Camp d'internement du VERNET (Ariège)

 Rapports de visite du secours Quaker de Toulouse

 

Délégation de TOULOUSE                                                                       TOULOUSE, le 11 octobre 1945.

TB/ML

CAMP du VERNET (Ariège)

Visite de Stanley JOHNSON et de Toot BLEULAND le 10 octobre 1945.

 

La dernière à ce camp fut faite à la fin à la fin de juin; entre temps le camp avait été vidé et depuis plusieurs semaines, il est occupé à nouveau.

Direction

Commandant BARTOLI -

Adjoint : Lieutenant GAUSSE

Homme de confiance parmi les Allemands : M. OLBRECHT

Nombre

L’effectif total se monte à 5211 hommes se décomposant de la façon suivante :

Aux kommandos de l’extérieur …………………………………… : 3152

Au camp même, plus de …………………….……………………. : 1000

(les fermes qui appartenaient depuis plusieurs années au camp du Vernet sont toujours exploitées et il y a des kommandos du camp qui y travaillent).

Dans les différents hôpitaux des environs ……………………… : 149

(PURPAN – PAMIERS etc.)

Dans l’infirmerie du camp………………………………………… : 190

Nationalité -

4000 Allemands
 350 Hongrois
 213 Autrichiens
     2 Russes (se sont refusés à se faire rapatrier en Russie)
 150 se composant de différentes nationalités (25 Hollandais- plusieurs Tchèques – Yougoslaves etc.)

Le dernier transport de prisonniers se composait presque uniquement d'Autrichiens et d’Allemands du Sud. Il n’y a pas de femmes au camp. Les Italiens ont été rapatriés et il n’y a pas d’adolescents au dessous de 18 ans ; seulement quelques uns au dessus.

En général, les hommes sont plutôt d’un certain âge, le plus âgé ayant 58 ans. La commission est passée qui a examiné tous les hommes au dessus de 50 ans. Ils attendent un premier transport de 200 hommes qui seront rapatriés ; ensuite, d’autres rapatriements de la même catégorie se feront, ainsi que tous ceux qui sont atteints d’œdèmes de la faim.

Les adolescents qui se trouvaient avant au camp sont maintenant au camp des Sables ; ceci est encore à vérifier ; une partie est près de Montauban, où ils sont se aux autres adolescents qui s’y trouvaient déjà.

Occupations

Le lieutenant GAUSSE nous a dit, qu'en principe tout le monde est occupé par les corvées du camp. Quelques uns travaillent dans l’atelier de menuiserie, d’autres dans l’atelier de tailleur.

Il existe une cordonnerie au camp, seulement elle manque totalement de matériel, notamment de cuir et de clous et une forme.

Infirmerie

Lorsque nous sommes entrés à l'infirmerie, nous avons été reçus par un lieutenant français qui nous a envoyé le médecin traitant allemand, bien qu'il en ait eu besoin lui-même. Il nous a dit « Non , je vous l’envoie directement, parce qu’ayant été prisonnier de guerre moi-même, je sais ce que c’est d’avoir des visites de l’extérieur, et vous avez naturellement la priorité à cause de cela.

Plus tard, mais en dehors de l’infirmerie, nous avons fait la connaissance du médecin français. Le docteur allemand, le docteur FRENZEL, nous a donné les indications nécessaires sur l’état de santé à l’infirmerie. Les 180 lits sont tous occupés surtout des maladies intestinales : entérites, dysenterie, diarrhées et 100 cas d’œdèmes de la faim. Les maladies graves comme la tuberculose et d’autres sont transportées dans les hôpitaux des environs notamment PURPAN et PAMIERS. Les malades sont pesés régulièrement puisqu’il y a une bascule à l’infirmerie.

Nous avons ensuite visité différentes baraques et nous avons été frappés de l'état des malades. Dans la baraque des maladies intestinales, les gens souffraient énormément et il y avait une odeur très désagréable.

Ils ont tous des lits individuels, soit des lits en fer, soit des lits en bois qui ont été fabriqués au camp même en 1942. Ils ont tous deux couvertures mais évidemment pas de draps. Au-dessus de chaque lit, il y a une fiche de températures ; cependant les baraques d’infirmerie sont très chargées. Il y à peine 80 centimètres de passage entre les lits. Ils sont disposés de la façon suivante : deux lits se touchent comme deux lits jumeaux et de chaque côté entre les autres, il y a un passage mentionné plus haut.

Ce qui frappe surtout chez ces hommes, c’est leur état moral , du fait qu’ils n’ont pas eu de nouvelles de chez eux depuis très longtemps. Nous avons visité également les baraques des œdèmes de la faim. Nous avons eu l'impression déjà trop connue malheureusement des membres enflés remplis d'eau, et même quelquefois au point qu'il y avait.den plaies infectées.

Besoins d'infirmerie -

Le docteur FRENZEL nous a dit qu'il manquait de certains instruments chirurgicaux, notamment d1aiguilles, de porte-aiguilles, de greffes; le calcium serait également nécessaire; des farines et aliments pour la suralimentation et le régime sont absolument nécessaires ainsi que du riz pour les entérites.

Vermine -

L’étuve du camp qui existait en 1942-43 n’y est plus et par conséquent, la désinfection des prisonniers est devenue excessivement difficile et presque impossible. Il n’y a qu’à l’infirmerie qu’on a la possibilité de faire cela, puisqu’on les met au lit jusqu’à ce que leurs vêtements soient secs. Le camp ne possède pas non plus de D.T.T.

Il y a manque d'eau au camp, non seulement à cause de la sécheresse mais également parce que la pompe est fréquemment en panne. Lors de notre visite la pompe n'avait pas fonctionné de trois semaines, ce qui rend les choses encore plus difficiles.

Avant de quitter l'infirmerie nous avons visité la cuisine de l'infirmerie où les repas sont faits pour les 180 malades. Ils reçoivent la ration de pain qui est de 350 g par jour et deux fois par jour, une soupe se composant de quelques légumes déshydratés et 90 g de pâtes ; ceci représente en réalité 50 g et 40 g de supplément. Mais l’infirmerie ne possède aucun élément de régime pour les malades. Le cuisinier essaye de rendre cette soupe aussi bonne que possible avec les quelques moyens qu’il possède.

Cantine

a) Après l'infirmerie nous sommes allés dans le camp proprement dit où nous avons visité plusieurs baraques . La première impression en entrant fut très pénible. Les baraques se composent de châlits des deux côtés, de 2 mètres de largeur à peu près et qui ont été désignés pour 4 hommes, cependant ils sont 6 dans chaque case. Quelques uns ont de la paille sale, d'autres n'en ont pas au tout; de même pour les couvertures, il y en a plusieurs qui n’ont rien que leur manteau d'uniforme pour se couvrir, et ceux qui travaillent aux kommandos doivent amener une couverture. Par conséquent ces baraques sont surpeuplées, très poussiéreuses et sales.

Dans le temps, il y avait entre chaque case une petite table, maintenant il n'en reste que quelques unes. Les murs sont blanchis mais ils auraient besoin d’être passés à la chaux. ; bien qu'il y ait l’installation pour l'électricité toutes les ampoules manquent

et les poêles, deux par baraque, ne sont pas encore posés, et on se» demande ce qui va se passer pour l'hiver.

Los hommes avaient l'air de s’ennuyer, ils étaient ou bien couchés sur leur lit, ou bien assis en train de se dépouiller. Ils vont faire leur toilette dehors où il y a de longs lavabos à 15 places avec des robinets, et l'eau coule dans le ruisseau. Il y a bien des douches au camp et en principe tout le monde doit y passer une fois par semaine, mais à cause de la panne mentionnée plus haut, ceci n'a pas été possible longtemps.

Le lieutenant nous a dit être entrain de faire une pro/vision de charbon pour l'hiver pour le camp. On manque presque totalement de bois, et même pour la cuisine, il n'y en a presque plus. Cependant il espère recevoir 5 camions qui seront à la disposition du camp. Le premier doit arriver ces jours- ci. Ces camions permettront d’aller chercher du bois dans la montagne. Nous espérons que l ;es baraques seront chauffées cet hiver.

b) Eau et hygiène

Comme mentionné déjà plus haut In pompe est fréquemment en panne, il y a exactement 15 douches et des lavabos en plein air. Le camp ne possède pas de canalisations, mais il y a de petits ruisseaux entre les baraques. Les latrines sont évidemment dehors et un service de tinettes est fait par une corvée d'hommes et une grande charrette. Par suite du manque d'eau les ruisseaux ont une odeur infecte.

c) Cuisine

Toute la cuisine est faite au bois et chaque baraque a sa cuisine particulière.

Comme mentionné plus haut, nous n'avons visité que la cuisine de l'infirmerie.

d) Approvisionnement s –

Dimanche dernier pour la première fois les prisonniers ont eu une distribution de vivres venus par colis de la Croix-Rouge (1800 kg). L'homme de confiance M OLBRECHT, nous a dit qu'on a distribué ces vivres de la façon suivante :

- aux kommandos agricoles de l’extérieur qui mangent chez les fermiers et par conséquent assez bien, on a donné tout le tabac et pas de matières grasses.

-tandis que pour les kommandos industriels et les prisonniers du camp, même on à forcé la ration de matières grasses.

Les prisonniers reçoivent régulièrement 2 paquets de tabac. La joie qu'ils ont eue à recevoir ce premier colis était indescriptible.

Juste avant de partir du camp nous avons assisté au déchargement d’un premier envoi de 13 tonnes de vivres donnés par la Croix-Rouge américaine. Nous avons assisté à .tout le déchargement et ressenti la joie et le soulagement de tous les hommes qui déchargeaient et de la direction.

Ces 13 tonnes ont été transportés par un camion de l'armée américaine sous la surveillance d 'un représentant de la Croix-Rouge internationale, M. BAUMGARTNER actuellement affecté à Toulouse .

Les denrées qu'ils ont apportées se composaient de la façon suivante :

- Lait concentré
- Sucre
- Choux déshydratés
- carottes et oignons déshydratés
- pois décortiqués
- corned-beef
- biscuits (wheat crackers)
- du savon
- D.T.T.

Par la même occasion nous avons constaté, qu'avant cet envoi les magasins étaient complètement vides et qu'il. n'y avait aucune réserve. Le camp vivait littéralement au jour le jour.

J'étais présent lorsque le lieutenant GAUSSE, le médecin français et l'homme de confiance allemand discutaient comment distribuer de la façon la meilleure ce don de la Croix-Rouge américaine. Ils sont tombés d'accord pour que l'infirmerie seule touche le lait concentré. Les kommandos industriels, le camp et l’infirmerie auront comme suppléments les denrées et les kommandos agricoles ne recevront rien.

Pour que les patrons n'abusent pas de ce ravitaillement, il était entendu que ces denrées seraient données en suppléments et mises sous clef à la cuisine même du kommando.

C'était bienfaisant à voir le soulagement que ce premier envoi important a fait à tout le monde.

 e) Vie spirituelle

Nous avons fait la connaissance d’un prisonnier de guerre qui est sympathisant de la société des amis QUAKERS. Il s’appelle KURT ERNST HARDER. Il connaît plusieurs amis en Allemagne ainsi que Joan Mary FRY et CORDER CATCHPOOL. Il a formé un petit groupe de gens qui s’intéressent aux questions spirituelles. Il semble être estimé par ses camarades. Il a demandé un peu de littérature QUAKER et fut très touché de savoir que nous en ayons apporté un peu avant même de savoir qu’il soit là.

II a eu une phrase qui nous a frappés dans sa conversation en parlant des misères actuelles, il a dit : « Nous devons croire que Dieu sait tout et qu’il prend soin de chacun de nous »

Nous avons également fait la connaissance du pasteur évangélique HENNING et de son assistant. Le prêtre catholique n'était pas là lors de notre visite. Les protestants ont leur culte dans la salle de cinéma tous les dimanches. Le pasteur nous a dit que dimanche il y avait plus de 300 assistants et que beaucoup devait rester débout pendant le service. Ils ont organisé .un cercle d'études et pour l'instant leur objet est sur le groupe Oxford. Le pasteur NENNING nous a dit combien il était frappé par le besoin spirituel de ces prisonniers et par leur maturité.

« II est clair que dans les temps que nous avons passés, le meilleur ou le pire sort de l’homme» nous a-t-il dit.

Beaucoup d'hommes viennent le voir pour causer de toutes sortes de problèmes et il essaye de faire de son mieux. Il nous a dit combien il était heureux de notre visite et il espérait que nous pourrions renouveler cela souvent. Le fait de voir des personnes de l’extérieur sachant parler allemand leur est une aide morale et d’un grand réconfort. Ils ont besoin de Bibles et de Nouveaux Testaments, si possible en allemand ; et de livres puisqu’en tout et pour tous, il y a au camp 70 livres. Dans le temps, le camp du Vernet possédait une magnifique bibliothèque organisée par le Y.M.C.A. mais qui a été transférée au camp des Sables lorsqu’au mois de mai, les allemands ont été transférés du VERNET aux SABLES et que le VERNET fut fermé pendant un certain temps. Il nous semble indispensable qu’un camp aussi important que celui du VERNET puisse disposer d’une bibliothèque convenable.

Depuis quelques temps, les prisonniers ont le droit d’écrire deux lettres par mois de 25 lignes chacune, ceci seulement pour la zone d’occupation française. On espère que d’ici quelque temps la correspondance pour la zone américaine et anglaise pourra marcher également puisque la Croix-Rouge internationale a fait une proposition pour l’acheminement des lettres ;

On comprend facilement ce que les nouvelles de la maison représentent pour ces hommes qui sont depuis des mois sans aucune nouvelle et même quelques uns parmi eux n’ont plus eu de nouvelles depuis 12 mois et plus. Ceci a un effet très grand sur leur moral surtout quand on pense que pendant ces derniers 13 mois la vie en Allemagne a été plus dure et ils doivent se demander s’ils retrouveront les leurs et où et comment ils les retrouveront.

Impression générale –

Nous avons été frappés par les bonnes relations qui régnaient entre la direction du camp et les prisonniers. La plupart des Français ont été des prisonniers de guerre eux-mêmes et par conséquent savent ce que cela veut dire. Ils ont une plus grande compréhension pour l’état moral de leurs prisonniers. De même ce qui nous a frappé beaucoup, c’est la compréhension des prisonniers pour la situation difficile alimentaire de la France. Ils disent qu’ils ne veulent pas se plaindre, et que certaines choses qui se passent entre eux sont les suites de la faim, tels que les vols entre camarades, ce que l’on n’aurait pas fait dans des circonstances normales.

M. OLBRECHT nous a accompagné au camp, bien que nous étions accompagnés d’un gardien français, on nous laissait parler très librement avec tout le monde et on pouvait entrer où l’on voulait.

Pour toutes les questions concernant les prisonniers l’homme de confiance est consulté et son opinion entendue. Ainsi, lors de leur arrive au camp, certains gardiens ont volé des objets de valeur et de s instruments musicaux. M. OLBRECHT représentant les prisonniers a fait une réclamation auprès du commandant qui a donné suite immédiatement à cette réclamation et grâce à cela une certaine quantité de ces objets a pu être récupéré.

Les prisonniers font des efforts pour décorer non pas leur baraque puisque ceci est impossible, mais l’espace autour est arrangé é arec des cailloux, ils ont fait ainsi de jolis dessins représentant soit des animaux soit des fleurs.

Choses laissées au camp-

À côté des 13 tonnes de la Croix-Rouge américaine, les 12 boîtes d’Ovomaltine, 25 kg de pâtes et 12 morceaux de savon avaient l’air bien petits. Cependant nous croyons qu’ils ont compris l’esprit dans lequel ceci fut fait.

Nous avons également laissé un certain nombre de jeux : 1 ballon de football, un jeu d’échecs, quelques jeux de dominos, ping pong etc .

Comme mentionné plus haut, nous avons donné à M. HARDER un peu de littérature QUAKER.

Nous espérons retourner bientôt au camp.

C BLEULAND Stanley JOHNSON


Déléguée Délégué

 

Source: American Friends Service Committee Records Relating to Humanitarian Work in France, 1933-1950.

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