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La rafle de Loches 

Le témoignage de Nöel HAPPE

Pour enrichir la mémoire du passé, nous recherchons des témoignages, des documents ou des photographies des déportés de ce convoi      35memoiredeguerre@gmail.com
 

22/02/2019

Article de presse sur la rafle de Loches      La rafle de Loches 

 

 

Le 27 juillet 1944 j’étais gendarme à Loches et j’avais 26 ans. J’ai été arrêté, avec mes collègues, parce qu’on laissait faire les réfractaires au S.T.O, on ne pouvait pas les trouver, on ne voulait pas les trouver. Les miliciens nous l’ont reproché. Ils nous ont dit : « Vous voyez bien, ce sont des terroristes, ils vont dévaliser les mairies et les bureaux de tabac ». Bien sûr, il y a eu des vols de tickets d’alimentation, mais les mairies étaient un peu de connivence.

J’ai été arrêté à la gendarmerie de Loches le 27 juillet 1944 à 6 h 30 du matin. De là, on a été emmené à l’école des filles et on a été allongé à plat ventre avec une surveillance de fusil-mitrailleur. Et c’est là que l’adjudant allemand nous a dit : elle est belle la gendarmerie française, le nez dans la poussière. On est resté là jusque vers 20 heures. À 20 heures on nous a embarqué pour la maison d’arrêt de Tours. Là on est resté jusqu’au 10 Août. Le 10 août, c’était la retraite pour tout le personnel de la maison d’arrêt de Tours, y compris le personnel allemand, tout le monde y était. Alors là, on est parti en direction de Belfort, Paray le Monial, Dijon, mais la Résistance essayait de bloquer le convoi. Il y a même eu un petit incident en garde Vierzon, pendant une alerte, ils nous avaient arrêtés sur une voie de garage, et quand le train a voulu repartir, il n’y avait plus moyen. Les cheminots avaient mis de la graisse sur les rails. Impossible d’avancer. Alors il a fallu qu’ils aillent chercher une deuxième locomotive pour la mettre à l’autre bout et repartir en arrière pendant un petit bout de temps pour reprendre un aiguillage et continuer le voyage.

Notre voyage a duré une dizaine de jours. On est arrivé à Belfort, on a été logé au fort Hatry. Alors on ne faisait rien. J’ai travaillé un peu cuisine ce qui me permettait de manger un peu plus que les autres. Et le 1er septembre, il a fallu déménager en vitesse, ils ont amené des wagons qui étaient découverts, toute sorte de wagons, parce qu’ils avaient eu bruit que la résistance voulait faire un assaut du fort Hatry. Et on est partie en Allemagne. Direction Neuengamme. On a eu un peu du ravitaillement à Paray le Monial mais sans ça, on a eu ni a boire, ni à manger. Arrivé en Allemagne, le train a fait un détour par Buchenwald, il n’y avait plus de place, alors il nous ont emmené à Neuengamme. Là, on nous a débarqué, on nous a mis tout nu, on nous a rasé tout les poils, sur la tête, sous les bras, et tout le reste. Tout a été épilé, tous nus. On nous a donné les fameuses tenues rayées. Avec le numéro matricule sur la poitrine, sur la jambe gauche, et une petite plaque autour du cou tenu par une toute petite ficelle. 43 729. Je l’ai toujours gardé en tête celui-là. C’est un souvenir. 

On a vu des gens qui avaient la tête rasée et habillés en tenue de bagnard. On se demandait ce que c’était que ces gens-là. Mais on a vite compris. Parce qu’une demi-heure après c’était notre tour. On nous a enlevé toutes nos tenues et après une bonne douche, froide, on nous a donné les tenues rayées. Des barbelés. Des baraquements. Et tous ces gens qui étaient habillés en rayé, qui allaient, qui venaient, on se demandait pourquoi ils étaient là. On l’a su après. Ils étaient comme nous. Et on est resté que trois jours à Neuengamme. Après on est partis en commando à Wilhelmshaven. Là, on travaillais à l’arsenal. Il y en avait qui étaient à la ferblanterie, d’autres la menuiserie, il y avait le travail de jour et le travail de nuit. Moi personnellement j’ai travaillé à la menuiserie, de jour. C’était du travail pour les sous-marins de poche. Parce que Wilhelmshaven est un petit port sur la mer du Nord. Il ne fallait pas dire qu’on était policier ou gendarme parce que là, c’étaient la raclée. Ils n’aimaient pas. On était entourés de kapos, c’étaient des détenus allemands, politiques ou autres. Il fallait coller des petites boîtes. J’étais devant une grande plaque chauffante ce qui m’a bien sûr aidé, parce que l’hiver étant rude, je travaillais avec une plaque chauffante devant moi. Seulement, pas question de s’asseoir à côté. Il fallait rester debout. Une fois j’ai essayé de m’asseoir sur un morceau de bois mais j’ai reçu à mon tour deux morceaux de bois en travers de la figure. Après on nous a donné des tiges, et il fallait mettre des écrous dessus. Il fallait travailler sans cesse. Le matin, réveil à cinq heures. L’appel, sur la place de l’appel, ça durait quelquefois une demi-heure. On avait droit à un quart du jus d’orge et après on partait à pieds jusqu’au lieu de travail.  

Au travail, ça allait encore à peu près, on faisait le petit boulot qu’on pouvait. On avait une demie heure de repos avec un morceau de boule et une tasse de café. Et le soir, quand on rentrait, il y avait encore la place de l’appel. Là, ils nous fouillaient pour savoir si on n’avait pas dérobé quelque chose à l’arsenal. Alors des fois, ils nous mettaient tout nu, complètement nu. Il nous est arrivé d’être complètement nus sous la neige. Après on allait se coucher. Vers 20 heures, 20 h 30, et la nuit, il y avait des alertes. Alors on était obligé de se lever et d’aller au bunker. Alors là, c’était la pagaille. Il fallait partir avec une couverture au-dessus de soi, il n’y avait que la moitié de la porte d’ouverte et le kapo était là : « raus, raus ». Quand l’alerte était finie, on revenait. Il arrivait aussi qu’il y ait des alertes au moment de la distribution de la soupe, le soir. Alors on était obligés de laisser la gamelle de soupe parce qu’on n’avait pas le droit de partir aux abris avec la gamelle de soupe. Quand on revenait, forcément, il n’y avait plus rien. Je ne sais pas qui les vidait le, mais il n’y avait plus rien.  

On est parti en chemin de fer parce qu’il y a au moins 300 km entre Neuengamme qui donne sur la mer Baltique et Wilhelmshaven qui donne sur la mer du Nord. Wilhelmshaven était un commando du camp central de Neuengamme. Alors nous, on était à des commandos de Neuengamme. Et quand il y avait des pendaisons, quelque chose de grave, ils les renvoyaient sur Neuengamme. On a vu des pendaisons parce que par exemple, il y avait un Russe, il s’était endormi, et avec sa perceuse il avait percé le tablier de l’établi. Alors il a été pendu devant nous. Il fallait faire tête gauche ou tête droite selon le côté où on était. Il a été pendu, mais un peu comme le Christ. C’était en T, et il était comme ça, les bras en croix. Il était attaché par les pieds et les mains comme ça. Ça a duré depuis huit heures du soir jusqu’à deux heures du matin, il a hurlé. Et puis après c’était fini.

Un baraquement, il y avait un grand couloir et puis des chambres de chaque côté. Dans chaque chambre il y avait cinq châlits de chaque côté sur deux étages. Tous les matins après être levé, il fallait refaire le lit au carré, bien comme il faut, avec un bout de bois, il fallait bien le tirer, et le soir, quand on rentrait, parfois il y avait une croix sur le lit. C’est qu’il n’avait pas été bien fait. Il y avait un pli sur la couverture. Mais on ne pouvait pas le contrôler. Parce qu’on nous disait : les travailleurs de nuit, quand ils sont rentrés, ils ont refait votre lit. Et quand il y avait ça, bien sûr, on avait droit à 25 coups de schlag.

 

A l’usine, on était assez calme. Le plus dur c’était au camp. Quand on rentrait, qu’ils nous fouillaient, qu’ils nous déshabillaient. Et puis les alertes, il fallait courir sous les coups de schlag. Une fois, ils avaient trouvé un pou sur le dessus de ma veste alors j’ai eu droit à 25 coups. Mais ce n’était pas moi qui les avais car on faisait toujours attention de ne pas en avoir sous les aisselles ou bien ailleurs. S’il était au-dessus, c’est que ça venait d’un autre. Alors quand ils ont vu qu’il y avait ça, c’était un jeune Russe qui couchait avec le chef de bloc, parce qu’il y avait des homos, alors quand il a vu que j’avais ça, il est arrivé et pan, en plein à travers le visage, d’ailleurs j’ai eu le nez un peu écrasé. 

Les avions alliés venaient bombarder. L’arsenal n’a pas été bombardé tout de suite mais ils avaient bombardé plus loin, sur Hambourg, ou d’autres villes. On les entendait passer. Le ronronnement. Et bien souvent on allait aux abris mais on n’entendait rien du tout parce que les abris c’étaient des tours en ciment avec des murs qui faisaient presque 1 m 20 d’épaisseur. D’ailleurs, moi je ne suis pas retourné, mais il y en a qui sont retournés à Wilhelmshaven, et comme c’était un peu marécageux, ces bunkers se sont enfoncés. Il est arrivé une fois qu’une bombe est tombée tout près du bunker. Mais comme il y avait une grande ogive en acier au-dessus la bombe a glissé. 

Ils ont d’abord embarqué tous les malades, dans un train qui a été bombardé à Lunenbourg, il y a eu pas mal de mort. Il y avait eu 10 ou 12 je crois qui ont été porté disparus, parce qu’on n’a jamais pu les identifier. Ils ont été déchiquetés. Et moi, j’avais eu la chance si je peux dire ça, on était parti à pied et pendant un moment ils ont mis un train, alors il y en avait, ils montaient dans le train, et d’autres qui partaient à pied. Alors moi j’aurais bien voulu monter dans le train mais on m’a dit qu’il fallait que je continue à pied. Mais le train est allé jusqu’aux cap Arcona . Ils ont été mitraillés là-bas. On n’a jamais su exactement. On a dit que c’était les Anglais qui avaient bombardé, dans la baie de Lübeck, mais ça peut aussi être les Allemands qui l’ont fait pour se débarrasser de ceux qui les encombraient. Parce qu’ils ne savaient plus quoi faire de nous après. C’était vraiment la débâcle.

Ensuite on a marché jusqu’à Flensbourg. Les Suédois sont venus nous chercher et on a débarqué à Malmö. C’était la mission Bernadotte. Il paraît qu’on avait été échangé contre des médicaments parce que normalement il ne devait pas y avoir de rescapés des camps. Himmler aurait décidé qu’il fallait soit les tuer soit les passer au lance-flamme. Là, on a été soignés comme il faut, désinfectés et nourris petit à petit. On a passé des visites, parce qu’il y a eu le typhus, la dysenterie. Moi j’ai voulu me lever et pendant deux jours je tombais dans les couloirs en voulant aller au petit coin. Je pesais 38 kilos. Il n’y avait plus que les os et la peau. On a été vraiment bien soigné et je suis resté jusqu’au 16 juillet. On a été rapatrié jusqu’au Bourget en avion. Et là on est passé à l’hôtel Lutétia où ils nous ont habillé et demandé tous les détails sur la déportation. 

A l’hôtel Lutétia, comme j’avais un oncle qui habitait à Paris rue du chemin vert, ils l’ont prévenu, et ils sont venus me chercher. Et après je suis retourné à l’hôtel Lutétia pour être rapatrié sur Tours où on est arrivé et là il y avait des bénévoles. Ils ont demandé : « est-ce qu’il y a quelqu’un qui va vers Loches ». Un monsieur a dit : « moi je vais dans cette direction-là ». On est allé jusqu’à Loches et là, quelqu’un m’a repris pour aller en direction de chez moi vers Ecueillé et Villeloin Coulangé où étaient ma femme et mes enfants, chez mes beaux-parents. Ils ont été surpris de me voir arriver en pleine nuit. Ils ne savaient pas si j’étais encore vivant ou pas. Il y avait eu une libération de deux Suisses, M. Graff et son neveu, on les avait libérés parce qu’ils étaient Suisses et ils avaient envoyé des nouvelles disant qu’il y avait des gendarmes du Lochois à Wilhelmshaven. Mais il n’avait pas donné tous les noms. Le mien ne figurait pas. Ma femme et mes beaux-parents se demandaient ce que j’étais devenu. Ils étaient très contents. Et ma plus jeune fille, qui avait deux ans, j’ai voulu la soulever mais je n’en avais pas la force. Il a fallu que ce soit eux qui me la mettent dans les bras. J’avais repris 14 kilos, mais j’étais bouffi, je n’avais pas de force.

 36 gendarmes déportés, sept sont revenus. Actuellement et il y en a encore deux.

A Wilhelmshaven, c’était un nouveau camp pour eux. Avant nous, c’était des jeunesses hitlériennes qui occupaient ce camp. On était les premiers déportés à occuper ce camp, et les derniers en même temps. C’était simplement un camp de travail.

Il y a un détail que je me rappelle. Un jour il est arrivé une soixantaine de juifs. Ils les ont fait courir en faisant déplacer des grillages, des barbelés, à coups de schlag. Au bout de cinq jours, ils étaient tous anéantis. Eux, c’était des juifs, nous, on avait la lettre F. en rouge, ce qui voulait dire qu’on était des déportés politiques français. Les Russes avaient R., les Belges un B., etc. 

 


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