Rapport d'une commission d'enquête sur les camps de prisonniers de guerre de l'Axe dans la zone d'occupation française
(
Le 21 janvier 1948
Fiche de renseignements complémentaires s/s de la reprise le 1 juillet 1945, de 8 camps de P.G. antérieurement en mains américaines, situés dans la zone française Nord d'occupation
La reprise en mains, à partir du dix juillet 1945, des camps de P.G. américains situés dans l'actuelle zone nord d'occupation française évacuée à cette date par l'Armée U.S. a révélé l'existence, d'une énorme proportion de P.G. inaptes à tout travail et dans un tel état de déficience physique que le Commandement français s'est légitimement ému de cette situation.
Une commission d'enquête comprenant le Chef du 2ème Bureau de la IIème Armée française (Lt.-Cl VIGAN-BRAQUET), son officier adjoint(Chef de BataillonCUENOUD), le Chef du 2ème Bureau du 2ème C.A.(Chef de Bataillon DILLMANN) et le Chef du Service P.G. pour la zone nord d'occupation (Capitaine ROUSSEAU) a visité, fin juillet 1945, les camps de P.G. en vue de faire le point de la situation, de rechercher les causes d'un tel état de fait et les mesures à prendre.
Le but de la présente fiche est de résumer les conclusions de cette commission et les mesures prises en vue d'améliorer l'état de santé des P.G.
I. / La situation au 1er juillet
L'Armée U.S. a assuré, entre mai et juillet 45 la gigantesque tâche de rassembler, de garder, de nourrir puis de libérer de 1.000.000 à 1.500.000 P.G.
Elle a mis en oeuvre d'énormes moyens en personnel et en matériel.
La France a hérité, au 1er juillet des 8 camps ci-dessous, qui recélaient la masse restante du million et demi de P.G. en cours de liquidation.
Emplacements Indicatifs U.S. Effectifs au
01/07/45Caractéristiques SINZIG ANDERNACH
SIERSHAHN
BRETZENHEIM
DIETERSHEIM
COBLENCE
HECHTSHEIM
DIETZ
A 5 A 11
A 18
A 8
A 6
A 10
A 16
A 19
25.239 16.622
25.000
17.170
33.598
21.238
21.582
22.000
Cages en plein air
Types parcs à bestiaux
Camps mixtes moitié dans
bâtiments en dur et baraques,
moitié en plein air
Camps dans bâtiments en dur et baraques,
Chaque camp ayant contenu un effectif d'environ 100.000 P.G. occupait à lui seul la superficie d'une petite ville était administré par un État-major de 6 à 15 officiers et gardé par un bataillon. les effectifs.
Les effectifs restants, produit du filtrage par l'Armée U.S. constituaient une masse humaine des deux sexes (5 à 600 femmes) de toutes nationalités, de tous grades (un Général allemand vivait à Siershahn au milieu de la troupe), de tous âges (à Dietersheim, sujets de 8 à 83 ans), encombrée d'un grand nombre d'inaptes, soit par invalidité (amputés d'un bras, d'une jambe, borgnes), soit par déficience physique totale (cachexie et amaigrissement total rappelant de façon effrayante l'état des déportés de Dachau ou de Buchenwald).
Telle est la matière qui fut prise en mains par l'Armée française.
II./ Les causes.
la situation difficile reprise par l'Armée française ne provient pas de l'insuffisance de moyens mis en oeuvre par l'Armée U.S., mais plutôt d'un concours de circonstances notées en France lors de la défaite de 1940, correspondant à l'effondrement total d'une Armée dont la charge pèse très lourd sur les bras du vainqueur. Une notable fraction des P.G. s'est ainsi trouvée peu à peu réduite à un état d'affaiblissement tel qu'il devenait impossible de les sauver.
a/ L'installation matérielle.
Dans les cinq cages en plein air citées au tableau précédent, une masse d'environ 500.000 hommes a vécu, de mai à juillet 45 exposée aux intempéries sans aucun abri que le trou creusé en terre ou parfois la toile de tente individuelle: d'où refroidissements, bronchites, dysenteries, affaiblissement progressif...
b/ les effectifs présents au 1er juillet.
Le contenu des camps à cette date était le résidu provenant du filtrage de 1.000.000 à 1.500.000 P.G., selon les principes suivants:
- libération massive des Allemands non SS et non suspects, officiers compris, domiciliés dans les zones d'occupation ouvertes (zone soviétique exclue) avec laquelle les communications ferroviaires se trouvaient rétablies, -les ressortissants des nations vassales étant maintenues en captivité-
- prélèvement de techniciens pour les services américains (Luftwaffe, industries chimiques, etc.)
- maintien en captivité des SS, SA, HJ, et des P.G. non allemands.
Les meilleurs éléments allemands du point de vue valeur personnelle et état physique avaient été ou libérés, ou prélevés par les autorités américaines.
Cette conception de travail explique la présence:
- dune forte proportion d'étrangers, en majorité Hongrois, Yougoslaves et
Tchécoslovaques dans les cages de Hechtsheim, Dietersheim et Bretzensheim.- d'un grand nombre de suspects.
- de femmes.
- d'invalides de guerre.
- d'enfants à partir de 8 ans et de vieillards dont l'âge s'échelonnaient jusqu'à 83 ans.
L'État-major U.S. des camps ignorait cette situation, qui lui était cachée par les cadres allemands, - de même qu'il ne connaissait pas l'existence, au camp de Dietersheim, d'un "harem" de 12 filles publiques parfaitement surveillées d'ailleurs par un médecin allemand, bénéficiaires d'une ration de "travailleurs de force" et "transhumant" de cage en cage, impuissantes à satisfaire les énormes besoins des quelques 33.000 internés. Découvertes vers le 15 juillet, elles déclarèrent avoir préféré servir aux Allemands plutôt qu'être violés par les Américains.
Ignorait-il également que, l'effectif du camp précité ayant été jugé insuffisant quelques jours avant son passage aux autorités françaises, des rafles avaient été effectuées dans deux villages des environs pour compléter et compenser les nombreuses évasions. ces rafles ne peuvent expliquer qu'en partie la présence dans les camps de femmes, d'invalides, d'enfants et de vieillards après trois mois de travail de filtrage.
c/ L'organisation administrative
L'Armée U.S. avait constitué, dans chaque camp, une armature administrative allemande complète choisie uniquement parmi les P.G. de nationalité allemande (chef de camp, chefs de cage, police, administration, intendance).
Le Commandement américain n'intervenait à l'intérieur des camps que par personnes interposées, en utilisant l'encadrement allemand mis en place comme agent d'exécution.
Le principe était excellent en soi.
Néanmoins, la présence, dans certains camps d'un effectif de 2 à 35% d'ex-militaires de la Wehrmacht originaires des nations satellites de l'Allemagne a permis la direction allemande du camp de favoriser odieusement ses ressortissants au détriment des P.G. non-allemands. Bien que le ravitaillement U.S. ait été notoirement suffisant, il n'est pas exagéré d'écrire que dans les camps de Dietersheim et Hechtsheim en particulier, les cadres allemands ont fait impunément preuve d'un cannibalisme odieux, réduisant par détournement de nourriture les Hongrois, les Yougoslaves et les Tchécoslovaques à un état de misère physique effrayante.
Le Chef du camp de Dietersheim a été, après enquête faite par le signataire du présent rapport, limogé immédiatement pour trafic et détournement de ravitaillement.
L'examen des listes de P.G. décédés avant le 1er juillet qui sont entre les mains de la Croix-Rouge allemande de Coblence révèle que les cimetières de Bodendorf et du Galgenberg (voir pièce n°1) sont peuplés de 30 à 40% de P.G. non-allemands.
III./ Les mesures prises.
L'Armée Française a subi pendant trois mois les conséquences de la situation relatée ci-dessus.
Dans le trimestre qui a suivi la prise en mains des camps on a enregistré 889 décès de P.G. pour un effectif d'environ 350.000 P.G. pris en mains ( compris les transitaires venant de Norvège).
Les causes des décès(voir pièces jointes n°5, Dietersheim) sont révélatrices de l'état dans lequel des malheureux ont été remis à la France.
Le pourcentage est nettement inférieur à celui des décès constatés dans les camps américains (voir pièce n°1).
Le nombre des décès, très élevé le premier mois est allé en décroissant, grâce aux mesures suivantes:
a/ Installation matérielle:
- liquidation rapides des cages en plein air et mise des P.G. à l'abri des intempéries.
- concentration des P.G. dans des locaux en dur ou en bois (Bretzenheim, Diez, Trêves).
b/ Tri des effectifs.
libération:
- des femmes
- des P.G. de moins de 18 ans et de plus de 50 ans.
- des invalides de guerre transportables
- des inaptes susceptibles de voyager
- hospitalisation et suralimentation des déficients non transportables.
- création d'un centre de libérés convalescents à Sobernheim et d'un centre de tuberculeux à Stromberg (voir pièces n) 3, 4 et 7)
- répartition de la masse saine en France ou en zone d'occupation française.Sur les 182.000 P.G. remis par les autorités U.S., on a noté un déchet de 32.6630 P.G., soit 30% environ- par la suite de ce tri (voir pièce n°8)
Une enquête d'un envoyé spécial du Général KOENIG (pièce n°6) et une visite de la Croix-Rouge (pièce n)7) ont permis de rogner les ailes à un campagne de calomnies lancée par l'Archevêque de Trêves.
IV./ Conclusion:
l'énorme tâche de rassemblement, de ravitaillement et de liquidation d'une masse de plus d'un million de P.G. a été menée, dans le chaos suivant une formidable bataille avec des moyens énormes, dans des conditions difficiles, avec un minimum de pertes.
Il n'en reste pas moins que les méthodes de classification et de libération, d'administration par des cadres allemands, d'une masse humaine résultant de la décomposition d'une Armée battue, avec des éléments de toutes nationalités, comportaient certaines erreurs dont les répercussions, subies par l'Armée française, ne sauraient légitimement être inscrites à son passif.
Le Chef de Bataillon de réserve ROUSSEAU ex-chef du Service P.G. pour la zone Nord d'occupation française.
Document de Jean Jacques Kretz, fils de René Kretz , Alsacien Réfractaire ayant rejoint la résistance en Auvergne le lendemain de l'Armistice jusqu'en 1944, et ayant appartenu au 2ème Bureau. René Kretz fut chargé en 1945 d'organiser et de commander le dépôt de transit n°2 de Tuttlingen sous le commandement direct du Capitaine Rousseau, auteur du rapport
Ed: 15/04/2008