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Témoins

Témoignage de Mr Sicot
(Infirmier à l’hôpital régional P.G.A. de la Prévalaye
de fin mai à fin novembre 1945)

Ed:15/12/17

 

"J’avais 20 ans en octobre 1944. Je me suis engagé le 11 janvier 1945, pour la durée de la guerre, et je me suis retrouvé à la caserne du Colombier à Rennes. Dès notre arrivée, l’armée nous a informé qu’elle recherchait des jeunes gens sportifs. Je me suis proposé, faisant régulièrement de l’athlétisme dans un club. Retenu, j’ai été affecté au service des infirmiers militaires dans une fonction que l’on appelait à l’époque Chef de section. J’étais chargé de faire des exercices de brancardages sur le Champ de Mars, d’expliquer les différentes modalités d’intervention des médecins, des dentistes, des vétérinaires et j’avais la mission d’assurer quelques cours de secourisme.

Peu à peu, suite à l’arrivée des jeunes de la classe 43, comprenant plusieurs étudiants en médecine, en cinquième année, je me suis retiré de cette formation, laissant la place aux étudiants plus qualifiés que moi pour cette mission. Néanmoins, je continuais à faire une fonction de sergent.

Je me suis retrouvé quelques semaines après au château d’Argentré du Plessis avec une vingtaine de jeunes militaires sous la responsabilité d’un adjudant, mais sans orientation précise. L’ organisation militaire dans ce secteur était encore assez floue.

Après une formation dans un H.O.E. 420 (Hôpital Organisé d’Etape) , c’est-à-dire ceux qui étaient installés près des lignes de combat, et la guerre ayant pris fin le 8 mai 1945, j’ai été nommé à l’Hôpital Régional des P.G.A. de la Prévalaye fin mai 1945. J’étais chargé de l’intendance et notamment du ravitaillement quotidien. Je relevais de l’État-Major militaire français installé à l’hôpital militaire de Rennes.

Pendant ma présence dans cet hôpital jusqu’à fin novembre 1945, tous les services techniques (médecins, chirurgiens, infirmiers, cuisiniers, coiffeurs) étaient assurés par le personnel allemand. Le personnel médical soignant était totalement allemand : des infirmiers, deux chirurgiens dont un colonel, dont j’ai oublié le nom. Celui-ci n’aurait pas été étranger au groupe qui a participé à l’attentat contre Hitler. Il avait environ 60 ans, sympathique. Il était assisté d’un jeune capitaine chirurgien d’environ 25 ans qui avait été champion de boxe universitaire d’Allemagne. Il y avait aussi un footballeur de l’équipe d’Allemagne qui avait remporté la coupe du monde en 1937.

Je me souviens que le bloc opératoire et la pharmacie étaient installés dans un bâtiment en dur avec les services administratifs de gestion. En revanche, les services hospitaliers étaient implantés sous tente exclusivement dans la grande prairie voisine, ainsi que la pharmacie. Le nombre de tentes, de mémoire, me semble être approximativement d’une trentaine environ, contenant chacune une douzaine de lits par tente soit environ 350 lits.

Pour ce qui nous concerne, nous n’avions pas le droit de pénétrer dans les tentes des Allemands. Mais, le colonel chirurgien allemand m’invitait à assister aux opérations. c’était très instructif pour moi. A deux reprises, j’ai été soigné par l’équipe médicale de l’hôpital pour une grippe et une entérite.

Les P.G.A. hospitalisés arrivaient à cette époque des seuls camps de P.G.A. Rennais que venaient de nous céder les Américains. Je voyais bien qu’il y avait beaucoup d’allées et venues., mais je ne puis dire le nombre d’entrées par mois. C’était en général de grands malades qui arrivaient là, (sauf quelques débrouillards).  Il y avait aussi parmi eux, de tout jeunes garçons de 14 à 18 ans. On voyait les malades arriver à l’hôpital complètement déprimés. Il faut reconnaître que certains avaient mangé de l’herbe...J’ai vu des types d’une maigreur effrayante et qui avaient des cuisses pas plus grosses que le poignet.

Les cas les plus urgents ayant besoin d’une grave opération étaient dirigés sur l’E.P.S. (Hôpital Militaire Français installé dans l’école des filles réquisitionnée, rue Jean Macé) J’avais à l’EPS un camarade qui s’appelait Martin à la réception. Je me souviens lui avoir amené un gamin qui pesait sûrement moins de 20 Kg, tant il était amaigri (Cet hôpital était alors tenu par les Américains).

Pendant ma présence dans l’hôpital de la Prévalaye, la nourriture était très bonne pour les PGA et même exceptionnelle pour nous, pour l’époque. Tous les matins, j’allais en camionnette, avec un nommé Rainer, Alsacien enrôlé de force dans l’armée allemande. La viande, nous la prenions à l’entrée de la rue de Lorient, à droite en allant vers le stade. Les légumes, nous les prenions place Honoré de Commereuc près de la Chambre de Commerce. Les rations des P.G.A. hospitalisés étaient distribuées par le service de santé allemand.

Parfois, nous avions de la musique et du vin aux repas. A l’hôpital se trouvaient le chef d’orchestre de l’opéra de Berlin, le guitariste et le pianiste de la radio de Frankfort...De temps en temps, l’État-major Français de la Santé rendait visite à l’hôpital. Le chef d’orchestre de l’opéra de Berlin était un très grand violoniste. On lui avait volé son violon dans le camp avant son arrivée à l’hôpital. il en avait pleuré. Alors, on s’était débrouillé pour lui en récupérer un autre

Des épidémies de toute nature se propageaient d’autant plus facilement que les P.G.A. étaient en général dans un état déplorable lorsqu’ils arrivaient à l’hôpital, atteints de dysenterie.

Je ne connaissais pas les statistiques officielles, mais avec la chaleur de l’été 1945, il y a eu beaucoup de morts à l’hôpital, avec me semble-t-il une progression des décès entre juin et août de 150 à peut-être 400 par mois

Certaines tentes nous étaient complètement interdites. J’ai quand même vu la cabane mortuaire où l’on entassait par terre les uns sur les autres les corps, ou plutôt les squelettes nus, des P.G.A. décédés. De la chaux était déversée par-dessus, en attendant de les emmener et de les enterrer, me disait-on, au "bois des Allemands" rue de Vern. C’était éprouvant. Je n’ai jamais assisté au départ de ces cadavres et je ne suis jamais allé là-bas. Je ne sais pas si c’était dans des fosses communes.

Je reste marqué par cette période. J’ai assisté d’un côté au retour des déportés survivants des camps de concentration allemands. J’étais par exemple au café Chateaubriand, place de la gare à Rennes, quand la fille de Mme Tanguy de l’Hôtel du Cheval d’Or y est arrivée à sa descente du train, rentrant du camp de concentration allemand. C’était une loque. On ne pouvait pas aimer les Allemands après ça. D’un autre côté, on ne se réjouissait pas pour autant, de voir dans le même état ces P.G.A. moribonds que nous avaient laissé les Américains. C’était pénible pour nous, sur notre territoire ...

Le contact que j’ai pris avec l’Université du temps Libre de Rennes pour apporter mon témoignage, m’a permis de rencontrer le mercredi 21 juillet 1999 à Saint Briac, Théo Kirtz, ancien P.G.A. interprète du camp 1102 en vacances aux Sables d’Or les Pins, qui a également apporté son témoignage aux travaux de l’U.T.L.. Nous sommes heureux, nous qui étions tragiquement impuissants d’un côté et de l’autre des barbelés, de pouvoir transmettre aujourd’hui ensemble, ce message de la mémoire au service de la Paix entre nos deux peuples et de la nécessaire construction européenne pour la préserver".

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