L'OEUVRE DE NIESSEN de 1888 à 1916

                        (extrait des revues du Souvenir Français n° 38 à 44 en 1924)

 

            En 1887, un modeste professeur alsacien qui avait la passion de la petite Patrie et de la grande, dont l'esprit et le coeur souffraient profondément des suites du traité de Francfort, créait le « Souvenir Français ».

 

            En plus de l'entretien des tombes, et du Culte des Morts, sa grande âme travaillait au maintien du souvenir de la France en Alsace Lorraine, du souvenir de l'Alsace ­Lorraine en France.

 

            Choisir pour trait d'union entre les vivants les morts glorieux... Quelle idée plus noble et plus belle ? L'âme généreuse de Niessen l'avait enfantée.

 

            A côté de lui se groupèrent, M. Flasch qui l'a précédé de quelques mois dans la tombe, le colonel Bande. le capitaine Guébin et tant d'autres aujourd'hui disparus.

 

            « Ce n'est que le 7 mars 1888 que le Souvenir Français sort de la période d'organi­sation pour entrer dans une phase active. Nous faisons alors, dit Niessen, un appel cha­leureux à tous les Français. Nous convions autour du berceau de la Société tous les hommes qui conservent pur et intact le culte impérissable de la Patrie. Ce culte qui constitue le mobile le plus puissant dans la vie des Peuples. Nous leur annonçons alors la naissance d'une oeuvre nouvelle dont la mission consiste à entretenir, non seulement au milieu de nous, mais partout où le sang français a coulé, les tombes des soldats et marins morts au champ d'honneur.

 

            Ce sont nos statuts, c'est notre programme fixé irréductiblement dès l'aube de la Société.

 

            L'idée fit rapidement son chemin. Le 24 mars 1889, avait lieu, dans les salons du Cercle militaire à Paris, l'Assemblée Générale des membres souscripteurs du Souvenir Français.

 

            Le président de la Société était alors le général Fournier, l'un des fils les plus illustres de la Lorraine.

 

            Dès cette année 1889, deux ans à peine après sa naissance, le Souvenir Français atteint un développement qui, depuis, croît de jour en jour.

 

            Le commandant Borelli et MM. Brunet et Honneau fondent, à Bordeaux, un Comité qui lance ses filiales jusqu'à Saint-Louis du Sénégal.

 

            Dans les Basses-Pyrénées, M. Labille ; dans la Charente-Inférieure, M. Marchais ; dans la Marne, M. le docteur Percheron et le docteur Bresnaker ; en Saône-et-Loire, M. Chabert ; en Haute-Saône, le Commandant Teillard ; en Meurthe-et-Moselle, M. Chone ; à Lille, M. Labarson ; à Calais, M. Jacques ; à Bruxelles, M. Boclets ; et tant d'autres !

 

            Un mois plus tard, le 5 avril, une grande séance était donnée au Trocadéro. Près de 5 000 personnes se trouvaient réunies pour assister à cette solennité.

 

            Le général Leval, ancien ministre de la Guerre, présidait. Le capitaine de frégate Cordier représente le Président de la République, le commandant Schambert, le géné­ral Saussier, Gouverneur de Paris ; des Délégués, des Ministres s'y rencontrent.

 

            Généraux, Sénateurs, Députés, Magistrats, Officiers de toutes armes, membres de la Presse et autres se font un devoir d'honorer de leur présence une oeuvre destinée à perpétuer la mémoire des nobles Fils de la France, qui ont versé si généreusement leur sang pour la Patrie.

 

            En face de toute oeuvre nouvelle se dressent des obstacles de tout ordre. Le « Souvenir Français » n'a pas échappé à la loi commune. Mais nous sommes, après ce bref exposé, à même de nous rendre compte que, sans le prestige du nom et de la for­tune, sans appui politique, sans intérêt et sans attrait matériel, le « Souvenir Français » trouve, dès son origine, dans l'âme même du Peuple, et dans le coeur de nos grands chefs, un appui digne de l'idée qu'il réalise.

 

            Cette idée est si parfaitement en harmonie avec les aspirations françaises !

 

            Dans un des premiers discours de M. Robinet de Cléry ces paroles qui sont d'une impérieuse actualité, semblent écrites d'hier.

 

            « Il est un mot que nous entendons prononcer un peu par tout le monde, un mot à la mode ; il est dans toutes les bouches, comme une promesse et comme un pro­gramme, dans les rangs les plus opposés, sans doute parce qu'il répond à des nécessi­tés pressantes et parce qu'il exprime bien l'état des esprits : c'est le mot de « réconci­liation ».

 

            Changeons le mot. Au lieu de réconciliation, mettons « Union sacrée » et nous ferons de ce discours d'hier, un discours d'aujourd'hui.

 

            S'il est une œuvre de réconciliation, d'union sacrée, c'est bien la nôtre ; elle n'exige de personne aucune abdication.

 

            Chacun peut s'y consacrer, sans rien renier de son passé, de ses aspirations, de ses espérances. Nous nous plaçons sur un terrain où rien ne peut nous séparer, nous nous appelons le « souvenir Français ». Ce que nous voulons garder. c'est le souvenir pieux, le culte de ceux, qui, sous tous les régimes, à toutes les époques, sous tous les dra­peaux, ont versé leur sang pour la France.

 

            Ce que nous voulons, c'est perpétuer de pareils souvenirs, les transmettre avec tout leur prestige aux générations futures. N'est-ce pas la meilleure manière d'entretenir, de raviver s'il en est besoin, dans les âmes la flamme pure du patriotisme ?

 

            Faire trêve à la politique de partis,. défendre ensemble le dépôt, sacré pour tous, de nos gloires nationales, l'humble soldat qui a donné sa vie, comme le Général qui a suc­combé en conduisant ses légions dans la mêlée, réunir tous ces souvenirs dans la fra­ternité du sang versé en commun pour la Patrie, et en rappelant tant d'héroïques sacri­fices, suggérer à tout Français le désir de les imiter, voilà notre but politique ? On commence à comprendre que Celle qui souffre de tous ces coups que nous nous portons les uns aux autres, c'est cette grande Blessée, seule digne de notre dévouement et de notre amour : la Patrie.

 

            Les esprits élevés comprennent mieux que les autres ce qu'il y a de patrio­tisme vrai dans le sentiment qui nous fait rechercher dans le passé, non pas ce qui nous divise, mais ce qui nous unit. Nous tentons d'honorer comme ils le méritent les noms des guerriers de Lens et de Rocroy, ceux de Fleurus et d'Austerlitz, ceux d'Iéna ; ceux qu'engloutirent les sables de l'Egypte et les neiges du Nord ; ceux de Gravelotte et de Reischoffen, ceux d'Algérie, ceux du Maroc, ceux du Tonkin ; ceux aussi plus chers parce que plus proches, les poilus de la Marne, de la Somme ou de Verdun ; tous les illustres enfants dont les ombres se dressent encore dans leurs tombeaux pour crier : « Vive la France ! ».

 

            Nous honorons tous les Morts, mais s'il est une sépulture que nous entourons d'un plus religieux respect, c'est celle des héros ignorés, de ceux qui n'ont pas d'histoire ».

 

            En 1889, le « Souvenir Français » s'occupait des tombes des survivants d'Héricourt et de Villersexel, auprès du Fort de Foux, où une pierre portait seule­ment cette inscription : « Aux derniers Morts de la Patrie », et s'occupait du tom­beau de Waterloo, ainsi que des sépultures des marins tombés au Pescadores, à l'île de Cabrera.

 

            Il érige une tombe au colonel Moreau, à Stonne ; des monuments à Montigny­le-Garmelon. restaure ou érige ceux de Brive, du Creusot, de Brassen, de Niederbronn, de la Seyne-sur-Mer, de Fréteral, de l'île Sacrificious (près du Mexique), de Scharuntz, dans le Tyrol, d'Arthenay, de Lassalt, de Dijon de Montbard, de Chaux (Côte-d'Or), de Brinville, de Chemaudin, du Breuil etc.

 

           

            Le général Leval était alors Président. Le 3 décembre 1891, il donne sa démission et déclare :

 

            « Le Souvenir Français » est en progrès. Son organisation est presque com­plète, sa situation financière très prospère, le moment est donc favorable pour mettre à exécution mon intention, bien mûrie, de me retirer ».

 

            Son successeur fut le général Casseron de Villenoisy.

 

            Le siège social avait été transféré, du Cercle Militaire, dans un local mis à sa disposition par M. Philippoteau, député des Ardennes, dans son immeuble, 229, faubourg Saint-Honoré, où le Souvenir Français a continué à vivre et à prospérer. Lui seul s'occupe à cette époque de perpétuer, à l'aide de la pierre gravée, le sou­venir des lieux de combats. Marseille, Pau, Hauterive, Saint-Sapporn, Beaune-la­Rolande, Villefort, la Neuville-au-Bois, Feuilloy, Saint-Benoît, Saint-Jean-de-la­Ruelle, Dormans, Gonesse, Nîmes, Saint-Dié, Hyères, Seissan, Vic, Vesoul, Bourgtheroulde, Sougny, Montpellier, Saint-Denis, Grenoble, Mirande, Larcy, sont tour à tour l'objet de ses soins. Et je ne parle pas des plaques funéraires, apportées partout où nos soldats avaient donné leur vie !

 

A ce moment, le « Souvenir Français » englobe 81 départements.

 

            En 1908, un Comité se forma en Lorraine, dont M. Jean, député de la Moselle, était l’âme, et il s'agissait d'ériger, en Allemagne, deux monuments français. Le premier fut Noisseville et le second Wissembourg. Qui oserait nier que les nombreuses souscrip­tions recueillies, que les travaux entrepris, que les imposantes cérémonies d'inaugura­tion, suivies ensuite de cérémonies commémoratives et de pèlerinages patriotiques, remplirent alors de joie les coeurs français et d'amertume les coeurs allemands ? Qui donc oserait dire que ce ne fut pas un précieux encouragement pour les Français captifs ?

 

            Les Allemands, après avoir donné toutes les autorisations nécessaires se rendirent compte de la propagande française, que suscitait en Lorraine le Souvenir Français, et voulurent y mettre un frein. Ils le persécutèrent créèrent mille difficultés pour pouvoir interdire ses manifestations émouvantes.

 

            On retrouve l'écho de ces manifestations dans les paroles que prononçait en notre nom, un enfant d'Alsace-Lorraine :

 

            « Quarante-deux ans se sont écoulés, un demi-siècle bientôt, mais ce souvenir, pour vous, pour nous, enfants de l'Alsace et de Lorraine, est de ceux que rien ne saurait affaiblir ni même effleurer ».

 

            « Un homme, un orateur d'Allemagne, s'adressait à mes compatriotes, « Vous sou­venir, soit, libre à vous... mais espérer... jamais ! « C'est défendu ! ».

 

            « Je ne juge pas, je ne discute pas cette deuxième assertion.

 

            Nous souvenir ? soit ! Nous n'avons pas attendu la permission ! Je ne reconnais à personne sur terre le droit de nous défendre le souvenir. Il y a là sous cette poitrine, un sanctuaire sacré et impénétrable, où le souvenir fleurit tout à son aise.

 

            « Je sais cependant qu'il y a quelques années, un haut personnage disait :

« Les jeunes qui n'ont rien vu, n'ont pas à se souvenir ».

 

            « Or, savez-vous quelle fut la réponse d'un de ces jeunes, réponse à laquelle ont applaudi tous les esprits droits et tous les coeurs bien faits : « Sans doute, disait-il, je n'ai pas vu les gigantesques batailles de 1870, je n'ai pas entendu le bruit du canon, les cris des blessés, le râle des mourants, je n'ai pas souffert, je n'ai pas pleuré, puisque je n'étais pas. Mais je porte au coeur et dans mes veines le sang de ceux qui ont vu le sang, de ceux qui ont entendu, le sang de ceux qui ont pleuré et souffert, et le bon sang lorrain ne saurait mentir. Je me souviendrai donc et tous nous nous souviendrons de nos héros. Et quand nous, les anciens, nous exhalerons notre dernier soupir, quand nous disparaîtrons de la scène du monde, les jeunes se lèveront pour recueillir de nos coeurs, de nos lèvres, pour pratiquer après nous le culte du Passé et la religion du Souvenir.

 

            « Qui donc voudrait et pourrait nous interdire ce culte, cette religion. Depuis 42 ans nous subissons une situation que nous n'avons point faite et nous sommes la rançon consentie par un traité solennel.

 

            « Nous laissons à la Providence, à la sagesse des Nations, au temps et aux événe­ments, le soin de résoudre ce problème angoissant qui pèse sur l'Europe et le monde entier... ».

 

            Le problème est maintenant résolu et nos populations d'Alsace-Lorraine avec un admirable élan d'enthousiasme, sont venues apporter au « Souvenir Français », dans l'exaltation de leur joie patriotique, les témoignages de fidélité qu'elles ne lui avaient pas ménagés pendant les longues et douloureuses années de servage. Et cette fidélité à toute épreuve n'est-elle point une marque de vitalité pour une association comme la nôtre ?

 

            La guerre ne pouvait pas ne pas jeter la perturbation dans nos comités, au moment où la vie de la France se concentrait tout entière dans nos vaillantes armées.

 

            La plupart de nos collaborateurs les plus jeunes et les plus vaillants étaient mobili­sés. Des femmes prenaient, dans nos rangs, la place de leurs époux, des pères, au lieu, de leurs fils ; mais on peut dire que dans bien des comités, ce fut la désorganisation. On essaya de les remonter, mais combien, parmi des plus braves et des plus dévoués de nos membres sont restés là-bas, et dont la perte fut irréparable !

 

            Pendant la guerre, le Souvenir Français accepta tous les concours et participa à l'organisation et au patronage d'œuvres similaires, sans aucune rivalité mesquine.

 

            Dans son rapport avec l'Assemblée générale du 31 juillet 1916, notre regretté fon­dateur s'exprime ainsi :

 

            « N'oublions pas, Mesdames, Messieurs, de saluer en notre nom et avec toute notre affection, la naissance du Souvenir Belge. Cette nation magnanime vient de s'inspirer de nos statuts et de notre règlement, pour fonder avec notre autorisation et sous le vocable de notre devise « A nous le Souvenir, à Eux l'Immortalité » une Association, soeur du Souvenir Français ».

 

            Ces œuvres demeureront désormais, rattachées les unes aux autres pour réunir dans la mort, comme l'ont été dans la lutte, les héros devant lesquels s'inclineront les siècles futurs.

 

                                                                                     Monsieur  BARBUET        Secrétaire  Général

                                                                                                                           du Souvenir Français en 1924

 

       

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