Georges KIEFFER
I. Présentation
Je m'appelle Georges Kieffer né le 29 juillet 1920 à Strasbourg , donc en
Alsace, petit détail qui va avoir son importance sur le déroulement de ma vie
tout au long de cette triste période que furent les années 1939 à 1945. Car,
comme vous le savez peut-être , l'Alsace et la Lorraine furent annexées à
l'Allemagne en 1940 et non seulement occupées comme le reste de la France .
J'ai donc connu et vécu cette partie de notre histoire en commençant par la
guerre proprement dite en 1939, pour continuer par les différentes situations
suivantes, prisonnier de guerre, requis pour le travail, résistant et déporté.
La guerre proprement dite , la drôle de guerre comme nous l'appelions à l'époque
devait durer de septembre 1939 à mai 1940 sans beaucoup d'accrochage avec
l'ennemi. Ce qui ne fut plus le cas à partir du 10 mai 1940 où commença ce que
nous avons appelé la guerre éclair puisqu'en l'espace de 6 semaines, les
troupes françaises furent acculées à demander l'armistice. Et tout cela parce
que n'y croyant pas, les autorités françaises n'avaient pas préparées cette
guerre alors que notre adversaire en l'occurrence l'Allemagne, s'était armée
formidablement. Il n'y avait qu'à comparer l'équipement de notre armée à celui
des Allemands pour comprendre que avions une guerre de retard. C'est la raison
principale pour laquelle nous avons perdu cette bataille. Comme devait le dire
si justement le généra! de Gaulle lorsqu'il lança son fameux appel du 18 juin
1940 « Nous avons perdu une bataille mais non la guerre ». Et ce fut à partir de
là que les Français, une partie tout au moins , comprirent que cette guerre ne
pouvait pas se terminer de cette façon et qu'il fallait faire quelque chose pour
résister à l'envahisseur et retrouver notre liberté.
II. La résistance
Ce fut donc le début de la résistance qui au départ se manifesta par de actes de
sabotages à l'initiative de quelques personnes isolées ou par petit groupe très
souvent entre copains mais rien d'organiser.
Et c'est petit à petit, après des mois et même des années que la vraie
résistance intérieure se créa, se structura. Des réseaux, des mouvements virent
le jour. Le principal souci fut alors d'organiser le contact avec la résistance
extérieure , c'est-à-dire ceux qui avaient rejoint le général de Gaulle à
Londres afin de transmettre hors de France les renseignements récolter en
France.
VOICI MAINTENANT MON VECU PERSONNEL :
Comme je vous le disais au début de mon exposé, j'ai donc connu et vécu cette
difficile période de notre histoire en commençant par la drôle de guerre 39/40
pour finir par la déportation après avoir participé à la résistance.
Lors de la mobilisation générale, consécutive à la déclaration de guerre de
septembre 1939, ce fut le départ en position avec le 167e Régiment d'Infanterie
de Forteresse auquel j'avais été affecté en suite à mon engagement dans l'armée
en juillet 1939.
Ce régiment était chargé, avec d'autres d'occuper les intervalles de la ligne
Maginot, c'est à dire les fortifications qui s'étendaient de la frontière belge
( les Ardennes françaises) jusqu'à la Lorraine aux environs de Thionville.
C'était en effet une drôle de guerre par son calme plat à part quelques
escarmouches par-ci par-là. Et cela devait durer jusqu'en avril 40 où nous avons
été affectés au 294e Régiment d'Infanterie de ligne, régiment que nous avons
rejoint avec armes et bagages par une marche forcée de 40 km en une nuit. Ce fut
l'horreur surtout à l'arrivée. Cela se situait sur la frontière du Luxembourg .
Là encore calme plat ou presque mais seulement pour quelques jours, puisque le
10 mai 1940 l'armée allemande lança son offensive générale. Nous avons tenu le
front quelques jours pour être remplacé par un régiment de tirailleurs
sénégalais. Et ce fut le début de la guerre éclair L'ordre arriva de se
replier car devant la force impressionnante de l'armée allemande nous ne
pouvions pas rivaliser. Le repli se fit par les Vosges où nous nous sommes
retrouvés ainsi dans les environs d'Epinal.
Attaqués de toute part, et notamment par l'aviation et les fameux stukas, des
chasseurs qui piquaient sur nous avec leurs sirènes hurlantes, ce fut la
débandade. Chacun pour soi à partir de là et avec un coéquipier nous avons pris
la route de Saint-Dié en vélo où nous avons été recueillis par un convoi de
ravitaillement avec lequel nous avons été fait prisonnier ; cela se situait
après le 17 juin 1940, date de la demande d'armistice du Maréchal Pétain. En
convoi jusqu'à Sarrebourg où nous fûmes rassemblés dans une caserne française.
Et c'est là que le destin des Alsaciens et des Lorrains devait différer de celui
de nos compagnons originaires du reste de la France. Du fait de l'annexion de
l'Alsace et de la Lorraine à l'Allemagne, nous étions considérés comme sujets
allemands et donc soumis aux lois allemandes; de ce fait nous avons été libérés
avec toutefois l'obligation de regagner notre région d''origine et de s'inscrire
immédiatement au bureau de l'Emploi. Bien content à l'époque de retrouver notre
famille, nous sommes partis de bon cœur ne sachant pas ce qui nous attendait.
Après une remise en état physique, inscription donc au bureau de l'emploi et qui
devait arriver arriva. Ce fut en effet la réquisition pour le travail en
Allemagne selon le système suivant: Les entreprises, principalement de
construction de routes devaient exécuter des travaux précis et c'était l'État
allemand qui leur fournissait la main-d'œuvre. Cela se passait sous la tutelle
de ce qui s'appelait alors l'Organisation TODT. Et c'est ainsi que je me suis
retrouvé avec un certain nombre d'Alsaciens à travailler sur la construction de
l'autoroute allant de Strasbourg à Karlsruhe. Ce fut ni plus ni moins que du
terrassement, pioche et pelle, ce qui ne me convenait pas de trop. J'ai pu me
débrouiller pour quitter cet emploi de manœuvre pour devenir ce que les
Allemands appelaient un machiniste, c'est à dire conducteur de locomotives, de
grues, de pelleteuses et aux engins utilisés toujours à la construction des
routes. Cela devait durer un an, jusqu'au jour où on devait nous annoncer que
nous devions quitter ce chantier pour un autre mais aucune autre précision. Et
c'est dès le lendemain matin que nous partions en chemin de fer vers le Centre
de I' Allemagne. Arrêt à Berlin et en route après vers l'Est, c'est-à-dire, la
Pologne et la Russie jusqu'à un petit pays à 60 km environ de Moscou là encore
nous devions entretenir les routes et réparer les ponts détruits. Mais comme i!
faisait à l'époque -30 à -35 °C notre travail se limitait à dégager la neige et
la glace. Cela devait durer jusqu'au dégel ce qui n'arrive là-bas qu'à partir
d'avril et même début mai .Qui dit dégel, dit fonte des neiges et de la glace,
et énormément d'eau. D'où un écoulement difficile sous les ponts, des blocs de
glace obstruant souvent les passages. Il fallait donc dynamiter ces blocs et il
arriva que cela ne se passait pas comme prévu et qu'une partie du pont partait
avec. Donc remise en état du pont ce qui empêchait une circulation normale. Et
cela dura jusqu'en janvier 1943 date à laquelle l'ordre arriva que tous
les machinistes devaient rejoindre un nouveau chantier sans autre précision
encore une fois . Nous étions une dizaine concerné par cet ordre, et ce fut le
retour vers notre pays qui commença après maintes péripéties, telles que
l'attaque du train par les partisans russes qui harcelaient constamment les
forces allemandes en faisant sauter les voies de chemin de fer notamment. Ce qui
nous obligea.de passer par des pays limitrophes, tels que la Lituanie et
l'Estonie pour regagner l'Allemagne. Et c'est à Frankfort que nous devions
apprendre la bonne nouvelle. Notre destination était la France et précisément
Dinard.
Mon séjour à Dinard
En arrivant, mon travail consistait à conduire une locomotive Diesel qui
emmenait des convois d'une quinzaine de wagons chargés de matériaux divers
servant à la construction de fortifications. Pendant le déchargement de ce
convoi, mon seul boulot c'était la visite du chantier. Et c'est là qu'apparaît
le mot RESISTANCE dans ma vie. Pendant ces visites, je pouvais discuter avec les
Allemands maîtres d'œuvre sur la construction en cours et ainsi récolter des
renseignements touchant l'emplacement de l'armement prévu, la catégorie de
l'armement prévu etc.
Si cela peut paraître facile, notamment pour moi qui parlait couramment
l'allemand, cela était d'autant plus dangereux si je me faisais prendre comme
cela devait arriver par la suite. J'étais donc chargé de fournir les
renseignements susceptibles d'intéresser la résistance mais cela m'empêchait
nullement de participer ou d'effectuer un sabotage si l'occasion se présentait.
C'est ainsi que j'ai pu sectionner un gros câble électrique devant servir de
relais entre les fortifications, ou encore de détruire plusieurs convois de
matériels de toutes sortes, ciment, ferrailles, etc.
Tout se déroule sans accros dans le secteur de Dinard, jusqu'au jour ou je fus
envoyé dans le Pas-de-Calais pour m'occuper de bétonneuses réquisitionnées pour
la construction de rampes de lancement de fusées V1 ou V2. Cela dura trois
semaines ou un mois. A mon retour à Dinard, avec les plans de ces rampes de
lancement qui ne devaient jamais servir parce que détruites avant utilisation.
Une deuxième fois arriva ce qui devait arriver.
Comme je l'ai précisé au début de mon exposé, étant considéré comme un sujet
allemand, j'ai reçu mon ordre de mission m'ordonnant de rejoindre Strasbourg
pour être incorporé dans l'armée allemande à destination du front russe.
Il n'était pas question pour moi de revêtir l'uniforme et d'accord avec mon chef
de réseau ; je partirai le jour prévu mais arrivé à Dol, j'étais pris en charge
par le maquis.
Mon arrestation
Malheureusement cela ne devait pas se passer ainsi. En effet une heure avant mon
départ, irruption chez moi de la Gestapo et arrestation suite à une dénonciation
qui touchait par ailleurs l'ensemble de notre réseau du secteur, soit 28
personnes. C'était le 29 novembre 1943. Prisons : Saint-Malo, Rennes, séjour au
cours desquels nous devions subir les uns comme les autres de multiples
interrogations musclées pour certains, confrontations avec les autres membres du
réseau qui m'était d'ailleurs totalement inconnu. En effet dans la Résistance,
nous ne connaissions en règle générale personne, à part le responsable et
encore. ce fut pour moi l'occasion de faire la connaissance de plusieurs membres
du réseau auquel j'appartenais, personnes que je côtoyais sans savoir qu'elles
faisaient le même boulot que moi.
Après ces divers interrogations et confrontations, là encore arriva ce qui
devait arriver, citation devant un tribunal allemand pour être condamné à mort
pour désertion, espionnage et appartenance à un réseau anglais « par dessus le
marché ».
huit jours de mitard, c'est à dire cellule spéciale sans lumière du jour,
menottes aux mains et aux pieds, ouverture de la porte toutes les deux heures.
Mon dossier faisait la navette entre Paris et Rennes pour confirmation de la
sentence; l'avancée de l'armée américaine devait me sauver, rien ne passait
plus.
La déportation
Et ce fut la DEPORTATION, par le dernier convoi qui quitta Rennes le 2 août
1944. Après un périple de 15 jours à travers le France pour finir à Belfort au
fort Hatry en passant par
Nantes - Angers - Langeais - Tours - Beaune -Dol. Ce ne fut pas la route directe
mais partout les sabotages des lignes de chemin de fer, les ponts détruits, les
attaques aériennes devaient nous empêcher de continuer. Hélas rien ne put nous
arrêter, peut-être heureusement dans un sens, car les gardiens allemands qui
nous accompagnaient avaient ordre de tirer à vue.
De Belfort, ce furent alors divers convois en direction de l'Allemagne et les
camps de concentration pour la plus grande partie d'entre nous. Car là encore,
mon périple différa de celui des autres. En effet huit jours environ, après
notre arrivée à Belfort, je fus désigné pour partir à mon tour avec trois autres
détenus que je ne connaissais pas; enchaînés deux par deux avec deux gardiens
allemands. Train jusqu'à Karlsruhe, prison d'état. Après huit jours,
départ pour la forteresse de Bruchsal ; cellule avec deux autres détenus,
un Hollandais et un Suisse. Tous les détenus devaient travailler. Pour moi cela
consistait à confectionner des sacs en papier. Pot de colle et papier. Peu de
sacs le soir mais plus de colle. Nous mangions la colle qui était faite à base
de pomme de terre.
Cela dura deux mois jusqu'au jour où la Gestapo a remis la main sur mon dossier
qui malheureusement n'avait pas été perdu. Après un interrogatoire musclé, je me
suis retrouvé dans une cellule menotte le lendemain matin, sans savoir comment
j'y était parvenu .
Séjour dans cette cellule très difficile moralement, parce qu'isolé
complètement, menottes jour et nuit. Cela devait durer jusqu'au jour où la
forteresse fut bombardée par l'aviation anglaise. Évacuation en toute hâte, cela
devait se situer en mars 1945 , direction Dachau par le train. Court
séjour dans ce camp et envoi vers une nouvelle forteresse dépendant de Dachau ,
c'est-à-dire Naumburg-sur-Saale, prison
située à l’ouest de Leipzig.). Séjour en cellule commune avec quarante ou
cinquante autres condamnés à mort, cellule d'où partaient tous les matins trois
ou quatre détenus pour ne pas revenir. Mais comme il en arrivait tous les jours
autant, le nombre ne diminuait jamais .Cela dure jusqu'au jour où nos gardiens
décidèrent de nous faire travailler sur la base aérienne située à proximité et
qu'il fallait entretenir régulièrement suite aux nombreux bombardement de
l'aviation alliée. Et c'est au cours d'un de ces bombardements que j'ai pu
m'évader. Cela se situait à 15 jours environ de la libération par les Américains
le 12 avril 1945. J'ai été recueilli et soigné par un prisonnier de guerre
travaillant dans une ferme située à soixante kilomètres de Munich .
Retour en France avec les prisonniers de guerre du stalag de cet endroit. Retour
très difficile question santé, puisque je ne pesais plus alors que 39 kg contre
67 lors de mon arrestation; Naturellement, soins intensifs, en respectant
surtout tout ce qui touchait l'estomac. manger souvent mais peu, c'était l'ordre
du médecin. Et progressivement, j'ai pu me retapé avec beaucoup de précaution
surtout dans le domaine alimentaire, à base de lait, pâtes, purée etc. Je buvais
deux litres de lait par jour. ce qui était à craindre, c'était le retour de la
dysenterie dont j'avais été affecté terriblement pendant ma déportation.
Voici donc le périple de ma vie pendant ces six années de guerre.
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