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Le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45 000 »

Le convoi du 6 juillet 1942 occupe une place singulière dans l’histoire des déportations de France. Il est le premier convoi de répression à quitter le camp de Compiègne pour les camps de concentration allemands, et le seul de l’année 1942. Il est aussi le seul convoi de résistants - avec celui des 230 femmes déportées le 24 janvier 1943 - à avoir eu Auschwitz pour destination définitive. Sa composition (quelque 1 175 hommes est par ailleurs atypique, puisqu'aux côtés d'un millier de communistes (responsables politiques du Parti et syndicalistes de la CGT), se trouvaient une quinzaine « d’otages asociaux » et une cinquantaine de Juifs arrêtés comme tels. Ces derniers étant, sauf cas exceptionnel, déportés dans des convois spécifiques.

 

Lien externe wikipedia

1.42. Transport parti de Compiègne le 6 juillet 1942 et arrivé au KL Auschwitz le 8 juillet 1942

(Livre mémorial de la FMD pages 401-402)

Effectif recensé :

1 155 hommes1

Matricules extrêmes :

45157-46326

Situations :

Evadés durant le transport :

3

0,3 %

Décédés et disparus en déportation :

1032

89,3 %

Rentres de déportation

119

10,3%

Situations non connues :

1

0,1 %

On ignore le nombre exact de déportés, tous de sexe masculin, au départ de Compiègne car ni la liste de départ et ni celle d'arrivée n'ont été retrouvées. Les quelques rescapés ayant donné un chiffre précis parlent de 1 175 hommes. Par contre, on connaît le nombre total des déportés (1 170), enregistrés au camp d'Auschwitz le jour de leur arrivée, grâce à un document de la Résistance du camp indiquant les numéros d'immatriculation extrêmes des convois arrivés à Auschwitz pendant cette période.

Deux déportés se sont évadés peu avant Metz. Repris par deux gardes-frontière allemands, ils sont renvoyés sur Paris, internés à Romainville puis à Compiègne et, enfin, libérés en janvier 1943. Le troisième évadé réussit à se glisser parmi les passagers de la gare de Metz et à échapper à la déportation. On ignore le sort des deux manquants à l'arrivée.

La reconstitution de la liste de départ a permis de retrouver 1 155 noms et plus de 700 matricules. Elle montre que le convoi a été composé par l'addition de quatre listes alphabétiques successives2. Dans les deux premières (1 110 hommes au total), on trouve essentiellement des communistes, auxquels sont mêlés quelques socialistes et radicaux - considérés, à tort ou à raison, comme ayant des sympathies communistes - et des personnes dénoncées par pure malveillance comme communistes. Tous ces non-communistes ne dépassent pas la dizaine. On relève aussi la présence d'une quinzaine de droit commun. La troisième liste, est homogène : elle porte les noms de 50 à 56 juifs, arrêtés comme tels, ou identifiés comme juifs après leur arrestation. La dernière liste, très courte (moins de 10 noms) et incomplète, ne permet pas de préciser qui sont ces déportés. On peut évaluer à une soixantaine le nombre d'étrangers dans ce convoi : ce sont, pour la plupart, des Juifs réfugiés en France dans les années 30 ou des mineurs de Lorraine d'origine italienne ou polonaise.

Ce transport occupe une place particulière dans la déportation de répression. Non seulement par sa composition, - c'est l'un des très rares transports partis de France à ainsi mêler des Juifs, arrêtés en tant que tels, et des politiques - mais aussi par sa destination, sa date de départ et par ses objectifs.

Il est l'un des trois transports de déportation de répression à avoir été dirigés sur Auschwitz-Birkenau, avec le convoi de femmes du 24 janvier 1943 et celui des hommes du 27 avril 19443.

Il est le premier convoi de déportation de répression à quitter Compiègne et le seul de l'année 1942.

Ces caractéristiques s'expliquent par les objectifs de cette déportation. Il s'agit d'un convoi de représailles formé, à l'origine, par l'administration militaire allemande afin de dissuader les dirigeants et les résistants communistes de poursuivre la guérilla urbaine, commencée en août 1941, sous la forme d'attentats contre des officiers et des troupes de l'armée d'occupation.

Après avoir ordonné en août 1941 des exécutions massives d'otages, Hitler décide en 1942, d'y ajouter, la déportation de 500 communistes et Juifs pour chaque nouvel attentat. Ces mesures de représailles s'inscrivent dans la croisade hitlérienne contre «l'adversaire idéologique et racial du peuple germanique» : le «judéo-bolchevisme». C'est ainsi que les deux premiers convois de la « solution finale » sont également partis vers Auschwitz sous le prétexte de la politique de représailles.

Le transport du 6 juillet 1942 doit « déporter vers l'Est » les otages communistes. Ceux-ci sont soigneusement choisis dans chaque département de la zone occupée par les Feldkommandant, selon les directives du Commandant militaire en France (MBF) relatives au mode de désignation des otages à exécuter et/ou à déporter. Cette sélection a pu se réaliser grâce aux renseignements fournis par les autorités françaises.

Le responsable en France des affaires juives de la police de Sécurité (Sipo-SD), chargé de l'organisation du transport, y ajoute les derniers otages juifs du camp de Compiègne, - ce qui pourrait expliquer la destination du convoi vers Auschwitz, à la fois camp d'extermination et de concentration -.

Ces déportés sont arrêtés entre septembre 1939 et juin 1942 : pour 30 % d'entre eux avant le 22 juin1941, et 12 % dans les jours suivant l'attaque allemande contre l'Union soviétique (entre le 22 et le 30 juin 1941). A partir de septembre 1941, les Allemands procèdent à de nouvelles arrestations de masse dans plusieurs départements, notamment en Meurthe-et-Moselle, dans

1 Mais l'effectif (estimé) au départ est de 1 175 personnes, et celui (certain) à l'arrivée de 1 170. Voir le texte ci-dessus.

2 Pour plus de détails, se reporter à l'ouvrage de Claudine Cardon-Hamet, Mille otages pour Auschwitz : le convoi du 6 juillet 1942, dit des «45 000», Editions Graphein, Paris, 1997 et 2000. A paraître prochainement, l'édition grand public de cet ouvrage aux éditions Autrement.

3 Voir les notices correspondantes (partie I).


le Calvados1, la Seine-Inférieure, la Seine-et-Marne et dans l'ancien département de la Seine, à la suite des attentats et des sabotages organisés par les communistes. C'est dans cette dernière période, essentiellement en mai 1942, que les Juifs destinés à être déportés dans le cadre des représailles sont arrêtés en même temps que les communistes.

Dans la quasi totalité des cas, des policiers ou des gendarmes français sont présents, agissant seuls ou apportant leurs compétences à l'occupant.

Ces déportés sont en majorité des ouvriers (en particulier de la métallurgie et du bâtiment), des mineurs, des cheminots, mais aussi des artisans, des commerçants, des enseignants, etc.

Ces hommes sont généralement des syndicalistes de la CGT et des militants communistes : ils sont secrétaires ou trésoriers de cellule, mais certains ont un niveau de responsabilité plus élevé. Au moins 86 d'entre eux sont d'anciens élus: maires, conseillers municipaux ou d'arrondissement, ou même député (Robert Philippot).

Ces déportés sont domiciliés dans 43 des 49 départements de la zone occupée. Plus de la moitié sont des habitants de la Seine.

Une partie importante d'entre eux sont des résistants du Front national de lutte pour la liberté et l'indépendance de la France. Quelques-uns appartiennent à d'autres organisations de Résistance.

Un tiers au moins des futurs «45 000» ont été sélectionnés parmi les otages déjà présents au camp de Compiègne avant le 27 avril 1942. Une partie des autres sont transférés après cette date depuis les prisons et les camps d'internement français. D'autres enfin sont amenés directement à Compiègne en mai 1942 à la suite des attentats commis en avril et en mai dans leur région.

D'après le témoignage d'un détenu polonais travaillant au bureau de la Gestapo du camp d'Auschwitz, le convoi serait arrivé au camp-souche, appelé par la suite Auschwitz-l, avec l'ordre de lui «appliquer le traitement Nacht und Nebel : c'est-à-dire que les détenus ne pouvaient communiquer avec l'extérieur». Ce qui ne signifiait pas que les «45000» étaient réellement des NN, c'est-à-dire des prisonniers qui auraient dû être jugés en Allemagne selon l'ordre de Keitel2.

A leur arrivée le 8 juillet 1942, les déportés sont enregistrés entre les numéros 45157 et 46326 et deviennent ainsi pour les autres détenus des «45 000». Ils sont conduits, le lendemain, à Birkenau. Le 13 juillet, la moitié d'entre eux retournent à Auschwitz-l, les autres restent à Birkenau. Au bout de neuf mois, ils ne sont plus que 160 dont 27 pour ceux demeurés à Birkenau. En décembre 1942, quelques «45000», contactés par des résistants du «Comité international», dirigé par des communistes autrichiens (dont Hermann Langbein) et allemands des Sudètes, créent le premier réseau français de résistance à Auschwitz-Birkenau.

En mars et août 1943, les derniers «45000» de Birkenau rejoignent Auschwitz-l. Le 4 juillet, ils reçoivent le droit d'écrire à leur famille. Puis ils connaissent une sorte de répit lorsqu'ils sont placés en quarantaine, à partir d'août 1943, au premier étage du block 11, la prison du camp, jusqu'en décembre 1943.

A partir de l'été 1944, les SS commencent à évacuer Auschwitz. A la fin août et au début de septembre 1944, les «45000» sont divisés en quatre groupes dont trois sont transférés à Gross-Rosen, Sachsenhausen et Flossenburg d'où ils sont évacués en 1945. Ceux restés à Auschwitz partent le 18 janvier 1945 pour Mauthausen, à l'exception de trois d'entre eux qui assistent à la libération du camp par les Soviétiques.

Sur les 1 170 hommes immatriculés, il ne reste, en mai 1945, que 119 survivants3.

Claudine Cardon-Hamet

1 Voir à ce sujet, l'ouvrage réalisé par le collège Paul Verlaine d'Evrecy, le lycée Malherbe de Caen et l'association Mémoire Vive, De Caen à Auschwitz, Editions Cahiers du Temps, Cabourg, 2001.

2 Voir la notice sur cette procédure en introduction du Livre-Mémorial.

3 Les dates de décès suivies d'un point d'interrogation sont celles de l'état civil français, souvent inexactes, contrairement à celles non suivies d'un point d'interrogation, relevées dans les archives du camp d'Auschwitz. Voir à ce sujet les pages 255 à 257 de Mille otages pour Auschwitz, op. cit.