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Témoignage de Théo Kirtz de Meschède
(ex-PGA du camp 1102)

 

En captivité chez les Français (Traduction par Alain Duros)

L’époque de la choucroute | Le commando de l’aéroport | Un instrument change de propriétaire | Deux surveillants des cuisines en fuite |  Commerce à l’aéroport | Le temps du soja | Condensé de mon expérience de vie   | On vient nous chercherLa population de Caro  | Préparation d’un nouveau chantier  | Pentecôte 1946 | Une nouvelle route est terminée | Tous attendent la nouvelle moisson  | La deuxième année de captivité tire lentement à sa fin  | Adieu à Caro |  Le temps des battages | Une issue s’ébauche | Surprenante rencontre dans le camp | La sécurité | Rapatriement

L’époque de la choucroute

Théo Kirtz ancien prisonnier de guerre allemand en BretagneLa charge de la surveillance du grand camp de prisonniers de Rennes est transmise par les Américains aux Français en juillet 1945. A l’exception du pain moisi, ils emportèrent tout. A partir d’aujourd’hui les Français doivent nourrir une armée affamée de 100 000 prisonniers de guerre. Nous allons tout de suite durement ressentir que nos nouveaux surveillants ne sont pas en mesure de le faire. La "  période choucroute " commence. Beaucoup d’eau et quelques filaments de choux ne peuvent rassasier un homme même pour un court instant. Toute trace de légumes verts a rapidement disparu dans le camp. La conséquence en est diarrhées et autres maladies. Les latrines sont occupées en permanence. Celui qui ose y aller la nuit doit s’attendre à des coups de feu de la part des sentinelles. Alors on installe des baquets à côté des tentes. Les fusillades nocturnes diminuent mais une balle peut atteindre un camarade dormant sous la tente.
A longueur de journée les camarades affamés essaient d’échanger leurs alliances ayant échappé aux nombreuses fouilles contre du pain ou des cigarettes Sans cesse des objets susceptibles d’être échangés sont lancés par dessus la clôture mais il ne revient pas toujours en échange du pain ou des cigarettes. Devant tout le monde il est uriné sur le pain avant qu’il n’arrive dans le camp. Le pain et les cigarettes sont piétinés par des gens affamés. Il arrive malheureusement, de temps en temps, que la sentinelle fasse feu au pistolet mitrailleur dans la mêlée. Des morts et des blessés, cela n’arrête pas pourtant le trafic car la faim est très forte.
Par ailleurs le cours des échanges sur cette " place commerciale "est d’une alliance pour trois cigarettes ou un morceau de pain. Nous les jeunes nous ne comprenons plus nos camarades, auraient-ils perdu tout sens de la discipline. Chaque jour une corvée de chiottes va à la Vilaine pour vider les baquets. L’équipe des Français qui les accompagne en profite pour voler les dernières alliances des mains des hommes. Pour que nous sachions pourquoi on nous traite ainsi on nous explique tous les forfaits que nous avons commis. Nous n’avions jamais su à quel peuple de criminels nous appartenions.

Le commando de l’aéroport et les premiers échanges

C’est un bonheur inexprimable de faire partie de la première équipe de travail du camp. Tous les jours cinquante prisonniers vont à l’aéroport de Rennes escortés par des soldats fortement armés. Les Ponts et Chaussées deviennent notre premier employeur. Nous déblayons des hangars d’avions bombardés et comblons les trous de bombes. Quelques-uns doivent aider aux cuisines ou laver au balai-brosse les baraques des femmes soldats. En tout cas nous sommes en liberté et avons contact avec d’autres " couches d’acheteurs " Qui s’étonne alors que le commerce se déplace de la clôture du camp vers l’extérieur. Ce qu’il reste alors à vendre dans le camp est emporté tous les jours à l’aéroport. C’est étonnant ce qu’il reste encore après toutes ces fouilles. Le matin nous transbahutons des souliers, des pull-overs , des sous-vêtements et le soir rapportons du pain et des cigarettes au camp. Pour une alliance 333, on obtient à l’extérieur un pain ou vingt cigarettes. L’alliance 555 rapporte un kilo de pain en plus. Au camp s’installent les premiers intermédiaires et acheteurs. Malheureusement chaque transport n’arrive pas toujours sûrement au camp. A la porte du camp, lors du retour, restent suspendus du pain et des cigarettes. Mais ce risque n’a aucun rapport avec celui encouru à la clôture du camp.

Un instrument change de propriétaire

Un accordéon diatonique Hohner est proposé par un surveillant des cuisines au prix de 2.000 francs. Comment passer le contrôle avec et où trouver un acheteur ? Avec l’accord de notre interprète je le mets en bandoulière et traverse avec culot le portail du camp. Naturellement l’homme de garde veut savoir ce que l’on porte. Notre interprète n’a pas de mal à convaincre le sergent que la musique sert beaucoup pour encourager l’ardeur au travail. Sans vérifier mes connaissances en musique et avec la promesse de le rapporter le soir le poste de garde nous laisse passer. J’ai déjà trouvé quelqu’un d’intéressé. Un soldat de l’Armée de l’Air français. Est prêt à débourser 3.000 francs. Sur place en un instant l’instrument change de main. Personne n’est témoin de la transaction. Heureusement la garde est relevé à midi à l’entrée du camp, si bien que personne ne remarque la " perte "

Deux surveillants des cuisines en fuite 

Je ne pouvais pas savoir que le vendeur de l’instrument avait besoin d’argent pour un retour prématuré au pays. Je l’apprends quelques jour plus tard quand mon ami Jochen m’annonce tout excité que les deux vendeurs ont financé leur retour prématuré avec le produit de la vente et d’autres rentrées d’argent dues à la vente de très convoités morceaux de savon. Comme on le sut peu après, les fuyards atteignirent Metz par un train régulier et, par des chemins détournés, Francfort où ils habitaient, dans la zone américaine. Là ils étaient à l’abri d’une extradition vers la France.

Commerce à l’aéroport de Saint-Jacques-de-la-Lande.

Nos fournisseurs nous refilent de temps à autre dans l’obscurité des rossignols ou autres saloperies. On tombe aussi sur des souliers de tailles différentes, occasionnellement aussi sur des vêtements pleins de lentes. Tout doit être revendu. On empêche un examen trop approfondi de la marchandise proposée par le cri " sentinelle ". La marchandise change alors de main à la vitesse de l’éclair. Il est alors conseillé de passer inaperçus les jours suivants. Notre chef d’équipe et surveillant des Ponts et chaussées s’appelle " Lucki  Lucki " . On s’amuse beaucoup chaque fois  qu’il dit en allemand " vous parlez devant Lucki Lucki ", ce qui veut dire qu’il a découvert quelque chose. Peu avant Noël nous déménageons à l’aéroport. C’est avec une grande joie que nous recevons pour Noël un premier don de la Croix-Rouge qui contenait du sucre, du chocolat, du cacao, de la confiture et des cigarettes. Même le pape se souvient de ses brebis en captivité , il nous envoie une prière. Je ne ressens pourtant pas une vraie joie, car tous les essais de retrouver ma famille échouent. Je suis harcelé à la pensée qu’ils n’ont pas survécu à la guerre. Depuis l’automne 1944 je n’ai aucune nouvelle d’eux. Tous les efforts de les retrouver restent sans résultat. Pourtant enfin à la mi-mars un signe de vie arrive du pays. Ils sont tous vivants et attendent mon retour.

Le temps du soja.

En mars l’approvisionnement du camp a changé. Au lieu de la choucroute il y a du soja à tous les repas sous forme de soupe ou de pain. Le pain pesait un kilo et était pour 5 personnes. Il était lourd comme du plomb et contenait beaucoup de blanc d’œuf. De temps à autre je sépare de l’eau le résidu de la soupe et grille la farine( la mie) pour avoir un autre goût. On n’est de toute façon pas rassasié avec çà. Entre temps j’ai retrouvé le poids de mon enfance de 45 kilos Le camp se vide peu à peu, car on doit effectuer dehors un travail utile. Du ravitaillement supplémentaire nous vient de Norvège. Les camarades apportent leurs instruments de musique et nous profitons d’un magnifique concert. Avec le soja il y a parfois maintenant du poisson, des biscuits ou une soupe à l’orge décortiqué. Le mot d’ordre est " sans nourriture pas de travail ". On ne peut rien faire avec les produits que l’on peut acheter avec notre salaire à l’aéroport. Qui mange de la brillantine ou de la crème de beauté, Personne d’entre nous, n’a besoin actuellement d’eau de Cologne. On a besoin que de papier à lettre dans la mesure où l’on peut envoyer du courrier non censuré.

Condensé de mon expérience de vie

Bien que je n’aie pas atteint 20 ans, je ne peux pas me plaindre d’un manque d’expérience de la vie. Discipline et maîtrise de soi sont devenus des mots étrangers. Le combat pour la survie détermine souvent le comportement d’hommes autrefois disciplinés. Le vol est à l’ordre du jour. Beaucoup surtout les plus âgés se laissent simplement aller, ils ne se maîtrisent plus. Pour nous les plus jeunes se préparer pour la première douche est un événement, nous pouvons pour la première fois depuis notre "  licenciement " de la Wehrmacht nous doucher. Dans les tentes, des lits sont montés, les baraquements reçoivent l’électricité. Quand allons-nous avoir notre prochaine mission ? c’est la question qui nous préoccupe tous.

On vient nous chercher

Enfin aujourd’hui 2 avril un camion vient nous chercher dans le camp. Cinquante prisonniers de guerre cette fois " pas de membres du Parti " partent pour une équipe de travail dans le département voisin du Morbihan. L’idyllique petite localité s’appelle Caro. Avec notre arrivée le nombre d’habitants atteint 1500. L’accueil est amical, le premier repas bon et copieux. Nous devons y construire des routes. Nous le ferons volontiers si nous sommes encore bien nourris et bien traités. D’abord on se bricole des lits. Huit camarades ont leur quartier dans des fermes voisines, ils ont tiré le gros lot. Nous constituons deux groupes desquels 15 furent pris en charge par l’entreprise Jouvance à la Gacilly et le reste par la commune. Je faisais partie de l’équipe de la carrière de l’entreprise. Le matin à 5h45 nous allons au travail. Au sud de la commune il est prévu une route pour aller à la ferme. Nous prenons notre déjeuner ensemble. La cuisine reçoit des haricots et des abats. C’est une bonne nouvelle. Malheureusement la joie est de courte durée, car les haricots doivent être très vieux. Presque tous contiennent un insecte. Cette garniture n’est pas du goût de chacun. Par bonheur pour les camarades qui vont chaque jour à la carrière, Monsieur Jouvance leur fournit de temps en temps un supplément de nourriture. Le travail est très dur à cause de la température ambiante. Le gendre, chef de travaux était en captivité en Allemagne. Tout le temps on entend " moi en Allemagne, trois fois gazé ". On ne pouvait qu’en rire. Probablement fut-il épouillé trois fois. Le soir on met sur l’épaule nos outils et perceuse pour les amener à aiguiser à la forge du village.

La population de Caro

A la fin de la semaine on se disperse pour travailler dans les fermes des environs. Nous travaillons pour un salaire d’appoint. Bientôt on est adopté partout. Notre participation à l’office dominical nous octroie des sympathies supplémentaires. Les gens sont en général très pieux. Les femmes âgées offrent un spectacle très agréable avec leur costume traditionnel, leur coiffe en dentelle et leurs sabots de bois. Notre " grand-père " Matthieu d’Aix la Chapelle est particulièrement apprécié. Il a déjà plus de 50 ans. Il fait parti du personnel des cuisines. De ce fait il va tous les jours chercher l’eau à la fontaine. Il rencontre en chemin des femmes allant chercher l’eau, laisse son seau et aide. Pour sa galanterie on lui offre beaucoup de morceaux de pain. Moi et Jochen en profitons de temps en temps.

Notre surveillant cherche à se marier. Alphonse a pris en charge notre surveillance. Équipé d’un fusil de chasse il accompagne au travail l’équipe des routes. Le soir quand nous sommes tous rentrés il tire un coup de fusil pour que les gens sachent que maintenant tous les prisonniers sont rentrés et que personne n’a à avoir peur des étrangers. Mais cet intermède a bientôt une fin. Les gens ont confiance en nous. Alphonse de retour de captivité en Allemagne a atteint l’âge de se marier. Il doit rechercher une femme. Comme les deux choses surveiller les prisonniers constamment et rechercher une femme ne vont pas ensemble, la surveillance se relâche au bénéfice des roucoulades.

Préparation d’un nouveau chantier 

Ensemble Jochen et moi avec un camarade français, nous sommes détachés à la préparation d’une nouvelle route. Un camion apporte des pierres concassées que nous répandons en couches à droite et à gauche des bords de la route. Le rythme de travail est déterminé par le camion. Plus  nous sommes loin de la carrière, plus nous avons le temps d’organiser dans le voisinage, un supplément à l’ordinaire. Nous sommes particulièrement reconnaissant à une dame âgée qui,chaque midi pile, d’aussi loin qu’elle puisse nous voir, nous fait signe de venir manger. Cela nous aide à surmonter la faim.

Pentecôte 1946

Jochen et moi sommes volontaires pour travailler le samedi à la carrière pour que l’approvisionnement du chantier marche bien. Monsieur Jouvance nous procure pour cela du pain, du beurre et des œufs en plus. Le dimanche est jour de repos. Le lundi de la Pentecôte, nous aidons dans l’exploitation agricole à démarier les betteraves. Maintenant mes souliers doivent absolument être réparés c’est pourquoi je reste à travailler à l’intérieur une journée. Un été magnifique nous fait paraître comme des estivants. Nous avons découvert en dehors de la localité une carrière tranquille pleine d’eau. N’ayant pas de maillot de bain nous rentrons dans l’eau exquise, nus comme des vers. J’apprends plus tard que quelques jeunes filles s’amusaient à nous regarder. La kermesse apporte à Caro un peu de couleur à la grisaille quotidienne. Malheureusement nous sommes tenus à l’écart. A côté de notre dortoir le bal dure longtemps. Les jeunes femmes avec leurs sabots nous empêchent de nous endormir. Comme nous aimerions y prendre part, car entre temps nous avons fait plus ample connaissance avec quelques belles jeunes filles de la commune. Les nouvelles du pays ne sont pas particulièrement réjouissantes. Nous sommes particulièrement choqués par les rapports sur les atrocités des Russes dans leur zone.

Une nouvelle route est terminée 

Le 17 juillet il y a une raison de faire la fête. Il est facile de savoir qui a offert à boire. Les riverains se réjouissent enfin. La cuisine aussi peut servir d’autres mets. Maintenant il y a de la soupe aux choux malheureusement avec des morceaux de viande. On pourrait s’en réjouir si ces morceaux n’étaient pas des grillons qui la nuit font de la musique, mais qui se précipitent dans la soupe lorsque l’on met la lumière et que l’on soulève le couvercle de la marmite. Je dois encore continuer à mendier à midi car peu de mes délicats camarades se réjouissent de ma soupe.

Tous attendent la nouvelle moisson 

Il n’y a pas que notre responsable de cuisine qui se casse la tête pour pouvoir nourrir des estomacs affamés, nos "  hôtes " français n’ont aussi plus de farine. Nous apportons volontiers notre aide à la nouvelle récolte car c’est aussi notre intérêt. Il y a malheureusement des gens dans la région qui ne savent pas distinguer ce qui leur appartient et ce qui appartient aux autres. Le bureau de la mairie a été cambriolé dans le but de prendre les cartes de rationnement. Un moment nous avons été soupçonnés, mais la police a rapidement découvert la bonne piste. Il y a maintenant suffisamment de travail et nous aidons tous bien volontiers à la récolte. On peut avoir maintenant du pain à la boulangerie sans ticket. Heureusement il y a maintenant la livraison de marchandise de vivandières de Rennes

La deuxième année de captivité tire lentement à sa fin 

Nous nous sentons déjà à Caro comme chez nous. La population locale nous témoigne son estime pour la fête de Noël. Une collecte rapporte 50 kg de farine, 100 œufs, 4 kg de graisse avec quoi le boulanger du village nous fait de délicieux gâteaux et gâteaux secs
Après la messe de minuit beaucoup s’efforcent de deviner ce que les êtres chers font au foyer et si ce sera le dernier Noël loin du pays

Adieu à Caro 

Le 14 juin 1947, on nous ordonna de partir, après que l’équipe eut été fortement réduite suite au transfert des plus âgés et des malades au camp de Rennes. Nous les plus jeunes, craignons d’atterrir dans une équipe de déminage ou dans une mine. J’ai cependant encore de la chance. Dès le jour suivant, une agricultrice me prend dans sa ferme dans la commune d’Iffendic. La période de la moisson est imminente. La modernité n’a pas encore fait son entrée chez les paysans du "  Perrais ". L’électricité et l’eau courante durent être installés que beaucoup plus tard. Je partageais la cuisine servant de chambre à coucher avec le patron, sa femme et un enfant. Le feu de la cheminée s’éteignant donne le signal de la fin de chaque journée de travail. Le premier chant du coq le commencement d’une nouvelle. Une fontaine dans un chemin creux à côté fournit l’eau pour le foyer. S’il pleut l’eau est colorée en vert des jours entiers car les vaches du voisin passent par là pour aller au pâturage. François qui après son retour sait raconter un tas d’histoires merveilleuses sur les gens qui habitent de l’autre côté du Rhin, ne peut pas convaincre sa Léontine de la nécessité de faire sa toilette. Tout reste comme dans le temps. Le seul cheval va bientôt mourir, les vaches fournissent si peu de lait que l’on n’a même pas assez de beurre. On trouve maintes fois de la margarine sur la table. J’interviens la première fois, pendant un été torride sur un champ de blé noir. Avec une faucille je suis occupé à faucher cette magnifique céréale. La farine sert à confectionner de délicieuses galettes. Une chance que malgré toute cette misère il y ait assez de cidre.

Le temps des battages 

Les céréales sont mûres et la batteuse est là, à disposition. Deux aides venant de chaque ferme s’activent auprès des caisses de chaque batteuse. Ensemble avec mon camarade Karl nous aiderons à remplir les greniers. Il est grand et fort et il est tout indiqué pour moi de travailler avec lui. Bien que le transport des céréales ne soit pas un travail facile. Mais la sécurité avant tout. Qui sait comme çà sert d’être ensemble? La bonne alimentation me donne aussi la force d’effectuer ce travail. Le travail fini on fait la fête et on fait partie de l’équipe. Des filles délurées ramassent la paille perdue derrière la machine et de jeunes et robustes gaillards l’amassent autour d’une perche. Parfois une des filles échoue avec un gars dans la paille pendant qu’une de ses collègues fait le guet. La jeune paysanne nous fournit constamment du cidre ; ce qui m’incite d’autant plus à aller avec elle dans la paille. On peut voir après les conséquences de cette " agression " sur mon visage. La jalousie doit bien être la cause d’une bagarre à la soirée finale. Les jeunes gens veulent absolument me boxer. Mais Karl me remplace au pied levé. La pièce est déménagée, le calvados accroît l’envie de bagarre et déjà le premier combat de boxe est en route mais vite fini. Malheureusement le deuxième finit par une fracture à la jambe. Pour que la caisse de maladie prenne en charge les dommages, nous sommes à partir de maintenant une bande de comploteurs. Malheureusement le 6 novembre on reçoit l’ordre de partir. On retourne à Rennes. Avec inquiétude on se pose à nouveau la question Condensé de mon expérience de vie .Condensé de mon expérience de vie. Va t’on être employés à déminer ou à l’extraction du minerai?

Une issue s’ébauche

Par le biais de " travailleur dans le civil " se trouve le meilleur moyen de préparer son retour chez soi. Pourtant quel métier doit donner un scolaire enrôlé pour servir sa patrie s’il veut devenir quelqu’un d’autre. Les meilleures perspectives pour y arriver résident dans l’agriculture.
a} bonne nourriture
b} connaissances même minimes du métier
c} permission prochaine

Le candidat a trois possibilités. Le premier essai échoue. Mon premier patron croit avoir trouvé un imbécile. Arrivé à la ferme, le coffre en bois juste déposé, les vêtements ( presque) civils pas encore enlevés, il m’ordonne d’abord de travailler. Je dois presser le cidre au pressoir. Ce n’est qu’après que je suis installé dans mon nouveau logement, l’écurie. Je dois partager mon couchage avec trois chevaux et de nombreux rats. Après le dîner nous parlons de ma première mission. Nettoyer les chevaux, environ 3 heures, nettoyer l’écurie le reste de la journée. Le bétail est déjà sous l’appentis et quarante vaches font en quelques mois une énorme quantité de fumier. Tout cela ne m’amusait pas du tout et je ne faisais rien pour convaincre mon nouveau patron de mes capacités. Je ne veux même pas rester ici jusqu’à ma permission au pays. Comme le paysan transpire et que moi je garde mon gros pull-over il est prêt à me renvoyer d’où je viens.

Surprenante rencontre dans le camp

Un insigne sur ma casquette avec l’indication de ma ville d’origine a décidé de mon sort. Hubert Esser un compatriote des environs de Düren me repère, sa libération est imminente et il cherche un successeur. Il est employé à l’administration française du camp. Je ne réfléchis pas longtemps car j’aperçois la " terre ". Après présentation au responsable, le frère de l’aviateur de chasse allemand Philipp, je suis embauché dans ce bureau à la réputation louche.

La sécurité 

Le service s’occupe de soi-disant criminels de guerre allemands. Sous la surveillance d’un Lorrain, quatre prisonniers épluchent des listes de recherches alliées. Personne ne quitte le pays d’accueil sans ce contrôle. Plus d’un rêve de retour définitif au pays tombe à l’eau au dernier moment, un homme ou une unité sont recherchés pour une raison quelconque. En conséquence rester ici et attendre jusqu’à ce que, à l’occasion, le cas s’élucide ou ne nécessite plus de témoins. Tout le camp est constitué par des membres de la deuxième division. de parachutistes. Sous le commandement du général Ramcke, qui croupit dans la moyenâgeuse prison de Jacques Cartier à Rennes, ils défendaient à la fin la place de Brest. Les 120 hommes étroitement soudés de cette unité d’élite préfèrent rester encore longtemps en captivité plutôt que de témoigner contre leur commandant de division. Un rare témoignage de fidélité. Notre aumônier catholique du camp reste en contact avec les camarades incarcérés à Jacques Cartier. Il emporte aussi en prison certains vêtements qu’il a enfilé en dessous. A ce que l’on dit, les prisonniers allemands furent enchaînés la nuit durant un certain temps. La bonne coopération avec le personnel permanent du camp et la 1ère compagnie de parachutistes a préservé ainsi beaucoup de camarades de l’arrestation au vu des indications du questionnaire. Chacun peut s’imaginer peut- être, comme reviennent souvent chez nous des noms comme Meier, Müller ou Schulze. J’ai à donner le crochet final pour prouver l’innocence du prisonnier. Le manque de discrétion d’un camarade libéré de cette façon faillit m’être fatal. Le commandant de compagnie a pu intervenir à temps. Mes deux supérieurs français m’aimaient bien et ils n’ont douté à aucun moment de ma fiabilité. En contrepartie ils me protégeaient de nombreux ennuis dans mes rapports avec les soldats français subalternes.

Rapatriement :

Le 13 juillet c’est la fin de ma captivité. Je peux rentrer. Retour dans ma famille qui a tout perdu pendant la guerre et qui envoie en formation l’aîné de ses six enfants. A l’âge de 22 ans je commence une formation commerciale à Düren. La guerre et la captivité m’ont mûri très tôt. Mes années comme prisonnier dans le pays voisin sont le début de l’amitié avec notre " ennemi héréditaire ", amitié qui persiste jusqu’à aujourd’hui et qui resserre les liens amicaux au-dessus de notre génération.

Théo KIRTZ lors de son passage à Rennes

Théo Kirtz Rennes le 4 août 1998

 

Théo Kirtz est décédé le 3 avril 2012 à l'âge de 86 ans.

 

 

Ed: 15/04/2012