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Liste des témoignages

Odette LAVENANT épouse CHARTRAIRE

 

Née à Pabu (22) le 4 mars 1925

Le 26 mai 1944, je suis arrêtée à la suite d’un attentat commis contre un « Feldgendarme », après une perquisition au village et la découverte d’une pile de tracts communistes dissimulés dans ma chambre.

Interrogation sommaire à la manière allemande : peu de paroles, force gifles et coups de trique.

Départ en camion pour Guingamp, accompagnée par mon père et une dizaine de camarades -dont aucun naturellement n’est l’assassin-. Séjour de quelques heures à la Feldgendarmerie, alignés face au mur. Puis, le 27, après une nuit passée en cellule, nouvel interrogatoire sans brutalité, mais très serré –dans la soirée, libération de mon père et d’un camarade, tous deux arrêtés pour cette même histoire de tracts-.

Je reste seule, je ne serai pas libérée, mais qu’importe, les autres sont saufs. 

Séjour à Guingamp du 26 mai au 6 juin, dans une cellule étroite et lugubre, puis départ pour St Brieuc où je ne passe qu’une nuit. 

7 juin 1944

Départ pour Rennes en wagon à bestiaux, huit soldats armés jusqu’aux dents, pour garder huit femmes. Arrivée à Rennes à l’aube, en pleine alerte. 

Jusqu’au 30 juin, nous restons dans une vaste cellule du 3ème étage. La seule distraction est de monter à la fenêtre pendant les alertes très nombreuses… pour voir tomber les bombes ! 

Du 1er juillet au 17 août

La vie est un peu différente : nous sommes au 1er étage et il est possible de communiquer avec l’extérieur, en cassant un carreau de la fenêtre, et avec les cellules voisines, par le « téléphone » qui n’est autre que le tuyau du chauffage central.

La cellule n’est pas grande, mais nous sommes quatre jeunes. Rarement tristes, nous chantons, dansons parfois, faisons de la culture physique.

A six heures le soir, après le départ de la gardienne allemande, la prison se transforme en volière. De toutes les fenêtres, partent des cris, des rires, des chants –qu’importe la menace constante de l’interrogatoire avec sa baignoire d’eau glacée, les coups de bâtons et autres horreurs !

De 18 heures à 23 heures, et même minuit, nous revivons, nous goûtons une sorte de liberté. Et puis c’est l’heure des nouvelles, données par le gardien français, tandis qu’il soigne ses lapins et ses canards : « ça va, ça va ! Ils avancent, ils seront bientôt là ! »

 Ils, ce sont les anglais, qui manifestent leur présence proche le 1er août, vers 4 heures de l’après-midi. Les obus anglais pleuvent sur la prison ; par les portes défoncées à coups de pieds, de chaise, sont ouvertes en hâte par les gardiens français, tout le monde se précipite et se retrouve au sous-sol. Là, la première alerte passée, c’est le pillage des colis de la Croix-Rouge, les allemands se considérant déjà prisonniers, et nous toutes, songeant à la liberté possible, certaine même, le soir même. Les condamnés, hommes et femmes, sont libérés. Les prévenus, selon l’ordre du commandant, remontent dans les cellules, et à onze heures du soir, c’est à la faible lueur des bougies, l’appel interminable de ceux qui doivent partir… pour l’Allemagne.

A six heures du matin, nous quittons Rennes en wagons à bestiaux, et c’est, durant quinze jours, le voyage à travers la France, l’attaque des patriotes à Saint-Mars du Désert, en pleine nuit, puis la mitraille anglaise à Langeais, et tant d’autres incidents.  

Le 15 août, nous atteignons Belfort, où nous restons quinze jours.

Là, comme à Rennes, notre espoir est trompé. « Tous les prisonniers seront libérés » avaient dit les gardiens.

Les « Ceux de Nice, de Marseille », tout le deuxième convoi de Rennes, le convoi parti le 3 août quittèrent le fort par petits groupes, agitant leur feuille de libération, et criant « à bientôt ».

Derrière les fenêtres, nous les regardions, et attendions notre tour, qui ne vint pas. 

Le 31 août, nous quittons Belfort, toujours en wagons à bestiaux, mais bien fermés cette fois -Mulhouse-Strasbourg- et c’est l’Allemagne, malgré tout le sabotage, commis le long des voies de Rennes à Belfort, malgré l’assurance de tous les gens rencontrés : « vous n’irez pas en Allemagne, les voies sont coupées… les patriotes font sauter les ponts et puis les anglais sont trop près ! » La guerre sera finie dans un mois et nous resterons en « occupation ».

A Ravensbrück, que nous atteignîmes le 4 septembre, cet espoir était maintenu par les « bobards » : « Francfort est tombé, Hanovre est pris, il y a eu un débarquement à Hambourg ». Tout était faux, mais pendant six mois les fausses nouvelles nous ont soutenus !L’arrivée à Ravensbrück, l’effroi instinctif en apercevant les costumes rayés, les baraques sombres, l’air mauvais des gardiennes SS, souvenirs inoubliables. Inoubliable aussi la première nuit passée dehors, allongée sur le sable, les heures d’appel du matin où l’on se serrait le plus possible, où l’on se frictionnait le dos pour se réchauffer un peu en regardant s’éteindre les étoiles ! Inoubliable, la vue des cadavres que l’on portait au four crématoire, la peur des chiens, danois féroces, qui se précipitaient et pouvaient vous mettre en pièces sur un geste du chef.

Trois semaines à Ravensbrück, juste assez pour en connaître les horreurs, les « corvées » de sable et autres, le « marché aux esclaves » où l’on vous cavoglaisait, 3 ou 4 mille à la fois, sur la « place du marché » et où les directeurs d’une usine passaient et choisissaient les plus jeunes, les plus forts. 

Trois longues semaines, puis c’est le départ pour l’usine de Genshagen, à vingt kilomètres de Berlin –quelques jours de repos au camp- et le 2 octobre, en France, rentrée des classes (les mamans et les étudiants y ont pensé !). Pour nous, entrée en usine, début de huit longs mois de faim, de froid, de misère.

 Octobre : pas de travail, l’usine bombardée en août ne reprend que lentement, nous ne connaissons pas encore le travail. Cependant, au bout de trois semaines, il faut déjà travailler seize heures par jour, en se reposant peut-être une heure. L’emploi du temps est invariable : les deux premières semaines, douze heures par jour, la troisième, quatorze heures, la quatrième, seize heures. Le dernier jour du mois, on commence à sept heures le matin pour travailler jusqu’à dix, onze heures ou midi le lendemain, sans arrêt. Le travail terminé, on nous conduit au lager russe, à deux kilomètres, pour prendre une douche, raser les cheveux le besoin s’en fait sentir, et pour les vêtements à l’étuve. Ensuite, bien douchées, ayant souvent perdu en route culotte ou chemise (les vols étaient nombreux à l’étuve !), les trois quarts le crâne rasé de frais, nous pouvions aller dormir, sans manger, car le pain de la journée, nous l’avions reçu dans la nuit, pendant le travail.


Objets réalisés par Odette

En février, les moteurs n’arrivant plus, on nous fit travailler dehors sous la neige. Travail ridicule, inutile, qui consistait à prendre quelques pierres, de la ferraille, et à les transporter un peu plus loin, à deux cents mètres. Il était trop simple de nous laisser au « block ». Le soir, il fallait des heures pour se réchauffer sous la mince couverture, malgré la robe que nous ne quittions pas pour dormir, lorsqu’il faisait trop froid.

La seule distraction, la seule littérature, durant ces longs mois, furent les recettes de cuisine. Nous en parlions du matin au soir, composant des menus splendides, copiant des recettes dès que nous avions un jour de repos. La cuisine était pour tous les prisonniers une véritable obsession. Sans cesse affamées, nous ne pouvions penser à autre chose. C’était de plus un passe-temps, un dérivatif à l’ennui.

La faim, l’ennui, la fatigue, nous rendaient hargneuses, méchantes. Les françaises détestaient les polonaises, qui le leur rendaient bien, et cela pour toutes les nationalités. Il arrivait même que des femmes se battaient…pour une poignée d’épluchures de choux-raves ou un navet pourri. Le ravitaillement diminuait sans cesse, nous dévorions pissenlits, chardons, feuilles et herbes pour acquérir quelques « vitamines ». Nous étions toutes dans un état de faiblesse extrême. A l’appel du matin qui durait deux heures, dehors, sous tous les temps depuis février, il tombait chaque jour, trente cinq ou quarante femmes, sans connaissance, les « Auslander » ou « étrangères » n’avaient plus assez de force pour les descendre à l’infirmerie. Seules les allemandes qui s’étaient toujours gavées de soupe, résistaient encore. Chaque soir, nous poussions un « ouf » de soulagement : « encore une journée de tirée- combien de temps tiendrons-nous ? Huit, quinze jours au maximum ! »

Et puis, le 17 avril, l’exode, les douze kilomètres à pieds, pour atteindre la gare, le demi pain dévoré pour midi. Il était peut-être pour trois jours ce demi pain, mais qu’importait ! Comment ne pas manger tout aussitôt quand on meurt de faim et qu’il faut marcher ?

Heureusement, le pain n’était que pour un jour. Le lendemain soir (seulement !), on nous en donna une tartine et une soupe, médiocres, mais bien supérieures à celles de l’usine. C’était au camp d’Oranienburg où nous sommes restées trois jours, et qu’il a fallu évacuer aussi le 21 avril, après avoir passé la journée du samedi dehors, sous une pluie battante. Départ à sept heures et demie du soir, avec pour ravitaillement un pain de trois livres par personne et une boîte de conserve pour quatre. Beaucoup d’hommes partirent sans rien !… Il fallait partager !

Dès lors, ce furent les interminables journées de marche, les coups de trique, de crosse pour les trainards, ou plus souvent, une balle dans la nuque. Les cadavres ne se comptaient plus sur les routes. Chaque prisonnier, à bout de forces, abandonnait sa couverture, les chaussures trop grandes et trop lourdes qui blessaient les pieds gonflés. Abandonnées dès le troisième jour, avec quelques camarades, et voulant tout de même rejoindre les autres, nous ne risquions pas de nous égarer : trop de tristes témoignages du passage de la colonne, nous indiquaient la route. Enfin, n’en pouvant plus, mangeant des pommes de terre crues ou cuites sous la cendre pendant un arrêt, nous restâmes dans une grange de ferme, gardés par deux soldats « SS ». Parmi nous, une jeune femme paralysée qui se traînait à genoux, une hongroise à demi-morte ! Nous étions 27, tous malades. La colonne partie, nous dûmes nous réfugier dans une grange de bois au milieu de la plaine. Après avoir mangé du mouton cru, trouvé dans la forêt, nous nous endormîmes au bruit du canon grondant à quelques kilomètres.
Et le 1er mai, à l’aube, tandis que les obus et les balles sifflaient autour de notre cabane,  ce fut la fuite des « SS » demeurés la veille à la ferme, puis… l’arrivée des russes !! Oh ! L’entrée du premier russe dans la grange, nos cris, nos rires, nos pleurs ! Inoubliable aussi ce 1er mai 45 et le rapatriement, l’accueil des français à Valenciennes, à Paris, inoubliable surtout, l’arrivée à Guingamp le 26 mai, dernier jour de « l’année terrible ».

 


Le retour

Source familiale
 

                             

       22/02/2019