« Mais lon me doit surtout la publication de ce journal qui
donne les nouvelles précises non des hommes, immuables par définition, mais de tout ce
qui, est par rapport à eux éphémère
» (Jean Giraudoux) Nous sommes, égrenés dans les camps d'Allemagne, quinze cent mille hommes au cur incertain. Ceux qui ont tenu les avant postes de septembre à mai (et l'on disait"Drôle de guerre" "Petite guerre" mais qui a su la longue attente misérable quand devant Sierck ou Bitche la boue, la neige et le froid nous figeaient au guet. ?), ceux qui ont foncé vers le canal Albert pour reprendre ensuite et en sens inverse lépouvantable course à la mer, ceux, qui plus dun mois ont gardé le Chiers, à labri de blockhaus inachevés et de boyaux profonds de vingt cinq centimètres, ceux qui, dans les intervalles de la ligne Maginot, ont subi les feux de Pentecôte et contenu lavance des armées adverses, ils sont là, toujours les mêmes, qui continuent, en première ligne des souffrances, à représenter la Nation. Et les mois se succèdent, qui accumulent les déceptions, qui alourdissent de lun à lautre les fardeaux de labsence, qui rejettent chacun dans la rigide voix de la solitude. . ? A quoi servirait les paroles faciles où sestomperaient de la vie des camps les questions douloureuses ? - Si (Pourquoi le nier) ? les conditions matérielles de la vie des camps sont très respectueuses des conventions internationales, si les prisonniers français bénéficient dun régime de moindre rigueur, quel pouvoir, quelle bienveillance sauront jamais écarter des hommes que nous sommes, cette vision des jours qui meurent et qui emportent notre jeunesse - cette jeunesse dont nous n'aurons éprouvé que le goût d'amertume ? Certes, on s'occupe de nous. .Dans sa chronique de "L'Ephémère" notre camarade Jean Nicolas a relaté "Ce qu'on a fait pour nous" Comités, Associations, Centre d'Entraide, livres qui. retracent la physionomie des camps, groupements qui sefforcent de multiplier les liens unissant la Patrie a ses prisonniers! Ah! Certes on s'occupe de nous!- Mais pour les lettres admirables d'une mère ou d'une femme ou d'un ami fidèle, pour les témoignages d'un camarade de travai1 ou de l'employeur respectueux de la place quittée depuis deux ans, combien doublis et de silences et d'abandons - combien de tendresses perdues, la nomination dun fonctionnaire préposé aux services d'accueil au prisonniers, la distribution dans les gares, de chocolat et de sandwich, et les sourires des Dames de la Croix-Rouge, cela ne peut suffire, croyons-nous à guérir les inquiétudes à exalter les courages, Ce prisonnier libéré qu'invite illico un percepteur attentionné, qui quête une place de bureau en bureau, qu'on retient dans les hôpitaux pour soigner les militaires enrhumés, qui retrouve des . à limage menaçante de chacun dentre nous. Et je crains quon ne parle des prisonniers Comme on parle des morts, en vantant leurs mérites, en tressant leurs louanges, mais en estimant que leur première qualité est surtout de ne plus .les vivants. Et c'est pour cela que nous en appelons a l'amitié des .. Quon ne nous imagine pas révoltés, prêts à soumettre nos revendications. Nous savons trop les méfaits du système de doléances. Si nous avons reçu la tâche amère de représenter devant lhistoire la génération prodigue des biens et des trésors de siècles fastueux, quau moins notre Patrie blessée et qui souffre et qui, malgré sa peine et ses angoisses refuse de mourir, puisse compter sur le soutien de ses fils exilés. Lorsquen juin 1940, la déchirure sest consommée qui, à lest et au nord, nous séparait de la France, lequel dentre nous na ressenti le poids de sa responsabilité personnelle ? Non, nous ne sommes pas révoltés, car ce vieux Quil fallait payer, nous en attendions confusément la note. Nous le savions, la vie dun Peuple, cest tout de même autre chose quun faisceau dhabitudes et dindifférences. Mais, maintenant quil sagit de renaître, que notre voix, que notre apport participe à luvre selon le droit que nous avons sévèrement acquis. Ah ! Si la France comprenait que sa grandeur et son fardeau cest, avant tout, dêtre aimé de ses fils. François Mitterrand François Mitterrand était prisonnier au stalag IX A Hesse avec un vieux camarade de guerre Louis Grandhomme (PG du 4 juin 40 au 10 avril 1945) pensionnaire au Foyer Albert Aubry au Theil-de-Bretagne. |
|