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Liste des témoignages

TEMOIGNAGE de Monsieur Jean GALTEAU
(16 ans en 1944)

"Journée du 6 août 1944"

Employé comme cuisinier à l'hôtel du Lion d'Or (1) depuis deux ans, ce dimanche 6 août 1944 je décide comme beaucoup de Langeaisiens d'aller voir les prisonniers et s'il était possible de les approcher.
Il était environ 15 h 30 lorsque le service terminé, je me dirige vers la gare. Arrivé au portillon qui était à l'époque du côté de la maison du garde barrière, un homme assis sur le petit muret m'arrête et me dit : "tu entends le mouchard (2) et bien dans 3 heures d'ici il y aura quelque chose".
Saisi par ce que je venais d'entendre, j'en suis resté muet. Cet homme qui ne me connaissait pas était peut-être un "bon" ou un "mauvais" français ?
Je le quitte sans réponse et je vais vers les wagons du côté de l'usine Granboulan. Les prisonniers étaient enfermés, dans les wagons. Les pauvres malheureux laissaient glisser par les ouvertures une boite de conserve au bout d'une ficelle pour qu'on leur mette dedans tout ce qui était possible, surtout de l'eau, par cette chaleur qui était insoutenable.
Des employés amenaient de l'eau avec un seau de l'hôtel jusqu'aux wagons.
Il fallait que je revienne à l’hôtel préparer les repas du soir qui étaient servis à partir de 19 heures.
L'hôtel était complet : des Parisiens qui passaient leurs vacances et des Allemands qui occupaient plusieurs chambres dont deux officiers à la chambre n° 4 donnant sur la place du 14 juillet, ce qui leur permettait de surveiller tout ce qui se passait et ils disposaient d'une liaison téléphonique.
Entre 18 h et 19 h, les pensionnaires ainsi que les Allemands attendaient le dîner à la terrasse quand soudain un bruit d'avions.
Comme un éclair les Allemands se précipitent vers leur chambre et redescendent aussi vite qu'ils étaient montés, en casque et le mauser prêt à faire feu, puis ils se planquent dans tous les coins de l'hôtel, dont un dans la cuisine à quelques centimètres de moi. Par la fenêtre, je regardais les avions qui arrivaient du nord et se dirigeaient vers Bréhémont.
Cela a été très vite. De nouveau le bruit des avions. Je venais de réaliser ce que cet homme, inconnu, m'avait dit quelques heures plus tôt.
J'ai donc vu revenir huit avions, en position de ligne, piquer sur le train crachant le feu dans un bruit infernal et reprendre la direction du nord.

Pendant la mitraillade, le dernier avion piqua sur le train comme ceux qui le précédaient, mais à mon étonnement il ne tira pas.
L'Allemand qui était près de moi me dit en bon français : "Pas bon la guerre". Je n'ai pas répondu.
L'alerte passée, les Allemands se sont précipités vers la place du 14 juillet faisant barrage à toutes personnes ne portant pas un brassard de la Croix Rouge.
Au même moment, j'ai vu sortir du café de la gare, un groupe d'Allemands fonçant vers la gare, puis un Allemand pointant son arme en direction d'un homme qui s'était réfugié contre une porte d'un bâtiment, les bras en l'air, côté mairie. Cela me parut interminable. L'Allemand baissa son arme et fit signe à l'homme de s'approcher. Il montra ses papiers et l'Allemand le laissa partir. J'étais déjà sur la place quand l'homme venait vers moi. C'était un algérien. Il tremblait car il venait d'échapper à la mort.
Les premiers blessés commençaient à passer sur des brancards, direction la cave Antier.
Je ne pouvais m'écarter trop loin de l'hôtel, devant surveiller le fourneau et la cuisine, quand j'aperçois un Langeaisien soutenant un soldat américain, un bras ensanglanté en écharpe. J'apporte mon secours et le copain me chuchote: "II n'est pas blessé, c'est de la teinture d'iode".
Le soldat tremblait si bien que nous le serrions, comme s'il allait tomber, sous les yeux des Allemands.
Plus tard, j'ai appris que les maquillages qui avaient été faits pour imiter des blessures, étaient faits par l'abbé Mutter, vicaire à Langeais, parlant parfaitement l'allemand. Il avait eu un courage exemplaire. Il avait réussi à camoufler plusieurs prisonniers dans la cave du presbytère pendant plusieurs jours et les faisait évader la nuit.

"Journée du 7 août 1944"

Le lundi 7 août, les Langeaisiens étaient terrés dans leur maison ou dans les caves.
Au début de l'après-midi, j'entends à nouveau un bruit d'avions. Je scrute le ciel et j'aperçois deux avions de chasse à haute altitude qui tournoyaient et puis c'est la descente. Ils prirent le train en enfilade, comme ceux de la veille, et mitraillèrent, disparurent et puis le silence.
A ce moment précis, alors que j'étais sur la terrasse de l'hôtel, deux camions allemands stoppèrent au milieu de la rue à quelques mètres de moi. Je me suis caché derrière le petit mur séparant l'hôtel du trottoir.
Ma surprise a été de voir sortir de ces camions à toute vitesse des soldats allemands à la tête étrange. Ils avaient disparu dans la rue Gambetta. L'alerte passée, ils revinrent et montèrent dans les deux camions, et là, bien camouflé, j'ai pu observer leur tête asiatique, peut-être des Mongols. Ils repartirent dans la direction de Tours.
Après le passage des deux avions, il y eut quelques blessés qui furent emmenés par des brancardiers à la cave Antier. Parmi ces blessés, un Allemand une balle dans la jambe, le mollet complètement éclaté. Il ne chantait pas "Hali-Halo".
Peut-être une heure après le mitraillage, un car venant de la gare et prenant la direction de Tours, c'était une partie des prisonniers que les Allemands emmenaient vers l'Allemagne. Aussitôt que le car a pris le virage devant l'hôtel, derrière la vitre du véhicule des mains m'ont fait des signes d'un au revoir ou d'un adieu, j'ai répondu par les mêmes gestes.
J'ai été pris d'une grande émotion, étant seul, sur le milieu de la rue à voir disparaître des gens qui allaient peut-être vers la mort.

 

 Partie gauche de la cave RC où ont été déposés les morts de l’attaque du train

(cliché Pierre  Hebras-Leclerc)

Façade de la cave « Antier »

(Cliché Pierre Hebras-Leclerc)

 


Je rends hommage aux médecins et préparateur en pharmacie, malheureusement disparus aujourd'hui, pour les soins qu'ils ont apportés aux blessés. Tous les jours je les voyais allant à la cave Antier voir si une aide était possible.

J'ajoute qu'un officier allemand chirurgien avait passé la nuit du 6 août au lendemain midi du 7 août à opérer les blessés. Il rentra à l'hôtel pour se laver et manger.

(Mai 1994)


(1) Propriétaire : Mme Hasly, grand-mère du propriétaire actuel : Jean-Jacques Hosten.
(2) Nom donné aux avions qui volaient à très haute altitude.


Source: Plaquette diffusée lors du 50ème anniversaire de la libération de Langeais

                             

       22/02/2019