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Témoignage de Mr Herrou
Ingénieur Conseil ,ancien officier marinier mécanicien des sous-marins, Monsieur Herrou nous parle des  deux commandements successifs de bâtiments allemands saisis avec leurs équipages  lors de la reddition de la poche de Lorient.... :

Ed:21/02/16

 

"Ayant dirigé des missions de déminage en 1944-45 dans la Manche et dans le Port de Brest, j'ai reçu le commandement du dragueur M.46-26 endivisionné avec le dragueur M.46-21 de dimensions identiques, mais dont le rôle sera évoqué plus loin.

Le dragueur de mines M. 46-26

Difficile de traverser la ville détruite qui n'était que tas de pierres, qu'on n'avait pas encore déblayés pour arriver au quai de Kergroas, où était amarré le M 46-26. J'y suis arrivé un soir, au début décembre 1945. Il n'y avait aucun officier pour me recevoir. C'est le factionnaire français qui m'a guidé vers la chambre du commandant située sur le pont à l'aplomb de la passerelle. La pièce assez vaste est garnie de plusieurs hublots avec rideaux à carreaux rouges et blancs au centre fixés à une cloison transversale. Un piano achève l'impression d'un coin d'auberge Bavaroise.

Le bateau
Dès le lendemain matin, j'ai fait plus ample connaissance avec le bateau : C'était un grand baleinier allemand. de 800 tonnes. Il mesurait 56 m. de long, 8 m. de large Il n'avait qu'un appareil de propulsion ; chaudière cylindrique unique au charbon, suivie d'une machine alternative triple expansion couplée avec une turbine B.W., ce qui donnait beaucoup de régularité à la rotation de l'hélice.

Ce bateau a porté le nom allemand de"0stfriedland" puis "Octant" sous les couleurs Françaises. J'ai fait le tour des machines avec le chef-mécanicien allemand Uhlig. J'ai ouvert les foyers. La chaudière était en permanence sous pression, les feux étaient propres, les chauffeurs assis sur un banc.

J'ai deux photos. L'une est de provenance allemande ; je l'ai trouvée dans le tiroir du commandant allemand. L'autre photo provient du service presse de la Marine qui me l'avait envoyée gracieusement. Vous remarquerez que sur la photo allemande le bateau a tout son armement; surtout des armes antiaériennes. Toutes ces armes avaient été enlevées avant mon arrivée. Sur cette photo, on voit aussi sur l'étrave une espèce de bras qui se détache avec une sorte de cornet. C'est un bruiteur qui permettait de faire sauter les mines acoustiques.

Le matériel de dragage magnétique se trouvait à peu près sous la tourelle avant, mais visiblement il y avait un certain temps qu'il n'avait pas servi, le bateau avait dû être utilisé pour autre chose. Il y avait aussi un important équipement radio Téléfunken. Sur l'avant de la cheminée la grande cale à poisson avait été nettoyée et servait de poste d'équipage. Les Français étaient à l'arrière.

Le bateau portait des blessures : la cheminée avait été traversée par quatre ou cinq projectiles d'environ 30 m/m de diamètre. Le pavois à bâbord était également enfoncé.

Telle est la description rapide de ce navire dont il fallait se servir.

Les hommes :
J'ai fais le jour même connaissance avec l'équipage ; un effectif de 38 hommes allemands et 12 Français seulement. J'ai d'abord reçu les marins français dans l'arrière du bateau, où d'origine en tant que chalutier se trouvait  une grande chambre qui prend tout le couronnement du bateau avec une immense table en acajou.

J'ai ensuite fait connaissance avec les Allemands dont j'ai gardé la liste des noms et adresses. (voir en annexe) J'ai mis un interprète à l'entrée et un par un je les ai fait comparaître devant l'aréopage français, dont j'étais le seul officier. J'ai eu la surprise en les questionnant de m'apercevoir que le personnel pont possédait aussi des qualifications industrielles, telles que des métiers de mécanicien ; mécanicien de machines agricoles, de machines à coudre, de cinéma, d'entreprise, de moteurs etc...

Le personnel machines était très qualifié, et son chef, l'aspirant Uhlig provenait de la Marine Marchande Compagnie de Navigation (Hamburg Amérika)

Nous avons aussi demandé à tous quelle était leur religion ; protestants pour la plupart, quelques catholiques quand même. Nous avons également demandé ceux qui avait appartenu aux Jeunesses Hitlériennes ; il y en avait quelques uns.

L'appareillage :
Nous avons appareillé pour mieux connaître le bateau et l'attitude de l'équipage. On est parti jusqu'à Groix. Et comme il y avait de la mer, les portes qui n'avaient pas été crochetées claquaient dans un vacarme énorme. J'ai donc appelé le Bootsman et j'ai indiqué que je voulais que tout soit remis en ordre, avant de partir en mission.

Les missions :
J'ai reçu missions de dragage, de restituer à leurs armateurs les bateaux Français trouvés dans le port, de transporter des gens, mission d'assistance en mer...

Concernant le dragage des champs de mines, il a fallu attendre que l'autorité militaire demande aux Allemands ceux qui étaient volontaires pour faire le dragage de mines (conformément à la Convention de Genève)  En échange, on a promis aux Allemands qui acceptaient, la même nourriture que les Français et l'assurance de rentrer chez eux une fois le dragage de mines terminé. Ces promesses ont été tenues.

Concernant la circulation des bateaux, dont ceux à rendre à leurs armateurs,  comme on était pauvres en officiers et en personnel, on profitait d'un bateau comme le mien, pour marcher devant et laisser les autres suivre à la file avec un équipage réduit et même avec des gens qui n'avaient pas de brevet de navigation. On les dirigeaient sur la Pallice ou les armateurs étaient prévenus de venir prendre possession de leurs bateaux.

Concernant l'assistance aux bateaux en difficulté, je me souviens qu'un vendredi au début janvier 1946, alors que nous étions amarrés au bassin à flot de la Pallice, un Capitaine de corvette venant d'un bureau de la Préfecture Maritime de Rochefort est venu me demander d'aller porter secours au remorqueur côtier le "Samson" signalé en détresse après son départ de Bordeaux, puis silence radio et reconnaissances sans résultat de l'armée de l'air pendant trois jours..

J'ai répondu que mon bateau était indisponible car le chef mécanicien venait de me faire constater que la bride de fixation moulée de la monture de niveau sur la façade arrière de la chaudière était fendue, risquant d'ébouillanter les mécaniciens et chauffeurs.

Le capitaine de corvette fit demi-tour pour en rendre compte à Rochefort et revint avec un ingénieur mécanicien qui ne pouvait que confirmer le diagnostic. Comme il n'y avait pas d'autre bateau disponible, nous avons reçu mission de partir quand même, peu avant la nuit. C'était le 19 janvier 1946. Le temps était mauvais. On a longé l'île de Ré, contourné l'épave du paquebot Champlain, pris le Pertuis d'Antioche,et fait cap au 270 et sur les 18 heures, on est tombé sur le "Samson" qu'on a ramené à la Pallice de nuit.

J'ai rendu compte par radio à la Préfecture maritime et le lendemain, nous avons mis bas les feux. On a pu trouver sur un des chalutiers abandonnés une monture de niveau un peu du même genre et la remonter dans la nuit pour repartir sur Lorient.

Les mines
Concernant la mission essentielle du dragage des mines, il faut dire que les mines existantes pendant la guerre étaient de plusieurs sortes. Les plus simples on les appelaient des mines à orin, puis sont venues les mines magnétiques, et enfin les mines magnétiques et acoustiques (sensibles au bruit) La seule manière de faire sauter les mines acoustiques était d'utiliser les bruiteurs composés d'un flotteur en tôle d'acier muni d'une hélice actionnant par sillage les marteaux situés dans la tête cubique à l'autre extrémité du bruiteur.

La vie à bord et les relations Français-Allemands :
Concernant les relations, les marins français étaient bien sûr des gardiens et les marins allemands leurs prisonniers.  Mais les uns comme les autres étaient avant tout des marins embarqués sur le même bateau et courant les mêmes risques. Je leur accordais donc plus la qualification de membre d'équipage que celle de prisonnier, d'autant qu'ils avaient ici un comportement parfait. Les relations étaient donc confiantes et le travail était partagé en bonne intelligence.

Concernant la nourriture, elle était rationnée pour tout le monde en France et pour nous aussi. Mais, il n'y avait qu'une cuisine et Français et Allemands mangeaient donc exactement la même chose, commandant compris.

J'ai cependant découvert au bout de deux jours, qu'un officier allemand était caché à bord. Il était monté prendre l'air sur le pont et tenait discours avec les hommes. Alors, j'ai prévenu l'autorité qui se trouvait à la base sous-marine, c'était la seule construction qui restait debout. Il a donc rejoint une destination inconnue à terre, sans doute le camp de PGA de Lorient vers lequel on pouvait renvoyer les membres d'équipage qui se tenaient mal.

De retour à Lorient, j'ai eu la mauvaise surprise d'apprendre que mon bateau était réservé par le service hydrographique de la marine. Cette décision faisait suite aux éloges du Commandant du M. 46-21 qui estimait que les deux bateaux pouvaient convenir aux travaux du service Hydrographique auquel il avait appartenu en tant qu'officier technicien.

Le B. 284

J'ai reçu après mon débarquement du M. 46-26 le commandement de la 28 ème Division de dragueurs baliseurs comprenant 3 bâtiments identiques dont le B. 284 que je commande effectivement.

Il s'agit de bateaux d'environ 25 m. de long à moteur Diesel de 600 CV dont je ne possède pas de photo, d'où la silhouette à la plume, jointe.


Équipage :
17 allemands, une dizaine de Français et deux médecins allemands. Mission : définir les champs de mines par un balisage de bouées et de corps morts sur les indications et mesures d'une équipe d'hydrographes.

Premier Appareillage
De Lorient à la Pallice par beau temps, nous sommes au travers de Belle-Isle lorsque le moteur a ralenti nettement. Je quitte la passerelle et par la claire- voie de la machine, j'aperçois les deux mécaniciens de quart qui tentent de réduire les fuites d'eau de circulation sur les culasses et raccords. N'ayant qu'un équipement modeste de navigation, je ne puis tolérer une initiative isolée sur la vitesse du bâtiment.

Après avoir vertement saisi le chef mécanicien Bucher, nous mettons au point un plan de réparation par nos propres moyens. Ce plan accepté par l'Etat-Major nous permet de rejoindre Brest.

Accosté au "Paris" à Brest
Quand je suis arrivé le long du Paris pour réparer notre moteur, on s'est amarré contre la coque de ce cuirassé qui avait été remorqué depuis l'Angleterre, parce qu'on avait pas assez d'équipage  pour le faire marcher. Il fallait 1200 hommes à bord d'un bateau comme celui-là. En attendant, il servait de bateau base. Des gens étaient là à regarder notre bateau allemand au moment ou l'on faisait l'appel sur le pont avant.

C'était plutôt la débandade, les prisonniers avaient les mains dans les poches. J'appelle donc un nommé Kérébel, quartier-maître Canonnier de Lampaul Plouarzel. Je lui dis : "Je veux de l'ordre et que tout le monde se range correctement". Il me répond qu'il ne connaît pas l'allemand. Je lui dis : il n'y aura qu'à crier "Achtung" et miracle, on a entendu claquer les talons dans un garde-à-vous impeccable

Conséquence : le moteur est réparé en une semaine après démontage et rodage à bras des six chemises, et sous mon contrôle.

Mission à Bordeaux
Après la Pallice, on est parti sur Bordeaux, avec comme base le quai de Bassens, rive droite de la Gironde, un peu avant les grands silos de blé qu'on voit encore à l'heure actuelle. Il y avait là une grande esplanade avec des baraquements de la guerre C'était une ancienne base allemande que les allemands connaissaient bien.

Profitant d'un temps d'amarrage, mon maître canonnier s'en va dans la campagne voisine chercher du ravitaillement. Il ramène entre autre des artichauts. Il n'y en avait pas assez pour tout le monde, et l'on pensait bien les garder pour les Français. Le bateau ravitaillé reprend la mer, passe l'estuaire, cap sur la bouée d'entrée de Bordeaux BXA, longe sur la droite un grand pétrolier russe enfoui dans le sable et nous voilà au large pour une mission de pose des balises, destinées à tracer le chemin que devait emprunter ensuite la flottille de dragueurs magnétiques.

Cette mission accomplie, on pensait bien manger au repas les artichauts. Mais le maître canonnier ne les retrouva pas. Il demande au jeune allemand qui l'assistait à la cambuse, et l'amène tout tremblant devant le commandant pour expliquer cette disparition.: "les fleurs, elles étaient fanées, je les ai jeté à la mer" dit-il. Il ne savait pas que les feuilles d'artichaut se mangeaient !

La dérive magnétique
Je dois rendre hommage à la franchise de mes marins prisonniers allemands. Un jour qu'on quittait la Pallice, longeant le Champlain,en direction du chenal d'Antioche, j'étais sur le pont et je m'aperçois qu'on était trop près de l'île de Ré. On n'était plus dans l'axe. Je monte là-haut, on vérifie la carte et on me démontre que la route suivie était la bonne puisque le point collait d'après les relevés et que le pilote français était d'accord..

Il n'y a que moi qui n'était pas d'accord. Manifestement, quelque chose n'allait pas. D'autorité, je dis 10 à gauche, et je ramène le bateau beaucoup plus dans le milieu.du chenal. Le premier maître allemand Kurt Huntemahn était un peu vexé. Pourtant, dans l'après-midi, il est venu s'excuser et me donner raison, car il avait trouvé que le fusible du circuit de démagnétisation avait sauté au tableau électrique situé dans la machine. Les corrections prévues par la table de correction compas, circuit en route, n'étaient donc pas applicables.

Tous les dragueurs étaient en effet équipés d'un circuit de démagnétisation pour réduire le champ vertical propre au navire. Ce circuit constitué de plusieurs tours de câble autour de la coque, au niveau flottaison, permettait de résoudre ce problème à la condition d'utiliser la table de correction propre à la situation du circuit fermé ou ouvert.

La méfiance du départ...
Dès mon arrivée, j'ai senti autour de moi une certaine méfiance entre Allemands et Français au point de craindre qu'à l'occasion, on inverse les rôles. Quand on était à la Pallice, si proche de l'Espagne amie des allemands, j'aurais pu me réveiller un beau matin, prisonnier de ces derniers dans un port espagnol. (réflexe personnel, étant moi-même prisonnier évadé en 1942)

Alors pour leur montrer que j'étais armé, j'ai sorti mon revolver et j'ai tiré sur des bélugas et des marsouins qui suivaient le navire, mais je les loupais volontairement.  J'ai eu la surprise de voir les allemands réagir en sortant un harpon forgé de leurs mains dans les fourneaux de la cuisine, et tirer à leur tour un marsouin qu'ils ont aussi loupé.

Une autre fois, sur la passerelle, à la hauteur des Sables d'Olonne, j'avais à mes côtés, le chef-pilote allemand, excellent navigateur, toujours en tenue, portant ostensiblement sa croix de fer sur la poitrine. Alors moi aussi, j'avais mis mes deux décorations, la croix de guerre avec citation et la médaille de la Résistance, qu'ils considéraient comme la médaille des terroristes. Raison de plus pour rester sur mes gardes.

On était là à se toiser quand il s'écria : "Fish, fish".  Il avait aperçu un bateau de pêche. Nous voilà du coup sur la même longueur d'onde, œuvrant ensemble pour accoster le bateau de pêche. Les pêcheurs ont compris tout de suite et ont couvert le pont de poissons frais, blanc, qui regorgeait à cette époque, car après quatre ans de guerre le poisson n'était pas pêché comme il l'est de nos jours.

En remerciement, il ne faut pas le dire, on leur a pompé sur nos réserves un bidon de gazole et chacun est parti content de son côté.

Cette anecdote montre qu'il y avait, quand même, une certaine communauté de vie sur cet îlot flottant qu'est un bateau, où les gardiens étaient soumis aux mêmes règles que les prisonniers, le partage rapproche les hommes.

Il n'en demeurait pas moins quelques divergences. Par exemple, les Allemands  répugnaient à rendre le salut aux bateaux que l'on croisait. Il m'a fallu insister plusieurs fois pour obtenir qu'ils respectent cet usage.

Souvenir d'une escale à Belle-Isle
Après un bon coup de tabac, on était allé mouiller sous Belle-Isle, à quelques encablures du Palais. On avait mis à l'eau la baleinière qu'on voit à l'arrière sur le croquis. J'avais été étonné de voir tant de volontaires débarquer avec de grands paniers sortis je ne sais d'où. Je m'étais bien demandé ce qu'ils voulaient faire.

Arrivé au Palais, il y avait beaucoup de marchands sur les quais, c'était le marché. Ils le savaient. Je découvre qu'ils avaient eu l'habitude de venir ici, car j'entendis les marchandes les appeler par leurs prénoms. Alors, on a fait plein de provisions, surtout des choux, betteraves qu'on a embarquées, satisfaisant ainsi Huntemann premier pilote qui m'avait précisé que les allemands ne demandaient pas de la cuisine fine mais   "beaucoup".

Conclusion
Ayant été promu Lieutenant de vaisseau le 4 juin 1946, mon remplaçant est désigné. Il s'agit du Lieutenant de vaisseau Cavalié à qui je remets le commandement le 30 juillet dans les formes réglementaires à la Pallice, bassin à flot.

Cet officier aura la mission de conduire plus tard le navire à Hamburg où les prisonniers ont été libérés."

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