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Eisenhower et les atrocités cachées
(Ike and the Disappearing Atrocities)

Ed: 23/02/2015

Critique de Stefen E. Ambrose

Revue Littéraire du New York Times, 24 février 1991

Document traduit d'après le forum trouvé à l'adresse suivante:http://www.nytimes.com/books/98/11/22/specials/ambrose-atrocities.html  -Version originaledrap-us-20.jpg (8375 octets)

Rarement la publication d’une monographie historique sur un sujet qui d’ordinaire intéresse seulement quelques spécialistes – le traitement des prisonniers de guerre – a suscité autant d’attention ou excité autant de colère que " Morts pour Raisons diverses " de James Bacque. Éditée en 1989 au Canada, elle a été le sujet d’un article de couverture du magazine canadien très populaire, le " Saturday Night ", d’un documentaire de la BBC, de deux documentaires télévisés allemands, et elle sera le sujet d’un prochain documentaire sur un réseau de radiodiffusion canadien. ( D’abord, je devrais dire que le livre canadien comporte un texte de présentation de mon cru qui a été retiré du contexte et utilisé sans permission ). On a discuté de ce livre à la télévision américaine, dans le magazine Time et dans beaucoup d’autres publications de la presse d’information. Dans son édition allemande, le livre a eu un immense succès. L’édition britannique a provoqué des critiques importantes dans le supplément littéraire du Times et ailleurs. Les Éditions Prima de Californie ont l’intention d’éditer le livre en mai, ce qui pourrait attiser les passions aux Etats Unis.

La raison de cette notoriété est dans la conclusion de l’auteur : le Général Dwight D. Eisenhower, en tant que chef de l’occupation américaine en Allemagne en 1945, a délibérément fait mourir de faim un nombre stupéfiant de prisonniers de guerre allemands. M. Bacque lui impute " un nombre de victimes dépassant sans doute 800.000, presque certainement 800.000 et très probablement plus d’un million. Leur mort a été sciemment provoquée par des officiers de l’armée de terre qui avaient un approvisionnement suffisant pour les maintenir en vie. "

Selon M. Bacque, la méthode d’Eisenhower était simple : il changeait l’appellation des prisonniers de : "  Prisonners of War ( P.O.W.) ( Prisonniers de Guerre ), qui selon la convention de Genève devaient être alimentés avec les mêmes rations que les G.I. américains, en " Disarmed Enemy Forces ( D.E.F.) ( Forces Ennemies Désarmées ) " , ce qui lui permettait de diminuer leurs rations à un niveau dangereux de sous-alimentation. M. Bacque dit que l’on refusait aussi de fournir des médicaments et des abris aux D.E.F. Ils mouraient par centaines de mille. Leurs morts se trouvaient dissimulées sur les registres de l’armée en les inscrivant comme " Morts pour raisons diverses " sur des tableaux montrant les totaux hebdomadaires des prisonniers présents, le nombre des prisonniers libérés et ainsi de suite.

M. Bacque est tellement scandalisé par sa découverte de ce crime abominable qu’une agence de presse rapporte qu’il a dit dans une interview que les Américains " devraient détruire toutes les statues d’Eisenhower, toutes ses photographies et effacer son souvenir de l’histoire de l’Amérique du mieux qu’ils le peuvent, et ils devraient dire : " Voici un homme qui a fait des choses monstrueuses dont nous avons honte ". Des questions se posent immédiatement. S’il y a eu un million de morts, où sont les corps ?

Eisenhower avait-il un pouvoir si étendu qu’il pouvait ordonner une famine collective et que cela reste un secret ?

Les souffrances incontestables dans les camps, surtout les camps de transit le long du Rhin, étaient-elles le résultat de la politique d’Eisenhower ou le résultat des conditions chaotiques qui régnaient en Europe pendant le printemps et l’été de 1945 ?

M. Bacque, romancier canadien n’ayant pas fait antérieurement de recherche ou d’écrit historique, dit dans son introduction :  " Sans aucun doute, beaucoup d’érudits trouveront des erreurs dans ce livre. J’en assume la responsabilité. J’accepte volontiers leur critique et leur plus ample recherche, qui pourront aider à rétablir pour nous la vérité après une longue nuit de mensonges. " En décembre dernier, le Centre Eisenhower de l’Université de la Nouvelle Orléans, a invité quelques experts de premier plan concernant cette période, à examiner les accusations. Les participants à la conférence, moi y compris, projettent de publier les documents sous forme de livre.

Notre première conclusion a été que M. Bacque a fait une découverte historique importante. Les prisonniers allemands ont été globalement maltraités pendant le printemps et l’été de 1945. Des hommes ont été battus, privés d’eau, forcés à vivre dans des camps à ciel ouvert sans abri, recevant des rations alimentaires et des soins médicaux insuffisants. Leur courrier était retenu. Dans certains cas les prisonniers faisaient une soupe avec de l’eau et de l’herbe afin d’apaiser leur faim. Des hommes sont effectivement morts inutilement et sans excuse. Ceci doit être vérifié, et c’est à porter au crédit de M. Bacque qu’il nous force à le faire.

Notre seconde conclusion a été que lorsque les érudits feront la recherche nécessaire, ils trouveront que le travail de M. Bacque n’a aucune valeur. Il est sérieusement – voire prodigieusement – erroné dans ses aspects les plus fondamentaux. M.Bacque fait un mauvais usage des documents ; il les lit mal ; il ignore la preuve contraire ; sa méthodologie statistique est foncièrement compromise ; il n’essaie pas de regarder des contextes comparatifs ; il fait parler sa source principale ; il ignore une source aisément disponible et complètement critique qui traite de façon catégorique sa principale accusation ; et en conséquence de ceci et d’autres défauts, il arrive à des conclusions et porte des accusations qui sont de façon évidente absurdes.

Cependant, indépendamment de son estimation des conclusions de M. Bacque, la conférence – avec le livre lui-même – soulève un problème plus important : comment les lecteurs qui ne sont pas des experts vont-ils juger un travail qui fonde de nouvelles revendications, surprenantes et vraiment scandaleuses ? N’ayant ni les connaissances ni le temps pour se livrer à des investigations, comment vont-ils savoir si un auteur a finalement révélé la vérité " après une longue nuit de mensonges ", ou s’il est simplement en train d’induire en erreur un public qui n’est pas sur ses gardes.

Quant aux revendications de M. Bacque, la question qui se pose tout d’abord est celle du mobile d’Eisenhower : pourquoi Ike aurait-il fait une chose pareille ? M. Bacque répond qu’Eisenhower détestait les Allemands. Or, c’est absolument vrai, qu’au printemps de 1945, la colère d’Eisenhower contre les Allemands était très grande. Il n’a jamais essayé de cacher ce sentiment. Dans " Croisade en Europe " publié en 1948, il écrivait : " Dans mes réactions personnelles, à mesure que les mois de guerre s’écoulaient, mon amertume vis à vis des Allemands allait en augmentant ". Il relate qu’il a signé des dizaines de milliers de lettres de condoléances adressées aux femmes et aux mères de ses hommes tombés au combat, et il écrit : " Je ne connais pas de moyen plus efficace pour développer une haine perpétuelle à l’égard des responsables de cette guerre d’agression que d’avoir à assumer l’obligation d’essayer d’exprimer ma sympathie à l’égard des familles qu’elle a endeuillées ". La découverte des camps de concentration a encore ajouté à son sentiment.

Eisenhower était un partisan enthousiaste de la dénazification, mais pas parce qu’il haïssait les Allemands ou qu’il croyait en leur culpabilité collective. Au contraire, il croyait qu’il y avait des Allemands partisans de la démocratie et que le devoir des forces d’occupation était de les trouver et de les mettre en vue. Dans un discours à Francfort en 1945, il a déclaré : " Le succès ou l’échec de cette occupation sera jugé par le caractère des Allemands dans 50 ans. La preuve sera faite quand ils commenceront à faire fonctionner leur propre démocratie et avec le temps nous allons donner aux Allemands la possibilité de le faire. " Ces paroles ne semblent pas être celles d’un homme qui en même temps ordonnait la mort par la famine d’un million de jeunes Allemands.

M. Bacque ne comprend absolument pas la position d’Eisenhower et son activité pendant l’occupation. Il le rend responsable de toutes les décisions politiques, n’admettant jamais qu’il avait des supérieurs qui lui donnaient des directives politiques et des ordres – en particulier le Chef d’État-Major des Armées, la Commission Consultative Européenne, agissant au nom et sous l’autorité des gouvernements anglais, soviétique et américain, les Chefs d’État-Major Adjoints, les Chefs d’État-Major Alliés, c’est à dire, les Chefs Adjoints Américains et les Chefs d’État-Major Britanniques, et les chefs des Gouvernements Britannique et Américain. Le compte rendu au niveau diplomatique de la conférence de la Nouvelle Orléans, par Brian Villa de l’Université d’Ottawa, a noté que la politique des supérieurs d’Eisenhower était de faire comprendre aux Allemands leur défaite et le fait qu’ils en étaient responsables, en d’autres termes de les traiter " à la dure ". La dénazification a été un aspect de cette politique. Un autre aspect a été que les prisonniers allemands ne soient pas mieux alimentés que les civils allemands, que les civils des nations libérées ou que les réfugiés ( D.P. :Personnes Déplacées ).

Dans l’assertion principale de son accusation, M. Bacque prétend qu’il n’y avait pas de pénurie alimentaire en Europe en 1945. Il indique des entrepôts pleins de nourriture en Allemagne. Il dit que la Croix Rouge avait de la nourriture disponible. Une de ses pièces à conviction les plus accablantes est qu’un train venant de Genève, chargé de colis de nourriture envoyés par la Croix Rouge pour nourrir les prisonniers allemands a été obligé de faire demi-tour.

Ceci est choquant – il y avait de la nourriture disponible, les hommes avaient faim et les officiers américains ont ordonné au train de retourner à Genève. Mais il y avait une raison : les Gouvernements Alliés avaient décidé que les colis de nourriture de la Croix Rouge seraient utilisés pour nourrir les réfugiés, dont plus de deux millions étaient en Allemagne, et les ordres d’Eisenhower concernant cette politique étaient explicites. Ainsi les réfugiés recevaient ces colis de nourriture. On ne saurait décrire combien il est pénible d’avoir à établir des priorités alimentaires dans un monde affamé, mais il fallait le faire, et qui pourrait argumenter sur cette décision ?

Dans son compte rendu de la conférence sur la situation alimentaire en Allemagne, James Tent de l’Université de Birmingham ( Alabama ) dit que sans aucun doute il y avait de sévères pénuries. Cependant, comme M. Tent le fait remarquer, il y avait de la nourriture stockée dans des entrepôts qui n’a pas été distribuée aux prisonniers vivant au bord de la famine. Encore une fois, ceci est choquant, jusqu’à ce que la raison en soit écrite. Les Gouvernements Alliés craignaient une famine pendant l’hiver 1945-46, et ils entassaient des réserves de nourriture. Même avec ces réserves, ils arrivèrent à peine à passer l’hiver, et il a fallu encore 3 ans avant que la pénurie de nourriture ne soit surmontée.

Le mythe de M.Bacque a été le cauchemar d’Eisenhower. Pas de pénurie de nourriture ? En février 1945, Eisenhower a écrit au Chef d’Etat-Major, le Général George C.Marshall : " Je suis très inquiet de la situation alimentaire…Maintenant nous n’avons pas de réserves d’alimentation sur le Continent pour la population civile ".

Et voici ce qu’a écrit Eisenhower aux Chefs d’État-Major Alliés le 25 avril 1945 : " A moins que des mesures immédiates soient prises pour développer au maximum les ressources en nourriture afin de subvenir au minimum de besoins de la population allemande , un chaos généralisé, la famine et les maladies seront inévitables pendant le prochain hiver "

Ces messages et beaucoup d’autres semblables, ont été émis avant la reddition. Après la première semaine de mai, tous les calculs d’Eisenhower pour savoir combien de personnes on lui demanderait de nourrir en Allemagne occupée sont devenus cruellement inadéquats. Il avait fait une mauvaise estimation, pour deux raisons. D’abord le nombre de soldats allemands qui se rendaient aux Forces Alliées excédait de loin les prévisions ( plus de cinq millions, au lieu des trois millions prévus ) à cause de la ruée des soldats allemands qui traversaient l’Elbe pour échapper aux Russes. Même chose avec les civils allemands – il y en avait des millions qui fuyaient d’est en ouest, environ 13 millions au total, dont Eisenhower devint le responsable. Eisenhower a dû faire face à la pénurie même avant qu’il n’apprenne qu’il y avait 17 millions de personnes de plus à nourrir en Allemagne qu’il ne l’avait prévu.

Pas de pénurie de nourriture ? Voici le rapport du Gouverneur Militaire de l’Allemagne en juillet 1945 : " La situation concernant l’alimentation de toute l’Allemagne de l’Ouest est peut-être le problème le plus grave de l’occupation. La consommation moyenne de nourriture dans les Zones Ouest est maintenant d’un tiers en dessous du niveau de subsistance généralement admis ". Le rapport de septembre affirme : " La nourriture provenant de sources autochtones n’est pas suffisante pour atteindre le niveau actuel de la ration autorisée pour un consommateur normal, qui est de 1550 calories par jour ".

M. Bacque dit que les prisonniers recevaient 1550 calories par jour, et il prétend qu’une telle ration signifie une lente sous-alimentation. Apparemment il n’a jamais regardé ce qu’obtenaient les civils, en Allemagne et dans les pays libérés. A Paris en 1945, le niveau calorique était de 1550 pour les civils. Il était seulement un peu plus élevé en Grande Bretagne où le rationnement continuait. Il était beaucoup plus bas en Russie où le rationnement continuait également. Comme nous l’avons constaté, la ration officielle des civils allemands était de 1550 calories, mais souvent elle ne l’atteignait pas. A Vienne pendant l’été de 1945 la ration officielle est quelquefois tombée à 500.

Le bon sens existe. Quiconque se trouvait en Europe pendant l’été de 1945 serait sidéré d’entendre qu’il n’y avait pas de pénurie de nourriture.

Selon M. Bacque, Eisenhower personnellement et secrètement et avec une intention criminelle a changé le statut des soldats allemands qui s’étaient rendus de celui de " prisonniers de guerre " à celui de " forces ennemies désarmées ". En fait ce changement de désignation était une affaire politique. La décision a été prise non pas par Eisenhower mais par ses supérieurs, tout particulièrement par la Commission Consultative Européenne. Et on n’a pas essayé de la tenir secrète. Toutes les personnes impliquées ont agi sous l’autorité des gouvernements britannique, russe et américain et elles étaient parfaitement franches en ce qui concerne la raison du changement de statut.

Ce qui s’est produit est assez simple : les Alliés n’avaient pas les moyens de nourrir les millions de prisonniers allemands sur le même plan qu’ils pouvaient nourrir les civils allemands, sans parler des civils des pays libérés de l’Europe de l’Ouest, et sans parler aussi des réfugiés. Mais les Etats Unis et les nations alliées avaient signé la Convention de Genève, qui avait force de traité. Ils ne souhaitaient pas la violer, aussi ont-ils employé la nouvelle appellation de " Forces Ennemies Désarmées ( D.E.F. ) ". Les ordres donnés aux officiers étaient sans détours : n’alimentez pas les D.E.F. d’avantage que les civils allemands.

En ce qui concerne une autre des conclusions de M. Bacque, il arrive au chiffre sensationnel de un million de morts par un système d’analyse qui a embrouillé l’esprit de presque tous ceux qui ont essayé de vérifier ses statistiques et ses méthodes. Il a effectivement commis une erreur à cause d’une faute de frappe d’un employé. Il a vu le chiffre de 70.000 prisonniers dans un rapport médical de l’armée et il a alors calculé le taux total de mortalité pour tous les prisonniers aux mains des Américains, sur la base de ce nombre et des 21.000 morts mentionnés aussi dans le rapport. Ainsi il est arrivé à sa conclusion principale, c’est à dire un taux de mortalité de 30% dans tous les camps, en divisant 21.000 morts par 70.000 prisonniers. Cependant, le chiffre de 70.000 aurait dû être 10 fois plus élevé. Tous les autres chiffres du document font clairement apparaître que le nombre exact des prisonniers était 700.000. Ce qui ferait que le taux de mortalité ne serait pas de 30% mais de 3%.

En fait, comme Albert Cowdrey du Service du Centre Historique Militaire de l’Armée l’a rapporté à la conférence, le taux global de mortalité des prisonniers a été de 1 pour cent.

La conclusion de M. Cowdrey, très approuvée par un autre participant à la conférence, le commandant Ruedinger Overmans du Bureau Historique Militaire Allemand de Freibourg ( qui est en train d’écrire le dernier volume de l’histoire officielle de l’Allemagne pendant la guerre ), est que le nombre total de morts de prisonniers allemands aux mains des Américains, quelle que soit la cause de leur mort, n’a pas pu être supérieur à 56.000.

Enfin, il y a la question de la colonne de chiffres des rapports hebdomadaires du Prévôt du Théâtre des Armées des Etats Unis, colonne intitulée " Morts pour Raisons diverses ". C’est là que M. Bacque trouve " le million manquant ".

Qui étaient ces " morts pour raisons diverses " ? M.Bacque a interviewé Philip S. Lauben, un colonel de l’Armée en retraite qui a été membre de la Section des Affaires Allemandes du quartier général d’Eisenhower en 1945. Il écrit que le Colonel Lauben lui a dit que " morts pour raisons diverses " signifiait " morts et évasions ".

" Combien d’évasions ? " a demandé M. Bacque.

" Très, très peu " a répondu le Colonel Lauben. M. Bacque dit qu’il y en avait moins de un dixième de 1 pour cent, sans expliquer comment il est arrivé à un tel chiffre.

Neil Cameron, le réalisateur du documentaire de la BBC concernant " Morts pour Raisons diverses ", a dit aux participants à la conférence qu’il s’était procuré auprès de M. Bacque l’enregistrement de l’interview. Il a semblé évident à M. Cameron que M.Bacque a obtenu du vieil homme qu’il se mette d’accord sur des mots que M. Bacque lui-même utilisait et qu’il les a ensuite mis dans sa bouche. M. Cameron a fait sa propre interview filmée avec le Colonel Lauben ; dans cette interview le Colonel Lauben a dit qu’il avait été induit en erreur par M. Bacque et qu’il s’était trompé sur la signification des termes " morts pour raisons diverses ".

David Hawkins de CNN a voulu faire une interview avec le Colonel Lauben. Le Colonel Lauben a refusé, disant dans sa lettre : " Je ne suis pas de caractère difficile. J’ai 91 ans, je suis quasiment aveugle, et ma mémoire a baissé au point qu’elle n’est plus fiable. De plus je suis sous surveillance médicale régulière. Souvent lors de mon entretien avec M. Bacque je lui ai rappelé que ma mémoire s’était gravement détériorée pendant ces 40 et quelques années depuis 1945. M. Bacque m’a lu des chiffres…Il m’a semblé que, après décompte des transferts et des libérations, il ne restait rien pour atteindre le total général excepté les morts et les évadés, c’est à dire les termes " morts pour raisons diverses ". Je me suis trompé.

Aussi, le seul témoin de M. Bacque disant que les termes " morts pour raisons diverses " dissimulaient le terme de " morts " a-t-il désavoué deux fois ce que M. Bacque soutient qu’il a dit.

Qui étaient donc ces " morts pour raisons diverses " ? Dans beaucoup de cas il s’agissait de personnes transférées d’une zone a une autre, chose qui se pratiquait régulièrement pour quantité de raisons, aucune n’étant criminelle, et toutes dûment enregistrées sur des notes au bas des rapports hebdomadaires.

Mais le plus grand nombre de " morts pour raisons diverses " est révélé dans le rapport du Gouverneur Militaire d’août 1945. ( Ces rapports mensuels sont à la Bibliothèque d’Eisenhower à Abilène, Kentucky, aux Archives Nationales de Washington et ailleurs ; ils constituent une source de base sur tous les aspects de l’occupation, y compris les pénuries de nourriture et les prisonniers. M. Bacque ne les cite pas, et il n’y a pas de preuve qu’il les ait examinés ). Le rapport d’août dresse la liste du nombre des forces ennemies désarmées libérées par les forces américaines, et de celles transférées aux Anglais ou aux Français pour le travail obligatoire.

Le rapport poursuit : " Un groupe supplémentaire de 663.576, inscrit sous la rubrique " Morts pour raisons diverses " se compose surtout de membres de la Volkstürm ( Milice Populaire ), libérés sans décharge formelle.

Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour voir ce qui s’est alors produit. La Milice Populaire se composait d’hommes plus âgés ( jusqu’à 80 ans, principalement des anciens combattants de la Première Guerre Mondiale ) et de garçons de 16 ans ou quelquefois moins. Les gardes américains et les autorités des camps ont dit aux hommes âgés de rentrer chez eux et de s’occuper de leurs petits enfants, aux garçons de rentrer chez eux et de retourner à l’école. Avec les transferts vers d’autres zones que M. Bacque ignore, ces personnes expliquent tout le million qui manque.

En bref, M. Bacque se trompe concernant toutes ses accusations majeures et presque toutes ses accusations de moindre importance. Eisenhower n’était pas un Hitler, il n’organisait pas de camps de la mort, les prisonniers allemands ne mourraient pas par centaines de mille, il y a eu une sévère pénurie de nourriture en 1945, il n’y avait rien de criminel ou de secret concernant l’appellation " forces ennemies désarmées " ou concernant la colonne " morts pour raisons diverses ". " Le million qui manque " étaient de vieux hommes ou des garçons composant la milice.

Néanmoins, M.Bacque fait une remarque irréfutable : quelques G.I. américains et leurs officiers étaient capables d’agir d’une manière presque aussi brutale que les Nazis. Nous n’avions pas le monopole de la vertu. Il nous a invité à rouvrir la question, à faire les recherches nécessaires, à découvrir l’entière vérité. Pour cette contribution, il mérite nos remerciements. Mais quant à la manière dont il a présenté sa découverte, je me tourne à nouveau vers Albert Cowdrey : " L’auteur a sûrement raison d’être satisfait de son œuvre. Il n'a pas de réputation d’historien à perdre, et " Morts pour Raisons diverses " ne peut qu’accroître sa réputation de romancier ". Finalement, un problème plus important demeure. Il a fallu une conférence d’experts pour contester les accusations de M. Bacque. Individuellement des érudits ont hésité à s’en charger parce que pour cela il fallait contrôler ses recherches – en fait réécrire son livre. Au lieu de cela nombre d’entre eux ont dit dans leur critique en Grande- Bretagne, en France, en Allemagne et au Canada qu’ils ne pouvaient pas croire que ce que M. Bacque dit d’Eisenhower soit vrai, mais qu’ils ne pouvaient pas le réfuter. M. Bacque a tout l’attirail de l’érudition ; cela semble suffisamment impressionnant pour tromper même des érudits. Dans ces circonstances que doit faire un lecteur profane ? Je suggère qu’il ou elle fasse confiance au bon sens. Quant à confronter l’école de " L’Holocauste n’a jamais existé ", posons nous les questions évidentes. Si les réponses ne sont pas claires, c’est que les accusations n’ont pas été prouvées. Dans le cas de M. Bacque, deux questions de cet ordre sont : Où sont les corps ? et Est-ce que ce livre est compatible avec notre image du caractère d’Eisenhower tel que nous le connaissons d’après d’innombrables autres sources ? En définitive, dans des cas comme celui là, ce sont souvent les questions évidentes qui nous rapprochent le plus étroitement de la vérité.

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