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Plan du site- Liste des lieux de déportation

 

Le KL Natzweiler-Struthof

Ce KL est installé en Alsace, sur la commune de Natzweiller, à 60 kilomètres au nord-est de Strasbourg sur un contrefort des Vosges, à 800 mètres d’altitude. Il s’agit de l’unique camp de concentration situé en territoire français, mais annexé au IIIe Reich à cette époque.

Le 21 mai 1941, arrivent les premiers détenus en provenance du KL Sachsenhausen. Ils effectuent les travaux de terrassement et d’aménagement du camp primitif. Encerclé par une ligne électrifiée, il est formé par dix-huit baraquements, disposés sur deux rangs et en paliers, et couvre environ 4,5 hectares. Une chambre à gaz est ensuite installée à 500 mètres en contrebas du camp, à côté d’un hôtel.

L’administration du KL Natzweiler est identique à celle des autres camps de concentration. Il est placé sous la direction de la SS. Dès leur arrivée au camp, les détenus sont divisés en deux catégories, selon qu’ils aient ou non le statut de «NN» 1.

Le 15 juillet 1943, l’immatriculation « 4 609 » est enregistré et l’on note déjà 1 062 décès officiels. Au début de l’année 1944, de nombreux prisonniers de guerre russes arrivent. Prévu pour 4 000 personnes, le nombre de détenus maximum au camp a été de 6 440 avant juillet 1944, approchant les 7 000 pendant les derniers mois. Au total, on peut estimer à 47 000 le nombre d’internés au camp de Natzweiler et dans ses Kommandos extérieurs. Parmi les 25 nationalités représentées, les plus nombreux sont les Polonais, les Russes et les Français. On estime le nombre des victimes à environ 11 000.

Le 3 juillet 1943 arrive le premier transport de Français «NN», deux autres suivront les 12 et 15 juillet. Au total, plus de 3 000 déportés partis de France ont été recensés par la Fondation pour la Mémoire de la Déportation : 1 331 « NN » et 1 750 non «NN ». De plus, au moins 1 464 déportés des trois départements annexés par le IIIe Reich y sont également enfermés, en majorité pour leur opposition aux obligations nées de l’annexion (refus du RAD, le service obligatoire du travail, ou de l’incorporation dans la Wehrmacht) ou pour leurs sentiments francophiles et des actes de résistance.

Les détenus sont occupés notamment, à la construction de routes, de nouvelles baraques, et de travaux de terrassement. Les Kommandos extérieurs sont nombreux. A partir de mars 1944, ils sont affectés à la construction d’usines souterraines destinées à la Luftwaffe, notamment en utilisant d’anciennes galeries de mines de gypse dans la vallée du Neckar. D’autres détenus sont dispersés dans une multitude de petits camps du Wurtemberg :à Schömberg (pour extraire l’huile de gypse), à Dautmergen, Erzingen, Schörzingen, Frommern, Bisingen, Spatchingen... Parmi les Kommandos extérieurs, celui de Kochem, au sud-ouest de Coblence, est l’un des plus terribles. Il s’agissait d’installer une usine souterraine dans un tunnel d’une ancienne ligne ferroviaire.

En août 1944, des détenus provenant surtout des prisons d’Epinal, de Nancy, de Belfort et de Rennes arrivent au Struthof. Le 31 août 1944, un premier convoi évacue 2 000 détenus vers le KL Dachau. Dans la nuit du 1er au 2 septembre des membres du réseau Alliance sont exécutés. L’évacuation se prolonge jusqu’au 4 septembre. Le camp est vide lorsqu’il est libéré par les troupes alliées le 23 novembre 19442.

Équipe du Livre-Mémorial

1 Voir la notice sur la procédure « Nacht und Nebel » dans l’introduction générale du Livre-Mémorial.

2 Pour plus d’informations sur l’histoire du KL Natzweiler-Struthof, consulter Le camp de concentration du Struthof. Konzentrationslager Natzweiler Témoignages, Collection Documents, Tome III, Essor, 1998.

Témoignage: (Extrait d'un livre sur la Résistance dans la Manche)

Marcel Leclerc est connu pour son livre sur : " La Résistance dans la Manche ", que nous avons évoqué dans l'avant-propos.

          Il a également édité une plaquette d'une soixantaine de pages. intitulée : " Souvenirs de ma déportation en Allemagne ". De ce témoignage bouleversant, qui mériterait d'être intégralement reproduit, nous donnons deux textes : " Le premier appel " et " Noël ". les autres extraits concernent des déportés de la Manche dont les noms ont été cités dans le chapitre : " Les années sombres et difficiles ".

          Il va de soi qu'il s'agit d'un hommage, de notre part, à tous nos camarades déportés-résistants.

Au Struthof : le premier appel

          " Nous voici enfin prêts pour l'appel du midi. Le spectacle est impressionnant. Sur les sept plates-formes étagées, couvertes de neige, les détenus sont alignés impeccablement, flanqués du chef de block au brassard noir. Tout en haut, dans un mirador, un soldat casqué, emmitouflé dans sa longue capote verte, veille le doigt sur la mitrailleuse braquée vers nous ; sur la plate-forme supérieure se tient le groupe des S.S. entourant le commandant du camp. le sinistre Kramer.

          Nous grelottons sous la bise glacée. Soudain apparaît un camion, duquel sont immédiatement sortis des cadavres sanguinolents, puis des détenus. encore vivants, que l'on transporte en les traînant dans la neige, jusqu'aux deux blocks du " Revier " (infirmerie).

          " Ce sont des tziganes, apprendrons-nous le soir. L'épouvante nous saisit : nous commençons à comprendre la cruauté du sort qui nous attend.

           " Un ordre guttural : les rangs se figent. Au passage du surveillant S.S., les hommes de chaque block se découvrent et s'immobilisent dans un rigide garde-à-vous. La froidure mord les crânes tondus, les oreilles bourdonnent, les dents claquent, les corps frissonnent.

           " Lentement, nous dévisageant de son regard d'acier, le S.S. nous dénombre comme s'il s'agissait d'un troupeau. Enfin, le militaire gravit les escaliers des différentes plates-formes et vient rendre compte au commandant Kramer. Mais avant de nous permettre de rompre les rangs, celui-ci juge opportun de souhaiter la bienvenue aux nouveaux arrivants. Il nous apostrophe : " Viles créatures de Paris, vous avez lutté contre la grande Allemagne par des moyens honteux ; nous allons régler votre sort et si vous savez pourquoi vous êtes entrés dans ce camp, sachez que vous n'en sortirez jamais, si ce n'est par la cheminée du crématoire.

           " Atterrés, nous regagnons à pas lents et en silence, le bloc 10. "

Noël

            Le jour de Noël 1943, alors que chacun s'apprêtait à goûter une soupe substantielle, une sorte de ragoût appelé " goulasch " servi pour marquer ce jour exceptionnel de fête, alors qu'il gelait à pierre fendre et que de longues stalactites de glaces pendaient au toit de nos blocks, soudain, on ordonne le rassemblement de tous les détenus sur la place d'appel ! Précipitamment, sous la menace des coups, nous courons et nous alignons par rangs de cinq. Sur la deuxième plate-forme, une potence est dressée. Du bunker (block de la prison située au bas du camp. vis-à-vis du crématoire), montent deux camarades dont les mains sont enchaînées derrière le dos. Un soldat S.S. les accompagne. la baïonnette prête à piquer. Tous les occupants des blocks sont là, impeccablement alignés, sur les plates-formes qui leur sont assignées. A voix basse, on échange quelques mots. Nous sommes atterrés.

           " Là-haut, l'un après l'autre, chacun des condamnés monte sur une estrade, un camarade leur passe la corde au cou, retire brusquement l'estrade, et le corps agité de soubresauts convulsifs se balance, tandis que la tête se penche. horrible. La bise glaciale nous mord, les pieds s'engourdissent dans la neige, les dents claquent. Le temps s'écoule, interminable. Soudain, un ordre guttural ! C'est le défilé des détenus qui commence. Nous montons les gradins en ordre, nous passons devant les pendus. Ordre impératif de regarder cette bouche crispée, cette langue pendante, violacée, ce teint blême, ces yeux révulsés. Remplis d'horreur et de crainte, nous regagnons le block. Notre goulasch nous attend, refroidi. La fringale est plus forte que l'émotion ; nous ferons honneur à ce repas, exceptionnel à tous points de vue !

           " Le chef de block nous apprend que ces deux camarades étaient en prison depuis un mois, recevant tous les matins 25 coups de bâton, ne touchant une maigre soupe que tous les quatre jours, enfermés dans un local étroit où on ne pouvait se mettre debout. Ils avaient tenté de s'évader du camp.

           " Ce n'est qu'au dortoir que cette vision des pendus troublera notre sommeil de cauchemars hallucinants. en cette nuit de Noël, épouvantable, destructrice de toute espérance. (Passage extrait d'une relation d'Arthur Poitevin, ancien déporté).

          " Fort heureusement, cette scène ne s'est pas renouvelée pendant notre captivité au Struthof. Sans doute le devons-nous à la mutation pour le camp de Bergen-Belsen, vers la fin de l'hiver, du bandit Kramer qui dirigeait le camp depuis notre arrivée. "

La vie quotidienne

          " Nous voici alignés, nus, sur deux rangs, sous la garde de deux brutes qui ne ménagent pas leurs bourrades. L'un de nous. Raymond Brûlé, ancien officier, indigné, s'avance pour protester : il est gratifié d'une gifle magistrale, pour lui faire comprendre que, désormais, nous entrons dans une société nouvelle.

          " Mais dès que la colonne gravit le chemin qui mène à la sablière ou à la route en construction, les kapos hurlent, frappent de leur gourdin, les S.S. excitent leurs chiens qui mordent les chevilles des malheureux détenus. C'est le sauve-qui-peut ! Chacun tente de se masser vers le centre de la colonne pour éviter les coups.

           " Fort heureusement, mon ami Parisy qui a été désigné avec moi pour la construction de la route, plus robuste, échangera la pioche ou la masse, que je ne réussis pas à manier, pour la pelle qu'il a pu se procurer dans cette cohue.

           " Les dix hommes de ma table abandonnèrent pendant plusieurs semaines leur cuillerée de confiture ou celle de fromage blanc pour soutenir notre ami, Émile Lecarpentier, souffrant d'un ulcère à l'estomac.

         " Dans cet enfer, il est cependant un havre de tranquillité, c'est le " Revier ", c'est-à-dire l'infirmerie.

         " Pour être admis, la température prise sous l'aisselle devait atteindre au minimum 39°. Mais avant de gagner le lit, il était obligatoire d'être parfaitement Propre et de passer sous la douche glacée. Bien des malades, atteints de pneumonie ou d'autres maladies graves, ont été achevés par ce passage sous l'eau froide. Ceux qui ne pouvaient tenir debout recevaient cette douche, couchés sur la dalle. C'est ainsi que mourut le docteur Boulier, arrivé dans le même convoi et impliqué dans la même affaire que moi.

         " Le pauvre Guerry était mal en point, outre son phlegmon dont la plaie suppurait, il était atteint de diarrhée. Et comme nous ne disposions d'aucun papier, c'était avec nos doigts que nous tentions de nous nettoyer après usage des latrines.

         " Nous approchions du dimanche, jour où le rutabaga habituel de notre menu était remplacé par une soupe aux nouilles, assez épaisse. Nous considérions cette soupe comme un festin que nous ne voudrions pas manquer. Guerry, appréhendant de ne pas tenir jusqu'au dimanche, dit à son voisin Gautier : " Si je meurs dimanche, avant midi, je te donne ma soupe, tu la partageras avec Leclerc. "

         " Je me rendis au bloc 11 , puis je m'efforçai clopin-clopant de descendre les degrés menant au service de désinfection, pour reprendre contact avec mon ami André Parisy, qui servait la chaudière alimentant à la fois l'étuve et le crématoire. Heureux de me revoir, Parisy échange mes loques contre un vêtement plus adapté, sinon plus confortable.

          " L'ingéniosité déployée par les malades pour rester à l'infirmerie s'ajoutait à cette complicité de nos camarades médecins.

           C'est ainsi que Georges Gautier, cité plus haut, atteint d'une forte grippe, n'hésita pas à gober un crachat d'un tuberculeux bacillaire, à le garder dans sa bouche jusqu'au passage de I' " infirmier " et à l'expectorer dans le crachoir pour analyses. Bien entendu, le rusé camarade fut reconnu contagieux, emmené à la salle réservée aux tuberculeux où il passa la plus grande partie de sa détention. Hélas ! le typhus devait l'emporter en février 1945.

          " Vers cette date arrivent au camp Alphonse et Fernand Davy, deux jeunes de Pontorson. Nous sommes restés amis depuis.

          " Tous les détenus N.N., qu'ils aient été ou non condamnés par un Tribunal allemand, devront être présentés à Breslau devant le Tribunal du Peuple qui prononcera la sentence définitive.

          " C'est ainsi que mes camarades de Coutances dont mon compagnon de lit, l'instituteur Eugène Lepetit, l'industriel Raymond Brûlé, époux de la directrice de l'École Normale de la Manche, et le professeur Régis Messac, arrêtés au début de 1943 partirent pour Breslau. Lapierre et moi pensions que nous ferions partie du prochain convoi prévu pour la fin août.

         " Nous mangeons debout ou, quand il fait sec, assis au milieu de tas d'immondices. Les Français se font tout d'abord remarquer parce qu'ils pèlent leurs pommes de terre : les Russes, les Polonais, ramassent soigneusement les pelures que nous avons jetées et les mangent. Mais bientôt, à notre tour, tenaillés par la faim grandissante, nous serons moins délicats et nous mangerons intégralement notre ration.

          " Le typhus se répand de plus en plus, les morts sont si nombreux que pour aller aux lavabos, nous sommes contraints de piétiner les cadavres que l'on a étendus en tas dans ce seul endroit relativement frais du block. Le " corbillard ", cette horrible charrette traînée par quatre détenus, qui passe chaque jour pour charger les cadavres, est toujours plein et les crématoires ne parviennent plus à réduire en cendres toutes ces cargaisons de morts.

          " Je découvris Antoine Peyry, garde-champêtre à Octeville, dans la banlieue, à deux kilomètres de mon domicile. J'avais appris son arrestation près d'un an avant que mon tour n'arrive. Inutile de dire toutes les confidences que nous nous rimes. Je lui apportai des nouvelles de Saint-James d'où il était originaire, et lieu de repli des enfants réfugiés de Cherbourg, que je dirigeais lors de mon arrestation. Il insista beaucoup pour que nous restions ensemble.

          " Nous sommes au 31 janvier. On appelle Antoine Peyry. Il vient bientôt, m'annonçant joyeux : " Je suis libéré du camp de concentration ; les Allemands me font connaître que la peine de 3 ans de travaux forcés qu'ils m'avaient infligée est terminée. Je deviens un travailleur libre ! " Nous nous étreignons longuement et avant de nous séparer il affirme : " Je pourrai t'envoyer des colis, puisque je pourrai circuler librement. Prends courage, c'est bientôt la fin de cette si longue guerre. " Je ne devais jamais revoir mon camarade Peyry, si brave et si sincère : il devait s'éteindre quelques semaines plus tard dans un des kommandos de Dachau. non sans avoir goûté amèrement l'hypocrisie de nos geôliers. "

Quelques liens:

 

 

   
Sources:
Mémorial des déportés de France