Les combattants de la paix
( Le déminage dans le Calvados)

Ed:27/04/14

Ma mère écrivit cet article rapidement. On allait fêter le cinquantenaire du débarquement, un article sur le déminage avait paru dans Le Monde, avec des erreurs, mais le déminage semblait sinon oublié du moins négligé dans les commémorations. Il s'agissait de remédier un peu à une lacune. Pour ma mère, par ailleurs, il s'agissait aussi de "brosser" un peu l'ego de mon père dont la carrière fut quelque peu mise à mal, indirectement, par cette affaire de déminage. Certes il n'était pas "carriériste", il avait un sens civique comme on n'en fait plus, mais quand même. Il se trouvait par hasard au ministère quand survint la nouvelle de la mort de l'ingénieur du génie rural sous un bombardement. Il se proposa immédiatement, sans consulter l'ingénieur général dont il était le "poulain" et qui lui en voulut définitivement... Je pense que les années de déminage ont été psychologiquement très dures : une chose est de coordonner une équipe de volontaires, une autre d'avoir sous ses ordres tous ces prisonniers allemands qui ne l'étaient pas. Faute d'instructions, il dut prendre des initiatives obéissant à la double exigence qu'il s'était fixée : efficacité et respect des êtres humains engagés dans cette périlleuse aventure. Il n'évoquait pas souvent cette période de sa vie (au contraire des trois années de captivité, et, ceux-là amers, les mois sur le front qui précédèrent l'armistice), il était à la fois fier de son travail et plein de remords de ne pas avoir assez fait pour les démineurs français volontaires (en particulier ne pas avoir trouvé pour la plaque en mémoire des volontaires morts en service un endroit digne de ce nom).

Anne C. Guedes

 

SOMMAIRE

L'état des lieux etoil6.gif (599 octets) 750.000 mines extraites etoil6.gif (599 octets)
L'ordre de mission et les premiers volontaires etoil6.gif (599 octets) Les différents types de mines etoil6.gif (599 octets)
L'organisation de près de 90 commandos de déminage etoil6.gif (599 octets) Juin 1947, le début du rapatriement des prisonniers etoil6.gif (599 octets)
La formation des prisonniers etoil6.gif (599 octets) Les pertes humaines etoil6.gif (599 octets)
La nourriture dans les commandos etoil6.gif (599 octets)

Démineurs français tués au service du déminage

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L'habillement etoil6.gif (599 octets)    

  

Extrait des annales de Normandie N° 2 Juin 1994-Elisabeth Neyreneuf

 

LES COMBATTANTS DE LA PAIX

 L'état des lieux

Début septembre 1944, tandis qu’il roulait vers Caen à bord de sa traction-avant, Henri André ne se doutait pas de l’ampleur de la tâche qui l’attendait. Dès la libération de Paris, en août 1944, il avait été nommé en remplacement de l’ingénieur en chef du Génie rural Havy, tué en service commandé. Quittant sur-le-champ son poste de Nantes, il fit le plein de sa voiture en alcool absolu, carburant de remplacement d’une essence réservée à la guerre et dont l’inconvénient est de n’être utilisable que s’il ne fait pas froid. Les bagages du voyageur furent réduits au strict nécessaire dont faisaient partie duvets et couvertures, précautions élémentaires en vue d’un gîte de fortune dans une ville aux trois-quarts détruite.

L’action du Génie rural étant centrée sur l’équipement des campagnes, Henri André avait quelques raisons de penser que son rôle consisterait à pallier l’urgence du ravitaillement aussi bien de la population que celui des troupes. L’objectif majeur était donc de remettre en état de culture un sol transformé durant plus de deux mois en champ de bataille avant le recul des armées ennemies vers le nord.

Quiconque traversait le département du Calvados à la fin de l’été 1944, pouvait se sentir écrasé à la vue des dévastations des campagnes désertées par fermiers et exploitants, et comme figées tout à coup dans un temps qui se serait arrêté : champs éventrés par les bombes, ponts coupés, routes défoncées jalonnées d’épaves de chars, bourgs et villages, autrefois prospères, réduits en monticules de pierres groupés autour de ce qui restait d’une église dont le clocher pointait vers le ciel, en signe de détresse.

Il faudra près de trois ans pour nettoyer et remblayer 2,7 millions de mètres cubes d’excavations. Fontaine-le-Pin au cœur de la "poche de Falaise", où la bataille fit rage plusieurs jours, est l’un des exemples les plus significatifs : 1.579 trous de bombes furent comblés, soit un volume de 118.000 m3 de terre dont le maniement exigea 48 jours de labeur. On pourrait aussi citer les alentours d’ Aunay-sur-Odon, Villers-Bocage, Fontenay-le-Marmion, La Hogue ou Sannerville.

Ces travaux relevaient de facto des services du Génie rural qui se limita à l’indemnisation des agriculteurs capables de combler eux-mêmes les cratères isolés, creusés par des obus de faible calibre. L’exploitant travaillait avec une niveleuse tractée par un cheval et, pour gagner du temps, il labourait et semait dans la foulée. Les chantiers plus importants, Henri André les confia à son adjoint M. Laplanche. Ce dernier fit appel à des entreprises privées et aux bulldozers achetés aux surplus américains par le Ministère de la Reconstruction. En outre, aux fins de rendre le terrain à la culture lorsque les Alliés quittèrent la région, les ingénieurs du Génie rural furent chargés d’ôter toute trace de campements, terrains d’aviation de fortune (une dizaine d’"air fields") et quatre grands dépôts de matériel (Littry, St-Martin-des-Entrées, Tilly-sur-Seulles et Audrieu). Les frais des travaux furent imputés au "prêt-bail", organisme d’aide mutuelle entre la France et les Alliés, géré par le ministère des Finances.

Mais la remise en état des terres, pour une grande partie, était subordonnée à un préalable de taille : le déminage d’un sol truffé d’engins explosifs de toute nature. Des accidents mortels, au retour d’exode des populations rurales sinistrées, exigèrent une intervention immédiate. Les armées alliées avaient assuré dans les mois qui suivirent le Débarquement un déminage ponctuel, limité à la sécurité des convois militaires. Autrement dit, les grandes routes de communication et d’accès aux ports et terrains d’aviation. Mais, avec le déplacement du front vers l’est et le nord, les terrains minés demeuraient à l’abandon. Un déminage exhaustif s’imposait donc, tâche qui revenait de droit au ministère de la Guerre. Mais là aussi personne n’était disponible :

les unités du Génie français se battaient sur le front d’Alsace où se livrait la terrible bataille de Colmar.

L'ordre de mission et les premiers volontairesup2-v.gif (136 octets)

En janvier 1945, Henri André reçut sans préambule un ordre émanant du ministère de l’Agriculture : il devait dans les plus brefs délais entreprendre le déminage du Calvados. Le pli laconique ne fournissait aucune précision quant aux moyens nécessaires d’y parvenir, mis à part l’ouverture d’un crédit. "L’énormité de la somme me fit appréhender l’étendue de la mission prioritaire qui m’était confiée", souligne H. André qui s’attela aussitôt au travail. Toutefois, en l’absence de spécialistes, qui pourrait-on recruter ? Le Génie rural fit appel au civisme des Français. Un quartier général des volontaires fut aussitôt installé à Cabourg, lieu de villégiature dont les capacités d’accueil avaient été relativement épargnées par les bombardements de la côte et qui possédait par surcroît d’anciennes installations allemandes le long de la Divette.

Sept téméraires se présentèrent au premier cours de formation assuré par des sapeurs du bataillon du Déminage qui leur enseignèrent l’ABC du métier avec un matériel des plus rudimentaires : pics, baïonnettes et quelques "poêles à frire" négociés auprès des troupes alliées ou fabriqués sur place. "Je me souviens, déclare Henri André, d’un des premiers essais dans un herbage du Bas-Cabourg. Je me suis joint à mes hommes qui, sondant à genoux le terrain tous les 25 cm, déplaçaient ensemble la bande blanche de sécurité, au fur et à mesure de leur progression". La technique consistait à enfoncer délicatement le pic dans la terre, sous un angle bien précis de façon à aborder la mine sur le côté et non verticalement pour ne pas la faire sauter...

Ce prélude héroïque se prolongea jusqu’aux derniers jours d’avril 1945, marqués par la capitulation de l’Allemagne et la création consécutive d’un ministère de la Reconstruction — désigné sous le sigle M.R.U. — dont les attributions comportaient une direction du déminage. Pour les départements du Calvados et de la Manche, en dépit des fortes densités d’engins de guerre, la direction des opérations fut attribuée officiellement aux ingénieurs en chef du Génie rural, MM. André et Baud, qui furent investis d’une double responsabilité relevant de deux ministères.

Au fil des mois, les effectifs — tous volontaires — qui atteindront le nombre de 400 civils s’étoffèrent et s’aguerrirent sur le terrain après un passage obligé à l’Ecole du déminage. Non sans pertes humaines : au cours de la première année, vingt démineurs donnèrent leur vie pour rendre à leur pays la sécurité d’antan.

L'organisation de près de 90 commandos de déminage up2-v.gif (136 octets)

A ces Français s’ajoutèrent par vagues successives, à partir des mois d’avril-mai 1945, 4.900 sous-officiers et soldats de la Wehrmacht destinés au seul département du Calvados, l’un des plus miné de France.

La capitulation du 8 mai 1945 stipulait que l’armée allemande s’obligeait à enlever tous les engins de guerre — mines, munitions et bombes — des territoires que le IIIe Reich avait occupés.

En effet, tant que les combats se poursuivent, la convention de Genève interdit l’utilisation des prisonniers de guerre pour des travaux tels que le déminage.

Quand Henri André fut avisé que des prisonniers étaient mis à sa disposition, il se rendit avec un interprète à la prison de Caen. Dans la cour, il fit aligner les hommes avec leur livret militaire à la main. Fort de son expérience de lieutenant du XXIIe groupe de Reconnaissance pendant la drôle de guerre, il choisit exclusivement les hommes ayant servi dans des unités combattantes et il se fit un devoir de les traiter en soldats. La situation était paradoxale : des militaires se trouvaient sous les ordres de civils. Ils étaient encadrés par 400 gardiens munis d’armes de récupération fournies par la Gendarmerie ou de fusils de chasse expédiés en renfort, faute de mieux, du Fort de Vincennes. Les gardiens étaient en outre chargés des problèmes de logement et de nourriture. Les prisonniers furent répartis en commandos —jusqu’à 90 — et logés sous la toile ou dans des fermes inoccupées. Un millier de soldats SS fut installé à part dans des camps entourés de barbelés, aux abords des zones les plus dangereuses à déminer.

Durant plus de deux ans, prisonniers et démineurs œuvrèrent en une collaboration exemplaire à débarrasser le sol de tout piège mortel, en désamorçant des tonnes d’engins qui n’avaient pas explosés. M. Piattier se souvient: "A part quelques incidents mineurs, nous n’avons rencontré aucune contestation de la part des prisonniers allemands qui se sont pliés à la discipline d’un travail partagé". "Nous avons vécu quotidiennement, renchérit M. Leclerc, les uns et les autres, le même stress de la peur au ventre..."

A Cabourg, le service s’était charpenté sous la responsabilité de M. Champeaux, spécialiste en explosifs. Dans le but d’épargner des vies, les Allemands reçurent à leur tour une instruction adaptée à leur mission. Les démineurs qui les formèrent avaient été au préalable instruits à 1’Ecole du troisième bataillon du Génie, siégeant à Houlgate. Cette formation complétée par un stage à Septeuil fut suivie notamment par M. Leclerc, adjoint de M. Champeaux et M. Piattier qui de chef démineur accéda au rang de chef artificier. Avec d’autres spécialistes comme MM. Madeleine, Coênne et Tanguy, ils menèrent les opérations des commandos constitués par les prisonniers de guerre.

La formation des prisonniersup2-v.gif (136 octets)

A l’Ecole de Cabourg, un feldwebel du Génie d’Assaut, Georges X S’attacha particulièrement à la formation de ses compatriotes. Décoré de la Croix de fer de première classe, il bénéficiait, en matière de mines, d’un expérience irremplaçable qui le prédisposait à remplir cette fonction. Il connaissait fort bien le machiavélique piégeage de mines établies aux endroits, les plus inattendus signalés aux Allemands au moyen d’un code aussi secret que variable. L’effet de surprise est une arme essentielle dans la guerre des nerfs.

Si la première instruction se déroula en situation réelle avec un matériel insuffisant, ceci jusqu’à la fin de l’année 1945, elle laissa place à un enseignement plus méthodique qui rendit le travail moins meurtrier. Les risques étaient en effet innombrables et exigeaient le perfectionnement technique des civils français comme des militaires allemands. La prudence était le maître mot et on ne manquait pas de rappeler aux uns et aux autres le sort tragique d’un Allemand debout dans un half-track qui sortit sans raison la tête au moment même où une mine éclatait. Ce véhicule, muni de chenilles à l’arrière, tirait par mesure de sécurité une charrue qui labourait le sol, en une ultime vérification justifiée comme on le voit.

La nourriture dans les commandosup2-v.gif (136 octets)

Au moment de leur affectation dans les commandos, les prisonniers de guerre souffraient pour la plupart d’un état physique plutôt désastreux. Les Alliés avaient ramassé tant de prisonniers que leur ravitaillement posait problème. En quelque mois, ils furent remis sur pied. Le Génie rural était bien placé pour conclure un marché avec les abattoirs et il prit livraison de lots de têtes de vaches. On ne soupçonne pas la quantité de viande que l’on peut en retirer. De leur côté, certains éleveurs incitèrent les Allemands à leur donner un coup de main à la traite ou ailleurs, naturellement après leurs heures de travail. En compensation, l’agriculteur reconnaissant payait en nature et les faméliques prisonniers ne furent pas longs à retrouver la santé. De ce point de vue, ils étaient plus heureux que leurs compatriotes qui leur écrivaient d’Allemagne de ne point chercher à revenir en un lieu où l’on trouvait difficilement de quoi survivre. Cet état de fait limita les évasions, du moins durant les deux premières années. L’information venant d’Allemagne par le canal des correspondances était étroitement surveillée. Une équipe de censure composée de quatre agents bilingues parcourait les lettres et rédigeait un rapport hebdomadaire. "Vous êtes nourris convenablement, déclaraient en substance les familles, et même si votre travail est périlleux et vos vêtements en lambeaux, vous êtes encore plus heureux que nous.

L'habillementup2-v.gif (136 octets)

Les tenues étaient certes élimées et déchirées, mais comment y porter remède ? Le service avait bien touché pour ses administrés des cartes d’alimentation mais il ne lui avait été délivré aucun de ces "point textile" que l’on distribuait avec parcimonie à la population française. La priorité était légitime quand elle s’appliquait aux tenants de cartes "sinistré total" en vue de leur reconstituer une élémentaire garde-robes.

Le cuir faisait tout autant défaut et pour chausser les prisonniers, ont eut recours aux galoches et aux sabots. En dépit de ce dénuement, les sous-officiers ne toléraient de la part de leurs hommes aucun laisser-aller. L’un deux reçut un coup de trique avec ordre de remplacer les clous qui manquaient à ses sabots un autre fut mis aux arrêts dans une casemate pour refus d’obéissance. A ces sanctions infligées par un gradé, le soldat n’opposait aucune récrimination.

750.000 mines extraitesup2-v.gif (136 octets)

Mois après mois, le travail allait vers son terme grâce à l’augmentation du nombre des prisonniers, l’efficacité du personnel d’encadrement administré par M. Catel et l’amélioration du matériel. Le résultat est éclairant : dans nos campagnes du Calvados, une surface totale de 20.750 ha a été déminée, ce qui a nécessité la fouille et le comblement de 20 000 m3 de terre dont 750.000 mines furent extraites en moins de trois ans. Sans les prisonniers allemands, il aurait fallu facilement sept ans de plus.

En mars 1947, il ne restait plus à sonder que des terrains sans intérêt agricole, tels le mont Canisy et la falaise située entre Houlgate et Villers. Les quelques terrains de la région de Maisy sur environ dix kilomètres reçurent un traitement spécial. En effet, cette zone côtière était considérablement minée comme l’ensemble du littoral des départements de la Manche et du Calvados. En outre, l’endroit fut arrosé de bombardements intensifs au point qu’il était impossible d’y faire un travail efficace sans risquer de sacrifier un grand nombre de vies humaines. Henri André proposa d’enclore sévèrement ces terres qui redevinrent herbagères on y fit paître des bovins durant une saison qui s’avéra sans incidents et l’on en déduisit que les mines étaient si profondément enfouies qu’elles ne présentaient plus de danger.

Le mont Canisy renfermait un dépôt de munitions dont l’on récupéra la poudre, précieux explosif qui faisait défaut au service des Poudres. On obtura l’accès aux souterrains, profonds de 30 à 40 mètres, avant de remettre les lieux à l’Autorité militaire. Quant à la falaise de Houlgate, dite "les Vaches noires", terre marneuse recelant les plus belles ammonites, il fallut mener une expédition digne de montagnards, avec corde de rappel. Ainsi le terrain fut contrôlé dans son entier et l’amateur de fossiles peut aujourd’hui explorer le lieu en toute sécurité.

Les grands chantiers, on l’a dit, se trouvaient sur le littoral et en arrière des agglomérations comme à Clairefontaine, champ de courses situé aux environs de Deauville et jalonné de mines anti-personnel, dispersées au point qu’il fallut s’y reprendre à deux fois. A quelques kilomètres, le bois de Bavent, où la bataille dura deux mois, offrait des difficultés similaires car pendant un an et demi y travaillèrent trois cents SS. Le débroussaillage se fit à la mode vendéenne avec "le croissant" fixé au bout d’un long manche. Il fallait prendre garde aux grenades dégoupillées reliées d’un arbre à l’autre par un fil rampant. Autre domaine, celui-là réservé aux SS du camp de Maisy, dans la région proche du département de la Manche, à Géfosse, Grandcamp, Cricqueville, Vierville, St-Laurent, Colleville, Port-en-Bessin et Commes..., ainsi que le raconte M. Madeleine dans un article publié par le journal Paris-Normandie en date du 14 mai 1970.

Les différents types de minesup2-v.gif (136 octets)

Rappelons que les mines constituent une arme proprement défensive et qu’il y en eut donc peu provenant de l’attaquant allié. Malgré cela, il arriva par deux fois un accident dû à une mine anglaise placée, nul ne sait pourquoi, en plein milieu d’un champ. Le passage au compteur Geiger n’en signala aucune autre. Il y eut bien un champ de mines d’origine anglaise dans la région de Deauville mais il venait du fait des Allemands qui avaient utilisé le produit d’une récupération effectuée à Dunkerque, en juin 1940.

Si les champs de mines de l'armée allemande étaient soigneusement programmés selon des plans dont certains furent retrouvés à Hambourg, il n’en était pas de même pour les engins posés "à la volée" lors d’une retraite. C’est ainsi que l’on déplora plusieurs accidents mortels imprévisibles aux environs de Vire, un agriculteur revenant des champs sauta avec sa camionnette au moment où il garait son véhicule sur la berne. L’endroit fut contrôlé et non sans résultats. M. Leclerc donne l’explication du mystère les routes minées se signalaient aux connaisseurs par une couche de bitume fraîchement répandue sur les engins de mort. Les conducteurs ainsi avertis, les chars passaient alors par les bas-côtés. En une ruse de guerre au second degré, les poseurs de mines inversaient les données.

Impressionnant est l’inventaire des mines, chacune faisant appel à une technique spécifique pour les désamorcer, qu’elles soient faites de métal, de porcelaine, de verre ou de bois. Elles étaient remplies, les premières du moins, de billes métalliques au nombre précis de 365 comme les jours d’une année. Par la suite, elles explosaient en bouts informes de ferraille ou en rondelles de béton. Les unes, généralement piégées, étaient spécialisées dans la lutte anti-tank, les autres visaient les personnes. Certaines, dites bondissantes, sautaient à hauteur d’hommes.

La visite des épaves, chars et tanks de toute provenance, faisait partie des attributions du service. Près de la voie ferrée de Caen à Villers-Bocage, chacun a pu remarquer une série de chars alliés décimés par un seul tigre ennemi. Ce dernier s’était embusqué derrière la voie de chemin de fer en remblai entre Mouen et Grainville-sur-Odon. Sa tourelle dépassait tout juste le niveau des rails avec une visibilité donnant sur la plaine de Cheux et impunément, il tirait sur tout ce qui se présentait.

La mer appartient au fief à la Marine nationale. Elle était infestée de deux sortes de mines. Les unes, mines magnétiques volumineuses, étaient parachutées pour garnir le fond des mers à destination des gros vaisseaux du type cuirassé. L’une de ces mines atterrit malencontreusement dans les marais de Troarn où onze ans plus tard elle eut le tact d’exploser spontanément en pleine nuit sans faire de victimes. La déflagration fut si forte qu’elle réveilla les habitants du coin qui crurent un moment à un tremblement de terre.

Un autre type de mines marines visait les barges de débarquement. Reliées par une chaîne à un crapaud ancré au fond de l’eau, elles flottaient entre deux eaux quelle que soit la hauteur de la marée. Lors de grosses tempêtes, il arrivait qu’elles se détachent et s’échouent sur les plages. Il revenait alors aux services terriens de les éliminer après les avoir fait sauter. En 1946, la Marine demanda au service du déminage une équipe d’une cinquantaine de prisonniers allemands pour donner la main à une opération de ratissage de mines entre Cherbourg et Trouville. En Baie de Seine, un coup de vent dispersa la petite flottille une barge coula, une autre dériva vers le Havre et la troisième s’échoua sur la plage de Lion-sur-Mer. Au petit matin, les habitants se précipitèrent pour satisfaire leur curiosité et certains se mirent à piller l’épave. Les gendarmes intervinrent en publiant un avis plein de menace qui enjoignait quiconque avait pris "par mégarde" ce qui ne lui appartenait pas de le remettre sans tarder à la police. Faute de quoi, il était passible d’une peine allant, foi de Code maritime, jusqu’aux travaux forcés à perpétuité.

Juin 1947, le début du rapatriement des prisonniersup2-v.gif (136 octets)

Le bilan de mars 1947 laissait prévoir qu’au mois d’octobre suivant le déminage et le plus gros du désobusage seraient terminés. . Les prisonniers allemands qui servaient dans les exploitations agricoles reprenaient le chemin de leur patrie et une large publicité incitait les agriculteurs à prendre livraison des tracteurs, moissonneuses-batteuses et autres machines à traire, matériel pour lequel le plan Monnet prévoyait une importation globale de 40.000 unités...

 

...La passation à la direction du M.R.U. d’un service jusque-là assuré par le Génie rural correspond au départ des derniers prisonniers de guerre. Ils avaient été humainement traités, ce que les organismes Quakers, Croix Rouge et YMCA s’étaient plus à reconnaître. Trois aumôniers, deux luthériens et un catholique, entretenaient leur vie spirituelle en faisant la tournée des camps grâce aux trois mobylettes qui leur étaient affectées. Dès le mois de juin 1947, les prisonniers furent rapatriés par petits groupes. Certains les avaient devancés en s’ évadant par une filière établie par leurs compatriotes qui conduisaient les camions américains de Normandie à Aix-la-Chapelle. Avertie du fait, la gendarmerie tenta de s’interposer en arrêtant un convoi pour vérification du transport. La Military Police d’accompagnement intervint en signifiant aux gendarmes de laisser le passage libre, sinon il serait donné l’ordre aux chauffeurs de forcer le barrage...

 

Les pertes humainesup2-v.gif (136 octets)

En octobre 1947, une plaque fut apposée au siège des services du M.R.U., alors baraquement provisoire. Ainsi devait être honorée en son temps la mémoire des victimes du déminage auxquels le pays est aujourd’hui encore redevable de leurs actes héroïques. Devant une imposante délégation de notables, Henri André fit l’appel des "28 héros obscurs de cette bataille de la paix", appel auquel répondit un de leurs camarades sévèrement mutilé.

M. Arnaud, président du Syndicat national des démineurs, rappela que sur 3 000 démineurs en exercice pour l’ensemble de la France, 533 avaient trouvé la mort et 1.732 avaient été blessés.

Dans le Calvados, l’on comptait 107 blessés dont certains sont devenus aveugles, et l’on ignore tout de ceux qui furent commotionnés et ne s’en remirent jamais. L’on a déjà parlé du stress, un mot qui revient encore aujourd’hui à chaque instant dans la bouche des chefs démineurs.

Lors de l’inauguration de la plaque commémorative, la guerre était trop récente pour que l’on associe au sacrifice des civils français celui des 152 militaires allemands tués en service commandé.

Lorsqu’en juillet 1945, près d’Ouistreham, deux accidents survenus le même jour firent 8 victimes parmi les Allemands, une cérémonie religieuse fut prévue à l’église du lieu. Heureusement quelqu’un vint prévenir la direction que les familles des déportés se préparaient à une manifestation de protestation. Il fut décidé de transporter les cercueils à la chapelle de l’Hôpital de Caen où tout se passa dans l’ordre. Les honneurs militaires furent rendus par un piquet de quatre soldats français en armes, commandés par un sous-officier. Il semble que par la suite, l’on prit l’habitude d’envoyer les accidentés allemands à l’Hôpital, y compris ceux qui étaient morts. Ceux-là, disait-on, ont pu mourir durant le transport...

Aujourd’hui, l’Europe se construit et cinquante ans après la bataille de Normandie, l’on peut dédier l’écheveau de ces souvenirs à l’ensemble des combattants pour la paix qui ont, selon le mot de leur ancien administrateur Henri André, permis "à la grande œuvre de la reconstruction de s’accomplir". Les noms des soldats allemands nous sont inconnus mais chacun peut les associer aux Français dont les noms sont gravés sur la pierre. encore faudrait-il que le monument du souvenir demeure en bonne vue. Malgré les démarches faites avec opiniâtreté, la plaque à l’heure d’aujourd’hui attend toujours d’être inaugurée à une place enfin définitive où hommage sera rendu au sacrifice de ceux qui font trop souvent partie des oubliés.

 

Elisabeth NEYRENEUF

 

LISTE DES DÉMINEURS

TUÉS AU SERVICE DU DÉMINAGE DU CALVADOS

Nom - Prénom Tué-le : Lieu de décès Lieu d'inhumation
1 MARIE Pierre 13/04/45 LE LOCHEUR LE LOCHEUR
2 CAPELLE Marceau 24/04/45 TOUQUES TOUQUES
3 SOYER Jules 7/05/45 BLONVILLE-SUR-MER DEAUVILLE
4 FABIUS Lucien 25/05/45 ST-ARNOULT TOUQUES
5 PREBEAU André 8/06/45 TROARN TROARN
6 BADEE Louis 28/06/45 CABOURG CABOURG
7 BERTRAND Joseph 10/07/45 BREVILLE-LES-MONTS BREVILLE-LES--MONTS
8 BOUTHREUIL Albert 31/07/45 MERVILLE FRANCEVILLE
9 CHASSAGNE Emile 3/08/45 SALLENELLES CAEN
10 BOYERE Louis 3/08/45 BURES BURES
11 ALLOUL Simon 22/08/45 TROUVILLE TROUVILLE
12 LAURENT Louis 5/09/45 TROUVILLE ST-AUBIN
13 LEMENUEL Louis 7/11/45 HAMARS CAEN (Vaucelles)
14 LEMENUEL Raymond 7/11/45 HAMARS CAEN (Vaucelles)
15 FLEYS Roger 16/11/45 LINGEVRES FONTENAY-SOUS-BOIS
16 LAJON Fernand 16/11/45 LINGEVRES LINGEVRES
17 LEROY Joseph 20/11/45 VIERVILLE RENNES
18 CROISEAU Henri 10/12/45 BELLENGREVILLE MONDEVILLE
19 HOURS Paul 11/12/45 CORDEY CORDEY
20 CHAUDRON Roger 11/12/45 CORDEY CORDEY
21 QUESNEL Lucien 16/01/46 BIEVILLE BERNIERES-SUR-MER
22 CADEVILLE René 30/01/46 MONTS CAEN
23 GRATIEN René 7/02/46 MERVILLE CABOURG
24 VIARD René 6/03/46 BENERVILLE TROUVILLE
25 MALOISEL Pierre 17/06/46 GAVRUS CAEN
26 MOREAU Roger 1/07/46 FRANCEVILLE FRANCEVILLE
27 TURBEAU Félicien 5/10/46 NOYERS-BOCAGE ESSIGNY-LE-GRAND (Aisne)
28 PROUTEAU Raymond 23/07/47 MONTCHAUVET SAUMUR

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JEANNE Benoit" Ils ont déminé la Normandie"

 

 

Ed:27/04/2014