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L'esprit résistant des élèves du lycée Anatole-Le-Braz de Saint-Brieuc

Source: La Bretagne au combat. J. Darsel; Ed Le Signor p 63 à 67

Ed:03/04/2016

Pour enrichir la mémoire du passé, nous recherchons des témoignages ou des documents sur cet événement  write5.gif (312 octets)

 

Listes des déportés du département des Cotes-d'Armor

Dès 1941, l'esprit résistant des élèves du lycée Anatole-Le-Braz de Saint-Brieuc se manifeste d'une façon intelligente et active. Rien d'étonnant de la part de lycéens, car « Vichy » recrute presque uniquement parmi les lâches, les opportunistes ; donc guère parmi les jeunes.

Les circonstances spéciales dans lesquelles vivent à cette époque beaucoup de jeunes conduisent beaucoup d'entre eux à suivre la plus noble des causes avec le dévouement, la générosité et aussi l'imprudence propres à la jeunesse.

En mars 1941, le jeune Jean Camard, d'Etables-sur-Mer, élève de première, abandonne ses études pour s'enrôler dans un Réseau d'évasion de la France combattante. Pendant plusieurs mois, il convoie de nombreux aviateurs alliés pour le Réseau Pat O'Leary, puis passe au Réseau Mithridate avec Jean Lanlo, de Saint-Quay-Portrieux. A plusieurs reprises, il conduit des aviateurs à la frontière espagnole.

Arrêté, puis condamné à mort, sa peine est commuée en vingt-cinq ans de travaux forcés. Il s'évade en gare du Nord à Paris, alors qu'il est en route pour la déportation. Revenu en Bretagne, il prend part aux ultimes combats de la Libération.

Yvon Jézéquel, de Lézardrieux, termine ses études au lycée de Saint-Brieuc en juin 1942 et part pour le lycée Saint-Louis de Paris. Là il prend contact avec Yves Le Hénaff, du Réseau Dahlia. Le 22 novembre 1943, ce dernier le conduit en Angleterre avec plusieurs autres. Deux mois plus tard, le 30 janvier 1944, Yvon Jézéquel est parachuté en Bretagne dans le cadre du Réseau Turquoise, et chargé de la mission «Blavet». Le 16 avril 1944, il est arrêté à la gare Montparnasse après deux jours de poursuite. Sa sœur Simone est arrêtée deux jours plus tôt à Rennes. Déporté au camp de concentration de Neuengamme le 28 juin 1944 (matricule 39451), il meurt d'épuisement le 6 janvier 1945 (1). Sa sœur Simone, déportée au camp de Ravensbrück, y décède le 1er mars 1945.

En mai 1943, un groupe de lycéens se rassemblent au sein du « Front Uni de la Jeunesse Patriotique ». Ils se nomment : Yves Salaun, de Saint-Brieuc ; Roger Le Houérou, de Pléhédel ; Louis Le Faucheur, de Saint-Laurent-de-la-Mer ; J. Harnois, Le Tonturier, Pierre Le Cornée, Henri Helouvry, de Saint-Brieuc ; Georges Geffroy, Marcel Nogues, de Loudéac ; Jean Collet, de Guingamp ; Jean Le Moine, de Saint-Brieuc ; Pierre Le Joncour, de Plouha ; Raymond Quéré, Guy Allain. Ils disposent de tracts et de journaux clandestins qu'ils se partagent et distribuent dans leur quartier. Quelques-uns sont d'une folle témérité et procèdent à la distribution presque ouvertement, dans les soirées d'été ; ce qui amène l'arrestation de deux d'entre eux : J. Harnois et Le Tonturier.

 

La plupart désirent appartenir à un mouvement officiel. L'occasion leur est donnée assez curieusement, lorsque des élèves-maîtres, voulant connaître les résultats d'une composition de français, ouvrent la serviette d'un professeur pendant la récréation. Ils y trouvent la feuille de notes, mais également un paquet de journaux clandestins du Mouvement de Résistance Libération, dont M. Yves Lavoquer, leur professeur de français, est le responsable pour le département des Côtes-du-Nord.

Quelques jours plus tard, Yves Salaun, délégué des élèves, accoste M. Lavoquer et le prie d'accepter de prendre le commandement de leur groupe. Ayant reçu l'ordre de constituer l'Armée Secrète dans les Côtes-du-Nord, M. Lavoquer est tenu à une extrême prudence dans ses fréquentations. Il décline l'offre mais félicite ces jeunes lycéens de leurs intentions généreuses, tout en leur conseillant d'être très prudents.

Quelques semaines après, M. Guennebaud, collègue de M. Lavoquer au lycée, et son compagnon de lutte à Libération-Nord, prévient ce dernier que quelques élèves doivent tenter un coup de main contre la prison de Saint-Brieuc pour délivrer leurs deux camarades : Harnois et Le Tonturier (2). M. Lavoquer se doute bien qu'Yves Salaun est l'un des instigateurs du complot, et va le trouver. Celui-ci lui expose son plan. Il a tout prévu : le plan de la prison, l'heure des patrouilles, la rupture des communications téléphoniques, l'évacuation rapide des évadés et leur retraite. Un point faible : leurs armes consistent seulement en un revolver à barillet et le revolver du soldat allemand qu'ils ont tué à Plérin, quelques semaines plus tôt, et quelques autres armes disparates tout juste bonnes pour la défensive. La moindre mitraillette est suffisante pour les tenir en respect et les massacrer tous.

(1) On a dit qu'Yvon Jézéquel était peut-être un peu jeune pour faire un chef de Réseau, mais dans la Résistance, l'expérience était acquise le plus souvent par l'action. Yvon Jézéquel a été dénoncé, il l'a dit ouvertement pendant son séjour à la prison de Rennes et donné le nom de son dénonciateur.

(2) Ces deux lycéens furent autorisés à aller passer leur baccalauréat à Rennes escortés par deux Feldgendarmes qui se tenaient derrière eux durant l'écrit.

 

L'idée est noble et généreuse. Les conjurés connaissent les risques et veulent cependant les assumer courageusement.

M. Lavoquer est effrayé, persuadé qu'une pareille attaque va aboutir à un échec et à un massacre des jeunes assaillants mal préparés et mal armés. Enfin et surtout, ce projet n'est pas seulement dangereux pour ces jeunes lycéens, mais aussi pour la population parmi laquelle les Allemands vont prendre des otages dans la ville. D'autre part, Yvon Jézéquel, ancien élève du lycée, prépare l'enlèvement de la vedette allemande du Trieux qui ravitaille les phares. Il emmène deux cents kilos de documents ainsi qu'un groupe d'aviateurs alliés qu'il faut évacuer au plus tôt.

M. Lavoquer explique tout cela à Y. Salaun qui semble le comprendre et promet d'en informer ses camarades. Le voyant bien disposé, M. Lavoquer accepte de prendre la direction du groupe des lycéens et de leur fournir, au moment des combats de la Libération, les armes et le matériel nécessaires et, dans cette attente, de leur faire faire des liaisons, de distribuer des journaux clandestins et toutes missions relativement peu dangereuses. Tout ceci, sous la condition d'obtenir obéissance totale, discrétion et silence, sous peine des sanctions les plus graves. Tout d'abord, le groupe doit renoncer à la prise de la prison. S'il faut en forcer les portes, ce sera avec des armes suffisantes et des hommes aguerris (1). Seuls Yves Salaun et Pierre Le Cornec connaîtront le vrai nom de M. Lavoquer, et celui du commandant Adolphe Vallée, industriel, boulevard Clemenceau à Saint-Brieuc, chef de l'Armée Secrète.

Toutes ces conditions sont soumises au groupe des lycéens réunis à l'hôtel Celtic, boulevard Clemenceau. Après une longue discussion, et non sans difficultés, les conditions sont acceptées.

Quelques semaines plus tard, Y. Salaun, respectueux de l'engagement pris, demande à M. Lavoquer l'autorisation de répondre à l'appel de Jean Morin qui à la B.B.C. invite les patriotes français à se rendre en silence au monument aux Morts, le 11 novembre.

En ce jour anniversaire de l'armistice de 1914-1918, toute manifestation, toute cérémonie est interdite par les Allemands. M. Lavoquer acquiesce, car il sent qu'il faut ouvrir la soupape de sûreté de leur ardeur bouillonnante.

Le 11 novembre, à 11 heures précises, tous les élèves, moins quatre, sortent du lycée en rang et en silence. Ils traversent dignement le Champ de Mars et, par la rue du Palais-dé-Justice, gagnent le monument aux Morts, se recueillent une minute et se retirent. M. Lavoquer les passe en revue le long du Champ de Mars, tout ému de cet ordre parfait. Dix minutes plus tard, les Allemands arrivent, mitraillette au bras, grenades à la ceinture, mais trop tard !

(1) Cela fut effectué le 1er août 1944, par le groupe de Max Le Bail.

Les Allemands ont l'habileté de ne pas réagir. Il est difficile de sanctionner tant de jeunes gens qui n'ont pas proféré de cris ni distribué de tracts clandestins.

Quelques jours après, Y. Salaun propose à M. Lavoquer le plan détaillé du champ d'aviation, exécuté par un de ses amis, ancien du lycée, qui travaille avec les Allemands. Ce plan précise la place des batteries allemandes, la portée des canons, la disposition des champs de mines, les passages souterrains des fils électriques. Or, précisément, les Anglais ont demandé ces détails à Louis Aubert, officier de renseignements du Réseau Turquoise.

Ce plan, que Y. Lavoquer et L. Aubert n'arrivaient pas à se procurer, un jeune garçon de 18 ans dont le concours a été refusé, le leur offre sur un plateau.

 

LA GESTAPO PREND SA REVANCHE

Le 10 décembre, à 9 heures du matin, le lycée est encerclé. Il faut savoir que le bâtiment du grand lycée est occupé par les Allemands. Les cours se font dans les classes du petit lycée, et en face, au coin de la rue de la Gare, dans une grande et vieille bâtisse (1). Un peu plus loin, quatre classes fonctionnent dans les anciennes écuries de la gendarmerie, là où s'est installé M. Lavoquer. En possession d'une liste de potaches résistants, la Gestapo, accompagnée de Feldgendarmes, pénètre au grand lycée et fait l'appel des élèves. Dix-huit élèves-maîtres et lycéens sont arrêtés.

Dans les anciennes écuries de la gendarmerie, un Feldgendarnie interdit la sortie des élèves. Prévenu par un élève (qui fait signer le livre des absences) que la Gestapo arrête les grands élèves du lycée, M. Lavoquer invite ses élèves à brûler (dans le poêle à bois) les tracts qu'ils ont dans leur poche et à fuir par les fenêtres s'ils craignent des ennuis, et, montrant l'exemple, il saute par une fenêtre donnant dans la cour de la gendarmerie et sort par la rue appelée aujourd'hui rue Mireille-Chrysostome, du nom d'une héroïne du Front National, massacrée par les Allemands.

Au moment de la rafle, Y. Salaun porte sur lui le revolver de l'Allemand abattu à Plérin. Il le glisse à son voisin, lorsque les Feldgendarmes l'appellent. Mais son geste est aperçu et les bavardages vont leur train. Avant même que la classe soit vidée, les élèves qui se trouvent dans la cour sont au courant de l'incident. Il ne faut pas longtemps pour que les Allemands soient mis au courant. Un policier allemand informe les élèves arrêtés que tous seront déportés en Allemagne si celui qui a caché le revolver de Salaun ne le rend pas. On lui promet qu'il ne sera pas inquiété. Devant ce terrible dilemme, l'élève intéressé livre l'arme aux Allemands et est aussitôt relâché.

Les Allemands n'ont aucun mal à identifier le revolver. Ils découvrent ainsi toute la vérité sur le motocycliste allemand abattu à la gare maritime de Plérin.

(1) Cette vieille bâtisse est aujourd'hui remplacée par les Meubles Pierre.

Après quelques jours de prison, huit élèves sont libérés. Les dix autres sont au secret mais peuvent recevoir des colis et la visite de l'aumônier allemand. En janvier, Y. Salaun, Georges Geffroy et P. Le Cornec sont transférés à la prison de Fresnes. Torturés par la Gestapo, ils ne parlent pas, ne dénonçant même pas le quatrième coupable de la triste aventure de Plérin, ni leur professeur Y. Lavoquer.

Après avoir écrit de magnifiques lettres à leurs parents (1), tous trois sont fusillés au Mont-Valérien, le 21 février 1944.

Tous les autres sont déportés ; cinq sont exterminés dans les camps de concentration de Neuengamme, Flossemburg ou ailleurs : Roger Le Houérou, Jean Collet, Jean Lemoine et Raymond Quéré. Marcel Nogues décède chez ses parents, à Loudéac, en août 1945, deux mois après son retour. J. Harnois, arrêté en mai 1943, meurt au camp de Flossemburg en avril 1945. Son compagnon, Le Tonturier, a plus de chance et est libéré en mai 1945.

Loin d'affaiblir le Mouvement de Résistance du lycée, ces arrestations paraissent lui donner un second souffle. Il n'est pas jusqu'aux petits qui ne s'en mêlent. Quant aux grands, beaucoup prennent la relève de leurs camarades et s'enrôlent dans les Mouvements de Résistance.

Deux élèves-maîtres, surpris à distribuer des tracts rue du Légué, sont arrêtés. Tous deux meurent en déportation. Il s'agit de Guilloux et... Guillam.

Excédés, les Allemands décident de détruire les foyers de résistance de tous les établissements scolaires des Côtes-du-Nord. Les classes supérieures à la quatrième sont interdites, et les élèves de plus de 15 ans reçoivent l'ordre de quitter les cinq départements bretons. Beaucoup n'obéissent pas et plusieurs participent peu après aux combats de la Libération. Quatre y trouvent la mort (2).

Les élèves de la troisième à la philo du lycée de Saint-Brieuc sont gardés à vue à Beaufort-en-Vallée (Maine-et-Loire). Le 6 juin, ils s'évadent, regagnent la Bretagne et s'engagent dans les unités de combat des F.F.I. ou des F.T.P. L'un d'eux, Hude, devient chef d'un bataillon. Leur exemple est suivi par les élèves de l'école Curie âgés de 13 à 16 ans.

 

 

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