26/07/2017

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Photos et documents

Le Camp des Nomades

 rue Leguen de Kerangal à Rennes

 

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Le Camp des Nomades 

Une innovation de Mr. Ripert

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Texte de Madame Josse (remis au Musée de Bretagne).

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Désignation : « une innovation de Mr Ripert, préfet d’Ille-et-Vilaine : le camp des nomades ». Auteur : Suzanne JOSSE.

Contexte : Le 12 mai 1942, Francis et Suzanne Josse sont incarcérés pour un mois, au Camp des nomades à Rennes. Il était situé à « La Forge », ancienne usine à charbon, rue Leguen de Kérangal. Les conditions de vie dans ce camp étaient très difficiles.

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Grand format 

 En cet été 1942, la « saison » au camp des Nomades bat son plein. Ce camp, dû à l’initiative de M. Ripert, est organisé, soi-disant, pour ramasser les vagabonds sans domicile, les maraudeurs, les romanichels pris dans des rafles, bref, tous les indésirables.

         Là aussi, sont internés, en attendant leur jugement, les trafiquants du marché noir.

         Puis, un beau jour, ces Messieurs de la Préfecture de Rennes, trouvant sans doute que les Allemands ne condamnaient pas encore assez, jugèrent bien d’y envoyer des patriotes français, coupables d’avoir déplu à leurs amis, nos occupants.

Pourquoi avoir organisé ce camp qui est une honte ? Pourquoi ne s’être pas contenté des prisons qui, si l’aspect en est un peu sévère, sont au moins plus propres, moralement et matériellement ?

Derrière les barbelés, la vie au camp,  s’écoule, lente et morose pour les honnêtes gens, dans des conditions d’hygiène lamentables et dans une atmosphère de complète déchéance physique et morale.

Comme souhaits de bienvenue, une internée atteinte de la gale, me raconte, histoire de causer un peu, qu’il y a des punaises dans les paillasses et que la cuisinière pisse dans les gamelles… ce qui me met tout de suite en confiance et en appétit.

Je prends possession de ma chambre, un véritable galetas, que je dois partager avec une prostituée condamnée pour vol et qui, à l’intérieur du camp, exerce activement sa profession. La paillasse grouille de puces… Impossible de fermer l’œil. Les murs suintent d’humidité. Dans la pièce se répand une forte odeur de moisi qui, mêlée à l’odeur de la paille donnent nettement l’impression de l’étable ou de l’écurie.

Au bout de quelques jours, je quitte mon galetas pour un autre, sentant aussi la paille et le moisi et que je dois partager avec une teigneuse condamnée pour avoir servi d’entremetteuse à sa fillette.

Plus tard, grâce à la bonté d’un gardien, cette femme est mise à part et je partage avec deux autres internées politiques, le galetas que nous nous efforçons de décrasser.

Comme vis-à-vis, une autre baraque est habitée par une famille dont le père, tuberculeux, ne cesse de hurler sur sa femme et sur ses enfants que pour envoyer ses crachats par la fenêtre.

Avec la chaleur, des odeurs nauséabondes se répandent de ci de là. Sous la fenêtre de notre taudis sèche au soleil un ruisseau où l’on jette l’eau de savon, le contenu des vases de nuit et des épluchures que les enfants des nomades viennent sucer.

Je renonce à décrire l’état des WC… A différentes reprises, pendant mon internement, j’émets le vœu que M. Ripert y soit enfermé chaque jour, pendant quelques instants, afin d’y méditer.

La circulation est, soi-disant, libre dans le camp. Nous pouvons sortir « prendre l’air ». Le mot est savoureux. Nous disposons, en effet, de quelques m2  autour de la baraque, mais, d’un côté, s’alignent les roulottes des romanichels dont l’état de crasse dépasse toute imagination, qui secouent leurs puces et leurs punaises au soleil et, la nuit, se battent au couteau… De l’autre côté, se dresse, véritable « Cour des Miracles », la baraque des clochards qui se grattent de façon inquiétante, en ne laissant aucun doute sur le genre de parasites qui les importunent. Enfin, si nous nous aventurons au bout de notre baraque, des enfants nerveux, à demi nus et souillés d’excréments, nous insultent, nous crachent au visage et nous jettent des cailloux.

Un seul espoir nous reste, nous échapper auprès de la baraque des hommes. Il y a là un petit carré de soleil où l’air est à peu près respirable quand le vent ne ramène pas les odeurs des WC tout proches.

C’est là le royaume des trafiquants du marché noir, bourrés de provisions, gros et gras à souhait, dont le seul idéal est de rester vautré sur leur paillasse, de bien boire et de bien manger et qui continuent, eux aussi, à exercer leur petite profession. Rien de plus facile que de se faire des relations dans cet honnête milieu : nous n’avons que l’embarras du choix… car si le Tatoué et le Grand Lulu sont un peu distants, la Mouche, la Ventouse et Gugusse ne sont vraiment pas à manière et vous tapent si facilement sur le ventre…

Je dois dire que M. le Préfet a mis à notre disposition un personnel choisi parmi les internés qui, s’il n’est pas très stylé, est au moins plein de bonne volonté. Malheureusement, la « femme de chambre », ramassée au ruisseau, qui vient de temps en temps avec un balai remuer la poussière de notre taudis, est pourrie de poux et de vérole… Le cuisinier, rémouleur de sa profession, fait sa cuisine les pieds nus et ces pieds sont recouverts d’une croûte de crasse impressionnante. Quant à la cuisinière qui vous tape si cordialement sur les fesses en vous disant « t’en fais pas ma fille », c’est une brave femme qui oublie seulement de débarrasser les légumes des loches que nous retrouvons, nageant dans les gamelles de soupe.

 Voilà où M. Ripert qui se dit Français, envoyait, par peur des Allemands et pour leur faire plaisir, des patriotes français, après les avoir fait emmener, comme de vulgaires malfaiteurs, chacun entre deux gendarmes qui avaient honte du métier qu’on leur faisait faire et s’en excusaient auprès de nous, sans nous cacher leur sentiment.  

Voilà comment M. Ripert prétendait accomplir le « relèvement moral de la France ».

L’établissement par M. Ripert de ce camp est une honte ! Il a créé une école de paresse, de vice, de saleté, de dépravation physique et morale, un milieu immonde et dégradant, un exemple déplorable pour la jeunesse.

Je demande pour M. Ripert, l’indignité nationale pour le reste de ses jours. Je demande que M. Ripert qui, certainement, pendant ce temps, jouissait d’une bonne table et dormait dans des draps blancs, soit envoyé faire un petit stage à « son » camp, si toutefois, les conditions de vie n’y sont pas améliorées.

Si cette vengeance ne m’est pas accordée, je désire que M. Ripert sache que nous sommes déjà vengés, mes camarades et moi, car il n’a pas pu empêcher la résistance des vrais Français, leur foi dans la victoire et leur espoir en des jours meilleurs.

Régulièrement, les gardiens et les gendarmes venaient nous donner les nouvelles et parler à cœur ouvert avec nous, en vrais patriotes et, plusieurs fois, le soir, à neuf heures ¼  (heure très attendue) nous avons écouté, dans le bureau du patron, les voix amies de la Radio de Londres, au nez et à la barbe de M. Ripert, sous le portrait placide du Maréchal, pendant qu’un gendarme faisait le guet.

Il faut que M. Ripert n’ignore pas ce détail et sache que les vrais Français, loin d’être humiliés et « d’expier » pour employer l’expression du directeur de son camp, se sont bien payé sa tête !  

 

 

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