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Liste des biographies

 

 

 

FUSILLADE DANS LA VILLE

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Entre le 1er janvier et le 3 août 1944, l’armée allemande est omniprésente en divers points de la ville de Martigné-Ferchaud. Le réseau de résistance Oscar Buckmaster a été entièrement démantelé. La population subit l’occupation. A la fin du mois de juin, un événement va troubler la quiétude apparente du centre ville.

 

Depuis le dernier trimestre 1943, plusieurs unités de la Wehrmacht s’installent  fermement sur la commune de Martigné-Ferchaud. Dans l’agglomération, des maisons, des hôtels, des garages, des écuries, des écoles et autres locaux annexes sont réquisitionnés pour une durée indéterminée. Ce renforcement militaire fait suite à la mise en œuvre de deux dépôts stratégiques dans les forêts d’Araize et de La Guerche en Rannée sur décision de la 7e armée allemande. Deux états-majors de bataillons occupent plusieurs bâtiments rue Valaise et route de Fercé ainsi que la maison du maire, Félix Brochet, place de la Mairie. Ces postes de commandement assurent le fonctionnement des unités installées dans les deux forêts en question. Le major Von Ketelhodt est le Standortkommandant, c’est-à-dire le chef de la place militaire de Martigné. 

L’occupant étend ses réquisitions à la main d’œuvre locale nécessaire à la construction des dépôts forestiers et au creusement d’une longue tranchée dans la prairie des Ambardières. Plusieurs centaines d’ouvriers de Martigné et des communes environnantes sont tenus d’exécuter des travaux de terrassement pour des besoins militaires.  

A la fin de l’année 1943, le réseau de résistance Oscar Buckmaster opérant sur le secteur a été anéanti par la Sipo-SD (Gestapo) de Rennes. Vingt-quatre personnes, dont quatre gendarmes, ont été arrêtées et transférées à Rennes dans l’attente d’une éventuelle libération ou d’un départ vers les camps nazis. Ces arrestations ont profondément affecté la population qui espère un débarquement des Alliés annoncé par la radio de Londres. Telle est l’ambiance générale à Martigné jusqu’au 6 juin 1944, une date tant attendue. 

Vers la mi-juin 1944, Marcel Misériaux, agriculteur à la Haye-Veillette, reçoit la visite d’un inconnu qui se déplace à pied, muni de maigres bagages. Après avoir dévoilé son identité, Émile GILLET avoue avoir quitté son domicile de Rennes où il aurait eu quelques ennuis ; il se dit impatient de l’arrivée des Alliés car il souhaiterait s’engager dans la « Division Leclerc ». Marcel Misériaux, jeune résistant, est très prudent ; au mois de décembre 1943, sa maman, veuve et mère de six enfants, a été arrêtée à son domicile par la Gestapo et transférée au camp de concentration de Ravensbrück. Malgré cela, il accepte d’héberger et d’employer Émile GILLET pour la saison des foins. Cet orphelin discret, originaire de Muel, une localité proche de St-Méen-le-Grand, lui fait bonne impression et il a de la sympathie pour la Résistance. 

Le 28 juin, après une bonne semaine passée à la Haye-Veillette, Émile GILLET s’offre un billet de train pour revoir ses copains à Rennes. Après son retour dans la soirée à Martigné, il se rend au café Samson, rue de la Motte, où consomment plusieurs soldats allemands. N’étant pas servi comme il le souhaitait, il invective la tenancière, lui reprochant ses préférences pour l’occupant. Un des militaires présents s’interpose et demande à Émile GILLET de le suivre à la Kommandantur. GILLET ne l’entend pas de cette oreille et s’échappe du bistrot en direction de la Grande Rue [aujourd’hui rue Paul Prime]. 

Il est immédiatement poursuivi par le soldat armé de son fusil. Deux coups de feu retentissent ; Émile GILLET est probablement touché à une jambe car il arrive en boitant sur la place de la Mairie où flânent plusieurs Martignolais stupéfaits. Deux autres coups de feu mettent fin à la course effrénée de GILLET qui s’écroule devant la maison d’Émile Bridel, un peu avant la rue Feuillet. Un attroupement se forme autour du malheureux mais un officier et plusieurs soldats allemands interviennent et éloignent les curieux manu militari. Henri Richard, vingt ans, étudiant, s’interpose courageusement entre les militaires et leur victime. Au même instant arrive le docteur Guillaume Collin pour prodiguer les premiers soins au blessé malgré l’opposition de l’officier sur place. GILLET est évacué à la hâte et transporté à l’hôpital de Châteaubriant où il décèdera le 2 juillet suivant. 

La nouvelle parvient à Marcel Misériaux qui s’attend à une visite des Allemands. Il s’empresse de faire disparaître les effets militaires d’Émile GILLET et quelques documents extraits de ses bagages. Ce n’est que quinze jours plus tard qu’une Mercédès pénètre dans la cour de la ferme de la Haye Veillette ; un officier accompagné de soldats en descendent. Le gradé interroge Marcel Misériaux et demande à voir la chambre et les affaires de son « employé ». N’ayant rien remarqué de suspect, les militaires quittent les lieux. Cet évènement n’aura pas de suite. 

Pour des raisons administratives, des courriers sont échangés entre les mairies de Muel et de Martigné. Le 2 octobre 1944, M. Louessard, maire de Muel, s’interroge : « A Muel, le bruit court que GILLET faisait partie de la Milice et qu’il aurait été abattu par des patriotes ? ». Dans une  réponse laconique, Félix Brochet, maire de Martigné, rétablit la vérité. 

Mais qui était réellement cet homme ? Émile GILLET, né en 1916 à Muel, est orphelin de ses deux parents lorsqu’il souscrit, en décembre 1935 à Rennes, un engagement volontaire de trois ans dans un régiment de chars de combat. Ses affectations successives et un nouveau contrat de deux ans l’entraînent au Liban et au Maroc où il servira exclusivement dans des bataillons de chars. En janvier 1941, son unité étant dissoute, il est démobilisé à Marrakech et se retire rue de Nantes à Rennes où il exercera la profession de manœuvre. Son passé de tankiste et la présence d’habits militaires dans ses bagages expliqueraient son souhait de s’engager dans la 2e division blindée du général Leclerc débarquée en Angleterre en avril 1944. 

Émile GILLET, dont le lieu d’inhumation n’a pas été découvert jusqu’à présent, fait partie de ces nombreux oubliés de l’histoire. Que ce récit puisse lui rendre la place qu’il mérite au rang des victimes d’une guerre pas si lointaine. 

Suite aux coups de feu tirés par le soldat allemand dans la Grande Rue, un projectile a blessé légèrement au menton Jacques Joncour, âgé de 7 ans, un jeune réfugié du Havre domicilié rue Corbin à Martigné. La famille Joncour a beaucoup souffert des affres de l’occupation, mais son histoire fera l’objet d’un autre récit.

 

Daniel Jolys – février 2015

Cercle d’Histoire du Pays Martignolais

 


Sources :

Archives municipales de Martigné-Ferchaud cote H4, de Châteaubriant (acte de décès E. GILLET) et de Muel (acte de naissance E. GILLET) – Allocution du 1/4/1996 de Guy Martin en hommage à l’abbé Henri Richard.

ADIV cote 1R 2522 fiche matricule n° 167 E. GILLET.

Documentation Jean-Yves Misériaux : rapport n° 2378 du 1/7/1944 RG d’Ille-et-Vilaine ; rapport n° 335/2 du 5/7/1944 Gendarmerie Vitré.

Témoignages : Marcel Misériaux, Henri Delcourt, Guy Thomas, Eugénie Gautier.

 

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