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Témoignage de Richard Pétereit.
(ex-PGA  interprète dans le camp 1102)

 

 

Article témoignage de Richard Pétereit d’Erwitte (Allemagne) paru dans " Église et Vie" journal de l’évêché de Münster / sous-mission en France / Écho de rencontres franco-allemandes le 26 juin 1953

 

"Le brouillard et la pluie s’écrasaient sur les vitres. J’étais assis sans bouger dans le train et je regardais le paysage avec le plaisir de le revoir. J’avais l’impression de revoir les mêmes oiseaux que j’avais quittés six ans avant. Les casques d’acier et les pèlerines des douaniers français à Jeumont s’enfonçaient dans ma mémoire .Paris était déjà derrière moi.

Puis ce fut Rennes. Quinze heures de train étaient passées. Je descendis du train. Mon hôte m’avait attendu devant la gare. Il avait " Ouest-France ", son journal à la main, comme signe de reconnaissance L’amabilité française m’accueillit. J’avais été jadis interprète dans le grand camp de prisonnier de guerre à Rennes. Prisonnier parmi des prisonniers, pendant plusieurs années. Mais désormais, le charme était rompu. Souvent, j’avais traduit pour des camarades allemands le journal Ouest-France dont j’étais maintenant l’invité , (le plus grand journal provincial de France avec une diffusion de plus de 600 000 exemplaires par jour). Monsieur Hutin Desgrées, Directeur de ce journal et Député du Morbihan, me conduisit à mon hébergement.

Le soir de ce même jour, je me suis attardé longuement avec les Français qui m’ont serré la main. Ils racontaient ce qu’ils avaient sur le cœur à voix haute et clairement. L’atmosphère d’incompréhension et de méfiance réciproques devaient se métamorphoser en une atmosphère de travail amical en commun. Au son des sonneries dominicales, je suis allé dans des villages calmes, modestes. Les hommes dans leur veste mi-longues des jours de fête, les femmes en coiffe blanche, courraient sous la pluie à l’église; on vit ici en Bretagne sans se soucier beaucoup de l’histoire mondiale, mais très rigoureusement dans le grand raisonnement de l’Évangile.

Nous ne sommes pas les seuls, nous les Allemands, à avoir confié le pays et le peuple au ciel. Les Bretons aussi, vénèrent Dieu avec modestie et humilité. Ils sont innombrables là-bas les sites qui sont consacrés à Dieu. Le plus beau et le plus grand se situe entre la Normandie et la Bretagne. Au milieu de la mer, dans la baie de Saint Malo s’élève l’édifice de granit borné par les minuscules pieux de pêcheur d’huîtres, dans l’eau montante. Le lendemain matin, c’est la réception par le Marquis d’Argentré du Plessis. J’avais logé, jadis, dans son château comme prisonnier de guerre. Dans les derniers jours d’automne de l’année 1945, il me sortit de l’entrepôt 1102 (camp de la Marne) Sur la ferme modèle voisine, j’avais jadis acquis de premières notions agricoles, grâce à l’administrateur  Monsieur Bouvier. Je les ai alors tous revus: les employés, les gendarmes, le facteur. Il y avait aussi encore, le vieil invalide de guerre avec sa jambe de bois, qui me passait autrefois du tabac et des cigarettes sans tickets. Très heureux que nous nous soyons reconnus, il m’a bien serré la main dix fois. Il fallait que je salue sa femme Nous nous sommes longuement épanchés en conversation et souvenirs. Le chauffeur près de sa voiture: " au revoir, au revoir ".

Des soirées inoubliables dans la maison à la campagne de Monsieur Hutin Desgrées .La maîtresse de maison pleine de bonté cordiale et de charme. Trois de leur cinq fils étaient assis autour de la table. La pièce était vieille en style Breton. Nos conversations concernaient l’Allemagne.  Le maître de maison citait l’histoire allemande. Il avait souffert sous l’occupation Allemande: incarcéré, libéré, recherché.Sa tête était mise à prix. Son frère fut pris en otage et disparut en Allemagne. Le maître de maison parlait sans amertume de ses expériences. Dans la cheminée brûlait un grand feu. " Se côtoyer, c’est apprendre à se connaître ", c’est se comprendre ". " Se comprendre, c’est aimer ". " Il s’agit de créer un organisme central dirigeant. Le cœur d’une Fédération Européenne qui bat et qui agit. Il s’agit d’éviter la dispersion des énergies. Laissez-nous réaliser un réseau efficace d’entre-aide.

L’Européen ne doit plus se sentir seul... "Je n’avais plus l’impression d’être " étranger ", bien que j’étais éloigné de ma patrie. Ce que nous aurons l’occasion de faire sera un acte d’espoir, un acte d’amour et de fidélité pour le bien-être de nos deux peuples, pour la paix de notre chère vieille Europe. On enlève à tant de gens la possibilité de reconnaître le petit nombre de vérités modestes auxquelles ils ont droit. Ils sont obligés de déclencher la querelle des idéologies, la presse, la radio, les supporters. Être informés de tout et ensuite ne rien comprendre du tout, c’est leur sort.

Toujours est-il que la civilisation française a recueilli l’héritage de la civilisation grecque. Pendant des siècles, elle a travaillé à la formation d’une humanité libre. Les aspirations à une responsabilité illimitée le prouvent. Il y a aussi en France des gens qui sont prêts à assumer une responsabilité illimitée pour notre continent.  La Bretagne est pleine de contrastes ; la sobriété et le luxe s’y côtoient étroitement. Qu’ils ne soient pas ressentis comme des contrastes aigus, mais qu’ils soient imbriqués comme une évidence, cela provient sans doute du même ciel qui les illumine. Mais cela tient aussi à l’être humain qui porte en lui le reflet de cette nature douce et réconciliante".

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Ed : 15/03/2005