Beaucoup de prisonniers sont couchés pêle-mêle dans la cour par
terre sous des tentes ou dans des camions en panne, où se mélangent
des soldats de différentes unités.
Pour les repas c'était la ruée vers les cuisines composées de
plusieurs roulantes laissées là par des régiments et placées dans
une petite cour attenante à la caserne. Il fallait attendre des
heures entières pour pouvoir réussir à obtenir un morceau de pain et
une patate cuite à l'eau ou encore du singe, 1 boîte pour 5.
Ceux qui avaient la chance d'avoir un lit, le gardaient des journées
entières de peur de ne pas le retrouver occupé en leur absence. J'ai
été donc l'un de ces privilégiés qui se déplaçaient avec son matelas
lorsque je déménageais d'une pièce à une autre.
Nous étions sans courrier, sans argent. Dans la débandade de la
défaite, les soldats avaient perdu leur barda le long des routes.
Nous n'avions que les vêtements que nous portions. Notre linge puait
la crasse et la sueur. Comment le laver sans savon, sans
brosse, sans lessive? La situation s'est améliorée le jour où des
infirmières nous donna du linge propre, du savon et aussi de la
nourriture.
Dans le premier bâtiment, une compagnie de 200 hommes assurait des
travaux de terrassement à l’extérieur de la caserne, des tranchées
et des abris pour avions. Le
travail à fournir n'est pas très dur et ils sont contents de sortir
de l'enfermement. Ils sont mieux nourris mieux
et on leur promet de gagner 10 francs par jour.
Près de 3000 hommes vient de quitter la caserne pour être dirigés
vers un autre camp de la région. La vie au sein de la caserne s'en
trouve améliorée.
Déjà 2 mois de
captivité
Voilà bientôt deux mois que nous sommes ici. Les prisonniers étant
autorisés exceptionnellement à travailler chez les artisans de la
région, j'ai eu l'idée d'écrire à un photographe de Quimper pour lui
demander s'il n'avait pas besoin d'un employé et j'ai eu l'agréable
surprise d'être accepté, mais le plus dur restait à faire. Comment
franchir cette maudite grille?. A force de démarches à droite et à
gauche, je réussis à être présenté à un secrétaire allemand qui me
posa évidement beaucoup de questions, enfin à force de patience,
j’obtiens une autorisation rédigée en allemand m'autorisant à sortir
du camp de 8h00 à 12h00 pour me rendre chez mon nouvel employeur.
Quelle fut ma joie ce jour-là! Je ne pensais pas que cela soit
possible .Mon premier jour d’embauche commence le 15 août. Dès 7h45,
je me présente au poste de garde avec mon laissez-passer. La grille
s’ouvre. C’est avec un soupir de satisfaction, que je me retrouve
dans la ville avec le sentiment d’être libre. Les gens me dévisage
comme si j’étais une bête curieuse.
Le poste de garde de la caserne
19/08/1940:
Ce
soir, c’est mon tour d’être désigné pour aller chercher le repas de
la chambrée. Je me présente donc vers 17h30 avec la liste des 15
noms au sergent, qui met un numéro d'ordre sur le billet. Vers
19h00, avec ce bon je vais d’abord toucher le pain. On me remet 2
boules de pains de 1 kg. C’est peu pour 15. Cela nous fait 140 g
chacun. C’est la ration pour la journée. C’est ensuite la soupe qui
est servie dans un plat où baignent 28 petites pommes de terre de la
taille d’un œuf de pigeon. Elles sont non pelées et cuites à l’eau.
Le plat principal est une boîte de pâté pour chien― Nous l'appelons
ainsi car il est fait de détritus que même un chien ne mangerait
pas― Et voilà notre repas du soir .
Aujourd’hui, je complète mon repas avec des provisions personnelles.
Aujourd'hui, j’ai eu le plaisir de boire un quart de vin. J’ai
acheté un peu de pâté de foie et un kg de pain. Aujourd'hui, j'ai le
plaisir de boire un quart de vin. Cela faisait longtemps que je n'en
avais bu.
20/08/1940
Aujourd’hui, un Allemand que j’avais rencontré au secrétariat lors
de ma demande de travail me demande quel est le prix d'un
agrandissement de film Leica en 6X9. Je lui dis approximativement le
prix de 1,50 à 2 francs. Alors me regardant bien en face , les yeux
dans les yeux, avec l'air sec des Allemands, "et pour moi"? J'en
restai hébété, mais me ressaisissant vite je lui répondis du tac au
tac "venez au magasin, on s'arrangera" que pouvais je lui dire de
plus, je n'étais pas le patron et ne pouvais pas lui fixer un prix
sans en avoir avisé mon patron. Cette petite histoire dénote
l'esprit de ce secrétaire qui voulait bien me rendre un service mais
à condition que je lui en rende un autre. Et ce n'est pas fini. hier
matin, je le rencontre à nouveau assis au coin du poste. Dès qu'il
me voit il m'appelle et me dit " pour faire une photo ici,
maintenant, qu'est ce qu'il faut comme diaphragme et comme rapidité
?" Je lui réponds aussitôt " 9 de diaphragme et 25/100 ème de
seconde, alors froidement il sort un posemètre de se poche,
l'examine et ensuite me répond flegmatiquement " oui, ça va "
C'était tout simplement pour savoir si je connaissais exactement le
renseignement. Il me donna ensuite un rouleau de film et me dit: " à
développer pour demain matin 9h00 et comme il faut !" Que dire , Il
faut accepter et s'incliner. Je lui porte le film développé qui
était flou d'ailleurs et après l'avoir examiné pendant 10mn, il me
donne un bout de papier et un crayon pour que je note les
numéros des photos qu'il souhaitait voir développées pour le
lendemain à 9h00. Je lui réponds que cela est impossible ! Ce
sera donc pour après-demain, me dit-il, en me saluant avant de me
quitter.
21/08/1940 :
Il
y a quelques jours, on avait demandé par voix d'affiche, les malades
susceptibles d'être réformés. Evidement il s'en est trouvé des
quantités qui se sont présentés à l'infirmerie et comme le major, un
lieutenant et prisonnier comme nous, ne demandait pas mieux que de
faire libérer tout le monde, il y a trois jours, il leur a fait
signer à chacun une feuille rédigée en allemand leur donnant
l'autorisation de se présenter au conseil de réforme. 100
prisonniers sont convoqués à l'hôpital pour un conseil de réforme.
22/08/1940
Ce
matin à 11h00, on a relevé tous les jeunes gardiens allemands qui
vont quitter le camp pour être envoyés pour un destination inconnue.
Le
secrétaire allemand dont je vous ai parlé dernièrement n'est pas
content des photos que je lui ai faites car mon patron voulu lui
faire dans une qualité supérieure. Je n'y peux rien et j'ai fait le
maximum pour lui être agréable, mais les temps sont durs et le
papier manque. C'est embêtant pour moi car il sera mal disposé pour
renouveler ma permission le 30. Enfin, d'ici là nous verrons bien.
Patientons.
23/08/1940
Je
suis allé ce matin à l'infirmerie pour me faire porter consultant
dentaire et me permettre d'aller à l’hôpital de Brizieux et essayer
de trouver un moyen pour être réformé. Donc à 12h30, je suis devant
l'infirmerie pour le départ à l’hôpital. Au médecin dentiste, je
demande de me réformer pour ma mauvaise dentition " Mon pauvre
petit" me répond-il si c'était possible , je ne demanderais pas
mieux, mais ils (les Allemands) n'acceptent la réforme que si l'on
n'a plus de dents. Ce
soir, un groupe de prisonniers, réclamés par des mairies de la
région vient de quitter la caserne. Le secrétaire
allemand est parti sans me payer les photos. Je savais qu'il y avait
des Français sans scrupule, j'aurai dû me douter qu'il y en avait
aussi chez les Allemands.
24/08/1940
Vers 8h00, je m'apprêtais à partir au travail comme d'habitude,
quand j'ai été appelé par un secrétaire allemand qui me demanda par
l'intermédiaire de l'interprète si les photos qu'il avait déposées
huit jours auparavant, étaient développées.. Il finit par me dire que
c'était long et que nous devrions travailler plus vite. Je lui répondis
aussitôt que si cela n'allait pas plus vite c'est parce que je
ne pouvais aider efficacement le photographe, ne travaillant que
le matin. Il me répondit de lui porter les photos lundi matin et que
nous tâcherions d'arranger la chose et de faire mieux.
25/08/1940 :
C'est dimanche, je suis tout de même allé travailler. Le photographe
m’annonce une bonne nouvelle. Il est en relation avec l’inspecteur
de l’hygiène qui va tenter de me libérer ou me réformer. Un
nouveau départ de prisonniers a lieu. 200 prisonniers, agriculteurs
dans le civil, partent pour des travaux dans des communes.
27/08/1940
Ce matin, je ne suis pas allé travailler chez le photographe faute
de laisser passer. Deux sentinelles allemandes ayant été attaquées à la gare, toutes
les permissions sont supprimées.
28/08/1940 :
Ce
matin le photographe est venu pour me voir et savoir ce qu'il
pouvait faire pour faire renouveler ma permission de sortie qui est
toujours refusée. Le capitaine allemand m'a convoqué ce matin pour
me dire qu'il allait s'occupait de moi auprès du colonel.
Je reste allongé sur mon lit presque toute la journée
30/08/1940 :
Voila 2 jours que je ne sors pas faute de laissez-passer
Le
capitaine allemand me fait appeler dans son bureau pour me demander
des renseignements pour remplir ce maudit certificat. Il m'envoie
chercher mon patron photographe, accompagné d'une sentinelle bien
entendu. Un quart d'heure après nous étions de nouveau dans le
bureau. On fit signer le photographe un papier comme quoi il me
prenait à sa charge et était responsable de moi, ce qu'il a signé
avec plaisir. Le nouveau laissez-passer est valable de 8h00 à 12h00
et de 14h00 à 19h00 sans durée de validité avec l’obligation de
circuler en civil. Cela m’amène à m’acheter un blouson pour me
rendre à mon travail. On travaille énormément et le patron est très
content de moi c'est l'essentiel. Vers 20h00, il y eu un rassemblement général dans la cour pour un
appel général. Une note affichée signale que les prisonniers qui
tenteraient de s’évader seront fusillés. Une première liste de
prisonniers réformés est affichée. Jour après jour (suite)
1/09/1940 : Voila un
an, la France déclarait la guerre à l’Allemagne et un ordre de
mobilisation générale était lancée. Aujourd'hui c'est dimanche, j'ai été
travailler le matin mais comme le commis qui travaille avec moi
n'est pas venu, j'ai vendu au magasin avec la vendeuse. Cet
après-midi, je suis allé à la plage à 22km d'ici en vélo avec le
commis. Il y a beaucoup d’Allemands, mais peu de Français. Le patron m'a donné hier 500 francs.
C'est bien pour 3 heures de travail pour dix jours de présence. Il vient de rentrer un camion de DCA
allemande dans la cour.
5/09/1940 :
Le
photographe tente auprès d’un inspecteur de l'hygiène de me
pistonner pour me faire réformer. Il s'en est occupé et est venu
trouver le major ce matin. Celui ci m'a fait appeler à 10h00 pour me
demander ce que j'avais . Je lui ai montré un certificat et les
radios de l'hôpital de Brizieux. Il me dit que les réformes sont
difficiles à obtenir à cause du major allemand. Dans la matinée, je
trouve un restaurant qui me donne un bol de café et 2 tartines de
beurre pour 4 francs. Aujourd’hui, une centaine de prisonniers cultivateurs, demandés par
des maires, sont partis de la caserne, pour travailler dans des
communes.
7/09/1940
Ce
soir, il y a eu un incident dans la cour. Deux soldats prisonniers qui
s'amusaient dans la cour à se jeter des seaux d'eau quand un
adjudant allemand passe et tire un coup de revolver en l’air pour
les arrêter. Ils passeront la nuit au violon. Cette histoire de tout
à l'heure me fait penser qu'il y a trois jours, deux adjudants qui
traversaient la cour sous les fenêtres ont reçu un seau d'eau ce qui
les a mis fort en colère, .mais comme ils n'ont pu identifier les
auteurs, il n'y eu pas de suite.
Vers midi, tout un convoi d’une trentaine d'officiers allemands avec
leurs équipements ont quitté la caserne. Ils n’avaient pas le
sourire.
8/09/1940
Aujourd’hui, c’est dimanche. Ce matin, je suis allé prendre mon
café au lait et manger mes tartines avant de me rendre au magasin.
Après avoir servi quelques clients au magasin, je passe faire un tour en ville
vers 11h00 avec le commis. A
midi je rentre au camp pour apprendre qu’un nouveau recensement
général est annoncé. Je me demande pourquoi. Le dernier date de huit
jours seulement. L'après-midi nous sommes sortis mais comme il
pleuvait nous sommes allés faire un billard dans un café.
10/09/1940
Rien de nouveau à la caserne si ce n'est qu'on a fait le
fameux recensement de prisonniers. On nous distribuer
une carte postale adressée à la Croix Rouge pour l’envoyer à nos
familles.
On parle de changer de camp ! Est ce vrai ? Personne ne le sait
encore.
17/09/1940 :
Les jours passent sans événement particulier. Au travail tout va.
bien. J'ai vu le film
"Les 5 sous de Lavarède" avec Fernandel
20/09/1940 :
Ce
matin, j'ai fait sortir un copain qui avait sa femme dans la ville.
Il était habillé en civil et nous sommes passés tous deux à la
grille sans incident. Je suis allé déjeuner comme tous les matins.
Ensuite je suis rentré à la caserne pour rencontrer le secrétaire
allemand du toubib afin d’avoir une consultation avec le
lieutenant." Il sera là à10h00 me dit-il ". Je lui explique que je
veux essayer de me faire réformer et tâcher de le convaincre de
parler en ma faveur. J'y arrive tant bien que mal. Le toubib
arrive à 11h00. Il me dit qu'il ne peut
rien décider sans un avis du médecin français. Dans l’après-midi, je vais voir
le médecin français qui déclare ne rien pouvoir faire. En
rentrant, je ramène le copain que j'avais fait sortir le matin sans
incident.
Ce
soir, les hommes ont ramené du boudin, du pâté, des gâteaux, des
cigares, du rhum, du vin, du pain et des pommes, un vrai
repas de roi. Dans la nuit deux baraques ont pris feu, on ne sait comment ?
23/09/1940 :
Dimanche, je suis allé me promener dans la matinée, j'ai rencontré
le greffier du tribunal de commerce qui m'a fait faire connaissance
du président du tribunal qui est de Montpellier et dont l'épouse y
retourne le 1er octobre. Elle donnera ainsi de mes
nouvelles à ma femme.
De nouveaux réformés quittent la caserne ce matin parmi lesquels se
trouve mon ami Sonia de Perpignan. J'ai mangé hier midi au
restaurant. C'était la première fois, ça change du menu du camp.
L'après-midi je suis allé au cinéma voir "le mioche".
J'ai photographié des Allemands ce matin et cela m'a rapporté 70
francs. Au magasin il n'y a plus beaucoup de travail, je ne sais pas
si je vais pouvoir y rester longtemps.
Le nouveau camp
8/10/1940 :
Voilà
15 jours que j'ai délaissé mon journal car des événements m'en ont
empêché. Depuis le 1er octobre nous avons quitté les bâtiments de
pierre pour des baraquements situés à 2 km de la ville. Le
matin, toutes les compagnies sont rassemblées en tenue de départ,
avec nos affaires personnelles et nos couvertures. .
A 8h30, on nous aligne un par un devant les tables et là un soldat
allemand vide le contenu de nos sacs pour voir si nous n'emportons
pas des objets interdits. Les boîtes de conserves sont
supprimées, les draps aussi et les pantalons kaki en treillis,
toutes les affaires civiles sont supprimées également. Quand je
vois tout cela, je retourne dans ma chambre avec mon sac et je vais
voir le sergent allemand du bureau du capitaine et lui demande
comment je vais faire pour aller travailler en ville. Il me fait
attendre et me présente au capitaine. Celui ci très chic, me permet
d'aller travailler et me donne l'autorisation de manger en ville à
midi, mais.il faut rentrer au camp pour 19h00 impérativement.
Impossible d'avoir mieux.
Après avoir vu le capitaine, les autres étant toujours à la fouille,
je me faufile aux portes avec mon sac et tout mon barda et je m'en
vais avec mes boîtes de conserves et mon appareil photo. Une fois
dehors, je pose tout mon attirail dans un bistrot et je commence à
placer de côté tout ce que je ne pourrais rentrer au camp le soir.
Je mets dans mon sac juste l'indispensable, le reste je l'emmène au
magasin où c'est encore là qu'il sera en sécurité.
Le soir à 18h30, je prends le chemin du camp. A 19h00 précises, je
me présente au camp où l'on m'ouvre les portes. Je demande aux
copains où je dois coucher et je m'installe sur un matelas posé par
terre pour la nuit..
Le camp est situé
dans une vaste clairière de 200 m de large. Une cinquantaine de
baraques en bois, le toit couvert de tôles ont été implantées au
milieu d’un grand bois de châtaigniers au bord d’une rivière. Les
poêles pour le chauffage ne sont pas installés. Chaque baraque est prévu pour loger 120 hommes.
Le camp est entouré d'une plusieurs barrières de fils
de fer barbelés de 3m de haut. Aux quatre coins du
camp, des miradors en bois permettent aux gardiens armés de
mitrailleuses de surveiller le camp.
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Le
lendemain de mon arrivée, je sors avec mon nouveau laissez- passer
et m'empresse de trouver une infirmière à qui j’expose mon cas pour
tenter de me sortir de là. Elle m'annonce qu'elle verra le capitaine
qui couche chez une de ses tantes. Effectivement, le lendemain je
vois arriver au magasin, le capitaine qui me donne son accord de
rester en ville pour travailler. Je devrais toutefois
répondre chaque mercredi à l’appel au camp. Je n’en
reviens pas. Il s'est déplacé pour moi. Je le remercie de mon
mieux. Le soir, le lieutenant me donne le laissez-passer. Le soir même je
vais prendre mes affaires au camp et je m'installe dans la chambre d’un
restaurant où je prends mes repas pour 700 à 800 francs. Une vie
nouvelle commence pour moi. Ma paye chez le photographe de 1200
francs par mois me permet de couvrir cette dépense. De plus, j’ai
bon espoir d de me faire embaucher comme aide opérateur dans un
cinéma tous les soirs pour le prix de ma pension.
13/10/1940
Pendant ces 8 jours, Il ne se passe rien de particulier. Je
travaille et il pleut, c'est la Bretagne!
23/10/1940
Le travail au magasin s'est beaucoup ralenti et je suis obligé de
trouver un complément de revenu pour payer ma pension. J'avais écrit
à une maison de Cognac pour la représenter. J'ai reçu des bouteilles
d'eau de
vie à prix coûtant que je tente de revendre, mais ce
n’est pas facile. J'ai visité un grossiste mais ses prix sont pour
les détaillants. J'ai réussi à faire sortir mon copain le coiffeur qui travaille en
ville. Nous partageons ainsi la même chambre. L'horloger qui travaille aussi en ville
vient d'obtenir son laissez-passer pour la semaine. Il a
obtenu son autorisation pour la semaine et couche dans une chambre
proche de la notre. Nous mangeons ensemble au restaurant .
Je suis allé à la Banque de France pour avoir de l'argent, mais la
somme est limitée à 2000 francs. J'espère
avoir une réponse positive, car je n’ai plus un sou.
Ce matin on m'annonce que 800 prisonniers vont quitter le camp
pour une destination inconnue. L’Allemagne ou la Pologne disent
certains. Je rencontre le secrétaire allemand pour savoir si je suis
sur la liste. Mon nom n’y figure pas. Au magasin , il y peu de
travail. L’essentiel est d’être libre et de le rester le plus
longtemps possible.
Ce soir j'apprends que 700 prisonniers viennent de quitter le
camp. Quel destin attend tous ces prisonniers. Dans quel coin perdu
vont-ils se perdre? J'ai le cafard. Je pense à tous mes camarades.
Je crains que ce soit bientôt mon tour de partir en Allemagne. Je
voudrai pouvoir passer au moins l'hiver à Quimper car c'est le froid
que je crains le plus. Le copain coiffeur que j'ai fait sortir, a eu
la surprise de voir arriver sa femme samedi soir. C’est le bonheur
en espérant que cela dure. Il cherche un appartement maintenant un 2
pièces mais c'est difficile. Le poste de garde du camp a joué
la Marseillaise, quel étonnement, car cela fait si longtemps qu’on
ne l’avais entendue. Pétain vient de parler " Courage et au
travail" . Oui mais voila, on est prisonnier. Ne rien faire vous
enlève le courage. On espère toujours une libération.
Dessin de
Mathurin Meheut (Dans le bas à gauche, il est annoté: Les
prisonniers de Quimper)
12/12/1940
Depuis plus d’une semaine, des
prisonniers quittent presque quotidiennement le camp, en direction
de l’Allemagne. Il ne reste plus qu’une centaine de prisonniers qui
attendent le lendemain avec anxiété. Il
fallait voir le départ de ces hommes, se traînant sur le long du
chemin menant à la gare avec leurs bardas sur le dos, mal habillés,
maigres le regard défait par l’anxiété du lendemain. Je les ai
rencontré mercredi en allant faire signer ma permission et tous sur
mon chemin me tendant la main " au revoir Martin", " bonne chance
mon vieux". Un camarade de Nice, Bauzat qui faisait partie de la
colonne me dit, d’une voie émue " n'oublies pas de dire au coiffeur
d'écrire à ma femme !!". Je lui ai fait signe de la main, ne pouvant
pas parler car je crois qu'un sanglot serait sorti de ma gorge. Je
suis vite parti pour ne plus voir ce troupeau humain encadré de
gardes à cheval, le cœur gros et fou de rage. Et
voilà où nous a conduit la politique de la France. Cette guerre
qu'on aurait pu fois éviter et que tous ont voulu. Quand verrons-nous la fin de ce cauchemar.
Des avions anglais survolent la région toutes les nuits. Brest et
Lorient sont leurs destinations. Dans la nuit de mardi à mercredi
des bombes ont été largués à l'entrée du camp.
Le coiffeur a peur d'être rappelé. De mon côté j'ai
envie de partir en zone libre, mais j’hésite pour ne pas mettre en
difficulté mon patron qui s’est porté garant de moi. Si je pars,
c’est lui qui sera arrêté.
J'ai reçu un mandat de 100 francs de mon frère Jacques. Cet argent
est le bienvenu.
26/12/1940
Un
Noël triste et morne vient de passer dans la solitude. On annonce un
prochain départ de prisonniers. Pourvu que je ne sois pas dedans !
Mon évasion"
L'officier allemand m'informe que ma permission est terminée et que
le départ pour l'Allemagne est prévu le 6 janvier.
Je
m'évade
Je décide avec
mes copains, dont le coiffeur et l’horloger de quitter Quimper au
plus tôt, pour nous rendre dans la zone libre J'informe mon patron
de mon départ. Celui-ci appréhende les conséquences. Il craint que
ses fils soient pris en otages. Nous décidons, de partir le 4 janvier par le train du soir avec nos
bagages. Nous descendons à Orléans mais ne trouvant pas de
correspondance vers le sud, nous décidons de revenir sur Paris.
Quelques jours après, nous repartons sur Moulins pour passer la
ligne de démarcation. Peu avant Moulins, nous descendant à une
petite station où nous sommes attendus par un hôtelier. Celui-ci
nous dirige sur une ferme. Au bout de 20km de marche sous la neige
nous sommes arrêtés par une rivière gelée qui se trouve être
l’Allier. Là, nous trouvons 22 autres personnes qui attendent le
dégel de la rivière pour la traverser. Nous nous cachons dans une
grange à foin. Des patrouilles allemandes passent. Deux jours plus
tard, vers 23 heures, tout le groupe se met en marche, en colonne,
dans la neige en direction de l’Allier. La rivière est large de plus
de 200 mètres à cet endroit. Elle charrie des glaçons. Une barque
est retirée de l’eau. Un premier groupe de 3 personnes embarque pour
la traversée. Un bâton à la main nous poussons les glaçons pour ne
pas chavirer, le courant est très fort et nous déporte de 500m.
C’est au deuxième groupe de passer. 25 minutes se sont déjà
écoulées. Enfin la liberté. Le cauchemar est fini. Après une nuit passée aux
avant-postes, tout le groupe prend le chemin de Montluçon. Quelque temps plus tard, j’arrive chez moi, vers 5 heures du matin.
Ma femme toute bouleversée vient m’ouvrir et tombe dans mes bras.
NOMS DE
CAPTIFS AYANT SEJOURNES AU FRONT STALAG 135 QUIMPER
MARTIN Henri |
de septembre 1940 à janvier 1941 |
BOURMAUD Alain
|
de 1939 à 1941 |
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