Les évasions des 6 et 7 août 1944 au cours de l'attaque,
par l'aviation alliée, du convoi de déportés à destination de l'Allemagne,
stationnéen gare de Langeais
(Récit demandé à M. Hubert CREVIC)
Après la défaite de 1940, et ma démobilisation le 8 août à Pau, je suis
resté plus d'un mois dans les Pyrénées, espérant un contact avec les
services de l'Ambassade d'Espagne pour pouvoir rejoindre l'Angleterre.
N'ayant pu obtenir ce contact, je me suis trouvé contraint de rentrer en
zone occupée pour rejoindre mon poste de Contrôleur Rédacteur à la Direction
Départementale des Contributions Indirectes du Morbihan en étant obligé bien
entendu de falsifier ma date de démobilisation : 10 septembre 1940 au lieu
du 8 août 1940.
Après une demande de mise en disponibilité au Ministère des Finances (afin
d'éviter à ma famille les soucis d'enquêtes possibles par les Autorités
d'occupation) j'ai quitté mon Administration pour m'engager, sous le pseudo
"Antar", dans les Forces Françaises Libres (F.F.L.). Chargé de mission
B.C.R.A. de Londres, j'ai été affecté à la mission "Air Bretagne" Colke.
J'avais une situation de couverture en zone occupée : Ingénieur, attaché à
la direction d'une société industrielle dont la quasi totalité de la
production était réquisitionnée pour l'Allemagne. Le propriétaire de cette
usine avait quitté la France pour l'Amérique au moment de la défaite de
1940. Cette personnalité a d'ailleurs appartenu au comité de guerre
américain, J'avais aussi tous les papiers officiels nécessaires pour
circuler, tant des autorités françaises que des autorités d'occupation.
J'ai été arrêté par la Gestapo le 11 juin 1943 en me rendant à Londres avec
l'opérateur radio de la mission MABW (Rapin) et six aviateurs alliés dont
les avions avaient été abattus au-dessus de la Bretagne et recueillis par la
mission Pat O’Leary.
Cette arrestation dans le train en marche pour Paris où
m'attendait à l'arrivée, en gare Montparnasse, le radio Rapin qui
m'accompagnait en Angleterre. L'arrestation avait été organisée par la
Gestapo sur les indications de l'agent du réseau Pat O’Leary avec lequel
j'avais été mis en contact pour notre départ en Angleterre, le radio et moi.
Cet agent du réseau Pat O’Leary "Roger LENEVEU le légionnaire" avait été recruté par
"Saint-Jean" (L.H. Nouveau), était double, il travaillait aussi pour les
Allemands.
Je suis donc arrêté seul dans le train en marche après le premier arrêt en
gare, par de nombreux agents de la Gestapo, qui me font descendre à la gare
suivante, avec les six aviateurs arrêtés eux aussi, et en présence de
l'agent double "Roger".
Le radio Rapin ne me trouvant pas évidemment avec les aviateurs, à l'arrivée
du train à la gare Montparnasse, flaire le piège dans lequel j'étais tombé,
revient en Bretagne par le premier train, pour enlever à mon domicile des
documents, un appareil émetteur radio, un appareil de radio-guidage des
avions "Euréka". Il échappe ainsi à l'arrestation en apprenant ma détention
par les Allemands.
Incarcéré à la prison allemande de Rennes (Jacques Cartier) où l'on me
maintient, car la Gestapo espère toujours arrêter le radio gui devait
m'accompagner en Angleterre .
Après le débarquement du 6 juin 1944, en raison de l'avance de l'armée
américaine vers Rennes, je fais partie d'un convoi de déportés N.N. vers
l'Allemagne.
Départ de Rennes en wagons à bestiaux le 1er août 1944. Après maintes
péripéties le convoi, rejoint par d'autres convois, de Rennes, de Nantes, se
trouve arrêté en gare de Langeais (Indre et Loire) le 6 août 1944 et est
attaqué dans la soirée par l'aviation alliée. Au cours du mitraillage, nos
gardiens ayant quitté leur poste pour chercher des abris, je saute de mon
wagon avec un camarade Pierre Héger, et nous nous enfuyons dans des
directions légèrement différentes. Héger réussit à s'échapper mais moi, en
traversant des broussailles je tombe nez à nez avec un Allemand qui s'était
posté à cet endroit à l'abri du bombardement et qui me tient en respect avec
son fusil braqué sur moi.
Le lendemain matin 7 août, conduit avec cinq autres déportés, dans la cave
Antier, où étaient déposés les corps des tués la veille lors de l'attaque,
afin de procéder à leur identification, je réussis à m'évader de cette cave
grâce à des indications précises données par un membre de la Croix Rouge à
qui j'avais pu murmurer que j'appartenais aux Forces Françaises Libres. (Par
la suite, j'ai appris qu'il s'agissait de M. Firly, beau-père du Docteur
Boucher, exerçant à Langeais).
J'ai pu sortir de cette cave et tromper la vigilance des Allemands grâce à
une porte dérobée donnant accès à un escalier qui débouchait, à l'air libre,
sur un champ .planté de vignes. En me guidant sur une éolienne, j'ai
rencontré, à proximité d'une ferme un jeune homme, Emmanuel Robles, qui a
accepté, sur mon ordre, de me guider 'vers un lieu sûr, à travers bois, en
me précédant à une certaine distance. Je lui avais donné l'assurance
formelle, qu'en aucun cas, je ne reconnaîtrais qu'il me servait de guide.
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: Partie gauche de la cave RC où ont
été déposés les morts de l’attaque du train
(Cliché
Pierre Hebras-Leclerc) |
Partie droite de la cave où furent soignés de nombreux déportés du
train avec la pompe qui a servi à leur donner à boire
(Cliché Pierre HEBRAS-LECLERC) |
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Escalier vers la liberté
(Cliché Pierre Hebras-Leclerc)
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Porte de l’espoir
(Cliché Pierre Hebras-Leclerc) |
Porte de l’espoir sortie sur le toit et partie droite chemin de la
liberté
(Cliché Pierre Hebras-Leclerc) |
J'arrive ainsi au lieu-dit "Les-Vaux-Bruneaux", endroit absolument désert
chez les époux Bellanger qui m'accueillent avec "un enthousiasme
extraordinaire et me proposent de m'héberger dans leur grenier. Ne voulant
pas risquer de les compromettre j'opte pour un refuge à une certaine
distance de leur habitation, avec leur accord, dans une vieille cave
abandonnée creusée dans la roche et recouverte de ronces. J'y suis resté
trois nuits, ravitaillé par les époux Bellanger (nourriture, cigarettes et
lampe à pétrole). J'avais pris la précaution, afin de dépister les chiens
policiers, de répandre toute la provision de poivre (que je gardais toujours
sur moi en prévision d'une évasion) sur le parcours, de ma sortie du bois à
la maison Bellanger, et de la maison Bellanger à la cave abandonnée où je
m'étais réfugié. Cette précision est absolument véridique.
Après avoir appris que les convois de déportés et leurs gardiens avaient
quitté Langeais, je suis parti des Vaux-Bruneaux car je ne voulais pas être
à la charge des Bellanger dont je jugeais la situation des plus modeste.
Je suis passé successivement au lieu-dit "Val d'Enfer puis je me suis arrêté
aux "Etangs" chez Dumas Anatole. Ce dernier m'a proposé de me conduire dans
un endroit où je serais en toute sécurité. C'est ainsi que j'arrive au
village de "La-Brosse" en pleins travaux de battage de la moisson, Introduit
par mon accompagnateur Anatole Dumas, je suis accueilli par Passard Bernard
et son épouse. On me donne tout de suite une veste de travail, une fourche
et je participe immédiatement aux travaux de battage en portant de la
paille, ce jour-là et les jours suivants.
Les époux Passard me font un accueil très chaleureux et inoubliable. Par
mesure de sécurité, je veux aller dormir dans les bois, mais il n'y a rien
eu à faire, ils m'ont préparé leur chambre et j'ai dormi dans un lit, ce qui
ne m'était pas arrivé depuis 14 mois. Je garde d'eux un souvenir ému ainsi
que de leurs enfants, adolescents Didier et Daniel Delabarre, et aussi de
leurs voisins les Robin, les Gazeau, les Lorieux et bien sûr les Bellanger.
Tous étaient d'une générosité incroyable malgré leur situation très précaire
de petits exploitants agricoles sur un sol pauvre.
Après avoir essayé de prendre contact avec la résistance locale pour tenter
de passer un message à Londres, sans succès, j'ai pu apprendre, après une
enquête discrète, qu'un agent de renseignement (américain probablement)
était hébergé au château de Vernou chez M. et Mme Charles Meyer.
Un rendez-vous me fut donné au château, aux environs du 15 août, et au cours
d'un petit déjeuner il fut décidé de me faire traverser les lignes
allemandes dès le lendemain, avec un aviateur américain blessé, pour
rejoindre l'armée américaine dans les environs d'Angers. Ce qui fut fait, et
après avoir été interrogé et hébergé par l'armée américaine , une jeep, avec
chauffeur, a été mise a ma disposition pour rejoindre Rennes où les
Américains me mettent en rapport avec le bureau de sécurité militaire
français : B.S.M. 11 - Capitaine Moinet.
Après une affectation provisoire au BSM 11, je re-joins le. Détachement de
Liaison des Services Spéciaux en Angleterre. Affecté au Spécial Allied Air
Borne Reconnaissance Force (S.A.A.R.F.) je pars en mission en Allemagne
jusqu'en juin 1945 comme Chef de mission.
Hubert Crevic
Carte d'identité F.F.L N° 17442
Source: Plaquette diffusée lors du 50ème
anniversaire de la libération de Langeais |