12/11/2015

accueil-mdg1.gif (1380 octets) Les bombardements de Fougères en juin 1944

 

Rennes bombardée, le 8 mars 1943, le bourg de Bruz anéanti, le 7 mai 1944 : les Alliés déversent leurs bombes, dans l’espoir de traquer l’ennemi. A chaque fois, le nombre  de victimes est impressionnant.

Le bombardement du 6 juin

Qui aurait pu imaginer que la ville de Fougères connaîtrait un sort identique, le soir du 6 juin  1944, alors que le débarquement venait d’avoir lieu sur les plages normandes, le matin même ? La joie était contagieuse, après une attente interminable.

La soirée est un cauchemar, un déluge de bombes s’abat sur le quartier de la Gare  et la place de l’Abattoir, provoquant la mort de 26 personnes. La rue des Orières et la rue Hoche sont détruites à 100%. Pour empêcher la remontée des troupes allemandes vers la Normandie, les Alliés déversent leurs bombes sur les gares ferroviaires, nœuds de communications importants.  Fougères est un carrefour stratégique entre la Bretagne, le Maine et la Normandie. La ville figure dans le plan d’ensemble  des Alliés, ciblant des villes, situées dans l’arrière-pays des combats, afin de  bloquer au maximum l’arrivée des renforts allemands vers le front. C’est une véritable course de vitesse entre les Alliés et les Allemands, la destruction des moyens de communication est programmée et semble inéluctable.

Parmi les victimes, rue Jules Verne, 4  personnes de la famille Battais.

Le bombardement de la nuit du 8 au 9 juin

Un second bombardement, dans la nuit du 8 au 9 juin, est encore plus meurtrier. Pour beaucoup, c’est une surprise, faute d’avoir été prévenus à temps et d’avoir quitté la ville. Le bilan humain est catastrophique : 289 morts, des familles entières décimées. Ainsi la famille Laurent, rue de Laval, compte sept victimes, la famille Rousseau, rue des Fontaines, perd cinq de ses membres, 22 pensionnaires brûlés vifs de l’hospice de la Providence, rue de Savigny.  Plusieurs quartiers sont visés, laissant  rues éventrées et maisons démolies. Les 17 usines de chaussures sont détruites, la ville est sinistrée à 84%, selon de le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme

Le lendemain des frappes, c’est la grande désolation. On découvre ses parents ou ses proches morts sous les bombes. Alors qu’on s’est éloigné, on est sidéré de découvrir sa maison soufflée par l’explosion.

Désormais on n’ose plus rester dans la ville, angoissé par de nouvelles attaques aériennes.

La ville offre un spectacle de désolation : l’église de Bonabry éventrée, la rue de la Pinterie méconnaissable, avec la destruction par le feu des vieilles maisons à porche, héritées du Moyen-Age, la belle façade de l’usine Cordier abattue, la jolie gare, la sous-préfecture jetées à terre. Les rues du centre sont défigurées : la place Lariboisière, la rue Nationale, la rue Lesueur, la rue Châteaubriand, la place d’Armes. Cette fois, les dégâts s’étendent  au-delà du quartier de Bonabry.  Les rues excentrées, telles la rue de Rillé et la rue des Fontaines, comptent aussi leurs morts, ensevelis sous les décombres et les gravats.

Aux victimes, s’ajoutent de nombreux blessés. Les uns sont  dirigés vers la clinique Saint-Joseph, située sur les hauteurs de Rillé et soignés par les religieuses. Un véritable hôpital de campagne. Les autres sont orientés vers l’hospice de Chaudebœuf, à Saint-Sauveur-des-Landes. On y dénombre plus de 400 personnes, un chiffre étonnant qui  donne toute la mesure du désastre d’une ville de province d’un peu plus de 21000 habitants.

Les dégâts matériels sont nombreux, paralysant la vie au quotidien. Immeubles ravagés autour de 10 %, maisons individuelles abîmées à plus de 50 %; les équipements urbains hors-service (canalisations d’eau et de gaz brisées, voirie défoncée). Une vision d’apocalypse, de chaos, en ces deux nuits d’enfer. Vingt minutes interminables, dans la seconde nuit,  plongent la ville dans ce qui peut ressembler à un spectacle de feu, suivi par un largage de bombes : bombes  éclairantes, puis bombes explosives, bombes à retardement…Illustration effrayante des progrès des moyens de destruction accomplis lors de la seconde guerre mondiale.

Vision des villes pilonnées et complètement défigurées dans l’arrière-pays et les villes normandes. Le scénario est identique.

L’exode des  Fougerais sinistrés

Que faire sans logement ? Sinon quitter le champ de ruines et se réfugier à la campagne. Tout est précieux : les fermes, les granges, les celliers des communes environnantes. Le nouvel exode se dirige vers Javené, Romagné, Lécousse… Romagné accueille 2000 Fougerais, selon le registre du conseil municipal. Lécousse en reçoit plus de 2500, d’après le Journal de l’abbé Alphonse Jarry, résidant au presbytère.

 Il n’y a guère de commune qui ne reçoit pas des réfugiés. Javené, surnommée le «Petit Vichy», accueille les administrations municipales et les services publics (mairie, gendarmerie, police, sous-préfecture, perception, poste). Le maire de Fougères, M. Hamard-Pacory, reçoit ses collègues dans la ferme de la Tiolais…On estime à 6000 personnes les réfugiés de la ville  désertée, dispersés aux quatre coins de la commune. Ruraux et citadins se rapprochent. Des liens se  créent : les gens de la ville reviendront plus tard chez ceux qui les ont accueillis, pour chercher du ravitaillement ou simplement pour le plaisir de les revoir.

Sur place, le ravitaillement est le grand souci : le  pain est distribué aux titulaires de cartes d’alimentation. Il est fabriqué, jour et nuit, au rythme de 10 fournées. A chaque fournée, de grandes files d’attente devant la devanture et des pains distribués coupés. Le maire de la ville ordonne même aux boulangers des communes voisines de venir faire des livraisons supplémentaires à Javené.

 Des questions

La tactique des Alliés  consiste toujours à lâcher des tracts avant les bombardements stratégiques de nuit. La forme est toujours identique : «  Message urgent aux habitants », invitant la population à partir et à se disperser dans la campagne, le plus rapidement possible. 15000 habitants ont dû déserter la ville, après le premier bombardement. Hélas, 7000 sont encore présents, sous les rafales des 200 avions alliés, lors du second bombardement. Si cette  population  est restée sur place,  c’est qu’aucun message ne lui est parvenu  sur la ville, selon une fatalité cruelle. L’inimaginable s’est produit, déjouant les préparatifs des Anglo-américains. 

Les regards du maire et du sous-préfet de Fougères

 Lors de la séance municipale du 29 juin 1944, M. Hamard-Pacory parle de « sauvage agression », à propos  du bombardement du 9 juin; le sous-préfet, M .Dop, lui répond en ces termes : « Le cœur et l’esprit restent saisis d’horreur et d’indignation devant un spectacle d’une si  évidente volonté de destruction et d’anéantissement » Représentant du gouvernement de Vichy, M. Dop condamne avec vigueur les bombardements alliés. On découvrira plus tard, par la Chronique du 30  juillet 1949, qu’il  a été jugé par la Cour de justice de la Seine et condamné à 5 ans de prison, 100 000 francs d’amende et à la dégradation nationale. Prix payé pour son attitude collaborationniste, sans équivoque.

Un point de vue …discutable

A quelques encablures de Fougères, sont durement éprouvées  des villes comme Vire (Calvados),  Saint-Lô (Manche), Avranches (Manche), Saint-Hilaire-du-Harcouët (Manche) ou Mortain (Manche).  Un programme parfaitement établi par les Alliés.  Pouvaient-ils limiter les dommages collatéraux ?  Une question posée aujourd’hui, mais qui ne l’était pas face à l’adversaire qu’il fallait anéantir.

Daniel Heudré

Sources :

*Archives municipales de Fougères, 5 H  4-31 : Dossier Les victimes des bombardements
*Registre des délibérations  municipales de Fougères, 1944
* Hebdomadaire La Chronique, samedi 30 juillet 1949
*Revue Le Pays de Fougères, n°  48/49, 1984      

 

 
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