de 200 cigarettes par homme ramené mort le soir : une prime d’extermination ! Aussi en ramenaient-ils en général de 5 à 600 chaque soir....

Et quelle crainte avaient les hommes en pensant aux douches.-"si c’est notre tour d’y aller demain, disaient les uns, on se jettera dans les fils de fer barbelés et électrisés, ou on se fera tuer par le gardien. "

Ils savaient que la mort, de ces deux façons, était rapide alors que pour les douches on les faisait lever à minuit, on les rassemblait tout nus dehors, dans la neige, dans la neige avec une température souvent d’au moins trente degrés au-dessous de zéro. On les gardait ainsi pendant deux heures dans la position du "garde-à-vous ". Ceux qui ne succombaient point à cette première épreuve, devaient, en rentrant dans le baraquement, subir une douche froide qui gratifiait les malheureux d’une pleurésie ou d’une pneumonie. Extermination !!!

Et le camp russe. Il fut ainsi nommé parce que construit par les prisonniers soviétiques, de 1941 à 1944, en enlevant une montagne à la pelle et à la brouette !

Les Russes y étaient traités de la façon la plus bestiale. De ce camp, chaque soir, montaient au moins cinq à six charretées de cadavres. Du reste, tous ceux qui y passaient étaient des morts-vivants, de vrais squelettes n’attendant que la mort comme délivrance.

Les "kapos " et les S.S. les frappaient si sauvagement qu’ils tombaient, s’engluaient dans la boue : les gardes alors leur enfonçaient la tête dans la vase. Leurs camarades avaient la triste mission de les charger dans les chariots et ceux qui vivaient encore, étaient obligatoirement placés sous les morts. Oh ! Barbarie germanique...

Et ces charrettes étaient traînées le soir, par trente camarades presque aussi moribonds que ceux qu’ils menaient au crématoire.

Extermination toujours...

Aussi, à la suite de ces lâches assassinats prémédités, sur les 1 800 hommes que comportait notre convoi à l’arrivée à MeIk, revînmes-nous, seulement, à la délivrance, que cent quarante

Mais les Russes avançaient à pas de géant...

Nous attendions fiévreusement leur arrivée et la nuit, rentrés au kommando, sur nos infectes paillasses, on en causait, on s’efforçait de remonter le moral des camarades abattus, épuisés, et qu’on tentait de réconforter en leur faisant espérer la Délivrance qui était en route. Et pour des martyrs, la Délivrance, quel mot magique c’était : échapper aux chiens et aux bêtes féroces qu’étaient nos gardiens, revoir le pays, les siens, sa famille... Il faut y avoir passé, la mort suspendue sur votre tête, pour le comprendre !

Pierre Valy vit un jour arriver à leur kommando un convoi de 2 000 hommes, qui étaient pour la plupart des Bretons. Ils venaient de Rennes, qu’on leur avait fait quitter précipitamment le 2 août 1944 devant l’armée des Américains qui venaient libérer la capitale de la Bretagne ; Ils apprirent ainsi le débarquement des Alliés. Ce soir-là, l’espérance dora tous les rêves des rescapés sur leur misérable couchette. Ce fut peut-être le dernier convoi de déportés qui put rejoindre l’Allemagne Hélas ! Sur ces deux mille hommes, le génie supérieur dont se vantent d’être doués les Teutons réussit si bien à les exterminer qu’il n’en est revenu que quarante

Et tous ces pays, ne pouvant prévoir ce que leur réservait l’avenir et ce que serait leur sort final, se chargèrent mutuellement, s’ils parvenaient à rejoindre leurs foyers, de porter un suprême souvenir à ceux des leurs qu’ils avaient laissés sous le toit familial.

C’est là un devoir sacré. Et M. Valy n’y a pas failli. C’est ainsi qu’il alla saluer, dès son retour à Pontivy, les familles de camarades tombés pour la France, savoir, à Locminé, si cruellement frappé déjà : MM Conan, boulanger ; Ethoré, cordonnier et Séveno Jean chauffeur et à Perret, M. Alanic.

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Pierre Valy à la libération du camp d'Ebensee, annexe de Mauthausen,; (Photo prise par un GI américain)

 

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Pierre Valy à la libération du camp d'Ebensee, annexe de Mauthausen.  (Photo prise par un GI américain)

 

 

06/12/2013

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06/12/2013