Témoignage de Joseph Le Monnier sur sa déportation dans le convoi de Langeais et destiné au colonel Rémy qui collectait des informations pour écrire ses livres sur la Résistance |
Pour enrichir la mémoire du
passé, nous recherchons des témoignages, des documents ou des
photographies des déportés de ce convoi
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22/02/2019
Source: Bertrand, fils de Joseph Le Monnier
LANGEAIS Un officier s'approche ; je lui dis : Ich bin Apotheker, je dessine une croix sur mon bras avec un doigt :Rote Kreuz. Et à la fin j'ajoute : laissez-moi le transporter je vous donne ma parole d'officier français de revenir. Il me répond : allez. Avec mon camarade Saint-Jalmes de Saint-Brieuc, nous allongeons le blessé[1] sur deux bancs parallèles et nous réussissons à passer entre une haie d'Allemands. En dehors de la gare , des Français nous disent qu'une infirmerie fonctionne dans le centre de la ville. En passant devant une pharmacie j’entre et je vois le préparateur qui se trouve être M. Boisseau maire de Langeais. Il me dit à moi et à Saint-Jalmes : je vous donne un rasoir pour ôter votre barbe de terroristes, je vous donne des blouses et je vous installe derrière le comptoir personne ne saura que vous êtes des prisonniers. Je réponds d'accord pour Saint-Jalmes, moi je ne peux pas. Nous conduisons notre blessé jusqu'à l'ambulance improvisée dans un chais[2] . Et nous restons un moment à soigner les blessés. Je vois monsieur Sébillot [3]à qui on va couper un bras. Je vois mon collègue de Brest Allanic[4]3 qui blessé lui-même, porte des soins aux autres blessés. Il aurait pu s'évader en suivant un des nombreux médecins français qui étaient venus de Langeais ou des environs et qui s'empressaient dans l'ambulance. Il est revenu au train comme moi. Je suis revenu en effet vers sept heures, les prisonniers non évadés étaient parqués dans une prairie le long d'un ruisseau. Et de la nous avons été dirigé vers une cave creusée dans la falaise. Mon camarade Saint-Jalmes [5]n’a pas voulu me quitter et pourtant j'avais insisté pour qu'il accepte la proposition de M. Boisseau. Il ne voulait pas. (Le texte qui suit a été rayé) Et je regrette un peu à cause de lui d'avoir tenu à respecter ma parole car je n'ai pas revu l'officier allemand à qui je l'avais donné. (SAINT-JALMES Blessé par une voiture folle le jour de l'arrivée des Américains il sera achevé d'un coup de revolver.) 2°) GIROMAGNY :A Belfort, nous avons été appelés un jour[6] à passer devant un tribunal. On passait un à un. On nous demandait pourquoi nous étions prisonniers. Certains dossiers devaient être égarés. Pour moi j'ai répondu que j'étais un otage innocent n'ayant pour crime que de m'être opposé comme adjoint à des exigences exagérées de la Kommandantur . Que j'aurais dû être libre depuis longtemps. J'ai été libéré le lendemain matin [7]et nous avons été pris en charge par une camionnette du secours national. Au Secours national je me suis fait connaître comme sous délégué de l'arrondissement de Guingamp et montré mon nom sur l'annuaire de l'organisme. J'ai pu contracter un prêt d’honneur de 5000 FF. J'ai gardé 500 FF pour moi j'ai acheté du tabac que j'ai fait porter au fort Hatry et je sais qu'il a été reçu. J'ai distribué le reste aux libérés que je connaissais. Nous avons déjeuné dans une cantine du Secours national mais en sortant j'ai été recherché par le délégué local qui m'a dit : je vais vous demander un service, vos amis bretons sont complètement fous, ils veulent retourner chez eux à pied. Ils ne pourront jamais passer les lignes des Allemands en retraite et les lignes des Américains qui les poursuivent, ils n'ont pas de papier, ils n'ont pas d'argent, et il n'y a aucun moyen de transport. Nous allons créer un centre d'accueil, ils ne veulent pas nous écouter, essayez, vous, de les persuader. J'ai accepté, et c'est ainsi que je suis allé à Giromagny en les y entraînant . Mais le délégué de Belfort m'avait dit aussi : si vous voulez joindre un maquis je vous donnerai la filière . C'est pourquoi quand le centre d'accueil à bien marché au bout de deux jours je suis allé à ce maquis. 3°) Le maquis du fort Lomont[8]Suivant les instructions qui m’ont été données je vais avec un Guingampais Martin (Emile) par le tram à Montbéliard. Nous nous présentons à un bureau de tabac comme cela nous a été recommandé. On nous dit de revenir le lendemain midi. Le soir nous couchâmes dans un dortoir de lycée. Il y a des lits mais seulement sommiers et matelas mais pas de couvertures. Le lendemain nous retournons au bureau de tabac, on nous enferme dans une petite camionnette noire sans autre vue qu'un petit carreau derrière le chauffeur et nous partons vers le sud-est. Un arbre en travers de la route nous arrête. Le conducteur dit un mot de passe et la sentinelle armée écarte l'arbre. Un peu plus loin deuxième barrage mais celui-là est décoré de drapeaux français et cela fait un drôle de coup au cœur après n’avoir vu pendant quatre ans que des drapeaux allemands. Un peu plus loin encore, on s'arrête dans un village et le conducteur nous fait descendre. Aussitôt nous sommes entourés de maquisards menaçants mais le conducteur leur dit : ce ne sont pas des miliciens ce sont des prisonniers politiques qui se joignent à nous. L'attitude devient des plus cordiales et c'est à qui nous ornera de foulards colorés coupés dans la soie des parachutes. Nous continuons poussivement car la route monte à 800 mètres de hauteur jusqu'au village de Montecheroux . Nous sommes au maquis. Fin du texte manuscritLe retour en Bretagne Il reste à Montecheroux du 1er septembre au 20 septembre. Le 18 septembre la gendarmerie de Guingamp prévient son épouse qu'il a été libéré à Belfort le 26 août (c'était la première information obtenue depuis le 20 juillet date de son arrestation). Le 21 septembre il prend le premier train entre Belfort et Paris chargé de vérifier que les ponts et viaducs n'étaient pas minés .Il est accompagné d'Emile Martin. Il séjourne à Paris chez son cousin Milon. Le 23 septembre il prend le train en direction de Rennes. Le voyage durera 29 heures. Le 25 vers 19 heures il arrive à la gare de Guingamp et retrouve sa famille. [1] Le blessé était un soldat allemand qui gardait le train [2] Témoignage de M.Boisseau , maire de Langeais :Les blessés furent transportés dans des chais de Madame Antier transformés en poste de secours. Ils furent soignés par le corps médical et pharmaceutique local aidés des médecins déportés du train : M. Lucas et M. Le Duc et des pharmaciens également déportés : Allanic et Lemonnier. La section locale de la Croix Rouge et de nombreux habitants secondèrent les médecins et firent œuvre de brancardiers entre la gare et le poste de secours séparés d'environ 800 mètres. Des brancardiers transportaient des fugitifs non blessés pour qu'ils échappent au contrôle des Allemands et les faire évader par une porte dérobée du poste de secours."
[3]
Mme Sébilleau raconte:1 Son état critique le sauve des camps de la mort. Soigné dans un hôpital à Belfort, et avec l'aide d'infirmières françaises, il réussit à passer en Suisse.
[4]
SAINT-JALMES Yves, né le 24 mars 1919 à Lorient (56).
Déporté le 29 août 1944 de Belfort vers le KL Neuengamme. (Matricule: 44030). Lieux de
déportation: Wilhelmshaven, Bremen où il décède le 15
avril 1945. |
Extrait de courriers de Joseph Lemonnier adressés à sa femme Yvonne
Lettre du samedi 16 ou 17 septembre 1944 (écrite à Montécheroux –Doubs) "Arrêté le 20 juillet à 5 h00 environ. Conduit chez Le Picard ou on m’a demandé des renseignements généraux d’identité et fait vider mes poches. Puis on m’a conduit chez le Docteur Riou. On m’a fait changer de voiture, à l’arrière d’une V8 pour Rennes Quand j’ai su que j’allais à Rennes j’ai demandé à t’envoyer un mot pour te consoler un peu en te disant que j’évitais la Gestapo de Saint-Brieuc et ses tortures. As-tu reçu ce mot « tout va bien, je vais à Rennes » A Rennes assiste à de nombreux bombardements de la gare par avions. Le 1er août nous sommes nous-mêmes bombardés au canon. Deux éclats dans notre cellule (cellule 37). Révolte dans la prison. Coups de pétoires etc…. Tu as dû apprendre ça Le 3 à 3 h00 du matin, traversée à pied du sud de Rennes avec nos bagages. Marche pénible au milieu de quartiers en flammes explosions des ponts Voyage de 12 jours dans des wagons à bestiaux. Alertes assez fréquentes. Attaque par des patriotes au Lion d’Angers Mitraillage par avions à Langeais Deux tués dans mon compartiment Plusieurs blessés. Je n’étais pas fier. J’aurais pu m’évader Comme un idiot j’ai promis de ne pas le faire pour pouvoir soigner les blessés Marche à pied 35 Km de Langeais à Saint-Pierre-des-Corps. Traversée des quartiers de Tours détruits avec valise sur le dos. Pénible. On ne pouvait plus faire un pas. On se couche dans les nouveaux wagons A ce moment Alerte et tout le monde saute et court, oubliant les pieds gonflés Re-attaque de patriotes après Dôle Arrivé à Belfort le 15 Août Presque rien à manger Angoisse le matin Je suis plus faible qu’hier Demain je ne pourrai plus me lever (Et dire que la plupart des camarades sont restés et que leur condition a du nettement empirer) Le 26 on appelle certains noms 15 sur 75 de notre chambre pour nous libérer J’ai laissé tout ce que j’avais a des camarades et j’ai pleuré de les abandonner Ils se sont cotisés pour que je ne sois pas sans un sou à Belfort et ont réuni 35 Frs Ce sont des gestes qui permettent de supporter les malheurs de la prison Cette fouille des poches, des dernières réserves pour me rendre service m’a beaucoup ému et c’étaient de pauvres camarades maintenus-là qui me consolaient. Ils chantaient et faisaient des singeries A Belfort je me suis présenté au Secours National Comme sous délégué de Guingamp et comme il y avait une vingtaine de femmes de libérées et quelque jeunes gens, le délégué débordé m’a demandé comme un service de perdre 3 jours à les organiser en campement à Giromagny. J’avais prévu 36 heures. J’ai accepté de doubler mon séjour J’étais très faible et je désirais manger et dormir et me laver Des camarades plus solides sont partis immédiatement dont Le Pelleter, marin à Riec sur Belon, Chevalier, chauffeur cars bleus à Rennes, Heurtier pharmacien Rennes S’ils ont réussi à passer ils ont dû te donner de mes nouvelles, sinon écris à leurs familles J’ai donc été à Giromagny en camion avec ma colonie de 40 bretons Ils ont été admirablement reçus par Mr Frick sous délégué qui m’a logé personnellement. Il n’y avait qu’un guingampais dans la bande Émile Martin ancien typographe chez Thomas actuellement à Rennes et dont la mère demeure à Ploumagoar. J’ai obtenu aussi un lit pour lui et depuis il ne me quitte pas. D’autres libérés de notre chambre ont voulu gagner la Suisse. J’ai appris ce matin par l’un d’eux qui est venu jusqu’ici qu’ils sont bloqués par la gestapo à Delle. Celui-ci a réussi à s’échapper Au bout de quatre jours j’ai abandonné Giromagny pour essayer de joindre Lyon J’ai trouvé la région infestée de boches de miliciens de Russes commettant des brigandages avant leur passage en Allemagne Je n’ai aucun papier On réquisitionnait des hommes pour des fortifications hâtives. Tant qu’à travailler autant le faire pour les Français Je continuerai demain"
Lettre du samedi 16 ou 17 septembre 1944 ? "Je continue mon récit d’hier Je ne voulais à aucun prix rester à Belfort ou je risquais d’être évacué sur l’Allemagne ou incorporé dans la Todd etc… à Montbéliard pas beaucoup plus d’espoir. Mais on parlait avec admiration d’une bande de maquisards qui s’étaient emparés d’un fort (le fort Lomond) et y avaient tenu tête à des tanks Je suis venu leur demander l’hospitalité et pour les remercier je tiens le peu de pharmacie qu’on y trouve dans leur ambulance.".. |