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Les prisonniers de Tours 

Le témoignage d' Yvette GOBERT

Pour enrichir la mémoire du passé, nous recherchons des témoignages, des documents ou des photographies des déportés de ce convoi      35memoiredeguerre@gmail.com
 

22/02/2019

Yvette GOBERT n'est pas identifiée dans le mémorial des déportés de France. Dans le convoi parti de Belfort, le 1er septembre on trouve Yvette VARVOUX Yvette, née le 22 novembre 1917 à  Naveil (41). Yvette Gobert s'étant mariée en 1934, elle déclare avoir 26 ans en 1944, ce qui suppose une date de naissance vers 1918). Son parcours: Ravensbrück, Genshagen (Kommando du KL Sachsenhausen Kommando de femmes situé à Berlin, travaillant pour l’usine AEG). Rescapée des camps. (Matricule: 62905)

 

 

"Mon mari et moi on a d’abord commencé dans la résistance en 1942. Dans le Loir-et-Cher, et alors au bout d’un certain temps, vu les actions qu’on faisait, on a été obligé de partir. Alors nos chefs nous ont dit, il faut que vous alliez sur l’Indre et Loire, parce qu’il y a pas mal d’arrestations. Là-bas il y a un creux. Donc il faut que vous alliez le boucher. Alors on est venu en Indre-et-Loire en mai 1945. Je travaillais dans une usine de conserves. J’avais 24 quatre ans.

Avant la guerre, de mon métier j’étais gantière. Je me suis marié en 1934. Alors après j’ai toujours continué dans les gants. Après j’ai été arrêtée et puis je suis rentrée dans une usine de conserve. Je trouvais que je gagnais davantage. Et après en 1942, c’est là qu’on a pris contact avec des résistants, qui nous ont fait rentrer dans la résistance. 

On est donc venu en mai, première semaine de mai 1944, on a donc tourné tant bien que mal. Mon mari était responsable pour les parachutages et moi j’étais agent de liaison. Mon mari a été arrêté le 1er août 1944 au château de Vaux, et moi j’ai été arrêtée le 3 août 1944, un petit village qui s’appelle Coulommiers, qui se trouve face au château de Chenonceaux. Il faut traverser le Cher et on se trouve en face. J’ai été arrêté là. De là, automatiquement, transport à la Gestapo de la rue Victor Hugo, et alors là, avec la grande Clara Knecht qui nous battait à tour de bras, j’aime autant de vous dire que je n’oublierai pas le nombre de marches qu’il y a du premier étage jusqu’à descendre à la cave parce que quand on était en haut des marches, elle nous poussait jusqu’en bas. Je suis restée là jusqu’au 10 août 1944. De là on a pris le train qui descendait de Rennes et on a embarqué à la Ville aux Dames. De là on est passé à Vierzon, de Vierzon on a descendu jusqu’à Dijon, de Dijon on est remonté à Paray le Monial. A Vierzon d’abord, il y a eu un très très fort bombardement, les Allemands se sauvaient de partout, nous on était enfermé dans le wagon, et dans ce wagon il y avait une jeune fille qui venait de Rennes qui avait été mitraillée en route, elle était là avec nous, les asticots lui sautaient de partout. Et dans le wagon, il n’y a pas à dire, on était comme des sardines. On a tapé dans les portes du wagon, ils n’ont jamais voulu ouvrir. Et de Dijon, on est remonté à Paray le Monial, là le train s’est arrêté parce qu’il y avait encore un mitraillage et à force que on tape sur les portes dans les wagons, ils sont arrivés à ouvrir la porte pour faire descendre cette jeune fille qui s’appelait Agnès de Nanteuil. Son corps est resté à Paray le Monial. Je ne sais pas si par la suite les parents, la famille, a pu le récupérer. On n’en sait rien.

Et après, ils nous ont refermé la porte, bien entendu, et le train reparti en direction de Belfort. Là ils nous ont descendu, on est resté une nuit dans la caserne de Belfort. Le lendemain on a repris la route dans ce wagon. On est passé à Sarrebruck. Donc en définitive on est parti de Tours le 10 Août et on est arrivé à Ravensbrück le 2 septembre. 

C’était un train à bestiaux.

 Tous les déportés, tous ceux qui ont été raflés, hommes, femmes enfants, on était dans des wagons à bestiaux. Il y avait rien, on était par terre avec la tinette dans le coin du wagon. Il n’y avait rien d’autre. Pour manger, a Paray le Monial, il y avait des civils le long des lignes, il se sont bagarrés un peu avec les Allemands, pour nous passer par les petites lucarnes du wagon à bestiaux des bouts de poulet, de pain, etc. Autrement on n’avait absolument rien. Alors ce qu’ils ont fait le mieux, c’est que, quand il y a eu ce fort bombardement, il se sont ramenés après que ça ait été fini, ils se sont douchés sur le quai, et après dans les sauts ils voulaient nous apporter à boire. Ils venaient de se doucher dedans. Dans le wagon, il n’y avait absolument rien, ni eau, on avait que des latrines dans le coin du wagon. On arrive à tenir par le moral, c’est tout. Il n’y a pas autre chose. 

Devant nous, quand on est arrivé à Ravensbrück, il n’y a pas loin d’un km quand le train s’arrête là et après il faut marcher à pied. Ils nous ont fait descendre des wagons, j’aime autant vous dire, faut descendre n’importe comment, ils nous poussaient, vas-y donc, si on tombe, tant pis, et puis quand on est arrivé un peu plus loin on causait quand même entre nous on s’est dit : ici il y a des belles maisons, à ce moment-là il y avait des géraniums oui, mais manque de chance c’étaient les appartements des SS. Alors quand on a passé la barrière, comme un passage à niveau en France, de l’autre côté ce n’était plus la même chanson, j’aime mieux vous dire. Alors là, on est resté debout. Et on a couché dehors, par terre. Le lendemain matin quand on s’est réveillés on était couverts de gelée blanche. Et puis c’est tout. Ça a été l’appel pour nous déshabiller, etc. C’étaient des baraquements. À l’intérieur c’étaient des lits superposés par étage, il y avait trois étages. Alors si on avait la chance d’être en haut c’était bien, malheureusement souvent de fois… On allait là où il y avait une place. Alors quand il y avait quelqu’un au-dessus de nous qui avaient le typhus ou je ne sais quoi, ça nous tombait de partout. 

La journée commençait le matin à trois heures. On était dehors. Et puis on attendait. Les SS venaient. Les chiens. Il fallait attendre. Là-bas, on est toujours par colonnes de 5 x 5. Si on était pas toujours comme il faut, claques et vas-y. Et toute la journée c’était comme ça. On nous emmenait à droite on nous emmenait à gauche. Il fallait faire la quarantaine à Ravensbrück. On était là pendant 40 jours. Avec le même système tous les jours. Le problème. Et alors après, après la quarantaine on nous emmenait dans les champs. On a coupé des arbres. Pour nous occuper. On a fait des murs, que ce qu’il pouvait faire pour nous embêter. Alors après 40 jours, vous partez, comme ils appellent, eux, en transport. C’est-à-dire que vous partez dans les usines d’armement pour travailler. Alors moi je me suis trouvée à aller à Ludwigfeld. Dans une usine de V1. Alors là, y’a pas dire, il fallait suivre. Et alors de temps en temps on entendait des pétarades à droite et à gauche. Au bout là-bas il y en avait toujours un qui mettait quelque chose de dedans pour que ça éclate.

On a travaillé dans une usine de V1, pour l’aviation. On était à la chaîne il fallait mettre des pièces à tel endroit, c’était le travail à la chaîne. Ça faisait comme des plaques, un genre de fer à cheval. Vous aviez une pièce à mettre là, là, et ça partait au bout. Voilà le travail. Dans cette usine, il y avait deux anciens Allemands qui avaient fait la guerre de 14. Il y en avait un qui parlait quelques mots de français. Alors de temps en temps il s’approchait de nous, il faisait bien attention de ne pas être vu, il nous donnait les informations. Alors on se disait : les filles, à Noël on va être en France. Et puis un jour en causant, je lui ai fait comprendre que j’allais avoir 26 ans. Il me regarde. Et le lendemain il a tiré le tiroir de la table où j’étais, sur l’établi, et il a mis une pomme de terre dedans, cuite, à l’eau, avec la peluche. Il a refermé le terroir en vitesse il m’a fait signe qu’il l’avait mise. Alors j’ai fêté mes 26 ans là-bas avec une pomme de terre. Alors dans cette usine on n’est pas resté très longtemps. Comme ils ne savaient déjà plus où nous mettre ils nous ont évacué parce qu’il y avait trop de bombardements. De là on a été transporté au camp de Sachsenhausen. Alors là c’était encore un autre problème. Là-bas, c’était bientôt la fin. Ça se bagarrait dans tous les coins. Et puis c’était pareil. Le travail, les appels et ainsi de suite. Sans discontinuer. En définitif, après, quand ils ont vu qu’ils étaient fichus, ils nous ont mis sur les routes. Comme le groupe qui était avec moi j’ai fait la route de la mort. 220 km en marchant jour et nuit pendant 12 jours. J’aime autant vous dire que quand on est arrivé au bout, eh bien il y en avait plus beaucoup de restes. Parce que sur les 7000 qu’on était en partant de Sachsenhausen, il n’y en avait plus beaucoup de restes.  

Alors là, le petit groupe que l’on était, on a été libéré par les Cosaques russes. J’aime autant vous le dire que l’on a eu la frousse c’était dans le coin d’un bois, quand on a vu les chevaux arriver… Il faut dire une chose : la tenue allemande avec la tenue russe est à peu près de la même couleur. On a dit les filles, on est encore fichues. Non. Ils nous ont fait comprendre… On est donc resté trois jours avec les Russes, bien, on ne peut pas dire, on était bien par rapport où on était avant. Parce que vous savez, marcher jour et nuit… A l’usine, j’avais barboté des bracelets de caoutchouc pour mettre sur les sabots, alors à la longue, les bracelets de caoutchouc étaient rentrés dans la peau, enfin… je suis quand même arrivée… Et puis après on est passé aux mains des Anglais, aux mains des Américains. Et puis je suis passée par la Hollande, par la Belgique, où on n’a eu un accueil vraiment chaleureux, et puis je suis passé à Paris à l’hôtel Lutétia, pas de problème, très bien. Et après je suis rentré dans la ville natale, Vendôme, et alors là quelqu’un venu me cherchait et comme beaucoup, je n’avais plus rien du tout alors ce sont des gens avec qui on avait travaillé dans la résistance qui m’ont hébergé pendant au moins six mois jusqu’à temps que je me retape. Parce que quand je suis revenue, pour 1m63, je faisais 39 kilos. Et alors mon mari a été fusillé le 9 août 1944 au camp d’aviation, là, à Parçay-Meslay . 

On se lève à 3 heures. On va l’appel, on est au moins pendant deux heures. On avait pas grand-chose sur le dos. Et rien dans les pieds. On nous a descendu du train et on est allé dehors, devant un baraquement et là on a couché dehors, toute la nuit. Le lendemain on est entièrement déshabillé, ils nous ont donné des vêtements qu’ils ont été cherchés je ne sais pas où chez les civils, parce que l’on n’avait pas de costume rayé au départ. Alors moi je me rappelle j’avais une robe noire avec des pois blancs qui descendait aux chevilles mais alors elle était toute légère et puis une espèce de chemise en dessous… des sabots avec juste la plaquette de bois et une tige de cuir dessus, c’est tout ce que l’on avait. Alors dans la journée c’était appel par-ci, appel par-là. On nous emmenait pour transporter du sable un autre jour c’était pour couper des arbres, il ne savait pas trop. Il ne savait qu’une chose : faire quelque chose pour nous embêter. Il fallait pas rester dans les baraques. 

A midi on avait une louche de soupe soi-disant, avec une rondelle de saucisson qui faisait à peu près 50 g, c’est tout. On n’avait rien d’autre. Le soir c’était pareil, il fallait se presser pour en avoir parce que autrement… Le plus mauvais de tout que l’on a mangé, c’était de la soupe à la betterave rouge sans être lavée. Alors ça c’est infect. Et vous étiez bien obligés de la manger, il n’y avait rien d’autre. Un autre jour, alors là le menu il était mieux. On avait les balayures de grenier, avec des asticots, mais on a trouvé ça bon. En on a mangé des asticots. On a mangé de la soupe aux orties aussi. Alors tous les jours c’était la même répétition. Le soir arrivait. Après avoir eu cette louche de soupe on rentrait dans les baraques, et si l’idée leur prenait à minuit ou une heure du matin de nous appeler, il fallait que tout le monde sorte dehors. Il nous faisaient ramasser toutes nos gamelles, parce qu’on avait une gamelle attachée derrière, ils nous faisaient mettre nos gamelles en tas toutes dans la nuit et il fallait se dépêcher pour en retrouver une parce que sans ça vous aviez des coups de bâton. C’était comme ça. On se couchait à minuit, à une heure. Après c’était l’appel et puis on nous remettait dans les baraques, et à cinq heures il fallait se relever etc... les châlits, c’est des planches avec dessus une espèce de couverture c’est tout. Y’a pas d’oreiller, y’a rien de tout.

J’avais des sabots d’au moins 42 ou 43 pour un pied du 37. Alors c’est ce vieil allemand qui m’a rogné un peu le talon derrière ça faisait un peu moins long. 

…jours et nuit. Croyez-moi, on en a vu beaucoup dans les fossés. Et les autres qui passaient derrière, et clac. Il n’y avait pas de pardon. Ils avaient toujours leur revolver en main, et des instants qu’ils voyaient quelqu’un qui tombait, hop, pas de problème. C’étaient des centaines comme ça."


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