Le kommando d'Hinterbrul
De ce kommando, on ne connaît que son évacuation devant l'arrivée des
soviétiques dans Vienne. C'est le dimanche de Pâques, le 1er avril 1945, que
nous sommes mis en rangs pour rejoindre Mauthausen à pied.
Moïse Dufour a raconté cette terrible marche. 200 kilomètres, 204 morts
d'épuisement, exécutés et enterrés sommairement dans les fossés des petites
routes autrichiennes.
Un kommando de « fossoyeurs » suivait les colonnes de 1 800 détenus environ
que nous formions, en tenue rayée et une couverture sur le dos. Tous les
malades du « revier » (50) avaient été exterminés et enterrés entre nos
blocs dans la nuit du 31 mars 1945. Mais de l'usine, rien n'a été dit,
pourtant elle a son histoire.
Pour
faire face aux bombardements alliés, les nazis, en un temps record, ont
établi une unité de production dans une grotte naturelle, la « Seegrotte »,
d'Hinterbrühl . La bête s'enterrait. Dès le lendemain de notre arrivée, nous
descendions à la production. Il fallait traverser une petite route sous un
tunnel en grillage amovible, et prendre un dangereux escalier en
tire-bouchon de 20 mètres environ, peut-être plus. Nous descendions souvent
au rythme du « goumi » quand la neige nous avait retardés pour retrouver nos
établis dans ce trou immense au nom secret de « Langouste »
.
C'était une ancienne mine de gypse qui fut ouverte en 1848 Comme une source
l'inonda elle fut abandonnée. En 1932, on se rendit compte de la beauté du
site formant un immense lac souterrain. Il fut aménagé pour être visité en
bateau à moteur jusqu'en 19441 où on le vida de nouveau. Des déportés venus
de Schwechat bombardé, ont participé aux travaux dont mon ami Auguste Chêne
actuellement à Sanary. Bien sûr, à l'époque on ne connaissait rien de ces
détails ni de ceux qui vont suivre. Sans aucun contact avec les civils
allemands qui y travaillaient. A part les meisters1 qui
nous commandaient, on était rassemblé dans le même hall, sans savoir que la
grotte était immense.
Si j'en sais davantage aujourd'hui, c'est grâce à un ami, Gunter Thierron
qui, d'abord spécialiste mondial des motos, fait en ce moment des recherches
sur les V 1 et V 2 avec un ami de la R. A.F. A ma demande, il a fouillé les
bibliothèques allemandes (sa première langue est celle de Goethe, d'où ces
précieux renseignements).
Sur les nombreuses photos, en ma possession, des différents livres
consultés, on ne voit jamais de déportés au travail, toujours des civils. On
mentionne cependant (page 4098) des ouvriers allemands et des Haftlinge au
hall 7.
Nous étions pourtant près de 2 000 à y travailler, 12 heures de jour ou de
nuit. J'y suis arrivé le 22 décembre 1944 avec 20 soi-disant spécialistes.
Avant j'avais passé 8 mois à Gusen II (Sank Georgen), où étaient fabriqués
les messerschmitts 262, autre modèle, premier avion à réaction engagé au
combat. il détruisit plus de 500 avions alliés2. Mais ce kommando
terrible, où j'ai failli rester, est une autre histoire.
A
Hinterbrühl, on construisait un petit avion révolutionnaire, presque tout en
bois, le HE 162A2 « Salamander » (voir description sur la photo).
« Le délai le plus court jamais observé entre la conception d'un chasseur à
réaction, entièrement nouveau, et sa mise au combat fut de 69 jours : le
contrat du 8 septembre 1944 mettait en œuvre du personnel peu spécialisé
pour une construction de masse... Le 10 décembre 1944, le premier prototype
conduit par le Capitaine Peter s'écrase à Wien-Schwechat
tuant le pilote devant une nombreuse délégation d'officiels. Mais l'avion
est quand même mis en production... » (citation d'une revue militaire). Une
autre revue(page 4103) cite le général Kammhuber qui pense que « cet avion,
le [Salamander] appelé aussi « Volksjäger » chasseur du peuple » ne vaut rien.
Il fut confié à des pilotes de la "Hitlerjugend", les
Jeunesses hitlériennes. Les pilotes assignés à un grand nombre d'appareils
produits devaient recevoir une formation sur planeur avant de passer
directement dans ce chasseur à réaction.
Cependant dans une revue anglaise, on peut voir les photos de 4 pilotes,
morts au combat avec un palmarès impressionnant de 220, 128, 100 et 150
avions abattus à leur actif . il est écrit qu'ils ont tous essayés le HE 162 "SALAMANDER"avec succès.
Heureusement, ce petit avion n'a jamais pu être construit en grande série ;
il est venu trop tard.

Avec mon ami Gunter, j'ai eu beaucoup de documents sur notre usine et cet
avion qui seraient trop longs à énumérer ici. Par exemple, il a poussé la
minutie jusqu'à acheter à un de ses amis allemands le petit moteur « Riedel
BMW » 2 temps qui monté dans le nez du HE 162 le mettait en marche. IL y en
avait des stocks après la guerre. Ils servaient à faire du Karting.
Dans cette « Seegrotte » secrète, certains déportés collaient des pièces en
bois contreplaqué très serré qui servaient aux cellules de l'avion. Moi, je
confectionnais un collier en aluminium. Deux SU3 à mon établi formaient au maillet
une grosse cornière aluminium. Il ne fallait pas recuire la pièce (dans un
bain d'une mixture bouillante) plus de 3 fois, sinon l'aluminium perdait sa
résistance. Mes deux voisins russes ne s'en privaient pourtant pas. C'était
leur principal souci, d'accord avec leurs copains qui s'occupaient du bac.
Après s'être un peu méfiés de moi, le « nouveau », et sur leurs injonctions,
je m'y suis mis aussi mais avec une certaine « trouille » qu'eux semblaient
ignorer totalement. On risquait les 25 coups.
Dans ses rapports, Heinkel, le prestigieux avionneur allemand, (mort à
Stuttgart en 1958) mentionne que l'encollage est « cochonné » suite à la
chute de l'avion d'essai de l'Oblt Wedemeyer le 4 février 1945. L'appareil venait
de notre usine « Langouste ». Le sabotage existait, mais les 25 coups sur le
« cul » pleuvaient aussi dans les ateliers.
Cependant, dès le premier jour de mon arrivée, des Français m'ont contacté,
la solidarité était efficace à Hinterbrühl.
Grâce à des amis comme Marcel Platz, Hubert Le Maoüt et Geo Attia, un gars
(de la région de St Malo comme moi mais devenu gangster) et d'autres :
Gabriel Cosson, Auguste Chêne, j'ai été soutenu car venant de Gusen II, je
n'étais pas brillant à voir, il me manquait des kilos. Ces camarades m'ont
trouvé des suppléments de nourriture (j'ai toujours en mémoire les fonds de
la gamelle à Gabriel Cosson et la première soupe d'Attia). Gabriel est
décédé d'épuisement au 200ème km de notre exode, nous étions presque arrivés
à Mauthausen. C'était un ancien de 14-18.
Cette solidarité m'a sauvé la vie et celle de beaucoup d'autres.
Du camp, je n'ai gardé que peu de souvenirs, vivant toujours dessous, 12
heures de jour ou 12 heures de nuit. Sauf les corvées de neige ; souvent les
blocs étaient presque ensevelis le matin par la neige, c'était une ronde
incessante pour les dégager avec nos gamelles ou nos « mützen » avant de
descendre au travail. Il me reste le souvenir du grand froid, les nuits,
dans les baraques. Je donnais avec Georges Charlier, nous nous quittions peu
tous les deux et Auguste Chêne, lui encore de ce monde, tandis que Georges
(le petit Geo, le grand Geo étant le tatoué), lui, est décédé en arrivant en
France. Sa maman l'a eu dans les bras trois heures durant lesquelles il
délirait en m'appelant pour me donner sa soupe. Il repose au vieux cimetière
de Menton que je visite presque tous les ans depuis 53 ans.
Mais revenons à l'usine. Le 31 mars 1945, le travail est arrêté et, avec
inquiétude, on voit des soldats de la Wermarht dérouler des fils électriques
avec au bout des petites boîtes noires. Vont-ils nous faire sauter avec les
machines ? Les Soviétiques ne sont pas loin, on entend les avions tourner.
Les meisters1 sont partis, et avec soulagement nous remontons par le fameux
escalier au camp. C'est le lendemain que nous partirons vers Mauthausen à
pied. Drôle de poisson d'avril.
Aujourd'hui, on sait que sur les 37 bombes installées pour détruire l'usine,
seulement 7 explosèrent ne la détruisant que partiellement.
Après la guerre, en 4 années de travaux, on a reconstitué la « Seegrotte ».
Remplie d'eau on peut la visiter en bateau, c'est une belle attraction d'Hinterbrühl.
Un dépliant touristique nous la montre.
Mais personne ne saura combien de camarades Résistants de l'Europe entière
ont souffert et sont morts ici de l'occupant nazi.
Cet oubli peut être réparé avec l'aide de nos deux historiens de SANK
GEORGEN, Rudy HAUNSCHMIED et Martha GAMMER.
Je pense qu'une plaque commémorative dans ce lieu très visité.... mais nous
ne sommes pas chez nous !
Voilà des précisions que je voulais vous donner depuis longtemps. Y-a-t-il des camarades survivants de ce
kommando ?
Le 18 février 1998; Jean COURCIER
Mle 62208 à Mauthausen
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Meister:
Contremaître
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Luftfahrt
international 11° 24. nov.déc.1977. HE 162.
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SU: Soviet Union. les prisonniers portaient, sur leurs vestes, l'initiale de
leur pays d'origine.
Caractéristiques de l'avion:
Envergure: 7.2 m -
Longueur: 9 m -
Hauteur: 2.6 m
Poids à vide: 1663 kg -
Poids maximum: 2490 kg
Vitesse maximale: 845 km/h
Moteur: Un réacteur BMW-109-003E-1 Sturm à écoulement axial de 800 kg (1 764
lb) de poussée statique
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Sa consommation était telle que
l'appareil avait une autonomie très insuffisante: une demi-heure. De
plus, la position dorsale du réacteur gênait le pilote qui n'avait
aucune vision sur l'arrière.
- Lorsque la production s'arrêta, environ
275 exemplaires avaient été construits et 800 se trouvaient à différents
stades de la fabrication. La production totale prévue à pleine capacité
devait être de 4.000 appareils par mois.
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La seule victoire imputable au "Volksjäger" eut lieu le 4 mai
1945, lorsque le pilote R. Schmitt abattit un Tempest . Abattu à son
tour, il put bénéficier du siège éjectable nouvellement installé. Le
fait qu'un pilote novice ait pu abattre un des as de la RAF est une
preuve du potentiel de cet appareil que certains n'hésitent pas à
considérer comme le meilleur chasseur de son temps. Mais le He 162 n'était vraiment pas un appareil destiné aux pilotes inexpérimentés.
Même les pilotes aguerris devaient faire preuve de délicatesse et de douceur
extrêmes aux commandes pour éviter la catastrophe.
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