COMMENT DE COURAGEUX MORLAISIENS ECHAPPERENT AUX ALLEMANDS
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Après interrogatoire, plusieurs personnes furent retenues et mises en état d'arrestation, notamment : Jean RANNOU, 21 ans, de la Barrière de Brest, Pierre GAUTHIER, 19 ans, rue du Général Le Fol, Jean CIZAIRE, 19 ans, 1, rue Courte, Jean PICHON, Jean GUILLERM, Mesdames CI ZAIRE, Augustine L'AMANDA, LECOMTE et Melle Christiane LE SCORENT, la jeune fiancée de Jean CI ZAIRE. Par la suite, les feldgendarmes arrêtèrent plusieurs autres personnes, dont Mr Jean LEGRAND, 22 ans, rue Charles Le Goffic, le 12 au matin, René PERROT 21 ans, de St-Augustin, le 14 mai, le capitaine GUEZENNEC de Carhaix le 13 mai. Certaines de ces personnes devaient subir d'effroyables tortures. Trois des jeunes gens appréhendés, Jean Rannou, Jean Cizaire et René Perrot qui appartenaient depuis plusieurs mois à la Résistance, ont pu s'évader et rentrer à Morlaix. Voici leur récit dans toute sa vérité: "Aussitôt après notre arrestation, précisa Jean Rannou, nous avons été amenés à la feldgendarmerle où nous sommes restés jusqu'au 18 mai. On nous laissa les mains enchaînées dans le dos, nuit et jour, et on nous frappa avec une sauvagerie incroyable. Nos tortionnaires étaient les feldgendarmes, le nommé Schmitt, de la Gestapo, l'interprète Koenig, et trois miliciens, venus spécialement de Quimper. On nous frappa sur toutes les parties du corps à coups de barres de fer et de câble d'acier, de trois dimensions, recouverts de caoutchouc. On noua attachait les mains et les pieds, et on nous immobilisait en nous passant une barre de bois entre les bras et les jambes, à la hauteur des coudes et des genoux. Tantôt, pour mieux nous frapper, on nous suspendait par les poignets. On nous portait des coups terribles sur la nuque et aux endroits les plus sensibles. Les femmes étaient frappées avec la même violence sur les seins. Je me suis évanoui moi-même trois fois nous précise Jean Cizaire, et j'ai vu martyriser devant moi ma mère et ma fiancée. Les miliciens nous Piquaient cruellement avec des épingles, et nous brûlaient avec leurs cigarettes. Ils nous frappaient et nous portaient des coups de pied au bas-ventre à tel point que nous urinions du sang. Nos corps étaient noirs de coups; nous ne pouvions remuer qu'avec beaucoup de peine; certains n'avaient même plus la force de se tenir debout. René Perrot précise: j'avais d'énormes bosses sur les omoplates, les cuisses et les bras tuméfiés. Pour m'obliger à parler, les miliciens ne sautaient à pieds joints sur le ventre; ils me plongèrent la tête dans un trou d'eau qui se trouvait dans la cour de la feldgendarmerie. Ils auraient pu me tuer, mais jamais je n'aurait dit ce que je savais. Leurs pires menaces ne me troublèrent plus, même lorsqu'ils parlaient de me couper la langue. Après mon évasion, je portais encore les traces des chaînes sur les poignets. Après ces terribles épreuves, poursuit Jean Rannou, nous avons été transférés le 18 mai dans la prison de Pontaniou, à Brest jusqu'au 2 juin. Là, on nous jeta par quatre dans des cachots immondes, nous laissant pour ainsi dire sans nourriture. Puis, de Pontaniou, nous avons été expédiés à Rennes dans un camp de concentration. Les malheureux qui étaient déjà dans ce camp se trouvaient dans un état lamentable. Les poux, la gale, la dysenterie faisaient d'épouvantables ravages. Les prisonniers y étaient aussi torturés. Nous avons vu l'un d'eux être frappés alors qu'il avait été suspendu au plafond par les pouces. Le 3 août, les choses allaient mal pour les Boches. A trois heures du matin, on nous fit quitter le camp de Rennes pour prendre un train On nous entassa par 50 dans des wagons à bestiaux, bien entendu sans nourriture. C'est seulement à Nantes qu'une boule de pain pour trois fut distribuée. Après nous être concerté dans notre wagon, raconte Jean Rannou , nous décidâmes de tenter l'évasion. A Morlaix, Keller nous avait annoncé que nous étions condamnés à mort et que nous serions fusillés au début d'août. Vers 23 heures, dans la nuit du 3 au 4 août, par un beau clair de lune, je réussis à ouvrir une fenêtre de trouvant dans le coin et en haut du wagon allemand qui nous transportait. Un de nos camarades, Vincent Toullec, de Plouescat. se faufila par cette ouverture, et tandis que nous le tenions par les jambes, il se laissa tomber la tête en bas. L'opération réussit très bien. Alors, bien que le train fut en marche, tous les jeunes sautèrent. Ce fut une lutte éperdue. Nous apprîmes par la suite que notre évasion avait eu lieu près de Saint-Mars-du-Désert, petite commune de la Loire-Inférieure, à 21 Kms au nord-est de Nantes. Malheureusement, poursuit-il, les Boches s'aperçurent de ces départs et ils se mirent à tirer après avoir fait stopper le convoi. Ils alertèrent une colonne de chenillettes qui passait par là, tandis que des fusées éclairaient la nuit dans la campagne alentour. Les Boches lancèrent des chiens à nos trousses. La chasse à l'homme commençait. Avec mon camarade Le Pulloch, élève de St Cyr, de Brest, qui s'était blessé en tombant sur le ballast, je réussis à gagner les bords d'un marais. Nous restâmes cachés tous les deux pendant 48 h, tandis qu'avec un dévouement admirable, des paysans de Saint-Mars-du-Désert venaient nous apporter à manger et à boire. En fait de boisson, il s'agissait de muscadet. On nous apprit alors que la plupart de nos camarades avaient été tués par les Boches. C'était notre bon ami Pierre Gautier qui avait été abattu par une rafale de fusil-mitrailleur alors qu'il venait de sauter sur le ballast. C'était Jean-Marie Lazou, de Plouescat, père de deux enfants, qui, ayant été blessé, avait à ses côtés un prêtre et une sœur. Des Boches arrivèrent, l'emmenèrent et le jetèrent dans un fossé où ils l'achevèrent d 'une balle dans la tête. C'étaient aussi Robert Thouement, de Chatelaudren, et Marcel Le Drogoff du Morbihan. Sans se soucier du danger qu'ils couraient, les habitants du Saint-Mars-du-Désert, les Allemands étant encore dans les parages, noua accueillirent d'une façon merveilleuse. Ils furent particulièrement dévoués pour nous, Bretons, évadés. Ils nous fournirent des vêtements et des chaussures, nous donnèrent à manger et firent une quête afin de nous fournir de l'argent de poche pour nous permettre de rentrer chez nous. Dans un champ, je rencontrai Adrien Moré, de Morlaix, évadé comme moi. Je restai une nuit avec lui. Je rejoignis alors les F.F.I. de Château-Gontier et rencontrai les premières troupes américaines à Châteauneuf dans la Mayenne.
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22/02/2019